Autour de l’ouvrage d’Edoardo Celeste, « Digital Constitutionalisme : The Role of Internet Bills of Rights »
Ces textes sont issus d’un table ronde organisée autour de l’ouvrage de Edoardo Celeste « Digital Constitutionalism: The Role of Internet Bills of Rights » à laquelle ont participé son auteur, Afroditi Marketou et Guillaume Tusseau.
Un résumé de « Digital Constitutionalism: The Role of Internet Bills of Rights »
Par Edoardo Celeste, Professeur associé en droit, technologie et innovation et directeur du Master Erasmus Mundus en Droit, Données et IA (EMILDAI), School of Law and Government, Dublin City University, Irlande
« Les technologies les plus profondes sont celles qui disparaissent. Elles s’intègrent dans la vie quotidienne jusqu’à en devenir indissociables »[1]. C’est par ces mots que Mark Weiser, l’informaticien américain à l’origine du terme « ubiquitous computing », entamait son court article paru dans la revue Scientific American en 1991. Il y comparait la technologie numérique à l’écriture, définissant cette dernière comme « peut-être la première technologie de l’information ». Aujourd’hui, la technique de traduction du langage en signes écrits imprègne le monde moderne. On ne pense pas qu’en écrivant ou en lisant on utilise une technologie particulière. L’écriture, entendue comme technologie, a « disparu » de notre monde. Désormais, elle fait tellement partie intégrante de notre existence qu’on peut difficilement concevoir la vie humaine sans la possibilité d’exprimer des messages sous forme écrite. En 1991, Weiser annonçait l’avènement d’une ère où les ordinateurs seraient vraiment devenus « personnels », et où la technologie numérique serait omniprésente, envahissant tous les aspects de notre existence. Il évoquait une transition vers une « virtualité incarnée » : des centaines d’ordinateurs dans une pièce, des dispositifs informatiques omniprésents et à notre service.
Trente ans plus tard, on est surpris par la clairvoyance des déclarations de Weiser. Le métavers et l’Internet des objets sont déjà des réalités concrètes : notre société a même dépassé les attentes de Weiser. La virtualité ne s’est pas seulement progressivement incarnée dans notre monde physique et dans les objets qui nous entourent, elle est également devenue partie intégrante de notre vie. La récente pandémie de Covid-19 a démontré que la plupart des individus sont capables de travailler entièrement en ligne. Ceux qui étaient séparés par les restrictions de mobilité imposées par de nombreux gouvernements dans le monde savent que, grâce aux technologies numériques, nous pouvons exprimer notre amour à distance. Beaucoup ont malheureusement perdu leur emploi et ont utilisé Internet pour protester, revendiquer des droits sociaux, ou tenter de trouver une autre profession. Ces quelques exemples, créés par cette urgence sanitaire sans précédent, nous montrent clairement qu’aujourd’hui nous vivons également dans l’écosystème numérique ; on ne peut plus simplement parler d’une réalité « virtuelle » – il s’agit d’une réalité hybride. Nos existences physique et numérique sont aujourd’hui liées de façon indissociable. Nos êtres réel et virtuel composent une personnalité unique.
La révolution numérique produit une série de transformations qui ont un impact considérable sur la société contemporaine, y compris sur nos systèmes juridiques et, en particulier, sur nos normes constitutionnelles. Les constitutions existantes ont en effet été conçues pour un monde « analogique » et peinent actuellement à relever les défis de la révolution numérique. Nos chartes constitutionnelles consacrent des principes sur la façon de protéger notre corps physique, mais n’offrent aucune orientation claire sur la façon d’offrir des garanties à notre personnalité numérique. La technologie numérique pourrait pourtant aider à rééquilibrer les asymétries de pouvoirs entre les États, les entreprises du numérique et les individus, mais ces nouvelles opportunités sont exclues des textes constitutionnels analogiques qui restent ancrées au binôme Etat-citoyen. Une réponse originale à ce problème a consisté à rédiger des chartes des droits du numérique (Internet bills of Rights). Ces documents présentent des déclarations juridiquement non contraignantes qui prônent des principes constitutionnels pour la société numérique. Apparaissant généralement en dehors des processus politiques traditionnels, ces chartes ont impliqué une variété d’acteurs, notamment des organisations de la société civile et des individus. Comment expliquer qu’après des siècles de consécration des droits et libertés, nous assistons à une nouvelle vague de chartes des droits ? Pourquoi ces textes ont-ils cherché à importer un langage constitutionnel ? Pourquoi les promoteurs de ces initiatives ne recourent-ils pas aux processus de production et d’amendement constitutionnels traditionnels ? Quel est le message de ces chartes des droits ? Dans quelle mesure contribuent-elles à façonner de nouveaux droits et libertés à l’ère d’Internet ?
Mon livre « Digital Constitutionalism: The Role of Internet Bills of Rights » (Routledge 2023, entièrement disponible en accès libre et gratuit ici) vise à répondre à ces questions, en examinant le phénomène de l’émergence des chartes des droits du numérique, et en se concentrant en particulier sur le rôle de ces initiatives d’un point de vue constitutionnel. Il s’insère ainsi dans la réflexion autour du « constitutionnalisme numérique ». La première partie de cet ouvrage explique que l’émergence des chartes des droits du numérique ne représente pas un phénomène isolé, mais qu’elles font partie intégrante d’un moment constitutionnel plus large. L’avènement de la révolution numérique met à rude épreuve les normes constitutionnelles existantes, conçues à l’origine pour un monde analogique, engendrant ainsi potentiellement des situations de déséquilibre dans un écosystème constitutionnel élargi. Cela ne comprend pas seulement l’État et ses citoyens, mais aussi des nouveaux acteurs dominants – les entreprises du numérique – et, plus généralement, tous les utilisateurs de ces services numériques. En réaction, une série de normes tentant d’adapter l’ordre juridique aux nouvelles conditions de la société numérique est apparue. Ces « contre-réactions constitutionnelles » sont une conséquence de la nature vivante du droit constitutionnel. Le droit constitutionnel n’a pas été créé pour rester immuable, il a au contraire évolué, au cours de l’histoire, en fonction des besoins émergents dans la société. L’écosystème constitutionnel réagit ainsi aux défis de la société numérique à travers différents instruments normatifs. À la lumière du caractère global et transnational des enjeux générés par la révolution numérique, des contre-mesures constitutionnelles émergent également au-delà de la dimension étatique, par exemple à travers les chartes des droits du numérique ou les règles internes des puissantes multinationales en matière technologique[2]. Le discours constitutionnel n’est plus unitaire, mais inévitablement pluriel. Ces fragments constitutionnels peuvent être interprétés comme les tesselles d’un processus de constitutionnalisation à plusieurs niveaux. Il vise à définir une série de principes pour garantir la protection des droits fondamentaux et un équilibre des pouvoirs dans l’écosystème numérique[3].
Ces réponses normatives complémentaires partagent l’objectif de fonder une forme de constitutionnalisme numérique. J’ai proposé la notion de constitutionnalisme numérique pour désigner le mouvement de pensée qui prône la traduction des idéaux et des principes du constitutionnalisme contemporain à la lumière des exigences de l’environnement numérique[4]. Le constitutionnalisme numérique ne représenterait pas une nouvelle forme autonome de constitutionnalisme, mais plutôt une couche théorique du constitutionnalisme contemporain. Le constitutionnalisme numérique entend donc préserver l’ADN du constitutionnalisme contemporain. Il ne fait que traduire ses valeurs fondatrices, en les perpétuant dans le contexte de la société numérique. L’un des exemples les plus originaux de constitutionnalisme numérique est le projet, qui connaît une ampleur nouvelle, d’élaborer une « constitution » pour Internet et qui se traduit par la publication de nombreuses chartes des droits du numérique.
