Facebook et les salariés
Facebook et les salariés : Vie privée, liberté d’expression et humour
Par Marielle Picq
Facebook entre dans le jeu de la relation de travail et s’invite, sans surprise, dans le débat judiciaire (CPH Boulogne-Billancourt. 19 novembre 2010 – Reims, Ch. Sociale, 9 juin 2010, n° 09/0320). Les salariés peuvent-ils librement dialoguer avec leurs collègues de travail, chez eux, le week-end sans avoir à rendre des comptes à leur employeur sur la teneur de leurs propos ? Non, semble décider la jurisprudence récente pour qui Facebook ne relève pas toujours de la sphère privée et constitue un support où l’abus de la liberté d’expression peut être constaté et sanctionné légitimement par l’employeur. La solution doit être approuvée même si on peut regretter que l’argument lié à l’humour, l’amusement et la spécificité de la discussion sur les réseaux sociaux n’ait pas été entendu par les juges.
Facebook et les salariés : le thème est à la mode. Donnant lieu à de nombreux écrits il offre surtout l’occasion de réfléchir aux enjeux et retombées des nouvelles technologies d’information et de communication sur le lien salarial (J.E. RAY, Le droit à l’épreuve des NTIC, Ed. Liaisons, 2010 et ses nombreuses rubriques publiées à la revue Droit social, notamment : Facebook, le salarié et l’employeur, Dr. Soc. 2011, p. 128 et s- Internet, le salarié et les libertés, Dr. Soc. 2011, p. 933 – Ph. Waquet, Vie privée, vie professionnelle et vie personnelle, Dr. Soc. 2010, p. 14). A lire les commentateurs, l’impact de ces outils serait considérable sur la relation de travail. L’utilisation des nouveaux procédés de communication (réseaux sociaux, téléphones, puces électroniques etc…) bouleverserait la conception de la subordination d’une double façon. A la fois, elle aggraverait la sujétion en renforçant les possibilités de surveillance et de suivi des salariés mais tout en gommant l’idée de hiérarchie au sein de l’entreprise. En effet, ces outils de communication qui accordent aux salariés une véritable autonomie dans le travail sont également de véritables laisses électroniques créant ainsi de nouvelles formes de subordination. En outre, ils rendent aussi difficile l’application de certaines règles du code du travail dont, par exemple, celles relatives au temps de travail (le salarié qui depuis son domicile à minuit envoie des mails à des clients depuis son ordinateur personnel peut-il être rémunéré, de surcroît en tarif de nuit ?). Paradoxalement, les échanges sur les réseaux sociaux gomment l’idée de hiérarchie en créant des liens horizontaux au détriment de la logique pyramidale de l’autorité. Surtout, il est remarqué que l’usage de la communication par internet rend les salariés plus vulnérables parce qu’elle a pour effet d’effacer la frontière entre la vie privée et la vie professionnelle, modernisant notamment le débat lié à la licéité des moyens de preuve.
Ainsi, il faut donc retenir que les techniques actuelles de communication et d’information sont des outils qui obligent à revoir ou qui contraignent à une nouvelle lecture de la subordination et des droits et obligations du salarié. Dans ce contexte, on ne peut qu’être attentif aux décisions judiciaires statuant sur le sort de salariés à qui il est reproché une utilisation critiquable de ces outils de communication, notamment Facebook.
Sur ce sujet, le 19 novembre 2010, le Conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt a rendu un jugement, depuis très médiatisé, relatif au licenciement pour faute grave d’une salariée ayant chez elle un samedi soir dialogué sur Facebook avec des collègues de travail, en incitant au dénigrement et à la rébellion envers les supérieurs hiérarchiques de l’entreprise par la création d’un pseudo club dits des néfastes. Ces messages agrémentés de plusieurs émoticons et d’onomatopées sont envoyés à l’employeur par l’intermédiaire d’une capture d’écran réalisée par un salarié de l’entreprise choqué par les propos tenus par ses collègues.
Contestant le bien fondé de son licenciement, la salariée licenciée faisait état de deux arguments tous rejetés par les juges :
Les propos tenus sur Facebook relevaient de sa vie privée de telle sorte que les éléments de preuve étaient illicites et ne pouvaient donc être valablement produits en justice.
