Constitutionnalisme numérique : théories et approches critiques
Au cours de la dernière décennie, le concept de constitutionnalisme numérique a attiré l’attention des auteurs de diverses disciplines. Cet article vise à fournir une cartographie systématique de la manière dont cette notion a été utilisée et critiquée au cours des dernières années. En particulier, on propose de reconstruire les temps d’évolution des théories du constitutionnalisme numérique, de leurs formulations initiales jusqu’aux travaux scientifiques récents. Cette notion est apparue dans un sens innovant et progressiste, faisant référence à une dimension constitutionnelle élargie au-delà de l’État. Des études récentes ont avancé une conception plus holistique et ont simultanément appliqué cette notion à des domaines ou à des sources normatives spécifiques. L’article offre trois modèles de catégorisation des approches scientifiques émergentes du constitutionnalisme numérique et présente trois catégories d’arguments critiques qui ont été adressés à la théorie du constitutionnalisme numérique. Ce travail se termine par une contre-critique personnelle de ces arguments.
Par Edoardo Céleste, Professeur associé en droit, technologie et innovation et directeur du Master Erasmus Mundus en Droit, Données et IA (EMILDAI), School of Law and Government, Dublin City University, Irlande
I. Introduction
« Le constitutionnalisme numérique fait référence au concept d’établissement d’un ensemble de principes, de normes et de règles qui régissent l’utilisation, la protection et la réglementation des technologies numériques au sein d’une société. Tout comme une constitution traditionnelle décrit les droits fondamentaux, les responsabilités et la structure de gouvernance d’une nation, le constitutionnalisme numérique cherche à fournir un cadre sur la manière dont les technologies numériques sont gérées et intégrées dans divers aspects de la société, notamment la politique, l’économie, la culture et les droits individuels.
Les éléments clés du constitutionnalisme numérique pourraient inclure : 1. Droits numériques : […]. 2. Protection des données et confidentialité : […]. 3. Gouvernance de l’Internet : […]. 4. Cybersécurité : […]. 5. Économie numérique : […]. 6. Accès et fracture numérique : […]. 7. Réglementation du contenu : […]. 8. Transparence algorithmique et responsabilité : […]. 9. Coopération internationale : […]. 10. Souveraineté numérique : […].
Le constitutionnalisme numérique reconnaît l’impact transformateur des technologies numériques sur la société moderne. Il vise à établir un cadre juridique et éthique qui respecte les droits fondamentaux tout en promouvant l’innovation et le progrès à l’ère numérique. Il s’agit d’un concept évolutif étant donné l’ampleur des défis et des nouvelles opportunités que présentent les technologies numériques au fil du temps »
Ainsi, en août 2023, la version librement accessible de ChatGPT (modèle GPT-3.5, à compter d’août 2023) offrait une réponse à la requête : « veuillez définir le concept de constitutionnalisme numérique ». ChatGPT n’a aucune hésitation. Il nous propose résolument une définition : le constitutionnalisme numérique consisterait à établir des règles constitutionnelles pour « l’utilisation, la protection et la régulation des technologies numériques ». Il nous donne même un décalogue des « éléments clés du constitutionnalisme numérique », avec la précision – cependant – que les technologies numériques se développent continuellement, faisant finalement du constitutionnalisme numérique un « concept évolutif »[1]. Ce n’est que lorsque je reformule obstinément ma question en « qu’est-ce que le constitutionnalisme numérique ? » que ChatGPT admet plus humblement : « D’après la dernière mise à jour de mes connaissances en septembre 2021, le terme « constitutionnalisme numérique » n’a pas de définition largement reconnue et standardisée. Il s’agit d’un concept qui est encore en évolution et qui fait l’objet de discussions dans les cercles universitaires, juridiques et politiques. […] Pour connaître les connaissances et les discussions les plus récentes sur ce sujet, je recommande de consulter la littérature universitaire récente, les documents politiques et les avis d’experts »[2]. Une conclusion que Bard, le chatbot de Google, dont la version disponible gratuitement s’approvisionne en permanence sur Internet, m’a immédiatement donné lorsque je lui ai posé les mêmes questions[3].
La dernière réponse de ChatGPT ainsi que le verdict de Bard me consolent au moment où j’écris cet article. L’absence de consensus sur la signification du « constitutionnalisme numérique » m’avait incité à publier l’un de mes premiers travaux sur ce sujet, intitulé « Constitutionnalisme numérique : une nouvelle théorisation systématique »[4]. Dans cet article, j’avais cartographié les usages du concept de constitutionnalisme numérique, constatant que très souvent les auteurs employaient cette expression sans la définir. J’avais ensuite fourni une théorie pour concilier ces différentes positions scientifiques, proposé une définition et clarifié sa relation avec la notion de « constitutionnalisation » de la société numérique, terme souvent utilisé de manière interchangeable avec celui de « constitutionnalisme numérique ». Au cours des dernières années, ce concept a non seulement attiré l’attention des auteurs de diverses disciplines, mais il a également été utilisé par les tribunaux, les décideurs politiques et les entreprises privées[5]. De manière générale, cet usage n’a pas permis de clarifier davantage les contours de ce concept. On observe en effet l’émergence de différentes conceptions du constitutionnalisme numérique ainsi qu’une série de critiques à leur égard.
Cet article entend se concentrer sur les usages doctrinaux du constitutionnalisme numérique et à fournir une cartographie systématique de la manière dont cette notion a été utilisée et critiquée au cours des dernières années. Cette analyse n’a pas, bien évidemment, d’ambition d’exhaustivité : elle se limite à analyser les travaux publiés avant août 2023. Cet article sera structuré en quatre sections. La section II reconstruira la manière dont l’utilisation de ce concept a évolué dans les travaux scientifiques récents, complétant ainsi mes précédents exercices de cartographie[6]. La section III proposera une nouvelle catégorisation des approches scientifiques émergentes du constitutionnalisme numérique. La section IV présentera trois principaux types d’arguments critiques qui ont été adressés à la théorie du constitutionnalisme numérique. Enfin, la section V se conclura par une contre-critique personnelle de ces arguments.
II. Évolution du concept
A. Les origines
La notion de constitutionnalisme numérique a d’abord été utilisée dans son sens le plus original et le plus innovant. Premièrement il renvoie à la nécessaire application des normes constitutionnelles aux acteurs privés, dépassant ainsi l’ancrage traditionnel du droit constitutionnel dans l’État. Deuxièmement, les approches se sont intéressées à des sources normatives qui ne sont habituellement pas considérées comme constitutionnelles : il s’agit non seulement des sources juridiques issues du droit privé, mais aussi des formes de normativité qui émergent des débats politiques et au niveau de la société civile, et dont le caractère juridique contraignant est souvent contesté.
1. Au-delà de l’État
Dans ce que nous pourrions appeler la « première génération » d’auteurs utilisant le concept de constitutionnalisme numérique (j’inclus dans cette catégorie flexible les travaux publiés au cours de la décennie 2009 à 2018), les approches insistent essentiellement sur la nécessité d’appliquer les droits et principes constitutionnels aux entreprises multinationales en matière technologique, c’est-à-dire celles qui produisent et gèrent des produits et services numériques. En ce premier sens, le constitutionnalisme numérique implique la mise en œuvre d’une constitution, entendue comme cadre fondateur d’un régime politique, codifié ou non, au-delà de l’État, pour régir le domaine des acteurs privés. Cette lecture s’éloigne de la vision classique du constitutionnalisme, bien qu’elle ne soit pas non plus une nouveauté en soi. En effet, la vision classique, associant le concept de constitutionnalisme à la dimension étatique, avait déjà été bouleversée dans le contexte du droit international. La mondialisation a fait émerger de nouveaux enjeux, allant du terrorisme international au changement climatique, impliquant l’intervention concertée d’une pluralité d’acteurs[7]. Si l’Etat conserve un rôle central, certaines de ses fonctions se déplacent verticalement, dans deux directions : vers le haut, c’est-à-dire vers les acteurs supranationaux et, vers le bas, vers les acteurs multinationaux non étatiques[8]. Dans un monde globalisé, à côté des organisations intergouvernementales régionales et internationales, des sous-systèmes privés autonomes de la société, tels que les médias ou les organisations sportives, s’autorégulent et établissent leurs propres normes constitutionnelles[9]. La dimension constitutionnelle élargit ainsi son périmètre, elle devient « multi-niveaux » ou « hybride »[10]. C’est dans ce contexte que l’on peut situer les premiers usages du concept de constitutionnalisme numérique : il se concentre ici sur le constat de la montée en puissance des entreprises multinationales dans le domaine technologique. Comme Pereira et Keller l’affirment plus récemment, il convient de reconnaître « le caractère indispensable de la constitution pour atténuer les asymétries de pouvoir, même – et principalement – dans les contextes transformateurs générés par la mondialisation »[11].
Cette première génération d’auteurs utilisant la notion de constitutionnalisme numérique ne définit pas vraiment à quoi celle-ci renvoie[12]. Elle se concentre davantage sur des phénomènes sous-jacents qui doivent être englobés dans ce concept. On observe ainsi un manque de consensus concernant les acteurs impliqués et les moyens adoptés pour poursuivre les objectifs du constitutionnalisme numérique. Suzor a été le premier à utiliser cette expression de manière cohérente pour désigner le projet de limiter le pouvoir des entreprises numériques privées par le recours à des principes constitutionnels, avec une attention particulière à l’État de droit[13]. Pour Suzor, le droit constitutionnel dans le contexte du numérique poursuit un double objectif : d’une part, circonscrire le périmètre d’action de l’autorégulation privée et, d’autre part, inculquer ses principes fondamentaux – traditionnellement articulés en référence à l’État – dans le droit des contrats, ce dernier promouvant à son tour un développement conforme à la Constitution de l’autorégulation des entreprises privées. Des idées similaires avaient déjà été exprimées par Fitzgerald et Berman en utilisant différentes dénominations, respectivement de constitutionnalisme « informationnel » et « constitutif », et soulignant le rôle constitutionnalisant du droit privé pour Fitzgerald, et la centralité des principes constitutionnels nationaux pour Berman[14].
