La limitation des droits fondamentaux constitutionnels par l’ordre public [Résumé de thèse]
La limitation des droits fondamentaux constitutionnels par l’ordre public
Par Pauline Gervier
Thèse soutenue le 5 décembre 2013 à l’Université Montesquieu-Bordeaux IV, sous la direction du Professeur Ferdinand Mélin-Soucramanien.
Composition du jury : Mme Nicole Belloubet, Professeur des universités, membre du Conseil constitutionnel, M. Jean Morange, Professeur à l’Université de Limoges (rapporteur), M. Ferdinand Mélin-Soucramanien, Professeur à l’Université Montesquieu-Bordeaux IV (directeur de thèse), M. Xavier Philippe, Professeur à l’Université d’Aix-Marseille (rapporteur) et M. David Szymczak, Professeur à l’Institut d’Etudes Politiques de Bordeaux (président du jury).
Cette recherche doctorale a pour objet de mesurer le renouvellement des exigences de l’ordre public dans l’ordre juridique français et ses implications sur les droits et libertés garantis par la Constitution. Si la conciliation entre l’ordre public et les libertés est une problématique classique, la montée en puissance de l’insécurité, comme l’émergence d’un terrorisme global, lui confère une dimension nouvelle. La multiplication des dispositions législatives visant à répondre à ces évolutions de fait suscitent des interrogations sur la protection des droits et libertés. Le Conseil constitutionnel est régulièrement saisi à ce sujet, que ce soit dans le cadre du contrôle de constitutionnalité a priori ou a posteriori des lois. L’intérêt de l’étude consiste alors à cerner l’impact des exigences renouvelées de l’ordre public sur les droits et libertés constitutionnels. Pour cela, la thèse est axée sur le processus de limitation. Ce dernier peut être défini comme l’opération qui consiste à restreindre, par une règle de droit, la portée ou l’exercice d’un droit ou d’une liberté garanti, dans un but prévu par le Constituant.
Ainsi, à la question de savoir dans quelle mesure, et sous quelles conditions, le législateur restreint l’exercice des droits constitutionnellement garantis pour satisfaire aux exigences renouvelées de l’ordre public, il est possible d’y répondre en suivant le déroulement logique du mécanisme de limitation. L’analyse des limites aux droits fondamentaux, de leur encadrement supra-législatif, puis de leurs conséquences sur les droits et libertés eux-mêmes, révèle un processus global et durable de limitation des droits fondamentaux constitutionnels par l’ordre public.
Dans un premier temps, la thèse met en évidence les sources constitutionnelles de l’ordre public et leur concrétisation dans l’ordre juridique. En dépit d’une faible consécration par les Constituants, l’ordre public bénéficie d’une pluralité d’ancrages dans le texte constitutionnel. Le Conseil constitutionnel s’appuie sur l’article 34 de la Constitution, les dispositions consacrant une liberté ou un droit déterminé, ou encore les articles 4 et 5 de la Déclaration de 1789, pour énoncer la mission de conciliation entre l’ordre public et les libertés confiée au législateur, et préciser les composantes de l’ordre public. A cet égard, la jurisprudence constitutionnelle témoigne d’une expansion des aspects matériel et immatériel de l’ordre public. Ce phénomène a des incidences sur la détermination des limites aux droits garantis. Elles se traduisent, notamment, par une multiplication des régimes dérogatoires du droit commun, mais aussi par une diversification matérielle des limites aux droits et libertés, qui fragilisent les catégories juridiques. La distinction, de plus en plus complexe, entre les mesures de police administrative et de police judiciaire, ou entre la peine et les mesures de sûreté, en témoigne.
Ce constat conduit à s’interroger, dans un second temps, sur les contraintes constitutionnelles pesant sur le législateur lors de la concrétisation des exigences de l’ordre public. L’analyse de la jurisprudence du Conseil constitutionnel démontre que celui-ci mobilise deux types d’instruments pour exercer son contrôle. Les premiers, génériques, s’appliquent à toutes les limites aux droits fondamentaux, tandis que les seconds sont spécifiques à des catégories de limites aux droits garantis. Leur étude permet de mesurer l’influence du renforcement des exigences de l’ordre public sur la signification et la portée des exigences constitutionnelles. Leur mise en perspective avec les droits européens et le droit comparé permet également d’envisager des solutions à même de renforcer l’intensité du contrôle de constitutionnalité, qu’elles soient à droit constant, ou à travers le recours au pouvoir constituant.
Le troisième temps de la recherche s’attache à analyser les conséquences de la conciliation entre l’ordre public et les droits garantis sur les droits fondamentaux eux-mêmes. La thèse identifie ici l’impact des exigences renouvelées de l’ordre public sur le champ de protection constitutionnelle des droits garantis. Il se mesure à travers la redéfinition de la portée de plusieurs droits-libertés et droits-garanties, notamment de leur fondement, comme l’article 66 de la Constitution, de leur contenu et de leur champ d’application. De même, l’étude démontre une redéfinition du degré de protection en fonction des droits fondamentaux visés, mais aussi selon la sphère du droit fondamental concernée. La concrétisation des exigences de l’ordre public altère, ensuite, les conditions d’exercice des droits garantis. La conciliation opérée par le législateur renouvelle l’aménagement et la mise en œuvre des droits fondamentaux constitutionnels. Le droit positif témoigne ainsi d’une diversification de leurs modalités de limitation et d’un infléchissement de leur protection légale.
L’étude aboutit à plusieurs conclusions. La thèse rend tout d’abord compte de l’intensification des restrictions apportées à l’exercice des droits fondamentaux constitutionnels dans l’ordre juridique français. La gradation de protection constitutionnelle, mais aussi la complexification de la mise en œuvre des droits et libertés, attestent de l’impact des exigences de l’ordre public sur les droits garantis. En outre, le recensement des instruments de contrôle du Conseil constitutionnel illustre un affaiblissement de la contrainte constitutionnelle. Le parallèle avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme indique ici les vertus de l’examen in concreto des limites aux droits et libertés. La thèse s’efforce, enfin, de proposer des solutions pour repenser la corrélation entre l’ordre public et les libertés. Cette réflexion a notamment conduit à plaider pour l’inscription d’une clause explicite de limitation des droits et libertés dans la Constitution. Bien que rencontrant des obstacles techniques et extra-juridiques, cette solution renforcerait l’action du juge constitutionnel et la prévisibilité du mécanisme de limitation des droits fondamentaux.