Le droit à la liberté d’expression était aussi allégué, complété par un argument lié au caractère non sérieux des échanges. La salariée entendait démontrer que l’utilisation des onomatopées et autres émoticons soulignait le caractère humoristique des propos. En substance, le droit à l’humour, à l’amusement devait selon la salariée purger les propos de leur vice éventuel.
Le jugement est inégalement novateur. Il statue d’abord sur la question du respect de la vie privée en tentant de tracer une frontière entre la vie privée et la vie professionnelle ou plus largement la vie publique. Ensuite, il traite de la question de la liberté d’expression et ses limites. Sur ce point la décision est classique et n’offre aucune originalité. Enfin, il permet de s’interroger sur la spécificité de la communication telle qu’elle est pratiquée de manière générale par les utilisateurs des réseaux sociaux, spécificité qui ne trouve aucune résonnance auprès de la juridiction prud’homale.
Facebook et le droit au respect de la vie privée
Sur ce point, la décision abondamment commentée (Voir notamment : J.E Ray, Little Brothers are watching you, Sem.soc. Lamy, 2010, n° 1470 – P.Y. Verkindt, « Les amis » de nos « amis »…JCP S 2010, Act. 550) car jugée très nouvelle énonce, dans un attendu bref, que l’utilisation de Facebook, dans ce cas particulier, ne relève pas de la sphère de la vie privée dés lors que compte tenu du paramétrage du compte des intéressés permettant un « un accès ouvert » (en d’autres termes le compte était accessible aux amis de ses amis !), les propos étaient accessibles au plus grand nombre.
L’enjeu d’une telle qualification est de facture classique mais d’importance : La production en justice de la page, support des propos reprochés aux salariés constitue un mode de preuve licite ne portant pas atteinte à la vie privée des intéressés et pouvant donc être produite en justice.
Il faut donc comprendre que compte tenu du paramétrage choisi (en réalité, il s’agit bien souvent du paramétrage applicable par défaut !), les propos sont publics et donc chassés de la sphère de la vie privée. La solution n’est pas tout à fait novatrice, des juges du fond ayant déjà eu l’occasion de préciser que l’immunité liée à la vie privée ou plutôt à la vie personnelle (voir infra) ne peut trouver à s’appliquer à une personne inscrite sur Facebook qui envoie un message sans avoir bloqué les accès à son profil (Reims, Ch. Sociale, 9 juin 2010, n° 09/03205).
Nous voici donc en possession d’un critère bien commode et technique, pour tracer la frontière entre la vie privée et la vie publique. Si le compte sur Facebook est en accès limité on peut considérer que les propos tenus relèvent de la vie privée, les éléments de preuve ne peuvent être produits en justice et le salarié bénéficie ainsi d’une immunité disciplinaire. En revanche, dès lors que le compte est en accès ouvert, les propos sont présumés être publics, le mode d’accès à Facebook dépasse la sphère privée décident les juges. La conversation perd son caractère privé malgré son évident rattachement à la sphère privée des salariés en cause qui conversent depuis leur domicile, un week-end, à l’aide de leur ordinateur personnel.
La décision doit être approuvée sous une réserve. Elle mérite approbation en premier lieu parce qu’elle permet de préserver la sphère privée dés lors que les utilisateurs de Facebook prennent soin de limiter l’accès à leur compte, en second lieu parce qu’elle considère que le fait de converser aux vues de beaucoup de personnes inscrites rend les propos publics du fait non de leur teneur mais de leur diffusion.
En revanche, on peut sans doute regretter, mais sans que cela ait pu avoir une conséquence sur la solution retenue, que les juges n’aient pas préféré l’expression « vie personnelle » à celle retenue de « vie privée » plus conforme aux efforts déployés par la chambre sociale depuis 1997 pour substituer « vie personnelle à « vie privée » (Cass. soc. 14 mai 1997, Bull. civ. V., n° 175, p. 126 – Cass. soc. 16 décembre 1997, Bull. civ. V., n° 441, p. 315). Les conseillers de la chambre sociale de la Cour de cassation expliquent leur choix en soulignant que la notion de vie personnelle est un concept plus large que le concept de vie privée et donc plus protecteur des salariés et surtout que « la notion de vie personnelle rend mieux compte de ce qu’il est nécessaire de distinguer entre la vie personnelle et ce qui doit lui demeurer étranger » (E. Collomp, La vie personnelle au travail, Dr. Soc. 2010, p. 40).