En adoptant une perspective fonctionnelle, je soutiens que ces chartes jouent un rôle important d’un point de vue constitutionnel. En utilisant la lingua franca des constitutions, ces chartes visent à faire partie d’un débat constitutionnel portant sur la manière de façonner et d’adapter nos principes constitutionnels pour l’ère numérique. Leur caractère informel et non contraignant a l’avantage de permettre la participation d’un grand nombre d’acteurs et de renforcer ainsi leur capacité à faire avancer des idées innovantes. Je soutiens donc que les chartes des droits du numérique compensent et, en même temps, stimulent le processus en cours de constitutionnalisation de la société numérique. Elles ne visent pas à établir des constitutions cosmopolites pour l’univers du numérique, mais à nourrir le moment constitutionnel actuel.
Partant de cette thèse, l’ouvrage analyse le champ d’application et le contenu substantiel de ces chartes comme un test très utile à mesurer la santé de nos systèmes constitutionnels. En comparant le message novateur que les individus et les groupes véhiculent à travers ces documents avec le droit constitutionnel positif, on s’aperçoit en fait que nos systèmes juridiques font preuve d’une « anémie constitutionnelle » : c’est à dire d’une inadéquation manifeste des normes constitutionnelles existantes à faire face aux défis la réalité sociale contemporaine. La portée universelle de ces chartes ainsi que leurs méthodes de délibération inclusive peuvent donc être interprétées comme un appel fort pour dépasser la relation binaire État-citoyens et générer, avec la participation de toutes les parties prenantes, des réponses normatives visant les individus dans une perspective globale ainsi que les nouveaux acteurs dominants de la société numérique.
L’examen du contenu substantiel des chartes des droits du numérique offre une vision globale du message constitutionnel de ces chartes. Il s’agit d’analyser non seulement la façon dont les valeurs fondamentales du constitutionnalisme contemporain sont reprises et adaptées dans le contexte de la société numérique mais aussi le contenu et la portée des nouveaux principes établis. Ainsi par exemple, la protection des données personnelles acquiert dans ces chartes son indépendance comme une valeur en soi : il devient un principe autonome et non pas un principe découlant du respect de la vie privée des individus. De la même façon, la notion de démocratie électronique devient un modèle de légitimité en permettant à l’individu de contrebalancer le pouvoir de l’État dans la société numérique. Elle implique d’affirmer de nouveaux droits fondamentaux comme le droit à l’ouverture des données, aux services électroniques et la participation électronique à la vie démocratique. La pierre angulaire de cet écosystème constitutionnel est le droit d’accès à Internet, porte d’entrée matricielle à l’exercice des droits fondamentaux à l’ère du numérique. Un tel principe exige que l’accès soit fourni à des coûts abordables, voire gratuitement, de manière continue sans interruptions injustifiables et en respectant le principe de non-discrimination. Le droit d’accès à Internet implique également le droit de pouvoir utiliser Internet, et d’être éduqué sur la manière de l’utiliser afin d’exercer ses propres libertés personnelles et civiques.
Les chartes des droits du numérique insistent en définitive sur la nécessité de mettre en forme des garanties constitutionnelles pour Internet. A l’ère contemporaine, l’Internet lui-même est conçu comme un forum public numérique fondé sur des valeurs, rôles et principes de gouvernance qui doivent être protégés au niveau constitutionnel. C’est un droit de tous les individus et, en même temps, une obligation de tous les acteurs dominants de maintenir cet équilibre numérique. Sa valeur de service public doit être préservée en garantissant l’intégrité, la stabilité, la résilience, l’ouverture, la transparence et la décentralisation continue de son architecture. L’Internet a pour finalité la promotion d’un monde économiquement plus juste, la préservation de la diversité culturelle et linguistique et le maintien de la paix. Le forum numérique doit être fondé sur une répartition claire des responsabilités et être guidé par les valeurs de la démocratie et de l’état de droit. Ses mécanismes de gouvernance doivent être ouverts et inclusifs. Aucun secteur sociétal ne peut assumer seul la responsabilité de réguler le forum numérique. L’Internet doit être régi selon une logique multipartite, impliquant la participation de tous les acteurs intéressés sur la base de procédures claires et transparentes, et sous réserve de mécanismes de contrôle.
Quelle constitution pour Internet ? Réaction au livre d’Edoardo Celeste Digital Constitutionalism : The Role of Internet Bills of Rights
Par Afroditi Marketou, Maîtresse de conférences en droit public à l’Université Paris-Est Créteil
Dans le domaine du numérique, de plus en plus de problèmes juridiques sont perçus comme des problèmes techniques. L’imagination des juristes est souvent contrainte par ce que les informaticiens présentent comme techniquement possible[5]. Il suffirait de quelques ajustements de l’algorithme ou d’entraîner les machines à partir de données plus représentatives pour pallier les biais algorithmiques et pour éviter l’amplification des inégalités qui leur est inhérente. Il suffirait de pouvoir traduire les étapes complexes du processus de décision automatisée en des variables et des critères intelligibles pour que l’exigence de transparence soit remplie. Cette manière d’identifier et de formuler les problèmes liés à la gouvernance algorithmique pose un cadre pour l’évaluation des solutions proposées qui échappe de plus en plus aux juristes et qui met l’accent sur des valeurs d’efficacité, de précision, de rapidité et d’optimisation, au détriment des principes tels que la justice ou les droits et libertés fondamentaux. Face à ce risque croissant de framing capture, le livre d’Edoardo Celeste constitue un effort bienvenu pour réaffirmer la force du droit constitutionnel et des valeurs qui le sous-tendent à l’ère numérique.
L’argumentation est claire, rédigée dans un langage très agréable et, à de nombreux égards, convaincante. Je me permets toutefois de formuler quelques remarques critiques. Plus que d’une contestation de la solidité des arguments de l’auteur eux-mêmes, ces remarques procèdent d’un certain scepticisme vis-à-vis de la démarche plus générale dans laquelle il s’inscrit – transposer le cadre constitutionnaliste à l’environnement numérique – et d’une vision de l’avenir peut-être moins optimiste. La première remarque est relative au potentiel transformateur de la langue des droits fondamentaux : on peut douter que celle-ci puisse faire changer le cours déjà pris par le développement et l’utilisation des technologies numériques (I). La deuxième concerne le formalisme du discours constitutionnel utilisé dans l’environnement numérique : on peut observer un décalage entre les objectifs affichés de ce discours et sa fonction dans les faits (II). La troisième concerne l’inclusion de toujours plus d’acteurs dans le processus d’élaboration d’une constitution pour Internet et l’effacement ou l’amoindrissement du rôle des régulateurs publics qui en découle (III).
I. Le potentiel transformateur des droits fondamentaux à l’ère du numérique
Le livre d’Edoardo Celeste se concentre sur un objet original : les Internet Bills of Rights. Il les étudie comme un discours proto-constitutionnel s’intégrant dans un moment constitutionnel plus large et ouvrant la discussion sur la manière dont les principes du constitutionnalisme devraient se traduire dans l’environnement numérique. Ces déclarations constitueraient des contre-réactions constitutionnelles. Elles s’ajouteraient à d’autres instruments normatifs, tels que des lois, règlements, ou amendements constitutionnels, décisions de justice ou traités internationaux, et viseraient à faire face aux défis que pose le développement du numérique. Il s’agirait ainsi de rétablir l’équilibre normatif du constitutionnalisme analogique, mis à épreuve par l’apparition de nouveaux acteurs puissants, notamment les entreprises du numérique, et de nouveaux modes d’exercice du pouvoir.