2. Au-delà des sources classiques du droit
Au sein de cette première génération d’auteurs, certains vont même au-delà des sources juridiques traditionnelles. Ils utilisent la référence au constitutionnalisme numérique en relation avec des normes qui se situent traditionnellement en dehors du spectre juridique soit parce qu’elles sont adoptées par des entreprises privées, soit parce qu’elles sont promues dans le contexte de processus politiques ou préconisées par des acteurs de la société civile, échappant ainsi au statut de normes juridiquement contraignantes.
Dans la société numérique mondialisée, de puissantes sociétés multinationales, créant, gérant et vendant des produits et services numériques, sont devenues des acteurs dominants à côté des États-nations. Il en découle une forme moderne de féodalité numérique dans laquelle des gouvernants privés dictent les règles de leurs propres fiefs virtuels[15]. Un courant d’études juridiques portant sur la technologie numérique avait déjà observé la capacité du « code » à faire office de loi – même si ce n’est pas de manière discursive – sur les produits et services numériques que nous utilisons[16]. Une partie des auteurs de cette génération identifie un autre type de droit lié à cette sphère privée, cette fois plus proche de la conception traditionnelle des règles juridiques discursives. Karavas observe ainsi une certaine tendance dans la jurisprudence allemande : le pouvoir judiciaire se limite à jouer un rôle directeur – « maïeutique » – vis-à-vis du pouvoir auto-constitutionnalisant des plateformes qui déterminent leur propre droit, la « lex digitalis »[17]. Allant au-delà des auteurs, comme Bygrave, qui reconnaissaient le caractère contraignant et quasi juridique des règles internes des sociétés de réseaux sociaux, évoquant une « lex Facebook »[18], j’ai comparé les conditions d’utilisation des réseaux sociaux à des instruments quasi constitutionnels, des « bills of rights » privés[19].
Dans le contexte du constitutionnalisme numérique, les parlements nationaux ne sont plus seulement étudiés sous l’angle du pouvoir législatif mais comme des promoteurs de conversations politiques sur les droits numériques. J’utilise l’expression de conversations politiques et non d’étapes ordinaires du processus législatif parce que cette recherche s’est concentrée sur les résultats des travaux parlementaires issus de commissions ad hoc, souvent pris en compte par d’autres acteurs sociétaux, et qui ne faisaient pas formellement partie des activités parlementaires. Par exemple, l’adoption de la Déclaration des droits de l’Internet a été rédigée par un comité ad hoc créé par le président de la Chambre des députés italienne de l’époque et composé d’hommes politiques, d’universitaires, de journalistes et de représentants de l’industrie[20]. Santaniello et al. ont analysé les contenus et le langage spécifique de divers documents issus d’initiatives parlementaires similaires[21]. En particulier, ils soulignent que les parlements, conformément à leur rôle traditionnel de bastion de la démocratie contre les potentiels abus des autres pouvoirs de l’État, élaborent des normes et des principes de nature « limitative », qui visent à introduire des garanties contre une éventuelle compression des droits individuels par d’autres formes de pouvoirs[22]. Le travail de ces institutions dans le contexte du constitutionnalisme numérique est considéré comme un « processus politique d’élaboration de la constitution d’Internet », qui se présente comme un discours intermédiaire, reliant les processus normatifs, juridiques et sociétaux, liés au domaine numérique[23].
De tels processus normatifs sociétaux englobent non seulement l’élaboration du droit des entreprises technologiques mentionné ci-dessus, mais aussi l’émergence de « déclarations des droits d’Internet », (« Internet bills of rights »), promues par les acteurs de la société civile. Gill, Redeker, Gasser[24] et Petracchin[25] ont ainsi rassemblé et analysé un certain nombre de textes, publiés principalement par des organisations de la société civile, qui défendent des droits et des principes répondant aux défis de l’ère numérique. Malgré leur nature non juridiquement contraignante, ces initiatives sont considérées comme faisant partie d’un « discours proto-constitutionnel », un exercice intellectuel de traduction progressive des principes fondamentaux du constitutionnalisme contemporain en normes qui s’adressent aux acteurs de la société numérique[26]. Des auteurs issus de diverses disciplines avaient déjà commencé à étudier ces « déclarations des droits du numérique », sans faire spécifiquement référence au concept de constitutionnalisme numérique, mais en se concentrant davantage sur le message de cet effort de communication mené par une pluralité d’individus et d’organisations[27]. De ce point de vue, nous pourrions affirmer que le constitutionnalisme numérique est également considéré comme une sorte de « mouvement », à la fois de personnes et de pensée[28] et dont le caractère interdisciplinaire apparaît clairement. Le constitutionnalisme numérique n’est pas seulement un phénomène juridique, il est aussi un phénomène social et politique. Il est politique en termes de contenu, dans le sens où il vise à aborder des « questions politiques fondamentales », mais il l’est aussi au regard de la nature de ses initiatives, qui se présente comme des « interventions politiques », des « éléments d’une conversation politique »[29].
B. Développement et croissance
La première génération de recherches sur le constitutionnalisme numérique s’intéresse ainsi principalement à des sources et à des acteurs qui ne relèvent pas habituellement de la sphère constitutionnelle. Ils soulignent ainsi le pouvoir des acteurs privés et les limites du pouvoir public – voire du droit constitutionnel traditionnel lui-même – à relever les défis de la société numérique. Au cours des cinq dernières années, le concept de constitutionnalisme numérique a attiré l’attention d’un nombre important d’auteurs de diverses disciplines, donnant naissance à un mouvement intellectuel dynamique. Cette deuxième génération d’auteurs a davantage insisté sur l’analyse des acteurs constitutionnels et des sources juridiques plus traditionnelles. Le concept de constitutionnalisme numérique en ressortira plus étendu et approfondi : il inclut l’ensemble des données juridiques traditionnelles, tels que la législation et la jurisprudence, mais aussi les données des nouvelles technologies, comme l’informatique quantique.
1. Élargissement : vers une approche systématique et globale
Ce que nous avons appelé la première génération de recherches a placé l’accent sur la pluralité des acteurs et des sources normatives du constitutionnalisme numérique et a permis d’observer l’émergence de droits et de principes spécifiques applicables au domaine numérique. Certains de ces auteurs se concentrent sur des sources juridiques, comme le droit privé, d’autres sur des instruments normatifs émergeant du domaine privé, ou simplement du domaine politique et de la société civile, donc dépourvus de toute valeur juridiquement contraignante. À la lumière de ce cadre pluriel, issu de cette double génération de recherches, j’ai proposé une approche théorique et systématique du constitutionnalisme numérique pour concilier ces positions scientifiques et en offrir une définition plus large et plus globale[30].
Il me semble en effet que le constitutionnalisme numérique n’est pas exclusivement lié à la limitation du pouvoir des acteurs privés par des sources juridiques érigées à un rôle quasi-constitutionnel. Il ne désigne pas non plus exclusivement les discours constitutionnels émergeant dans la sphère sociétale. Il englobe ces deux dimensions et les dépasse. La définition du constitutionnalisme numérique que je défends est : « l’idéologie qui vise à établir et à garantir l’existence d’un cadre normatif pour la protection des droits fondamentaux et l’équilibre des pouvoirs dans l’environnement numérique »[31]. En termes plus concrets, une telle idéologie sous-tend une variété de « contre-réactions » constitutionnelles qui « généralisent » et « respécifient » les principes fondamentaux du constitutionnalisme contemporain pour les adapter à la société numérique et relever ainsi ses défis[32]. Ces contre-réactions, considérées à l’échelle mondiale, constitueraient un processus composite et à plusieurs niveaux de « constitutionnalisation » comprenant des réponses normatives situées au sein et au-delà de l’État[33].
La distinction entre les concepts de constitutionnalisme et de constitutionnalisation joue un rôle essentiel dans le contexte de cette théorie systématique, dans la mesure où les études précédentes utilisaient souvent ces deux termes de manière interchangeable. A la différence du constitutionnalisme, la notion de constitutionnalisation est définie comme un processus qui met en œuvre les principes et les valeurs du constitutionnalisme[34]. J’ai soutenu qu’une théorie systématique conduit à reconnaître la dimension multi-niveau de ce processus actuel de constitutionnalisation de la société numérique[35]. Cette dimension multiniveau n’implique pas simplement une fragmentation des éléments de constitutionnalisation observés : il n’y a pas de « pères fondateurs » uniques dans la société numérique. Mais il est possible de parler d’un ensemble d’impulsions qui se stimulent et se compensent mutuellement[36]. Ainsi, malgré la variation de ces éléments de constitutionnalisation, il est possible de recomposer le puzzle – ou mieux, de comprendre l’anatomie de cette mosaïque complexe – en interprétant ces différents inputs, comme s’il s’agissait d’éléments allant dans la même direction : chacun contribuant à traduire et à mettre en œuvre les valeurs fondamentales du constitutionnalisme contemporain dans le contexte de la société numérique.
Une vue aérienne de ce phénomène permet d’observer des éléments de constitutionnalisation qui émergent à la fois au sein et au-delà du contexte de l’État, englobant ainsi toutes les sources normatives analysées par la première génération d’auteurs, voire en les élargissant. En effet, il ne faut pas seulement mentionner l’émergence de stimuli constitutionnels au-delà de la dimension étatique, comme, par exemple, les décisions du mécanisme de résolution des différends de l’ICANN, les règles internes des sociétés technologiques multinationales et les chartes des droits du numérique[37]. Il faut également observer l’adoption de tout l’éventail des sources normatives « traditionnelles » d’un point de vue juridique, telles que les amendements constitutionnels, les décisions des cours constitutionnelles ou les lois ordinaires jouant une fonction constitutionnelle.
