Vamos a la playa
Après le D. Day. du 11 mai se profile un débarquement gigantesque, en Normandie et ailleurs le long de nos côtes. La réouverture des plages devrait en effet être autorisée par les préfets, sur demande des maires, au cas par cas. Enfin la grande bleue ! « Sur la plage déconfinés / Coquillages et crustacés »…
Il n’était que temps, après deux mois d’une vie intérieure intense (et dans l’attente, peut-être, de nouvelles claustrations) : mieux vaut tard que jamais ! Parlant de vieux motard, le maire de Nice aurait démarré plein gaz pour annoncer un retour à l’anormal, qui a déjà fait monter son opposition municipale dans les tours (V. par ex., S. Fisher : A Nice, les plagistes autorisés à rogner sur les plages publiques : Le Monde, 9 mai 2020). En plus d’autres mesures de soutien aux plagistes (prolongation de contrats, exonération de redevances), qui mériteraient d’être confrontées aux termes de l’ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 modifiée adaptant le droit des contrats publics, le périmètre des plages concédées à des exploitants privés serait élargi de 15 mètres pour permettre de respecter la distance obligatoire entre les transats loués à des client(e)s venu(e)s se faire fumer l’épiderme et la carte de crédit.
Cette annonce, si elle devait être confirmée, soulèverait de vagues difficultés. Selon l’article R. 2124-16 alinéa 2 du code général de la propriété des personnes publiques : « Un minimum de 80% de la longueur du rivage, par plage, et de 80% de la surface de la plage, dans les limites communales, doit rester libre de tout équipement et installation ». Il s’ensuit qu’un maximum de 20% est susceptible d’accueillir les matelas loués par les titulaires de sous-traités d’exploitation de plages naturelles. On ne voit pas bien comment l’autorité municipale pourrait faire bouger les lignes, la hiérarchie des normes imposant tout de même de menues contraintes en cette période troublée et l’ordonnance précitée ne le permettant pas. L’on ne voit pas non plus comment un préfet de la République pourrait donner son feu vert à pareil projet, qu’aucun motif en rapport avec le déconfinement ne justifie sérieusement (à ce compte, à peu près tous les occupants commerciaux du domaine public auraient vocation à se répandre au-delà des surfaces autorisées).
L’argument sanitaire, avancé selon les médias par le « motodidacte » (dont le respect des distances de sécurité n’était pas le point fort dans sa pétaradante jeunesse), ne tient évidemment pas la route. Car pour garder le même nombre de matelas sur une surface accrue, il faudrait nécessairement diminuer – principe des vases communicants – la surface de plage publique accessible au vulgaire. Ainsi les impécunieux, après deux mois compressés dans des logements exigus (surtout vu le niveau des loyers à Nice), devraient-ils se serrer comme des sardines sur les plages gratuites, au mépris – plus que vraisemblable – du « sanitairement correct » (car le trop-plein favorise le Covid).
La presse satirique est souvent injuste avec Monsieur Estrosi, qui semble révéler ici un vrai sens des affaires et pourrait bien faire d’une pierre deux coups : préserver la pleine capacité d’accueil, donc le tiroir-caisse, des plagistes (qui n’ont jamais digéré la limitation de surface imposée par le décret n° 2006-608 du 26 mai 2006 [art. 2, 1°], intégré au CGPPP. – V., Les difficultés d’application du décret relatif aux concessions de plage : rapport CGEDD/ IGA, janv. 2009) ; et multiplier les verbalisations d’infractions – éventuellement établies grâce à des drones (déguisés en mouettes ?) – aux règles de distanciation sociale individuelle, de l’autre côté d’une barrière qui marque la distanciation sociale collective (laquelle survivra – merci pour elle – au virus). Les finances, privées comme publiques, y trouveraient leur compte (« Donne-moi du cash », chantait un surfeur local). Et tout le monde serait finalement content, exceptés bien sûr quelques va-nu-pieds (qui, à vouloir fouler les galets de la Promenade des Anglais, risquent de finir sur le sable).