L’analogie entre contextes analogique et numérique a l’avantage de pointer le fait que les problèmes auxquels doit répondre le constitutionnalisme numérique ne sont nullement nouveaux : le numérique ne fait que rendre plus évidentes les incohérences qui caractérisaient depuis toujours le constitutionnalisme moderne. Les contre-réactions normatives nécessaires pour adapter celui-ci aux nouveaux défis doivent donc préserver son ADN, pour reprendre une expression d’Edoardo Celeste, à savoir l’ensemble des principes fondamentaux qui le composent. C’est ce que font les déclarations des droits étudiées en traduisant les exigences relatives au respect des droits fondamentaux et en proposant des nouveaux droits résultant de la généralisation et de la re-spécification des principes du constitutionnalisme dans le contexte numérique.
On peut toutefois douter de la capacité du discours des droits fondamentaux à exprimer les revendications et les attentes normatives des différents acteurs dans ce contexte. En effet, si l’analyse dans Digital Constitutionalism s’inspire souvent de la littérature du constitutionnalisme global, il semble que les droits du numérique ne correspondent pas véritablement à la conception des droits fondamentaux qui y est dominante. Dans différents cas, il serait plus précis de les assimiler à des libertés objectives, telles qu’on les retrouve dans les traditions des démocraties constitutionnelles libérales, justement avant la prolifération de la langue des droits fondamentaux et du constitutionnalisme global. L’enjeu de leur respect est collectif, comme c’était le cas des civil liberties en Common Law ou des libertés publiques en droit constitutionnel français par exemple. Les droits du numérique pourraient donc être mieux compris comme des idéaux politiques inhérents aux structures fondamentales des démocraties constitutionnelles libérales, plutôt que comme des droits subjectifs dont l’exercice serait laissé à la discrétion de leurs bénéficiaires et dont la protection dépendrait du contexte factuel et normatif de chaque cas d’espèce[6].
Cela est clair en ce qui concerne le droit à la protection des données qui, comme l’observe l’auteur, s’est progressivement détaché du droit à la protection de la vie privée pour exprimer plutôt une exigence d’auto-détermination sur internet[7]. Mais c’est le cas aussi pour d’autres droits « fondamentaux » déclarés dans les chartes étudiées, tels que la liberté d’expression, la liberté de correspondance et la liberté d’association et de réunion, pour n’en mentionner que certains. On se demande alors quelle est la valeur ajoutée du discours des droits fondamentaux pour exprimer ce type de revendications, si ce n’est pour légitimer des pratiques qui s’affichent, souvent trop volontiers, comme poursuivant leur réalisation ? Certes, comme le montre la généralisation de la rhétorique du constitutionnalisme global, les droits fondamentaux suscitent l’intérêt et garantissent l’attrait du discours qui les mobilise. La diffusion de ce discours risque toutefois de demeurer superficielle si elle n’est pas accompagnée d’une réflexion sur les implications théoriques de la transposition du concept de droits dans le contexte numérique. Il se pourrait d’ailleurs que ce discours favorise la tendance à la « juristocratie[8] », déjà observée dans d’autres domaines, cela d’autant plus qu’on accepte d’attribuer la qualification de « juridictions » à des institutions telles que le Meta Oversight Board, alors qu’elles sont dépendantes des personnes privées dont il s’agit précisément de limiter le pouvoir.
Au-delà de la question du caractère désirable de l’équilibre normatif du constitutionnalisme analogique, si jamais un tel équilibre a existé, le « piège de l’analogie[9] » consisterait à vouloir perpétuer les mythes du constitutionnalisme moderne dans un contexte où le numérique nous oblige à les repenser. À commencer par la représentation libérale du sujet : à l’instar du constitutionnalisme analogique, le constitutionnalisme numérique dépeint l’individu comme un sujet autonome, libre et rationnel. Or, dans certains cas, au moyen d’opérations matérielles concrètes, le numérique semble bouleverser la manière dont le constitutionnalisme a longtemps conçu et façonné les personnes[10]. En matière de profilage notamment, l’image de l’individu s’efface derrière des agrégats de données « infra-individuels », composés dans des modèles « supra-individuels », les profils[11]. Son autonomie, l’ensemble des possibles dont il est capable, se rétrécit en des prédictions basées sur des évaluations de risque. Les catégories sociales se brouillent dans des corrélations éphémères de données et des patterns émergeants, instables et inintelligibles socialement. Il faut donc se demander qui est susceptible d’invoquer les droits consacrés dans les chartes du numérique, pour exprimer quelles revendications collectives et pour contester quelles discriminations.
II. Administrativisme numérique
Les droits fondamentaux semblent mal adaptés pour saisir les enjeux de l’ère numérique. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les analyses constitutionnalistes en la matière se concentrent souvent sur l’affirmation de principes formels. Les principes de transparence, de publicité et d’ouverture occupent une place centrale dans l’analyse d’Edoardo Celeste également. Il préconise l’instauration de procédures inclusives permettant la participation de toutes les parties intéressées, ainsi que de mécanismes de contrôle satisfaisant aux exigences du procès équitable et de l’État de droit[12]. Cette caractéristique, qui a pu être critiquée comme relevant d’un certain « fétichisme procédural[13] », est révélatrice d’une défaillance plus générale du constitutionnalisme numérique. Même dans sa version la plus institutionnalisée, la réglementation de l’Union européenne en la matière, il semble, pour le moment du moins, incapable d’ouvrir des voies de contestation substantielle et de lutte politique, notamment dans les domaines les plus sensibles, comme en matière de surveillance, d’application de la loi, de contrôle des frontières, d’asile et d’immigration[14].
Le péché du constitutionnalisme numérique, en tant que branche d’un constitutionnalisme qui se développerait au-delà de l’État, réside parfois dans son ambition à fonder la légitimité de l’ordre postnational dans son ensemble, là où il pourrait plus simplement chercher à améliorer la gouvernance globale en ajustant ses formes et ses procédures[15]. Les contre-réactions normatives que l’auteur identifie comme la mission du constitutionnalisme numérique peuvent être comprises comme relevant de tels ajustements. Pour cela, il pourrait être plus approprié de parler d’administrativisme numérique, sauf à adopter une vision très formelle de la constitution, conception qui serait alors très différente de la « constitution totale » qui sous-tend les écrits du constitutionnalisme au-delà de l’État[16].
Toutefois, même cette version minimaliste du constitutionnalisme numérique pourrait être vouée à l’échec. Non seulement car le numérique, avec ses nudges ou ses standards de comportement émergeant des données disparates, affecte nos conceptions bien établies du droit et de sa normativité, rendant le contrôle du respect de ces exigences formelles et procédurales difficilement praticable[17]. Mais aussi parce que ce formalisme constitutionnel semble s’appuyer sur un autre mythe libéral qui est mis à mal à l’ère numérique : l’idée que des citoyens bien informés sont capables d’arriver à des décisions justes et légitimes au moyen d’institutions et de procédures qui fonctionnent bien. Cette idée sous-tend le droit à la démocratie électronique et à un forum public numérique, esquissés dans le dernier chapitre de Digital Constitutionalism. Or, la généralisation des technologies numériques bouleverse ce présupposé parce qu’elle affecte notre capacité à parvenir à des décisions politiques consensuelles, voire même la possibilité d’arriver à une conception partagée de ce qu’est une information objective ou une vérité scientifique[18]. Dans ce contexte de fragmentation sociale extrême, le constitutionnalisme semble difficilement pouvoir accomplir sa promesse d’un pouvoir légitime à l’ère numérique. L’échec généralement constaté des procédures participatives et démocratiques sur internet en témoigne.