Ce processus de constitutionnalisation à plusieurs niveaux n’est pas simplement une fiction académique destinée à rendre cohérents des scénarios normatifs autrement fragmentés. Les tesselles de cette mosaïque complexe n’évoluent pas dans des silos hermétiques. Ils s’influencent mutuellement. Ils se stimulent réciproquement et contribuent à la même conversation, tout en utilisant des instruments normatifs différents. Ce sont des « vases communicants »[38]. Il est intéressant de noter que les Chartes des droits du numérique ou les règles internes des entreprises technologiques privées adoptent intentionnellement le langage traditionnel spécifique des instruments constitutionnels : préambules, utilisation de la première personne du pluriel, temps présent. Le jargon constitutionnel devient une lingua franca qui reconnecte les discours juridiques se déroulant autrement dans des contextes sans connexions institutionnalisées ni mode de communication[39]. Comme dans un puzzle, chaque contre-réaction se complète ; l’émergence d’une réponse normative peut être lue comme le symptôme d’un état d’« anémie constitutionnelle » surgissant à un autre niveau de l’écosystème constitutionnel[40]. Si une source normative a des difficultés à résoudre un problème posé dans l’environnement numérique, une autre source propose une solution, stimulant finalement de nouvelles réactions dans la mosaïque constitutionnelle.
2. Approfondissement : acteurs juridiques traditionnels et nouvelles technologies
La deuxième génération d’auteurs traitant du constitutionnalisme numérique approfondit également l’analyse des phénomènes et des tendances normatives liées à ce concept, en se concentrant d’une part sur les acteurs juridiques traditionnels, comme les Cours, et d’autre part sur les derniers développements technologiques, comme l’informatique quantique.
Pollicino propose ainsi une lecture complète de la jurisprudence récente de la Cour de justice de l’Union européenne, soulignant son rôle crucial dans la protection des droits numériques[41]. Dans un de ses derniers livres, il pose la question de savoir si le système judiciaire européen n’œuvrerait pas vers l’établissement d’une forme de « constitutionnalisme numérique »[42]. De Gregorio identifie et analyse un « constitutionnalisme numérique européen », expliquant comment l’architecture constitutionnelle européenne est utilisée, notamment par les Cours, pour limiter progressivement le pouvoir des plateformes numériques privées[43]. Les valeurs constitutionnelles sont considérées comme un instrument pour passer d’une phase de « libéralisme numérique », dominée par les intérêts économiques des acteurs européens, à une étape de constitutionnalisme numérique, cette fois axée sur la protection des droits fondamentaux dans l’environnement numérique, à travers un intense activisme judiciaire[44]. Selon le même auteur, cette tendance générale s’observerait également dans le contexte de défis spécifiques, comme la régulation des plateformes en ligne[45].
Outre cette approche certainement plus orthodoxe du constitutionnalisme numérique, axée sur les acteurs juridiques traditionnels, nous assistons à un approfondissement parallèle de la recherche sur le constitutionnalisme numérique en relation avec le développement de technologies innovantes spécifiques[46]. Wimmer et Moraes analysent l’impact de l’informatique quantique sur le droit au cryptage à partir de différentes initiatives de cadrage, et avec un accent particulier sur le Brésil[47]. En novembre 2022, l’Académie des sciences de Hambourg, en partenariat avec une pluralité d’autres universités et instituts de recherche européens, a organisé un atelier sur le « constitutionnalisme quantique »[48]. L’événement visait à réfléchir sur les implications d’un futur déploiement de l’informatique quantique sur la compréhension constitutionnelle du numérique. Le concept de constitutionnalisme numérique a inspiré l’ensemble de l’atelier : l’avènement de l’informatique quantique était censé marquer le début d’une ère « post-numérique » qui aurait produit de nouveaux enjeux pour le constitutionnalisme contemporain. En d’autres termes, le « constitutionnalisme quantique » serait considéré comme le nouveau « constitutionnalisme numérique » : le prochain défi et la réaction conséquente de l’écosystème constitutionnel à l’innovation technologique.
III. Approches
À partir de cette cartographie des études sur le constitutionnalisme numérique, on perçoit que l’adjectif « numérique » ne qualifie pas le « constitutionnalisme » substantiel ; il s’agit plutôt d’un qualificatif désignant le contexte et les défis auxquels ce courant du constitutionnalisme contemporain répond. La dimension constitutionnelle est interprétée dans un sens large. Les études existantes ne se concentrent pas uniquement sur le droit constitutionnel stricto sensu, mais s’intéressent plus généralement à « l’écosystème » constitutionnel, à ses valeurs, ses principes, ses acteurs et à la manière dont il est impacté par la révolution numérique[49]. Dans la section précédente, nous avons décrit de façon chronologique la recherche récente sur le constitutionnalisme numérique. Dans cette section, il conviendra plutôt de catégoriser les approches conceptuelles du constitutionnalisme numérique.
A. Catégorisation substantielle
Pereira et Keller ont proposé une catégorisation « substantielle » basée sur les centres d’intérêt ciblés par les auteurs s’intéressant au constitutionnalisme numérique[50]. Selon cette typologie, un premier groupe d’auteurs considère le constitutionnalisme numérique comme un phénomène normatif. Il englobe l’émergence de Chartes des droits du numérique, et plus largement l’ensemble des droits et principes formalisés pour relever les défis de l’ère numérique[51]. Le deuxième groupe d’auteurs mentionné par Pereira et Keller identifie un « réaménagement des protections constitutionnelles » pour faire face à la révolution numérique, en se concentrant en particulier sur l’émergence ou la réarticulation de nouveaux droits[52]. Au sein de ce groupe, nous trouvons des auteurs qui utilisent également ces valeurs et principes pour guider le pouvoir judiciaire dans l’interprétation de ces droits[53]. Cette approche est compatible avec une « vision traditionnelle du constitutionnalisme » : elle entraîne de simples ajouts de couches au sein du constitutionnalisme contemporain, comme cela a été fait pour le constitutionnalisme environnemental[54]. Le troisième groupe utilise plutôt le constitutionnalisme numérique comme « cadre théorique englobant les moyens étatiques et non étatiques d’appliquer le droit aux technologies numériques »[55]. Les auteurs mentionnés dans cette catégorie traitent principalement des mécanismes de limitation du pouvoir des acteurs privés de la technologie, à la fois en termes de régulation étatique et d’auto-constitutionnalisation[56].
B. Catégorisation théorique
D’autres auteurs, comme Duarte et al., ont proposé une autre typologie. Ils identifient trois composantes « théoriques » du constitutionnalisme numérique : une composante libérale, une composante sociétale et une composante mondiale[57]. Plutôt qu’une catégorisation des théories existantes, les auteurs décrivent ce qu’ils appellent trois « approches » du constitutionnalisme numérique, qui ne s’excluent pas mutuellement mais apparaissent comme trois couches d’une même architecture conceptuelle. Le constitutionnalisme numérique trouverait ses racines dans le constitutionnalisme libéral, né pour protéger les libertés contre l’intrusion des acteurs publics. Une partie de la doctrine, comme Duarte et al., notent à juste titre que l’émergence de puissants acteurs privés aux côtés des États-nations dans l’environnement numérique représente un défi pour un constitutionnalisme libéral. Cette sphère numérique dans laquelle les acteurs privés établissent leurs propres règles « constitutionnelles » est saisie par une lecture sociétale du constitutionnalisme numérique. Or les apports constitutionnels centrés sur l’État et ceux axés sur le secteur privé peuvent entrer en collision. Une façon de surmonter ce problème consiste à examiner le constitutionnalisme numérique dans une perspective mondiale. En s’appuyant sur des théories multi-niveaux, les collisions constitutionnelles et les différents apports sociétaux peuvent être considérés de manière globale.
C. Catégorisation normative
La catégorisation substantielle proposée par Pereira et Keller, découlant d’une analyse empirique de la littérature existante sur le constitutionnalisme numérique, est utile pour donner une idée de l’apport central des différentes conceptions du constitutionnalisme numérique. Cette catégorisation favorise la compréhension de ces phénomènes, avec la réserve que les trois groupes identifiés par Pereira et Keller ne s’excluent pas mutuellement. En particulier, les auteurs appartenant au troisième groupe, qui étudient les différents mécanismes, publics et privés, permettant d’appliquer la loi au contexte numérique, s’intéressent aussi aux réajustements constitutionnels, impliquant ainsi des éléments appartenant au deuxième groupe. La catégorisation théorique de Duarte et al. est tout aussi utile dans la mesure où elle distingue les études existantes du point de vue de l’approche théorique spécifique et sous-jacente du constitutionnalisme qui est adoptée. Mais encore une fois, les trois catégories proposées ne s’excluent pas mutuellement ; elles représentent trois couches théoriques qui peuvent très bien coexister, l’une englobant l’autre. Par exemple, si l’on adopte une approche du constitutionnalisme global, on peut tout à fait concentrer ses recherches sur les aspects liés à une conception libérale du constitutionnalisme, dans la mesure où l’on suppose l’émergence de réponses constitutionnelles à différents niveaux de l’écosystème constitutionnel.
Il nous semble qu’une autre catégorisation serait utile pour compléter les précédentes. Elle constitue une catégorisation « normative », non pas dans le sens où elle est prescriptive, mais dans le sens où elle est de nature juridique. Quatre catégories peuvent être distinguées en fonction des sources normatives auxquelles elles se réfèrent. Cette catégorisation permet d’isoler des positions qui ne sont pas pleinement apparentes dans les catégorisations précédentes ; elle met en outre en évidence des aspects essentiels pour comprendre certaines des critiques adressées aux théories du constitutionnalisme numérique. Avec ces différentes catégorisations, complémentaires, la doctrine peut se positionner dans le débat scientifique actuel, sans avoir nécessairement à chercher une définition univoque du concept de constitutionnalisme numérique laquelle pourrait même étouffer les dimensions participative et plurielle de la conversation académique en cours.