La défense liée à la vie privée n’ayant pas été retenue par les magistrats, la salariée s’exposait donc à un examen sur le fond des propos que lui reprochait son employeur.
Facebook et la liberté d’expression
Le débat porte sur la liberté d’expression et sur ce point, le jugement n’a rien de novateur. Très attachée à la liberté d’expression la chambre sociale de la Cour de cassation a rappelé qu’elle relève de la catégorie des libertés fondamentales dans le célèbre arrêt Clavaud (Cass. soc ; 28 avril 1988, D 1988, jpd, p. 437, note Wagner – Dr. Soc. 1988, p. 428, concl. Ecoutin, obs. G. Couturier). Depuis, elle ne cesse de marteler que « le salarié jouit, dans l’entreprise et en dehors de celle-ci de sa liberté d’expression » (Cass. soc. 30 octobre 2002, Dr. Soc. 2003, p. 136, obs. F. Duquesne). Les magistrats soulignent en premier lieu que cette liberté peut être restreinte sous réserve de respecter les exigences posées à l’article L. 1121-1 du code du travail. Ainsi les salariés peuvent subir des atteintes à leur liberté d’expression à condition que la restriction soit justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché. Cette première réserve est nécessaire à la conciliation et à l’équilibre entre les droits et libertés des salariés et les pouvoirs de l’employeur. En second lieu, les magistrats, classiquement et conformément aux nombreux textes nationaux, européens et internationaux consacrant cette liberté, rappellent que la limite de ce droit est l’abus, constitutif d’une faute de la part du salarié.
C’est précisément ce qui est reproché, en l’espèce à la salariée dont les propos selon les magistrats « portent atteinte à l’autorité et à la réputation de sa supérieure hiérarchique » « incitent à la rébellion contre la hiérarchie». Il est également souligné que la personne visée par les propos était aisément identifiable et qu’en outre les fonctions exercées par la salariée licenciée (chargée de recrutement) la conduisait à être en contact avec des candidats et des futurs salariés ce qui en substance renforçait le caractère fautif des propos et permettait de caractériser au mieux l’abus.
Quels que soient le support et la manière ( lesquels sont parfois, inattendus, Voir Cass. soc. 22 juin 2011, n° 10-10856, décision mettant en cause une salariée ayant inscrit des propos dénigrant son employeur sur un drap installé, en guise de banderole, au balcon de son domicile) lorsque les propos relèvent du dénigrement de l’entreprise et portent atteinte à l’image de l’entreprise, il y a comportement fautif, constitutif d’une faute grave. La solution est clairement établie (Cass. soc. 23 juin 2010, JCP S 2010, n° 1469, note A. Martinon). Au cas particulier, les magistrats soulignent qu’il y a abus de la liberté d’expression parce que les propos portaient atteinte à l’autorité et à la réputation d’une supérieure hiérarchique clairement identifiée au moins par les autres salariés de l’entreprise, choqués et dont l’un d’entre eux à transmis les informations à l’employeur.
La solution ne peut qu’être approuvée notamment dés lors que les personnes visées sont reconnaissables. En revanche, lorsque les propos sont vagues et ne permettent pas d’identifier immédiatement la personne visée, le dénigrement ne peut être retenu (En ce sens : Reims, 9 juin 2010, arrêt précité).
Dès lors on voit difficilement comment le mode de conversation en cause (discussion un soir entre amis sur Facebook) pourrait modifier l’appréciation du juge, pour qui, on ne peut que l’approuver, le recours à un outil récent ne modifie pas l’analyse. L’utilisation à cet égard de facebook ne crée ni une immunité, ni d’ailleurs un risque particulier pour les salariés. Dés lors, que des subordonnés s’expriment sur un support ayant vocation à être lu au-delà d’un cercle d’intimes, ils doivent veiller, là comme ailleurs à leur propos. Toutefois le jugement aurait pu innover parce qu’était aussi débattue, mais en vain, la spécificité de la communication au sein des réseaux sociaux.