III. Constitutionnalisme, constitutionnalisation et économie politique d’une constitution pour Internet
Un apport important de Digital Constitutionalism est la définition qu’il donne du constitutionnalisme numérique. Celui-ci est défini comme un mouvement de pensée qui prône l’application des principes du constitutionnalisme, après traduction, voire adaptation si nécessaire, dans l’environnement numérique. Cette définition permet d’inclure dans l’étude juridique non seulement des instruments normatifs traditionnels qui visent à réguler le développement et l’utilisation des technologies numériques, mais aussi tout discours constitutionnel autour du numérique, qu’il provienne des acteurs étatiques, des ONG, des usagers d’Internet ou des entreprises du numérique. Le constitutionnalisme entendu comme mouvement de pensée se distingue des différents processus de constitutionnalisation qui s’observent en pratique. Il sert comme un modèle visant à rétablir l’équilibre normatif qui a longtemps caractérisé la société analogique. En tant que tel, il guide la doctrine dans l’évaluation des pratiques des différents acteurs et fonctionne comme une mesure de leur niveau de (auto)constitutionnalisation.
Or, si cette distinction semble claire dans la première partie du livre, les contours qui séparent constitutionnalisme et constitutionnalisation s’avèrent plus difficiles à cerner dans l’analyse concernant les chartes des droits du numérique. L’idée que ces chartes inaugurent un processus de création constitutionnelle original, plus adapté à l’ère numérique, est intéressante. Ces documents, impliquant la participation de différents acteurs, adoptant un point de vue global, s’adressant à tout détenteur du pouvoir et proposant des solutions constitutionnelles innovantes, peuvent en effet être une source d’inspiration dans les différents processus visant à créer une constitution pour Internet. Toutefois, il est plus difficile de comprendre comment ces chartes stimulent le processus de constitutionnalisation de la société numérique, comme l’affirme l’auteur. En pratique, les Internet bills of rights ne sont pas prises en compte dans les processus décisionnels qu’implique l’exercice du pouvoir sur Internet et restent, comme leur nom l’indique, des déclarations. Bien qu’elles puissent inspirer et faire espérer les constitutionnalistes, leur portée et leur influence sur la constitutionnalisation du numérique reste, pour le moment, douteuse.
Le traitement du recours au langage constitutionnel comme une forme de constitutionalisation effective s’explique par la conception tant du constitutionnalisme que des différents processus de constitutionnalisation comme faisant partie d’une « conversation » sur la manière dont les idéaux du droit constitutionnel doivent être traduits dans le contexte numérique. Ainsi, pour Edoardo Celeste, le fait que de nouveaux acteurs, au-delà des acteurs étatiques traditionnels, adoptent le langage constitutionnel dans le contexte numérique démontre la complexité de la mosaïque de constitutionnalisation, celle-ci étant comprise comme un processus multi-niveau. Dans ce processus, la constitution joue le rôle d’une lingua franca qui établit une voie et une grammaire de communication entre les différents participants. L’idée que le langage constitutionnel établit des liens et devient un moyen de communication et d’intégration dans un réseau d’acteurs transnational est un apport intéressant de la littérature du constitutionnalisme au-delà de l’État. Il nous semble toutefois qu’il faut se garder d’assimiler tout usage de ce langage à un processus effectif de constitutionnalisation. Cela conduit en effet à éliminer toute distance entre l’analyse constitutionnaliste et le discours que les acteurs utilisent pour décrire leurs pratiques ; cela prive le constitutionnalisme, en tant que théorie, de sa fonction critique et la constitution de sa valeur normative.
Or, dans certains passages du livre, l’avant-gardisme constitutionnel d’Edoardo Celeste semble tomber dans ce piège. Ainsi, l’absence de valeur normative des chartes de droits du numérique est présentée comme un atout, puisqu’elle libère la conversation sur les idéaux constitutionnalistes des contraintes formelles et procédurales du constitutionnalisme traditionnel et permet l’inclusion d’une multitude d’acteurs et une plus grande expérimentation. De manière similaire, le manque de rigueur conceptuelle qui caractérise ces différents documents est vue comme un gage de flexibilité et d’adaptabilité aux besoins de la société numérique. On se demande donc si la constitution la plus adaptée pour Internet ne serait pas une constitution privée de toute valeur normative qui laisserait ainsi la plus grande latitude à l’expérimentation des parties intéressées.
A force d’inclure de plus en plus de stakeholders dans le processus de création constitutionnelle et de rendre la constitution de plus en plus adaptable aux besoins sociaux, on oublie que le rôle primaire d’une constitution est de constituer un cadre qui fonde la légitimité d’un pouvoir collectif, ainsi qu’un système de garanties capable de contraindre les gouvernants, qu’ils soient anciens ou nouveaux, au respect de ce cadre. Derrière le rêve de tout un chacun devenant auteur de la constitution, grâce simplement à l’usage d’une ligne téléphonique, s’efface la possibilité d’un pouvoir public représentatif et légitime capable de sanctionner les abus du capitalisme informationnel et de coordonner l’action collective dans le sens d’une redistribution des richesses accumulées en son sein.
En l’absence de tel pouvoir, ce n’est peut-être pas en adoptant le discours du constitutionnalisme que l’on va préserver ce qui nous est plus cher en tant que juristes dans l’ère numérique. Celui-ci, en raison de ses termes trop abstraits et malléables, historiquement et politiquement chargés, peine à saisir les nouveaux enjeux et à exprimer des revendications transformatrices. Il pourrait être plus utile de se tourner vers des techniques juridiques concrètes venant d’autres branches du droit pour sauver ce qui reste de public dans ce contexte de concentration extrême du pouvoir privé. Ainsi, des principes tels que la continuité du service public et des procédures telles que le référé-mesures utiles de l’article L521-3 du code de la justice administrative se montrent des outils qui peuvent être plus puissants que le référé-libertés ou l’invocation des droits fondamentaux pour résister à la dématérialisation des services publics et aux nouveaux modes d’exclusion que celle-ci implique[19]. De manière similaire, ce sont des concepts juridiques concrets tels que la « relation de travail », dans le cadre de la directive pour les travailleurs des plateformes de l’UE[20], les « pratiques déloyales », dans le cadre du règlement sur les marchés numériques, ou la « diligence », dans le cadre du règlement sur les services numériques, qui constituent pour l’instant les remparts juridiques les plus efficaces pour résister aux entreprises de l’économie numérique inscrites dans une logique d’accumulation des profits.
Le pouvoir privé à l’ère numérique ne s’est pas construit d’un coup, au moyen d’une constitution ou d’un autre texte constitutif, mais en mobilisant une multitude de techniques et de concepts juridiques tels que les contrats, l’intermediary immunity, le secret des affaires et les brevets[21]. Il semble donc difficile d’inventer une constitution qui puisse démocratiser ce pouvoir. Si les géants du numérique se sont largement appuyés sur le droit, ou sur ses prétendues lacunes, pour créer et accumuler leur capital immatériel et le pouvoir qui en résulte, on peut penser que c’est dans une réinterprétation, voire une réinvention, de nos techniques juridiques qui ont permis l’installation du paradigme productif dominant que résident les alternatives pour un ordre numérique plus équilibré et respectueux des valeurs et idéaux constitutionnalistes. Ce processus de réinterprétation et de réinvention présuppose une prise de conscience du rôle actif du droit et des savoirs juridiques dans l’établissement de la gouvernance globale et du capitalisme informationnel[22].