La catégorisation normative est fondée sur la question suivante : quelle est la source de droit qui incorpore les principes fondamentaux du constitutionnalisme contemporain, à la lumière des défis de la société numérique ? Cette catégorisation adopte une approche empirique en ce qu’elle ne tient pas compte des étiquettes que les auteurs ont pu adopter dans leurs différentes théories. La première catégorie est représentée par l’approche constitutionnaliste traditionnelle. Ce groupe d’auteurs adopte une conception classique du système des sources juridiques. Les analyses liées au constitutionnalisme numérique de ce premier groupe étudient la manière dont le droit constitutionnel réagit aux défis de la révolution numérique. Les sources normatives examinées sont celles qui sont considérées comme formellement constitutionnelles : les constitutions, les actes de nature constitutionnelle, les décisions des juridictions dotées d’un pouvoir de contrôle constitutionnalité et d’interprétation constitutionnelle. Ces sources peuvent émerger aussi bien au niveau national que supranational. Cette approche se concentre sur les contre-réactions constitutionnelles déployées par l’État. Elle recoupe le deuxième groupe de Pereira et Keller, qui se concentre sur le « réaménagement des protections constitutionnelles » à la suite de la révolution numérique, et la première approche du constitutionnalisme libéral de Duarte et al.[58]. Parmi les auteurs qui ont adopté cette approche figurent Pollicino, De Gregorio, Mendes et Oliveira[59].
La deuxième approche peut être définie comme fonctionnelle et juridique. Dans cette catégorie, nous incluons les auteurs qui ont examiné les normes qui relèvent bien du système traditionnel de sources juridiques mais qui se situent en dehors du champ d’application du droit constitutionnel formel. En ce sens, cette approche est bien juridique mais fonctionnelle : elle examine de manière empirique si une source normative remplit une fonction constitutionnelle bien qu’elle soit formellement dépourvue de cette nature. Des auteurs comme Fitzgerald et Suzor, par exemple, adoptent cette approche en soulignant le rôle que le droit des contrats peut jouer dans l’établissement de contraintes constitutionnelles au pouvoir des acteurs privés[60]. De même, Floridi souligne le rôle « constitutionnalisant » joué par une série de réglementations européennes – l’« hexagramme » selon les termes de Floridi – qui représentent les piliers du droit numérique de l’UE[61]. Cette approche fait écho à la troisième catégorie de Pereira et Keller, qui se concentre sur les moyens publics et privés de régulation du numérique, mais elle n’est pas facile à situer dans la catégorisation de Duarte et al.
La troisième catégorie conserve toujours une approche fonctionnelle, mais articulée de manière socio-juridique. Nous dépassons ici le système traditionnel des sources juridiques. Les normes de nature constitutionnelle sont identifiées au-delà des normes étatiques : dans les règles privées, dans les mécanismes d’application établis par les entreprises technologiques, dans les décisions des mécanismes de résolution des litiges de l’ICANN, dans la myriade de déclarations des droits du numérique principalement promues par les acteurs de la société civile. Cette approche peut être définie comme « fonctionnelle et sociojuridique » car elle porte un regard empirique au-delà de ce qui est formellement constitutionnel, détectant les normes émergeant en dehors de la dimension juridique institutionnalisée. Ces autres sources participent aux contre-réactions constitutionnelles au sein de la société numérique. Cette approche reflète la couche de constitutionnalisme sociétal de Duarte et al., tout en chevauchant à la fois le premier et le troisième groupe identifiés par Pereira et Keller, se référant respectivement à la catégorie d’auteurs étudiant l’émergence des déclarations des droits du numérique et à celle analysant les réponses constitutionnelles non étatiques. Dans ce groupe, nous pouvons inclure Padovani, Redeker, Yilma, Celeste, Santaniello, Palladino et Golia[62].
La quatrième approche peut être définie comme holistique. Cette catégorie présente le champ d’analyse le plus complet. Nous avions proposé cette théorie holistique afin d’offrir un cadre théorique pour réconcilier les positions scientifiques existantes sur le constitutionnalisme numérique[63]. Elle englobe les trois approches précédentes en affirmant que l’écosystème constitutionnel réagit aux défis de la révolution numérique à plusieurs niveaux, avec une pluralité de contre-réactions. En ce sens, nous pouvons observer un processus de constitutionnalisation de la société numérique multi-niveaux[64] ou hybride[65]: de nouvelles réponses normatives émergent simultanément des sources constitutionnelles traditionnelles, des sources juridiques formelles et d’une variété d’instruments normatifs émergeant au-delà de l’État, dans les fiefs privés des entreprises technologiques multinationales ou au niveau de la société civile. Cette approche holistique reconnaît un certain degré de complémentarité de ces réponses normatives sans minimiser l’importance des sources non juridiquement formelles. Elle soutient que, comme dans un puzzle, chaque source se complète. On observe en effet une stimulation mutuelle et une conversation plurielle – mais monocentrique – quant aux réponses constitutionnelles apportées à la révolution numérique. Cette approche étudie ainsi les « signes d’alarme » que chaque source normative fournit au reste de l’écosystème constitutionnel. Par exemple, en analysant le contenu des multiples déclarations des droits du numérique provenant de la société civile, il est possible de détecter des zones de ce que nous avons appelé « anémie constitutionnelle » au sein des sources constitutionnelles traditionnelles. Ces instruments peinent à relever les défis de la révolution numérique et certaines institutions issues de la société civile préconisent une évolution des sources constitutionnelles formelles[66]. L’approche que nous défendons est par conséquent à la fois traditionnelle, fonctionnelle et sociojuridique. Elle englobe les trois groupes identifiés par Pereira et Keller et s’inscrit dans la lignée du troisième niveau de constitutionnalisme numérique identifié par Duarte et al., axé sur le constitutionnalisme mondial.
IV. Critique
Après une phase de développement et de croissance, la littérature sur le constitutionnalisme numérique a également fait l’objet de critiques. L’objectif de cette section est de systématiser les principaux arguments avancés contre les théories du constitutionnalisme numérique. Mon analyse prend en compte les critiques avancées jusqu’à l’été 2023. Trois macro-catégories de critiques peuvent être identifiées sur la base du type d’argumentation adopté : une argumentation conceptuelle, une argumentation cynique et une argumentation traditionnelle.
A. Argumentation conceptuelle
L’analyse des différentes approches du constitutionnalisme numérique a clairement révélé l’absence d’une définition dogmatique et univoque de ce concept. Cette pluralité de points de vue fait le lit d’une critique pointant le manque de clarté de la notion de constitutionnalisme numérique. Certaines définitions de ce concept sont contestées car elles seraient incohérentes ou contradictoires. Selon Pereira et Keller, il s’agit d’un « problème de désarroi conceptuel qui affaiblit la valeur épistémique du terme et met en péril les applications actuelles »[67]. Le concept de constitutionnalisme numérique est considéré comme flou car il recouvre une multitude d’acteurs, de sources normatives et de mécanismes.
En conséquence, les théories du constitutionnalisme numérique pourraient également être accusées de manquer de positionnement clair au sein des théories constitutionnelles existantes. Duarte et al. ont mis en évidence le mélange complexe de théories constitutionnalistes – libérales, sociétales et mondiales – qui sous-tendent les différentes théories du constitutionnalisme numérique[68]. Pereira et Keller parlent d’une « matrice théorique » comprenant le pluralisme constitutionnel, le constitutionnalisme sociétal, le constitutionnalisme mondial, et nous pourrions ajouter le constitutionnalisme transnational et le constitutionnalisme multi-niveaux. Deux lignes de critiques sont donc perceptibles : d’une part, le constitutionnalisme numérique ne trouverait pas d’enracinement clair dans les théories évoquées, et d’autre part, ces théories du constitutionnalisme numérique ne seraient pas suffisamment reliées à une réflexion globale sur le constitutionnalisme, sur la question de son déclin[69] ou au contraire de ses nouvelles expressions[70].
De plus, le constitutionnalisme numérique a été critiqué pour son absence d’orientation idéologique ou politique univoque. En particulier, Golia a remis en cause notre utilisation d’une notion de constitutionnalisme numérique « aseptisée » d’idéologie. Notre définition du constitutionnalisme numérique renvoie en effet à « l’idéologie qui adapte les valeurs du constitutionnalisme contemporain à la société numérique ». Mais cette notion d’idéologie est utilisée dans un sens neutre, comme un ensemble d’idéaux et de valeurs, et non dans le sens péjoratif marxiste d’ensemble de croyances trompeuses[71]. Dans le même esprit, Griffin critique l’absence d’orientation politique claire, proposant une « conception normative de gauche du constitutionnalisme numérique » visant à limiter le pouvoir des entreprises technologiques privées[72].
Enfin, une dernière critique liée aux frontières conceptuelles du constitutionnalisme numérique a consisté à affirmer que cette notion s’attaque aux nouvelles problématiques générées par l’avènement de la révolution numérique, plutôt qu’aux problèmes inhérents à la société contemporaine[73]. Ce serait une erreur d’envisager le constitutionnalisme numérique comme un moyen de restaurer l’équilibre constitutionnel de la société analogique. Le constitutionnalisme numérique viserait plutôt à identifier des questions constitutionnelles persistantes « remodelées par la numérique »[74].