Facebook et le droit à l’humour sur les réseaux sociaux
La salariée plaidait le droit à l’humour ou à l’amusement découlant non des propos eux-mêmes mais de l’utilisation d’onomatopées et de smileys dont l’utilisation est fréquente chez les internautes.
Au fond, l’argumentation de la salariée licenciée pour faute grave renoue avec le classique débat judiciaire portant sur l’abus de la liberté d’expression. Pour échapper à toute condamnation il n’est pas rare que l’auteur des propos contestés invoque le droit à l’humour. Celui-ci n’est pas reconnu comme un droit permettant de purger de leurs vices des propos diffamatoires, injurieux ou blessants mais il est intrinsèquement rattaché à la liberté d’expression dont il constitue une modalité. Le droit à l’humour, à la caricature, est reconnu par la Cour de cassation « pour assurer le plein exercice de la liberté d’expression » (Cass. Civ.1ère, 13 janvier 1998, Bulletin 1998 I N° 14 p. 9). C’est aussi la position de la Cour européenne des droits de l’homme qui lie la liberté de faire rire à la liberté d’expression, et qui consacre à ce titre le recours à l’exagération voire à la provocation, le droit à l’impertinence tout en admettant que les législations nationales puissent poser des limites dans les conditions exigées à l’article 10.2 de la convention européenne des droits de l’homme. (CEDH, 26 avril 1995, Oberschlick c. Autriche – CEDH, 24 février 1997, De Haes et Gijselsc. Belgique – CEDH, 21 janvier 1999, Fressoz et Roire c. France. S’agissant de la liberté de ton des journalistes en particulier : CEDH, 25 juin 1992, Thorgeir Thorgeirson c. Islande – CEDH, 27 mars 1996, Goodwin c. Royaume Uni).
Sur ce fondement, l’argument fondé sur la particularité du langage indiquant, à l’aide de signes divers, le caractère non sérieux de la discussion aurait pu prospérer. Précisément, ces signes et smileys ont été conçus, dit-on (D. Leloup, L’émoticône de la tristesse, Le monde, 22 novembre 2010) dans le souci d’éviter toute incompréhension ou confusion sur les forums en permettant de marquer l’ironie, le second degré, le jeu mais aussi la variété des émotions (la tristesse, la joie etc..).Mais les juges le balayent, par un attendu lapidaire au terme duquel il est jugé que « l’utilisation d’onomatopées et de smileys ne peut permettre de qualifier les propos échangés d’humoristiques ».
La formule est sans appel alors même que personne ne pouvait sérieusement croire en la création d’un vrai club dits des néfastes et qu’il y avait là pour le moins une volonté de s’amuser, en des termes et selon des modalités évidemment contestables. Là pourtant semble être la spécificité du langage utilisé dans le cadre des conversations sur les réseaux sociaux en ce qu’il révèle « un brouillage des frontières entre l’écrit et l’oral » (P.Y. Verkindt, op ;cit ;, loc ; cit. ). Plus que sur tout autre support écrit, l’auteur de messages sur facebook a la sensation de l’éphémère, attaché à l’oral alors même que l’écrit en assure la pérennité. Est donc née la sensation que ce qui est écrit n’est pas gravé dans le marbre et ne peut finalement n’avoir que peu d’échos ou de portée. De ce fait, est implicitement autorisée une liberté de ton, souvent ornée de signes pour indiquer notamment l’absence de sérieux dans les propos. C’est cette spécificité du langage par internet que les juges refusent de reconnaitre. C’est finalement méconnaître cette modalité émergente de discussion.
Pour citer cet article : Marielle Picq, « Facebook et les salariés : Vie privée, liberté d’expression et humour », RDLF 2011, chron. n°11 www.revuedlf.com)
Crédits photo : Mario Alberto Magallanes Trejo, stock.xchng