Digital Constitutionalism est une contribution importante à la littérature du constitutionnalisme numérique. On ne peut que féliciter l’auteur pour sa perspective large et systématique qui permet de faire avancer le débat et de constituer une communauté de réflexion autour des défis que l’ère numérique pose pour nos conceptions traditionnelles de la constitution, des droits et de l’État. Si l’exercice réflexif auquel nous invite l’auteur est nécessaire dans le contexte actuel, il faut toutefois se garder de trop attendre de droits sans sujets, d’une démocratie sans public et d’un constitutionnalisme sans constitution. Il semble plus plausible que l’ordre constitutionnel du numérique ne se construira pas d’un coup, dans une opération d’ingénierie constitutionnelle globale, mais de façon incrémentale, chaque élément de cet ordre constituant un terrain de contestation et de lutte.
Réinventer le constitutionnalisme à l’ère du numérique : quelques remarques dubitatives
Par Guillaume Tusseau, Professeur des universités à l’Ecole de droit de Sciences Po, Membre de l’Institut universitaire de France
Je tiens avant toute chose à remercier les organisatrices de cette manifestation pour m’avoir convié à échanger avec elles, les autres intervenants et le public sur un thème qui, à l’étranger, retient l’attention depuis plusieurs années. C’est de manière plus récente qu’il a suscité l’intérêt des chercheurs en France. A titre d’exemple, outre la présente réunion sur le thème « Constitutionnalisme digital et approches critiques en droit et technologie », s’est déroulé le 17 novembre 2023, au pôle Guadeloupe de l’Université des Antilles, un colloque sur le thème du constitutionnalisme numérique. Ces deux manifestations ont été précédées, le 28 mars 2023, d’une conférence sur le « Constitutionnalisme digital » à l’Université Rennes I. Cette effervescence est à n’en pas douter à la mesure de l’intérêt et de l’importance du sujet.
Pouvoir s’entretenir de ce champ de réflexion avec l’un des meilleurs spécialistes, Edoardo Celeste, est un véritable privilège. Il faut en effet reconnaitre que la littérature sur le thème du constitutionnalisme « numérique » ou « digital » peine parfois à dépasser la simple transposition métaphorique, plus ou moins habile, de la grille de lecture du constitutionnalisme étatique vers des thèmes aussi variés que les pratiques des entreprises du secteur du numérique, les techniques de modération de contenu sur les plateformes, le type de normativité qui sourd de l’architecture des réseaux, l’impact des outils numériques sur les pratiques des institutions politiques traditionnelles, ou encore la préservation de la souveraineté des Etats vis-à-vis du pouvoir grandissant des acteurs privés, etc.[23]
Son ouvrage Digital Constitutionalism. The Role of Internet Bill of Rights peut à mes yeux être considéré comme l’un de ceux qui, parmi une littérature foisonnante, doivent retenir l’attention, à côté par exemple des travaux d’Oreste Pollicino[24], Giovanni De Gregorio[25], Nicholas P. Suzor[26], Laurence Diver[27], Stefano Rodotà[28] ou Paul Gowder[29]. Dans ce texte, Celeste adopte le point de vue de la garantie des droits pour explorer les efforts qui ont été déployés afin de faire face aux nouvelles menaces pour les libertés qui émergent dans l’environnement numérique. Les enjeux du contexte actuel sont déterminants au point de conduire l’auteur à identifier un véritable « moment constitutionnel ». A partir des exemples concrets du droit à l’information, du due process en ligne, du droit d’accès à Internet et de la protection des données, l’auteur entreprend de discuter les déclarations de droits qui, face au développement de pouvoirs privés, ont émergé, notamment à l’initiative de la société civile. Cet effort repose sur le présupposé selon lequel une simple actualisation des droits fondamentaux existants (liberté, égalité, droit à un recours effectif, etc.) n’est pas pleinement à la hauteur des enjeux. Un saut qualitatif vers de véritables « déclarations de droits 2.0 » semble nécessaire aux auteurs de la multitude de documents dont Celeste reconstruit le projet dans les termes d’un droit constitutionnel spécifiquement adapté à l’environnement numérique. Si la normativité de ces « Internet bills of rights » s’écarte de celle, traditionnelle, du droit dit « dur », elle se révèle potentiellement plus adaptée, pour cette raison même, au contexte transnational et multiniveau de leur mise en œuvre, qui implique une diversité de parties prenantes (individus, institutions étatiques, institutions supranationales, firmes multinationales, société civile transnationale, etc.). La réponse constitutionnelle aux défis de l’heure emprunte à ce titre des chemins inédits qui, ainsi que le mettent en évidence les derniers chapitres de l’ouvrage, soulignent une tension entre la fidélité à l’héritage des Révolutions américaine et française, d’une part, et l’ambition d’imaginer, par un effort qui a tout d’un véritable changement de paradigme, de nouvelles manières de garantir les droits et séparer les pouvoirs, d’autre part.
Puisque j’ai la chance de pouvoir en débattre avec l’un des auteurs les plus autorisés, je souhaiterais à cet égard formuler trois ordres de commentaires, qui relèvent de trois ordres d’hésitations face au développement de ce discours polymorphe, qui choisit de s’exprimer en termes de constitutionnalisme numérique. Afin de stimuler la discussion, je m’autoriserai une formulation plus tranchée que ce que la rigueur imposerait, et proposerai d’envisager successivement une possible myopie (I), un possible masochisme (II) et un possible aveuglement (III).
I. Myopie
Au titre de la myopie, il semble qu’à ce jour, aucune théorie générale du constitutionnalisme numérique n’ait été formulée. Seules des théories partielles l’ont été. Je n’entends évidemment pas minimiser l’importance et la portée des travaux déjà entrepris, mais plutôt encourager, notamment à partir de projets collectifs, une montée en cohérence de l’effort théorique en la matière. Si l’on s’en rapporte à l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui fournit la définition canonique de ce qu’est une constitution, « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution. » Rares sont les travaux qui envisagent simultanément l’une et l’autre dimension de la substance du constitutionnalisme contemporain.
L’ouvrage de Celeste aborde ainsi principalement la garantie des droits. Il permet de distinguer assez nettement deux orientations. La première est celle d’un constitutionnalisme numérique que l’on pourrait dire « fin » ou « faible », qui se propose avant tout d’assurer l’application à l’environnement numérique des droits fondamentaux traditionnellement entendus. Ainsi, la liberté d’expression ne change pas de nature selon que son medium est un journal imprimé sur du papier, une émission de télévision ou un message publié sur un réseau social. Si l’instrument ou le support subissent des bouleversements indéniables, les enjeux du droit fondamental en cause sont réputés ne pas différer en fonction d’eux. Dans le même sens, les enjeux de la garantie de l’égalité, de la non-discrimination ou de la protection de la dignité humaine seraient relativement indifférents à la technologie : une discrimination reste une discrimination quel que soit ce qui en est la cause. Quand bien même l’évolution technologique est susceptible d’accroître la rapidité, l’intensité et l’ampleur des atteintes à ces droits fondamentaux, ceux-ci ne sont pas altérés dans leur substance. Le numérique ne fournirait alors qu’un nouveau contexte à l’application de droits préexistants.