B. Argumentation cynique
Le deuxième courant de critiques à l’encontre du constitutionnalisme numérique peut être qualifié de « cynique » car il remet en question la sincérité de la référence à la dimension constitutionnelle établie par les acteurs privés. Compte tenu de leur développement important, les réseaux sociaux ont en effet été comparés aux États. A peine après une demi-décennie d’existence, Mark Zuckerberg pouvait affirmer que le nombre d’utilisateurs de Facebook était le même que celui d’un pays très peuplé[75]. L’analogie entre les plateformes de réseaux sociaux et les entités étatiques virtuelles était non seulement justifiée par ces chiffres, mais également renforcée par l’utilisation d’un langage « constitutionnel » spécifique dans les conditions d’utilisation de ces réseaux sociaux. Par exemple, Facebook appelait ses conditions d’utilisation « Déclaration des droits et responsabilités » et les Principes de Facebook employaient l’expression « chaque personne », qui fait écho à la formulation des textes constitutionnels[76]. Plus récemment, Facebook a introduit l’Oversight Board, un organisme juridictionnel privé chargé de résoudre les cas de modération de contenus les plus complexes[77]. Cette institution a été comparée à une « Cour suprême » privée, dénotant en tout cas une tendance à l’institutionnalisation et à la judiciarisation d’un espace privé inspirée par l’architecture constitutionnelle de l’État[78]. À la lumière de cette tendance, nous avons évoqué un « ton constitutionnel » afin de poser la question de savoir si les règles internes des plateformes en ligne pouvaient être considérées comme leur « déclaration des droits », un ensemble de normes jouant de facto un rôle constitutionnel au sein du monde virtuel d’un réseau social spécifique[79].
Ces exemples révèlent une appropriation du langage constitutionnel, traditionnellement déployé dans le contexte des États-nations, par des acteurs privés. L’argument cynique central de cette tendance consiste à affirmer que l’utilisation de ce ton constitutionnel est simplement superficielle, à la manière d’une « façade constitutionnelle »[80]. Pereira et Keller évoquent un emploi « descriptif » ou « métaphorique » des concepts constitutionnels[81]. Autrement dit, le langage et les mécanismes traditionnels du droit constitutionnel de l’État seraient transplantés dans des domaines virtuels privés, sans aucun effort d’adaptation de cette infrastructure normative aux particularités de l’environnement en ligne. Cette rhétorique constitutionnelle réutilisée aurait un fort pouvoir d’évocation mais avec des contours flous. Le « sex-appeal constitutionnel » suscité auprès des utilisateurs représenterait alors un outil de marketing, ou selon les mots d’Albert, un « talisman juridique », capable de déguiser en constitutionnel un cadre privé dépourvu de garanties constitutionnelles fondamentales[82].
D’où le principal danger mis en évidence par cet argument cynique. La référence à la dimension constitutionnelle serait non seulement fausse, mais essentiellement dangereuse dans la mesure où elle est instrumentalisée pour accroître la légitimité du pouvoir privé, ce qui est intrinsèquement contraire aux principes de la démocratie constitutionnelle[83]. Pereira et Keller parlent de « constitutions sans constitutionnalisme »[84]. Ils mettent en évidence le risque non seulement de « dissimuler » le pouvoir privé, mais également de le « renforcer », malgré l’intention initiale du constitutionnalisme numérique d’introduire des limites à la domination des plateformes en ligne[85].
C. Argumentation traditionnelle
La troisième ligne de critiques adressée aux théories du constitutionnalisme numérique peut être définie comme « traditionnelle », dans le sens où elle est ancrée dans une conception classique du constitutionnalisme et du système juridique.
Associée à la dimension étatique, le constitutionnalisme renvoie dans sa compréhension classique à une idéologie née pour limiter le pouvoir de l’État, issu de la souveraineté populaire, et, par la suite, le légitimer, en le constituant et en l’organisant conformément à certaines règles constitutionnelles[86]. Or les théories du constitutionnalisme numérique appliquent le concept de constitutionnalisme aux acteurs privés. En effet, ces théories décrivent les tentatives des entreprises technologiques d’établir des valeurs et des principes fondamentaux ainsi que de limiter leur pouvoir en introduisant des mécanismes de contrôle interne, en termes de « constitutionnalisation » d’espaces privés[87]. Une approche aussi peu orthodoxe conduirait à étendre le concept de constitutionnalisme au-delà de son écosystème naturel. Les auteurs professant un purisme constitutionnel considèrent cette dilatation du concept comme illégitime. Les constitutionnalistes adoptant une approche plus pragmatique y voient tout de même le risque d’une contamination, d’une dénaturation, pour ne pas dire d’une dégradation du constitutionnalisme traditionnel. Pereira et Keller évoquent un risque de banalisation ou d’évidement du concept de constitutionnalisme[88] : ce qui n’est en réalité qu’une simple autorégulation d’acteurs privés ne peut être déguisé en une forme de constitutionnalisation. Le « noyau normatif » du constitutionnalisme n’est pas là[89]. Appliquer la notion de constitutionnalisme au-delà de l’État reviendrait donc à porter atteinte à la dimension constitutionnelle.
Costello soutient pour sa part que l’utilisation du langage du constitutionnalisme au-delà de l’État et dans le contexte d’acteurs privés peut être « préjudiciable » et conduire à une « confusion »[90]. Cette ligne de critique converge avec l’argument cynique présenté ci-dessus et selon lequel l’appropriation du langage constitutionnel par des entités privées cacherait une l’instrumentalisation d’une rhétorique pour légitimer des pratiques privées qui sont tout sauf conformes aux principes et valeurs constitutionnels. La solution de Costello consiste à abandonner l’expression « constitutionnalisme numérique » et la dichotomie entre droit privé et public dans ce contexte pour parler plutôt d’une interaction entre politique publique et privée[91]. Cette ligne de critique traditionnelle met en évidence une extension erronée du concept de constitutionnalisme mais aussi des frontières du système juridique lui-même. Ce « panconstitutionnalisme » reflèterait une expansion injustifiée du cadre constitutionnel à des domaines qui relèvent d’autres sources du droit – comme le droit privé, par exemple – ou des domaines extra-légaux – comme dans le cas de l’autorégulation des plateformes privées[92].
Il existe également une ligne de critique qui s’adresse à des tendances spécifiques du constitutionnalisme numérique. Yilma souligne notamment une série de risques inhérents à l’émergence d’un nombre important de déclarations de droits du numérique[93]. Il critique le caractère fragmenté de ce phénomène, s’interroge sur leur impact, et analyse également la question de leur « désirabilité »[94]. Yilma se situe dans cette ligne de critique traditionnelle en ce qu’il évoque une « hypertrophie » constitutionnelle provoquée par une « inflation » des droits[95]. La valeur ajoutée des principes prônés par la pluralité des acteurs qui adoptent et promeuvent les Chartes des droits de l’Internet serait incertaine, voire contreproductive. Les instruments constitutionnels traditionnels contiennent en effet déjà des formulations générales des droits et principes pouvant être appliqués dans l’environnement numérique. Une duplication, notamment au moyen de documents non juridiquement contraignants, ne serait donc pas nécessaire.
V. Conclusion : une contre-critique
Cette dernière section conclut cet article par une contre-critique personnelle aux trois courants de critiques adressés aux théories du constitutionnalisme numérique. Le but de cette section n’est ni de donner le dernier mot sur ce sujet ni de défendre la « vérité » normative des théories du constitutionnalisme numérique. D’autres discussions académiques viendront nourrir la compréhension des phénomènes que nous vivons. Les critiques actuelles doivent être prises en compte de manière constructive afin d’affiner davantage le contenu des théories existantes. On espère cependant que cette contribution aidera à calibrer les lignes critiques émergentes en les reliant à des aspects spécifiques des théories du constitutionnalisme numérique, plutôt que de nier l’intérêt de ce concept.
A. Pluralisme, orientation idéologique et contre-mesures normatives
Le concept de constitutionnalisme numérique a été critiqué pour son manque de clarté et de cohérence. En regroupant les différentes positions adoptées par la littérature existante, nous constatons qu’une pluralité complexe d’acteurs et de mécanismes est placée sous l’égide du constitutionnalisme numérique. Cette reconstruction est sans aucun doute exacte. Mais si d’un côté cette mosaïque de théories, de points de vue, d’acteurs et de mécanismes peut générer des confusions, de l’autre, elle est un témoignage vivant de la complexité des phénomènes analysés et de la volonté d’expliquer cette tendance à partir d’une pluralité de perspectives disciplinaires et théoriques. Une telle diversité signifie ainsi que l’on assiste un effort scientifique global pour examiner les phénomènes qui sous-tendent le constitutionnalisme numérique. Il ne faut pas oublier que les concepts sous-jacents de constitution, de constitutionnalisme et de constitutionnalisation n’ont jamais reçu de définition univoque. Notre principale contre-critique remet en cause les tendances critiques généralisantes : affirmer que les théories du constitutionnalisme numérique passent à côté de l’essentiel ne donne pas une bonne représentation des différentes approches qui ont émergé dans ce domaine. En clarifiant cette contre-critique, nous espérons que cette contribution permettra aux auteurs qui soutiennent et critiquent les théories du constitutionnalisme numérique à mieux se positionner, à distinguer correctement le concept de constitutionnalisme et de constitutionnalisation, et à indiquer explicitement quelle approche ils adoptent ou critiquent.
Certes, les partisans du constitutionnalisme numérique pourraient poursuivre l’effort de clarifier la relation entre leurs arguments et les théories préexistantes. Il faudrait ainsi insister sur le fait que le constitutionnalisme numérique ne bouleverse pas l’ADN du constitutionnalisme contemporain. Quand on évoque le constitutionnalisme numérique sous l’angle d’une idéologie, il s’agit de faire référence à un ensemble de valeurs et d’idéaux déterminés. Le constitutionnalisme numérique n’est pas une nouvelle forme de constitutionnalisme, mais plutôt l’une de ses couches, un développement du constitutionnalisme contemporain. Son discours scientifique construit et développe davantage une théorie constitutionnelle « analogique », dans le sens de non-numérique.
