Le négationnisme face aux limites de la liberté d’expression (Allemagne, France, CEDH, Etats-Unis) [Résumé de thèse]
Le négationnisme face aux limites de la liberté d’expression (Allemagne, France, CEDH, Etats-Unis)
Par Thomas Hochmann
Thomas Hochmann est maître de conférences en droit public à l’Université de Reims Champagne Ardennes
Thèse soutenue le 12 décembre 2011 à l’Université Paris I Panthéon Sorbonne, honorée du prix René Cassin.
L’interdiction du négationnisme est aujourd’hui l’une des limites de la liberté d’expression les plus discutées. A l’émoi provoqué par ce type de propos s’ajoute ou s’oppose la forte sensibilité contemporaine contre tout ce qui est perçu comme une « atteinte » à la liberté d’expression. La question de l’interdiction du négationnisme se situe en outre à l’intersection de plusieurs problématiques essentielles liées à la liberté d’expression : le discours de haine, la démocratie militante, la liberté de la recherche, ou encore les rapports entre le droit, la mémoire et l’histoire. Le débat qui entoure cette restriction est cependant essentiellement de nature politique. Dès lors, et sans entendre le moins du monde remettre en cause sur cette seule base la valeur des arguments échangés, il apparaît pertinent de proposer une analyse strictement juridique du régime de l’expression négationniste dans divers systèmes. La connaissance précise du droit positif peut en effet être considérée comme une condition de la réflexion politique sur une question juridique : la première, loin de se substituer à la seconde, la rend possible et l’enrichit.
Ainsi, les démarches doctrinales traditionnelles tendent à fausser ou à court-circuiter la réflexion juridique sur l’interdiction du négationnisme, en tirant des conclusions radicales de certaines caractéristiques de cette expression, sans s’appuyer sur des données juridiques identifiées. Des thèses extrêmes sont défendues, sans que l’on sache toujours bien si elles relèvent de velléités prescriptives ou si elles entendent décrire le droit positif. Certains auteurs excluent le négationnisme du domaine de protection de la liberté d’expression, d’autres lui confèrent une protection particulière, certains auteurs assurent que son interdiction spécifique est obligatoire, d’autres qu’elle est interdite. La première partie de l’étude examine donc, à l’égard de chacun des ordres juridiques étudiés, si le négationnisme appartient au domaine de protection de la liberté d’expression, et s’il peut conformément à la norme supérieure faire l’objet d’une interdiction spécifique.
A l’égard de la plupart des systèmes juridiques mentionnés dans ce travail, on parvient à un résultat intermédiaire, situé quelque part entre la thèse de l’immunité et celle de l’exclusion. Il s’agit dès lors d’établir de manière détaillée les exigences que doivent satisfaire les différentes limites législatives de la liberté d’expression applicables à l’encontre de propos négationnistes, et les comportements qu’elles visent précisément. En d’autres termes, la seconde partie de l’étude examine les restrictions générales applicables au négationnisme, tant du point de vue de leur conformité à la norme supérieure, que de celui de leur application à l’encontre de propos concrets. Sont étudiées les lois qui visent spécifiquement le négationnisme, mais également les normes plus larges susceptibles d’être utilisées pour réprimer ce type d’expression. De la sorte, il est possible d’identifier les conditions auxquelles une expression négationniste est passible d’une sanction dans les ordres juridiques étudiés.
Il apparait que les normes applicables au négationnisme interdisent un comportement plus large que ne le soutiennent certains partisans de ces limites, mais on observe également que dans les systèmes juridiques européens étudiés, les normes supérieures permettent davantage de restrictions à la liberté d’expression que ne semblent le penser les adversaires de l’interdiction du négationnisme. Tout au long de l’étude, c’est en outre l’ébauche d’une théorie générale de la liberté d’expression qui est proposée, susceptible de servir l’analyse de tous types de limites à ce droit fondamental dans tout ordre juridique.
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