A cette première orientation s’en oppose une seconde, qui considère au contraire que l’âge du numérique appelle une véritable mise à jour des droits fondamentaux, au point qu’une nouvelle génération en soit nécessaire. Le droit fondamental à l’accès au réseau, de même que le droit à la déconnexion, sont tout bonnement impensables dans les termes du constitutionnalisme du XVIIIe siècle. Il en va de même de droits fondamentaux tels que le droit au contrôle et à la portabilité des données, le droit à l’autonomie neuronale face à l’intelligence artificielle ou le droit à une intervention humaine dans les processus de décision automatisée. Celeste porte précisément l’attention sur ce type de perspective, et sur les propositions les plus articulées et les plus systématiques qui ont été formulées à cet effet. C’est donc un nouveau constitutionnalisme, qualifiable d’« épais » ou de « fort », que nous sommes mis en demeure d’inventer. Or, quand bien même elles donnent la mesure de l’ambition du projet constitutionnaliste retenu, l’articulation entre ces deux orientations, leur caractère conflictuel ou leur complémentarité, leurs mérites respectifs du point de vue de l’effectivité des droits en fonction des contextes et des technologies en cause, sont trop rarement explorées.
Concernant l’autre versant du constitutionnalisme, la séparation des pouvoirs, deux principales orientations sont également envisageables. La première s’intéresse avant tout à ce que le numérique fait à la séparation des pouvoirs, telle qu’elle est traditionnellement entendue. La digitalisation des activités des parlements, accélérée par la crise du Covid-19, la prise de décision algorithmique par les administrations, de même que la perspective de la justice prédictive, témoignent de l’impact de la technologie sur chacun des trois pouvoirs classiques. Une seconde perspective entend porter l’attention sur le type de séparation des pouvoirs qu’il est possible d’imaginer dans le domaine du numérique. A la faveur de l’auto-constitutionnalisation des sphères sociales que des auteurs comme Gunther Teubner et Angelo Golia ont identifiée dans le champ de la lex digitalis[30], de véritables ordres constitutionnels privés voient le jour. Dotées de structures stables, fondées sur des principes robustes, les plateformes définissent ainsi les conditions d’utilisation auxquelles souscrivent les utilisateurs. Derrière la façade contractualiste de l’opération, s’exerce un véritable pouvoir de définition d’un espace d’interaction sociale souvent indispensable aujourd’hui. De ce fait, ces conditions d’utilisation auxquelles, en pratique, la plupart des utilisateurs souscrivent sans les lire, représentent l’exercice d’un véritable pouvoir législatif privé. L’exécution de ces stipulations, et leur administration, est confiée à la plateforme elle-même. Les éventuelles difficultés qui peuvent s’élever à leur sujet, notamment à travers la modération des contenus échangés, sont encore tranchées par cet acteur, c’est-à-dire fréquemment par un algorithme, auquel est déléguée la « juridiction » numérique. La parfaite fusion qui s’opère ainsi entre les trois pouvoirs traditionnels fait naître la crainte d’une forme de despotisme d’un nouveau genre, précisément ce contre quoi le constitutionnalisme a été édifié à la fin du XVIIIe siècle.
Afin d’y faire face, la seule réflexion sur les droits fondamentaux ne saurait suffire. Une analyse de la structure de pouvoir que la technologie rend possible doit également être au cœur de la réflexion. Plus encore, les effets de système qui peuvent être constatés entre séparation des pouvoirs et garantie des droits doivent être explorés[31]. L’insistance du constitutionnalisme actuel, depuis la Seconde Guerre mondiale, sur les droits fondamentaux, a conduit à négliger quelque peu ce qui était le cœur du constitutionnalisme mécaniste et, par exemple, de la réflexion de James Madison[32]. La séparation verticale et horizontale des pouvoirs, telle qu’elle peut – ou non – être configurée dans l’espace numérique du fait de la conformation très particulière que lui imprime la technologie elle-même, doit être abordée de front avec la question du rôle des « Internet bill of rights ». A la faveur du droit à un recours effectif, renforcer les droits fondamentaux du côté de la partie dogmatique du constitutionnalisme, conduit mécaniquement à un accroissement du rôle des institutions de résolution des conflits du côté de la partie organique du constitutionnalisme. Or, ainsi que l’illustre par exemple l’Oversight Board de Meta, le fait que de tels organes de résolution des différends soient pleinement intégrés aux acteurs dont il s’agit de limiter le pouvoir soulève des interrogations décisives sur l’interaction entre ces deux faces du constitutionnalisme. De ce point de vue, l’environnement digital peut favoriser, au-delà des questions propres qu’il occasionne, une réflexion plus générale et plus exhaustive sur la forme du constitutionnalisme compris comme dispositif d’aménagement du pouvoir politique, dans chacune de ses deux principales dimensions et dans l’interaction entre ces dimensions.
II. Masochisme
Au titre du masochisme, je souhaiterais, face à un ouvrage qui démontre tout l’intérêt d’une perspective constitutionnaliste pour affronter la question de la gouvernance de nos sociétés digitalisées, oser une provocation qui interroge à la fois la robustesse et la fiabilité de ce paradigme au regard des fins qu’on lui prête.
Les risques que comporte, pour la garantie de droits fondamentaux, au premier rang desquels la liberté d’expression, la non-discrimination et la dignité humaine, le développement du pouvoir des acteurs du numérique, et auxquels certains proposent de faire face en empruntant le vocabulaire, les outils, la tournure d’esprit et en définitive la culture du constitutionnalisme, ne trouvent-ils pas leur source dans les exigences du constitutionnalisme lui-même ? Le rôle ambigu de la liberté d’expression mérite par exemple d’être souligné. Ainsi que le démontre de manière très nette l’interprétation du Premier Amendement et de la Section 230 (47 U.S.C. § 230) par la Cour suprême des Etats-Unis, c’est précisément parce que les normes constitutionnelles imposent à l’Etat d’éviter toute forme de censure qu’a pu se consolider le pouvoir des acteurs privés. Les interactions sur l’espace social qu’elles configurent sont comprises comme une forme de discours, de sorte que toute limitation excessive mériterait d’être analysée comme une forme d’atteinte à la liberté d’expression. Mais en limitant l’interférence « verticale », de pouvoirs publics, sur des communications « horizontales », privées, dans l’espace qu’organisent les plateformes, les pouvoirs publics ont été conduits, au nom de l’axiologie du constitutionnalisme, à donner le champ libre à une définition et une régulation de ces nouveaux espaces publics à des acteurs privés. Ceux-ci se voient ainsi investis de fonctions, que certains auteurs présentent comme des fonctions publiques, de régulation des droits fondamentaux au sein de ce qui apparaît comme le « modern public square[33] ». Aussi revient-il aux plateformes ou à leurs démembrements de décider si tel ou tel message ou telle ou telle vidéo présentent le caractère d’un discours de haine, portent atteinte à la dignité d’autrui ou se révèlent discriminatoires. Elles seules se voient déléguer la tâche de pondérer les droits fondamentaux, en raison de ce que constitutionnalisme lui-même impose aux pouvoirs publics. C’est précisément en raison de cette autonomie, constitutionnellement garantie, que les plateformes ont progressivement pu opérer leur mue vers la forme de l’acteur transnational auto-constitutionnalisé que décrit Teubner, et surpasser à certains égards les Etats, tant du point de vue économique que du point de vue de leur influence politique, sociale et culturelle.
La difficulté n’est pas mince pour les autorités telles que les juges constitutionnels qui, à l’instar du Conseil constitutionnel lorsqu’il a eu à connaître de la Loi Avia[34], sont conduites, selon ce qui pourrait être perçu comme un jeu à somme nulle, à ne mieux préserver les droits des individus face à l’Etat que pour mieux les soumettre à des pouvoirs privés. Or la menace sur les droits fondamentaux qu’implique ce transfert est tout sauf anecdotique. Pour leur part, ces pouvoirs privés obéissent en effet légitimement à une logique de maximisation du bénéfice économique plutôt qu’à celle de l’intérêt général. Ils se trouvent ensuite soustraits à tout contrôle populaire[35], alors qu’à tout le moins les autorités publiques sont en général dépendantes, plus ou moins directement, du vote. Enfin, du fait de la complexité intrinsèque de la technologie, ils présentent un degré d’opacité nettement supérieur à celui du fonctionnement de la plupart des institutions publiques. Pour le dire de manière très crue, il est donc possible de se demander si le constitutionnalisme, dans la mesure où il se prête à de tels retournements ou s’expose à de telles formes d’effets pervers, est la bonne voie à suivre pour faire face aux nouvelles menaces qui pèsent sur les individus et les groupes.