L’« équilibre » constitutionnel, avant l’avènement de la révolution numérique, n’a rien d’un paradis constitutionnel, dépourvu d’enjeux. L’équilibre à rechercher et auquel on fait référence renvoie plutôt à un équilibre entre normes constitutionnelles et enjeux sociétaux. L’écosystème constitutionnel, à ses différents niveaux, a apporté une réponse normative – mais pas nécessairement factuelle – aux enjeux de la société analogique. Mais la révolution numérique a remis en cause cet équilibre normatif. Les normes existantes ne s’adressent plus pleinement à la diversité des acteurs sociaux, ni aux multiples problématiques qui caractérisent la société numérique. Une série de contre-réactions normatives émergent de différents mouvements[96]. Afin de permettre aux normes et principes constitutionnels existants de perpétuer leur message dans la réalité sociale mutée, le constitutionnalisme numérique préconise une traduction de l’ADN du constitutionnalisme contemporain en normes capables de relever les défis de la société numérique : un écosystème constitutionnel vivant, non seulement compréhensible par des publics spécialisés, mais fournissant aussi des orientations normatives claires à tous les acteurs impliqués.
B. Le constitutionnalisme comme prisme interprétatif
Les lignes de critique que nous avons qualifiées de « cyniques » remettent en question l’application du langage et des outils du constitutionnalisme aux entreprises technologiques privées. Ces entités multinationales instrumentaliseraient le constitutionnalisme comme un outil de marketing, pour exploiter le sentiment de confiance qu’un appeal constitutionnel génère chez les utilisateurs. Il ne s’agirait de rien d’autre qu’une simple façade constitutionnelle pour légitimer des pratiques et des valeurs qui sont en réalité arbitrairement établies par des entreprises privées pour leurs propres intérêts.
Pourtant, l’application des théories du constitutionnalisme numérique dans le domaine des entreprises technologiques privées ne vise pas à défendre ou à justifier leurs pratiques. Le constitutionnalisme, ses valeurs et ses mécanismes sont ici utilisés comme un prisme interprétatif pour effectuer un « test décisif » afin d’examiner le développement de la gouvernance des plateformes privées par rapport aux normes et pratiques constitutionnelles établies dans la dimension étatique. Ces entités sont devenues des acteurs dominants aux côtés des États-nations. Elles ont le pouvoir d’affecter, de façon similaire, l’exercice des droits fondamentaux par les utilisateurs. Le concept de constitutionnalisme est ainsi déployé dans ce domaine avec beaucoup de prudence. Il faut en effet distinguer l’utilisation de la machinerie constitutionnelle par les plateformes en ligne elles-mêmes de l’utilisation qu’en fait la doctrine. La première pourrait être considérée comme un effort d’auto-constitutionnalisation : les plateformes emploieraient le langage du constitutionnalisme pour utiliser ses mécanismes et s’appuyer sur ses principes. Mais – cela ne fait aucun doute – ce phénomène cache aussi une composante « marketing ». Les entreprises privées doivent montrer à leurs utilisateurs que leurs plateformes sont sûres, que les droits fondamentaux sont respectés et que les violations font l’objet de poursuites en temps opportun. Lorsque la doctrine recourt aux théories du constitutionnalisme numérique, ce n’est pas pour justifier ou légitimer le comportement des multinationales, mais plutôt pour comprendre dans quelle mesure ces acteurs poursuivent une voie de constitutionnalisation, longuement étudiée dans le contexte des États, tant au niveau national qu’au niveau supranational.
Faire la différence entre les concepts de constitutionnalisme numérique, en tant qu’ensemble de valeurs et d’idéaux, et les processus de constitutionnalisation, qui renvoient à la mise en œuvre pratique de ces principes, est utile dans ce contexte. Cette distinction permet de mesurer les évolutions – qu’elles soient positives ou négatives – des plateformes privées. Par exemple, Facebook a pu annoncer sa volonté de laisser les utilisateurs voter sur ses conditions de service ; une promesse qui, si elle était tenue, aurait certainement représenté un pas en avant dans le processus de constitutionnalisation de cette entité[97]. Facebook a, une fois de plus, mis en place un conseil de surveillance (Oversight Board) pour juger les cas les plus complexes liés à la modération des contenus en ligne, une entité qui est toujours soumise au contrôle de la plateforme mais qui est, au moins, composée d’experts internationaux externes. Dans ces contextes, la référence par la doctrine à une tendance constitutionnaliste n’implique pas une constitutionnalisation complète de cet espace privé. A l’inverse, cette grille de lecture permet d’évaluer les progrès, ou l’absence de progrès, réalisés par la plateforme. Le langage et les mécanismes du constitutionnalisme, du moins dans l’analyse académique, ne contribuent pas à légitimer les pratiques arbitraires des entreprises privées. Le constitutionnalisme numérique n’est pas utilisé comme un « talisman juridique » pour brouiller les yeux des utilisateurs, comme pourraient le faire les entreprises elles-mêmes. Les auteurs se réfèrent ici au constitutionnalisme numérique comme un outil permettant de mesurer dans quelle mesure ces nouveaux acteurs privés dominants intègrent des mécanismes de protection des droits fondamentaux en adaptant les valeurs constitutionnelles existantes et les outils développés dans le contexte des États-nations.
C. Nouveau champ de bataille pour des anciens ennemis
Ce que nous avons appelé dans la section précédente la ligne de critique « traditionnelle » des théories du constitutionnalisme numérique remet en question l’étirement excessif du concept de constitutionnalisme au-delà de la dimension étatique et son application injustifiée aux acteurs privés. Cette situation conduirait à une dénaturation et à une perte de sens du constitutionnalisme traditionnel ainsi qu’à une légitimation hasardeuse du pouvoir privé. Pereira et Keller eux-mêmes reconnaissent cependant que ces arguments critiques ne sont pas nouveaux[98]. Ils avaient déjà été convoqués face aux différents courants du constitutionnalisme global et sociétal ainsi que du pluralisme constitutionnel, qui, selon ces auteurs, représente la « matrice théorique » à la base du constitutionnalisme numérique[99]. En d’autres termes, le constitutionnalisme numérique devient le nouveau champ de bataille d’anciens ennemis. Ceux qui adoptent une approche traditionnelle du constitutionnalisme réitèrent les mêmes types de critiques adressées aux auteurs favorables à une extension du constitutionnalisme au-delà de l’État.
Pourtant, le constitutionnalisme numérique ne vide ni ne dilue le sens du constitutionnalisme lorsqu’il applique une analyse constitutionnelle au pouvoir des plateformes privées. En effet, la dimension constitutionnelle est utilisée comme un prisme permettant d’évaluer l’efficacité des normes et des mécanismes privés qui de facto ont une fonction qui peut être considérée comme constitutionnelle. Mais cela ne revient pas à affirmer qu’il existe une copie de ce que Costello appelle le « noyau normatif » du constitutionnalisme étatique[100]. Au contraire, le constitutionnalisme étatique est utilisé comme un test décisif pour mesurer le niveau d’avancement du processus de constitutionnalisation des acteurs privés. Le constitutionnalisme d’État est un modèle, mais cela n’implique pas que la solution idéale soit de reproduire intégralement ce que le constitutionnalisme a réalisé au niveau de l’État dans le domaine des plateformes privées. Le constitutionnalisme n’a pas besoin d’être parfaitement symétrique, chaque aspect compensant les défauts de l’autre[101].
En effet, la projection des théories constitutionnelles au-delà de l’État ne nie pas le constitutionnalisme étatique. Il ne fait que reconnaître les défauts du constitutionnalisme étatique et l’émergence conséquente de modèles constitutionnels au-delà de l’État. C’est tout l’intérêt d’une approche holistique du constitutionnalisme numérique. Une telle perspective permet au chercheur d’étudier l’action conjointe des différentes couches constitutionnelles dans leur tentatives de relever les défis de la révolution numérique. Et ce « conglomérat » constitutionnel comprend à la fois des instruments constitutionnels traditionnels et des outils constitutionnels émergeant au-delà de l’État[102]. Les théories du constitutionnalisme numérique, en mettant en avant le développement d’un processus de constitutionnalisation au-delà de l’État, montrent indirectement des zones d’anémie du constitutionnalisme étatique traditionnel[103]. Ne pas reconnaître cette dimension reviendrait à adopter une attitude aveugle face aux problèmes constitutionnels existants et à perdre une perspective théorique utile pour interpréter ces phénomènes.
Établir une équation stricte entre les théories du constitutionnalisme numérique et l’autorégulation privée est réducteur. Mais ce serait également le cas si on limitait le constitutionnalisme numérique aux seuls instruments constitutionnels traditionnels. Comme le montrent les sections précédentes, les auteurs qui étudient le constitutionnalisme numérique adoptent des perspectives différentes. Ces angles d’analyse ne s’excluent pas mutuellement. Ils n’impliquent pas une vision « pan-constitutionnelle » où chaque source juridique serait absorbée par la dimension constitutionnelle. Le constitutionnalisme est adopté comme un prisme au-delà de la dimension constitutionnelle traditionnelle. Le droit privé ou les règles internes des plateformes privées ne deviendront pas des constitutions. Cependant, si l’on adopte une approche fonctionnelle et socio-juridique, on peut affirmer que ces sources peuvent accomplir une fonction constitutionnelle[104]. Le constitutionnalisme numérique vise en effet à étudier les limites du droit constitutionnel traditionnel et la manière dont d’autres sources normatives émergent pour faire face aux enjeux constitutionnels de la société numérique. Cela n’implique pas une émergence hypertrophique du discours constitutionnel. Au contraire, ce pluralisme met en évidence l’absence d’une voie constitutionnelle unique et claire pour résoudre les défis de la révolution numérique, la nécessité qui en résulte de maintenir une conversation plurielle pour discuter des solutions juridiques et – heureusement – la volonté des différents acteurs sociétaux de contribuer au débat sur les droits et les principes qui devraient régir la société numérique.
[1] Cette déclaration semble justifier pourquoi ChatGPT utilise une forme conditionnelle dans « Les éléments clés du constitutionnalisme numérique pourraient inclure […].
[2] ChatGPT-3.5, réponse à « Qu’est-ce que le constitutionnalisme numérique ? », https://chat.openai.com/, 8 août 2023.
[3] Bard, réponse à « Qu’est-ce que le constitutionnalisme numérique ? », https://bard.google.com/, 8 août 2023 : « Le constitutionnalisme numérique est un concept qui fait référence à l’adaptation des valeurs et principes constitutionnels à l’ère numérique. Il s’agit d’un terme large qui englobe une variété d’idées sur la manière de garantir que les technologies numériques sont utilisées d’une manière qui respecte les droits de l’homme, la démocratie et l’État de droit. […] Le constitutionnalisme numérique est un domaine relativement nouveau, et il n’existe pas de définition ou d’ensemble de principes uniques et convenus. »
[4] E. Celeste, « Digital constitutionalism: a new systematic theorisation », Int. Rev. Law Comput. Technol., 33.
[5] Voir, par exemple, G.F. Mendes et V. Oliveira Fernandes, « Constitucionalismo digital e jurisdição constitucional: uma agenda de pesquisa para o caso brasileiro », Rev. Bras. Direito, 16 ; C. Codagnone, G. Liva et T. Rodriguez de las Heras Ballell, Identification and assessment of existing and draft EU legislation in the digital field, 2022 ; Facebook, « Global Feedback & Input on the Facebook Oversight Board for Content Decisions », https://about.fb.com/wp-content/uploads/2019/06/oversight-board-consultation-report-2.pdf, 8 août 2023.
[6] E. Celeste, op. cit., Int. Rev. Law Comput. Technol., 33.
[7] Voir A. Peters, « Compensatory Constitutionalism: The Function and Potential of Fundamental International Norms and Structures », Leiden J. Int. Law, 19.
[8] Voir P. Dobner et M. Loughlin (dir.), The Twilight of Constitutionalism?, Oxford University Press, 2010, qui parle d’une « erosion of statehood » (pt 1).
[9] Voir G. Teubner, Constitutional Fragments: Societal Constitutionalism and Globalization, Oxford, Oxford University Press, 2012.
[10] Voir I. Pernice, « The Treaty of Lisbon: Multilevel Constitutionalism in Action », Columbia J. Eur. Law, 15 ; G. Teubner, « Constitutionalising polycontexturality », Soc. Leg. Stud., 20 ; M. Santaniello, N. Palladino, M.C. Catone et P. Diana, « The language of digital constitutionalism and the role of national parliaments », Int. Commun. Gaz., 80.
[11] J.R.G. Pereira et C.I. Keller, « Constitucionalismo Digital: contradições de um conceito impreciso », Rev. Direito E Práxis, 13, traduction de l’auteur.
[12] Pour une cartographie de cette première génération d’auteurs, voir E. Celeste, op. cit., Int. Rev. Law Comput. Technol., 33.
[13] N. Suzor, « The Role of the Rule of Law in Virtual Communities », Berkeley Technol. Law J., 25 ; N. Suzor, « Digital Constitutionalism: Using the Rule of Law to Evaluate the Legitimacy of Governance by Platforms », Soc. Media Soc., 4.
[14] B. Fitzgerald, « Software as discourse? A constitutionalism for information society », Altern. Law J., 24 ; P. Berman, « Cyberspace and the State action debate: the cultural value of applying constitutional norms to “private” regulation », Univ. Colo. Law Rev., 71.
[15] Voir M. Castells, The rise of the network society, 2nd éd., Oxford, Blackwell, 2000, qui parle d’ ‘institutional neo-medievalism’ ; voir aussi B. Schneier, « Power in the Age of the Feudal Internet », MIND, 2013.
[16] Voir L. Lessig, Code: And Other Laws of Cyberspace, Version 2.0, New York, Basic Books, 2006 ; J. Reidenberg, « Lex Informatica: The Formulation of Information Policy Rules through Technology », Tex. Law Rev., 76.
[17] V. Karavas, « Governance of virtual worlds and the quest for a digital constitution », Governance of Digital Game Environments and Cultural Diversity: Transdisciplinary Enquiries, Cheltenham-Northampton, Edward Elgar Publishing, 2010 ; V. Karavas et G. Teubner, « Www.CompanyNameSucks.com: The Horizontal Effect of Fundamental Rights on “Private Parties” within Autonomous Internet Law », Constellations, 12.
[18] L.A. Bygrave, « Lex Facebook », Internet Governance by Contract, Oxford, Oxford University Press, 2015.
[19] E. Celeste, « Terms of service and bills of rights: new mechanisms of constitutionalisation in the social media environment? », Int. Rev. Law Comput. Technol., 33.
[20] Camera dei Deputati, « Declaration of Internet Rights » ; voir O. Pollicino et M. Bassini (dir.), Verso un Internet Bill of Rights, Aracne, 2015.
[21] M. Santaniello, N. Palladino, M.C. Catone et P. Diana, op. cit., Int. Commun. Gaz., 80.
[22] Ibid., p. 325 ff.
[23] Ibid., p. 333.
[24] L. Gill, D. Redeker et U. Gasser, Towards Digital Constitutionalism? Mapping Attempts to Craft an Internet Bill of Rights, 2015 ; pour une re-élaboration du même article, voir D. Redeker, L. Gill et U. Gasser, « Towards digital constitutionalism? Mapping attempts to craft an Internet Bill of Rights », Int. Commun. Gaz., 80.
[25] A. Pettrachin, « Towards a universal declaration on internet rights and freedoms? », Int. Commun. Gaz., 80.
[26] L. Gill, D. Redeker et U. Gasser, Towards Digital Constitutionalism?, op. cit., p. 3.
[27] Voir C. Padovani, F. Musiani et E. Pavan, « Investigating Evolving Discourses on Human Rights in the Digital Age: Emerging Norms and Policy Challenges », Int. Commun. Gaz., 72 ; R.H. Weber, Principles for governing the internet: a comparative analysis, UNESCO, 2015.
[28] Cf. K.M. Yilma, « ’Bill of rights for the 21st century: some lessons from the Internet Bill of Rights movement’ », Int. J. Hum. Rights, août 2021.
[29] C. Padovani et M. Santaniello, « Digital constitutionalism: Fundamental rights and power limitation in the Internet eco-system », Int. Commun. Gaz., 80.
[30] E. Celeste, op. cit., Int. Rev. Law Comput. Technol., 33.
[31] E. Celeste, ibid., p. 88.
[32] Le concept de « généralisation et re-spécification » a été emprunté par Teubner: see G. Teubner, Constitutional Fragments, op. cit. ; pour une application dans le contexte du constitutionalisme numérique, voir E. Celeste, « Internet Bills of Rights: Generalisation and Re-Specification Towards a Digital Constitution », Indiana J. Glob. Leg. Stud., 30.
[33] E. Celeste, « The Constitutionalisation of the Digital Ecosystem: Lessons from International Law », Digital Transformations in Public International Law, A. Golia, M.C. Kettemann et R. Kunz (dir.), Baden-Baden, Nomos, 2022.
[34] E. Celeste, op. cit., Int. Rev. Law Comput. Technol., 33.
[35] E. Celeste, op. cit., The Constitutionalisation of the Digital Ecosystem.
[36] Cf. A. Peters, op. cit., Leiden J. Int. Law, 19 ; voir E. Celeste, op. cit., The Constitutionalisation of the Digital Ecosystem.
[37] Pour une analyse plus détaillée de ces trois exemples, voir E. Celeste, Digital constitutionalism, op. cit., chapitre 4.
[38] Voir E. Celeste, « Internet Bills of Rights: Generalisation and Re-Specification Towards a Digital Constitution », Indiana J. Glob. Leg. Stud., 2023, qui reprend une expression initialement employée dans Christoph B. Graber, « Bottom-up Constitutionalism: The Case of Net Neutrality », Transnational Legal Theory 7 (2016), 524, 551.
[39] E. Celeste, Digital constitutionalism, op. cit.
[40] E. Celeste, ibid., p. 209 ff.
[41] O. Pollicino, Judicial protection of fundamental rights on the internet: a road towards digital constitutionalism?, Oxford, Hart, 2021
[42] Voir notamment ibid., p. 5.
[43] G. De Gregorio, Digital Constitutionalism in Europe: Reframing Rights and Powers in the Algorithmic Society, 1re éd., Cambridge University Press, 2022.
[44] Ibid.
[45] Pour une perspective comparée entre Europe et Etats-Unis, voir G. De Gregorio, « Digital constitutionalism across the Atlantic », Glob. Const., 11; pour une anlyse d’une perspective plus ample, centrée sur le thème de la gouvernance d’Internet, voir G. De Gregorio et R. Radu, « Digital constitutionalism in the new era of Internet governance », Int. J. Law Inf. Technol., 30.
[46] Pereira et Keller ont été les premierès à remarquer cette tendance en relation avec l’informatique quantique, voir J.R.G. Pereira et C.I. Keller, op. cit., Rev. Direito E Práxis, 13.
[47] M. Wimmer et T.G. Moraes, « Quantum Computing, Digital Constitutionalism, and the Right to Encryption: Perspectives from Brazil », Digit. Soc., 1.
[48] Voir https://www.quantumconstitutionalism.org/.
[49] En ce sens, voir E. Celeste, Digital constitutionalism, op. cit., p. 2.
[50] J.R.G. Pereira et C.I. Keller, op. cit., Rev. Direito E Práxis, 13.
[51] Dans ce groupe elles mentionnent: D. Redeker, L. Gill et U. Gasser, op. cit., Int. Commun. Gaz., 80 ; C. Padovani et M. Santaniello, « Digital constitutionalism: Fundamental rights and power limitation in the Internet eco-system », Int. Commun. Gaz., 80 ; E. Celeste, op. cit., Int. Rev. Law Comput. Technol., 33.
[52] J.R.G. Pereira et C.I. Keller, op. cit., Rev. Direito E Práxis, 13, p. 2669 ; Dans ce groupe sont mentionnés: O. Pollicino, Judicial protection of fundamental rights on the internet, op. cit. ; M. Wimmer et T.G. Moraes, op. cit., Digit. Soc., 1.