III. Aveuglement
Cela me conduit à ma troisième et dernières série de remarques. Le message que convoie le constitutionnalisme n’est pas si univoque qu’il est parfois admis. L’utilisation du vocabulaire du constitutionnalisme, de la constitution, de la constitutionnalisation, des droits constitutionnels, etc., telle qu’elle ressort d’une analyse pragmatiste, relève de stratégies variées de la part des différents acteurs impliqués – parlements, administrations, organisations non gouvernementales, actionnaires d’entreprises, employés, d’entreprises, doctrine juridique, etc. Loin de minimiser la portée de ce champ lexical en le réduisant à une pure rhétorique disponible pour tous les projets possibles et imaginables, il importe cependant de relever que, précisément parce qu’il se prête à de multiples usages, le constitutionnalisme en tant que forma mentis peut n’offrir qu’une garantie assez ténue pour les droits fondamentaux, qui constituent par exemple le centre d’intérêt essentiel de l’ouvrage de Celeste. Afin de ne pas se laisser abuser par certaines pratiques partielles et locales qui tendent à en occulter d’autres, une certaine prudence s’impose dès lors face à la sur-sollicitation, nécessairement intéressée, de la forme linguistique dans laquelle a été exprimée le projet politique des Lumières.
Il me semble à cet égard possible d’identifier au moins trois principales perspectives que serait susceptible d’exprimer l’inflation discursive du constitutionnalisme numérique. La première, qui est au cœur des projets de déclarations de droits qui sont étudiés par Celeste, est un message d’espoir. En niant toute solution de continuité entre le pouvoir de l’Etat et celui des acteurs du numérique, et notamment des plateformes, le constitutionnalisme numérique prend pleinement la mesure des sites d’où proviennent les potentielles menaces pour les principes les plus essentiels des sociétés politiques démocratiques et libérales. Il ouvre donc de nouveaux horizons afin que, à la mesure des évolutions technologiques, les valeurs fondamentales soient préservées. Il favorise tout à la fois une prise de conscience face aux menaces actuelles et l’activation d’un répertoire de moyens éprouvés pour y faire face.
La deuxième perspective conduit à insister sur le fait que, tout autant qu’il est un moyen de contenir le pouvoir, le constitutionnalisme est un moyen de le renforcer et de le rationaliser. A cet égard, l’auto-constitutionnalisation de certaines entreprises, qui se traduit dans le vocabulaire même qu’elles emploient et donc dans la manière dont elles se pensent et se présentent à leur environnement, est un moyen de solidifier les structures de gouvernance qu’elles sont de facto. La rigidité constitutionnelle, qui est au cœur du concept actuellement dominant de constitution, est à titre d’exemple un moyen de cristalliser les choix politiques opérés à l’instant t en évitant leur remise en cause à l’instant t+1. Ceux-ci se trouvent ainsi, pour le meilleur ou pour le pire, soustraits aux vicissitudes de ce que Bruce Ackerman appelle la « politique ordinaire[36] ». Plus encore, ainsi qu’a pu le mettre en évidence Reinhart Koselleck, le vocabulaire constitutionnel présente un fort potentiel de légitimation pour qui s’en revendique. Le réseau de concepts dont est solidaire le constitutionnalisme est fait de concepts « antithétiques asymétriques[37] ». Fondés sur l’héritage révolutionnaire, ils véhiculent une atmosphère de lutte politique qui tend à disqualifier (moralement) les concepts qui s’y opposent. Le langage constitutionnel, qui assure, selon l’expression de James Harrington, « le gouvernement des lois plutôt que celui des hommes[38] », semble intrinsèquement lié à la lutte de la liberté contre l’oppression, et aujourd’hui aux droits de l’homme et à l’État de droit, de sorte qu’il devient difficile pour quiconque de contester l’argumentaire de qui s’en réclame. Evoquant par conséquent cette crainte, Luz Helena Orozco identifie dans le constitutionnalisme numérique le risque d’une pure stratégie de marketing de la part de pouvoirs privés désireux d’asseoir leur légitimité[39], tandis que Róisín Á. Costello préfère mettre en garde contre un potentiel « faux ami » mobilisé par les Big Tech[40].
Plus pessimiste encore, une troisième orientation s’appuierait sur certains des propos utilisés par Ferdinand Lassalle dans sa célèbre conférence de 1862 sur l’essence des constitutions[41]. Selon lui, le fait même de se réclamer de la constitution et d’invoquer sa protection ne peut être compris que comme un signe de dépérissement. A ses yeux, l’invocation de la constitution se présente nécessairement trop tard, dans des circonstances où les conditions sociales réelles de l’organisation des pouvoirs et de la garantie des droits ne coïncident plus avec les normes existantes. Le combat serait donc d’ores et déjà perdu, et l’invocation multipolaire d’un constitutionnalisme numérique ferait figure de gesticulation désespérée face à l’essor des pouvoirs privés au détriment des pouvoirs publics soumis, ne serait-ce que de manière imparfaite, au contrôle de ceux qui y sont assujettis.
Cette possible ambiguïté pragmatique de l’invocation du constitutionnalisme ne doit pas être perdue de vue.
*
Je ne saurais conclure cette forme d’interpellation à Edoardo Celeste, au travail duquel il faut rendre un hommage appuyé tant il nous permet de saisir les enjeux et de poser les problèmes du temps présent avec une clarté enviable, sur une note aussi désespérante. Mais par sa radicalité, la remarque de Lassalle permet de formuler la suggestion selon laquelle, précisément parce qu’il met en question notre compréhension ordinaire de la gouvernance des sociétés actuelles, l’environnement numérique devrait également nous inciter, au-delà d’un renouvellement du constitutionnalisme auquel nous sommes accoutumés, à explorer, de manière peut-être plus ambitieuse et certainement plus difficile, la possibilité d’autres types de discours, de constructions et de mises en forme du rapport politique. Alors que certains auteurs diagnostiquent une certaine « fatigue constitutionnelle[42] », peut-être est-il temps d’oser être imaginatifs.
[1] Mark Weiser, « The Computer for the 21st Century », Scientific American (September 1991), 94.
[2] Voir E. Celeste, « Terms of service and bills of rights: new mechanisms of constitutionalisation in the social media environment? », Int. Rev. Law Comput. Technol., 33.
[3] Voir E. Celeste, « The Constitutionalisation of the Digital Ecosystem: Lessons from International Law », Digital Transformations in Public International Law, A. Golia, M.C. Kettemann et R. Kunz (dir.), Baden-Baden, Nomos, 2022.
[4] E. Celeste, « Digital constitutionalism: a new systematic theorisation », Int. Rev. Law Comput. Technol., 33.
[5] Raphaële Xenidis, “Beyond bias: algorithmic machines, discrimination law and the analogy trap”, Transnational Legal Theory, vol. 14, no 4 2023, Law’s Agency in Global Governance: Inquires into Algorithmic Governance and Finance, pp. 378-412.
[6] Pour la conception des droits fondamentaux qui sous-tend les discours du constitutionnalisme global, voir, entre autres, Mattias Kumm, « Constitutional rights as principles: On the structure and domain of constitutional justice. A review essay on A Theory of Constitutional Rights », International Journal of Constitutional Law, 2004, vol. 2, nº 3, p. 575.
[7] Voir la contribution de Mathilde Unger dans ce dossier. Voir aussi Karen Yeung, “Algorithmic Regulation: A Critical Interrogation”, Regulation & Governance, vol. 12, no 4, 2018, pp. 505-523.
[8] Ran Hirschl, Towards Juristocracy. The Origins and Consequences of the New Constitutionalism, Harvard University Press, 2007.
[9] Raphaële Xenidis, “Beyond bias: algorithmic machines, discrimination law and the analogy trap”, op. cit. Voir aussi sa contribution dans ce dossier.
[10] Geoff Gordon, Rebecca Mignot-Mahdavi, and Dimitri Van Den Meerssche, “The Critical Subject and the Subject of Critique in International Law and Technology”, AJIL Unbound, no 117, 2023, pp. 134-138. Voir aussi, Marie Petersmann et Dimitri Van Den Meerssche, “On phantom publics, clusters, and collectives: be(com)ing subject in algorithmic times”, AI & Society, vol. 39, 2024, pp. 107–124.
[11] Antoinette Rouvroy et Thomas Berns, « Gouvernementalité algorithmique et perspectives d’émancipation. Le disparate comme condition d’individuation par la relation ? », Réseaux, vol. 177, 2013, pp. 163-196. Louise Amoore, The Politics of Possibility, Duke University Press, 2013 parle de ‘data derivatives’.
[12] Pour un autre exemple bien connu, Nicolas Suzor, “Digital Constitutionalism: Using the Rule of Law to Evaluate the Legitimacy of Governance by Platforms”, Social Media & Society, vol. 4, no 3, 2018, pp. 1-11.
[13] Monika Zalnieriute, “Against Procedural Fetishism: A Call for a New Digital Constitution”, Indiana Journal of Global Legal Studies, vol. 30, no 2, 2023, pp. 227-263.
[14] Dimitri Van Den Meerssche and Rebecca Mignot-Mahdavi, “Failing where it matters most? The EU AI Act and the legalized opacity of security tech”, The Digital Constitutionalist, 22 December 2022, accessible sur https://digi-con.org/failing-where-it-matters-most/ (dernière consultation 5 novembre 2024). Voir aussi la contribution de Rebecca Mignot-Mahdavi dans ce dossier. Voir également en ce sens, Angelo Jr Golia, « Critique of digital constitutionalism: Deconstruction and reconstruction from a societal perspective », Global Constitutionalism, vol. 12, no 1, 2023, pp. 1-31.
[15] Voir Nico Krisch, Beyond Constitutionalism: The Pluralist Structure of Postnational Law, OUP 2010, notamment ch. 2.
[16] Mattias Kumm, « Who is Afraid of the Total Constitution? Constitutional Rights as Principles and the Constitutionalization of Private Law », German Law Journal, 2006, vol. 7, nº 4, p. 341.
[17] Sur ce point, voir les contributions de Raphaële Xenidis et de Mathilde Unger dans ce dossier.
[18] Voir Golia, supra n 8, p. 19.
[19] À cet égard, la présentation de Lisa Carayon lors de la conférence « Constitutionnalisme digital et approches critiques en droit et technologie » qui a eu à l’UPEC le 23novembre 2023 a été très illustrative. Voir par exemple Conseil d’État, 7ème – 2ème chambres réunies, 10 juin 2020, N° 435594, ECLI:FR:CECHR:2020:435594.20200610.
[20] Sur ce texte, Claire Marzo, « La proposition de directive relative à l’amélioration des conditions de travail dans le cadre du travail via une plateforme : une occasion de repenser les statuts et les droits des travailleurs de plateformes », RTDEur., 2022/4, p. 665, qui adopte une perspective de droits fondamentaux.
[21] Amy Kapczynski, “The Law of Informational Capitalism”, The Yale Law Journal, vol. 129, 2020, pp. 1460-1515. Voir aussi Julie E. Cohen, Between Truth and Power: The Legal Constructions of Informational Capitalism, OUP, 2019.
[22] Voir aussi Afroditi Marketou et Joana Mendes, “Making it Work: Law’s Agency in Global Governance”, Transnational Legal Theory, vol. 14, no 4, pp. 360-377.
[23] V. p. ex. G. Tusseau, « Taking Chaos Seriously: From Analog to Digital Constitutionalism(s) », 2023, https://www.sciencespo.fr/public/chaire-numerique/wp-content/uploads/2023/11/chaire-digitale-g-tusseau-consitutionalism.pdf.
[24] O. Pollicino, Judicial Protection of Fundamental Rights on the Internet. A Road Towards Digital Constitutionalism?, Oxford, Hart, 2021.
[25] G. De Gregorio, Digital Constitutionalism in Europe. Reframing Rights and Powers in the Algorithmic Society, Cambridge, Cambridge Univeristy Press, 2022.
[26] N.P. Suzor, Lawless. The Secret Rules That Govern Our Digital Lives, Cambridge, Cambridge University Press, 2019.
[27] L. Diver, Digisprudence. Code as Law Rebooted, Edinburgh, Edinburgh University Press, 2022.
[28] S. Rodotà, « Una costituzione per Internet », Politica del diritto, Vol. 41, 2010, pp. 337-351.
[29] P. Gowder, The Networked Leviathan. For Democratic Platforms, Cambridge, Cambridge University Press, 2023.
[30] V. p. ex. G. Teubner, A. Golia, « Societal Constitutionalism in the Digital World: An Introduction », Max Planck Institute for Comparative Public Law & International Law (MPIL) Research Paper No. 2023-11, https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=4433988.
[31]V. p. ex. G. Tusseau, « Révision constitutionnelle et droits fondamentaux : attention aux effets de système », à paraître.
[32] V. spéc. The Federalist, n° 51.
[33] Cour suprême des Etats-Unis, Packingham v. North Carolina, 582 U.S. ____ (2017).
[34] Conseil constitutionnel, Décision n° 2020-801 DC du 18 juin 2020, Loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet.
[35] Pour une vision plus nuancée, v. p. ex. G. Tusseau, « Comprendre le constitutionnalisme numérique : une perspective benthamienne », à paraître.
[36] V. B. Ackerman, We the People. 1, Foundations, Cambridge, Mass., Belknap Press of Harvard University Press, 1991.
[37] R. Koselleck, « Zur historisch-politischen Semantik asymmetrischer Gegenbegriffe », in Id., Vergangene Zukunft: Zur Semantik geschichlicher Zeiten, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1989, pp. 211-259, spéc. pp. 211, 213.
[38] J.H. Harrington, The Oceana and Other Works, 3rd ed., London, A. Millar, 1747, p. 56.
[39] L. Helena Orozco, « Los peligros del constitucionalismo digital », 24 janvier 2023, https://www.ibericonnect.blog/2023/01/los-peligros-del-constitucionalismo-digital/?utm_source=mailpoet&utm_medium=email&utm_campaign=BOLET%C3%8DN+INFORMATIVO%C2%A0. V. également P. Terzis, « Against Digital Constitutionalism », European Law Open, Vol. 3, 2024, à paraître.
[40] R.Á. Costello, « Faux Ami? Interrogating the Normative Coherence of ‘Digital Constitutionalism’ », Global Constitutionalism, Vol. 12, 2023, pp. 326-349, p. 329.
[41] F. Lassalle, « Qu’est-ce qu’une Constitution ? », 16 avril 1862, https://www.marxists.org/francais/general/lassalle/constitution.htm.
[42] C. de Cabo Martín, Pensamiento crítico, constitucionalismo crítico, Madrid, Trotta, 2014, p. 10.