[53] Voir G.F. Mendes et V. Oliveira Fernandes, op. cit., Rev. Bras. Direito, 16.
[54] J.R.G. Pereira et C.I. Keller, op. cit., Rev. Direito E Práxis, 13, p. 2672, traduction de l’auteur.
[55] J.R.G. Pereira et C.I. Keller, ibid., p. 2672.
[56] Dans ce groupe sont mentionnés: N. Suzor, T. Van Geelen et S. Myers West, « Evaluating the legitimacy of platform governance: A review of research and a shared research agenda », Int. Commun. Gaz., 80 ; A. Golia, « The Critique of Digital Constitutionalism » ; G. De Gregorio, Digital Constitutionalism in Europe, op. cit.
[57] F. de Abreu Duarte, G. De Gregorio et A. Golia, « Perspectives on Digital Constitutionalism », Research Handbook on Law and Technology, B. Brożek, O. Kanevskaia et P. Pałka (dir.), Edward Elgar, 2023.
[58] J.R.G. Pereira et C.I. Keller, op. cit., Rev. Direito E Práxis, 13, p. 2669.
[59] O. Pollicino, Judicial protection of fundamental rights on the internet, op. cit. ; G. De Gregorio, Digital Constitutionalism in Europe, op. cit. ; G.F. Mendes et V. Oliveira Fernandes, op. cit., Rev. Bras. Direito, 16, qui en réalité reconnaissent aussi le rôle d’une pluralité d’autres sources, même celles émergeant au-delà de l’État, dans le cadre du constitutionnalisme numérique.
[60] B. Fitzgerald, « Software as discourse? The challenge for information law », Eur. Intellect. Prop. Rev., 22 ; N. Suzor, op. cit., Berkeley Technol. Law J., 25.
[61] L. Floridi, « The European Legislation on AI: a Brief Analysis of its Philosophical Approach », Philos. Technol., 34. Avec l’expression « hexagramme », Floridi fait référence à la loi sur l’IA, au RGPD, aux lois sur les marchés numériques, la loi sur les services numériques, la loi sur la gouvernance des données et le règlement européen sur l’espace des données de santé.
[62] Voir C. Padovani, F. Musiani et E. Pavan, op. cit., Int. Commun. Gaz., 72 ; D. Redeker, L. Gill et U. Gasser, op. cit., Int. Commun. Gaz., 80 ; K.M. Yilma, « Digital privacy and virtues of multilateral digital constitutionalism—preliminary thoughts », Int. J. Law Inf. Technol., 25 ; E. Celeste, op. cit., Int. Rev. Law Comput. Technol., 33 ; M. Santaniello, N. Palladino, M.C. Catone et P. Diana, op. cit., Int. Commun. Gaz., 80 ; E. Celeste, N. Palladino, D. Redeker et K. Yilma, The Content Governance Dilemma: Digital Constitutionalism, Social Media and the Search for a Global Standard, Cham, Palgrave Macmillan, 2023 ; A. Golia, « The Critique of Digital Constitutionalism ».
[63] Voir E. Celeste, Digital Constitutionalism: Mapping the Constitutional Response to Digital Technology’s Challenges, 2018 ; E. Celeste, op. cit., Int. Rev. Law Comput. Technol., 33.
[64] Voir E. Celeste, op. cit., The Constitutionalisation of the Digital Ecosystem.
[65] Voir M. Santaniello, N. Palladino, M.C. Catone et P. Diana, op. cit., Int. Commun. Gaz., 80.
[66] E. Celeste, Digital constitutionalism, op. cit., p. 13.
[67] J.R.G. Pereira et C.I. Keller, op. cit., Rev. Direito E Práxis, 13, p. 2652.
[68] F. de Abreu Duarte, G. De Gregorio et A. Golia, op. cit., Research Handbook on Law and Technology.
[69] Voir P. Dobner et M. Loughlin (dir.), The Twilight of Constitutionalism?, op. cit.
[70] Voir R. Hirschl, Towards Juristocracy: The Origins and Consequences of the New Constitutionalism, Cambridge, MA, Harvard University Press, 2007 ; S. Gill et A.C. Cutler (dir.), New Constitutionalism and World Order, Cambridge, Cambridge University Press, 2014 ; D. Nolte et A. Schilling-Vacaflor (dir.), New constitutionalism in Latin America: promises and practices, Farnham, Surrey ; Burlington, VT, Routledge, 2012 ; R. Gargarella, « Sobre el “Nuevo constitucionalismo latinoamericano” », Rev. Urug. Cienc. Política, 27.
[71] E. Celeste, op. cit., Int. Rev. Law Comput. Technol., 33, p. 77 ; voir aussi M. Cranston, « Ideology », Encyclopedia Britannica, 2014.
[72] R. Griffin, « A progressive view of digital constitutionalism ».
[73] A. Golia, « The Critique of Digital Constitutionalism », p. 12.
[74] A. Golia, ibid., p. 12.
[75] J. Zittrain, « A Bill of Rights for the Facebook Nation ».
[76] Voir E. Celeste, op. cit., Int. Rev. Law Comput. Technol., 33, p. 123.
[77] Voir K. Klonick, « The Facebook Oversight Board: Creating an Independent Institution to Adjudicate Online Free Expression », Yale Law J., 129 ; W. Schulz, « Changing the Normative Order of Social Media from Within: Supervisory bodies », Constitutionalising Social Media, E. Celeste, A. Heldt et C. Iglesias Keller (dir.), Hart, 2022.
[78] Voir E. Celeste, N. Palladino, D. Redeker et K. Yilma, The Content Governance Dilemma, op. cit., p. 2.
[79] E. Celeste, op. cit., Int. Rev. Law Comput. Technol., 33.
[80] Voir E. Celeste, ibid., p. 128 ; J.R.G. Pereira et C.I. Keller, op. cit., Rev. Direito E Práxis, 13, p. 2651 et 2656, qui parlent de « simple dispositif rhétorique », de « constitutions sémantiques ou de façade » ; R.Á. Costello, « Faux ami? Interrogating the normative coherence of ‘digital constitutionalism’ », Glob. Const., 12, qui parle d’une « rhétorique descriptive du constitutionnalisme ».
[81] J.R.G. Pereira et C.I. Keller, op. cit., Rev. Direito E Práxis, 13, p. 2656.
[82] K. Albert, « Beyond Legal Talismans » ; voir aussi E. Celeste, op. cit., Int. Rev. Law Comput. Technol., 33.
[83] Voir J.R.G. Pereira et C.I. Keller, op. cit., Rev. Direito E Práxis, 13, p. 2652 qui parlent d’une « instrumentalisation du « constitutionnalisme » à des fins antilibérales et de leur transposition dans des dynamiques supraétatiques voire privées » (traduction de l’auteur).
[84] J.R.G. Pereira et C.I. Keller, ibid., p. 2656.
[85] J.R.G. Pereira et C.I. Keller, ibid., p. 2675.
[86] Voir C.H. McIlwain, Constitutionalism: Ancient and Modern, Indianapolis, Amagi, originally published by Cornell University Press, 1947, 2007 ; A. Sajó, Limiting Government: An Introduction to Constitutionalism, Budapest ; New York, Central European University Press, 1999 ; A. Sajó et R. Uitz, The Constitution of Freedom: An Introduction to Legal Constitutionalism, Oxford, Oxford University Press, 2017
[87] Sur l’idée d’utiliser des éléments du droit constitutionnel pour décrire la dynamique des acteurs privés, voir N. Suzor, op. cit., Soc. Media Soc., 4 ; V. Karavas, op. cit., Governance of Digital Game Environments and Cultural Diversity: Transdisciplinary Enquiries ; G. Teubner, Constitutional Fragments, op. cit. ; E. Celeste, op. cit., Int. Rev. Law Comput. Technol., 33.
[88] J.R.G. Pereira et C.I. Keller, op. cit., Rev. Direito E Práxis, 13, p. 2676.
[89] R.Á. Costello, op. cit., Glob. Const., 12, p. 8 ff.
[90] R.Á. Costello, ibid., p. 15.
[91] R.Á. Costello, op. cit., Glob. Const., 12.
[92] Ici, je réélabore avec mes propres mots, un argument présenté oralement par le professeur Alessandro Mantelero à l’atelier « Digital Constitutionalism. A Normative And Institutional Framework For Conflict Solving Under Construction » (Francfort, 3-4 mars 2023).
[93] K.M. Yilma, op. cit., Int. J. Law Inf. Technol., 25 ; dans le même sens, voir aussi K.M. Yilma, op. cit., Int. J. Hum. Rights, août 2021.
[94] K.M. Yilma, op. cit., Int. J. Law Inf. Technol., 25, p. 125.
[95] K.M. Yilma, ibid., p. 126.
[96] E. Celeste, Digital constitutionalism, op. cit., p. 3 ss.
[97] Voir E. Celeste, op. cit., Int. Rev. Law Comput. Technol., 33.
[98] Voir J.R.G. Pereira et C.I. Keller, op. cit., Rev. Direito E Práxis, 13, p. 2676 ss.
[99] J.R.G. Pereira et C.I. Keller, ibid., p. 2651 ; pour une analyse du droit constitutionnel international, voir E. Celeste, op. cit., The Constitutionalisation of the Digital Ecosystem.
[100] R.Á. Costello, op. cit., Glob. Const., 12, p. 8.
[101] Sur la notion de constitutionnalisme « compensatoire », voir A. Peters, op. cit., Leiden J. Int. Law, 19 ; pour une adaptation de cette théorie au contexte numérique, voir E. Celeste, op. cit., Indiana J. Glob. Leg. Stud., 30 ; E. Celeste, op. cit., The Constitutionalisation of the Digital Ecosystem.
[102] Voir E. Celeste, op. cit., Indiana J. Glob. Leg. Stud., 30.
[103] Voir E. Celeste, Digital constitutionalism, op. cit., p. 13.
[104] Voir E. Celeste, Digital constitutionalism, op. cit..