Droits fondamentaux et droit international privé. Réflexion en matière personnelle et familiale
Thèse soutenue le 6 décembre 2018 à l’Université Paris II Panthéon-Assas devant un jury composé des Professeurs Louis d’Avout, Sylvain Bollée (rapporteur), Lena Gannagé (directrice), Petra Hammje (rapporteure) et Fabien Marchadier (président)
La thèse propose une relecture des relations du droit international privé et des droits fondamentaux en matière personnelle et familiale. Bien que le sujet ait déjà fait l’objet de travaux importants et nombreux, ses potentialités sans cesse renouvelées appellent une nouvelle réflexion d’ensemble.
La thèse épouse une démarche pragmatique en distinguant le problème de droit international privé de ses solutions. Tandis que la première partie porte sur « les droits fondamentaux et le problème de droit international privé », la seconde vise « les droits fondamentaux et les solutions de droit international privé ».
La première partie expose dans quelle mesure et de quelle manière l’essor des droits fondamentaux a modifié le problème de droit international privé. Dans cette perspective, les données du problème ont été distinguées de son analyse.
Aussi l’« évolution des données du problème de droit international privé » est-elle démontrée dans un premier titre. Saisi par les droits de l’homme, le phénomène de la frontière s’est profondément transformé. Les droits fondamentaux ont, d’une part, modifié la configuration de l’espace mondial à partir de laquelle a été pensé le problème de droit international privé. Ils ont en effet établi des connexions normatives et juridictionnelles entre les ordres juridiques étatiques. Or ces connexions atténuent l’indépendance des ordres juridiques étatiques et réduisent leur hétérogénéité en favorisant leurs rapprochements substantiels et structurels. L’existence même du problème de droit international privé n’est toutefois pas remise en cause par cette évolution. La question de la coordination des ordres juridiques étatiques reste toujours entière, ce d’autant plus que les droits fondamentaux promeuvent, d’autre part, la mobilité internationale des personnes. Ce faisant, ils contribuent à l’intensification, à la diversification et à la dérégulation des flux transfrontaliers. Une telle évolution rejaillit également sur le problème de droit international privé : la multiplication des relations privées internationales banalise la discipline ; la diversification de la mobilité la complexifie ; la normalisation des flux transfrontaliers ouvre, enfin, la porte au libéralisme.
Le second titre est consacré à la « transformation de l’analyse du problème de droit international privé ». Ses termes sont, d’abord, redéfinis par les droits fondamentaux. Sous le prisme des droits de l’homme, le conflit d’ordres juridiques se présente sous la forme d’un conflit de valeurs incarnées en intérêts. Le conflit entre les points de vue étatiques abstraits et/ou concrets est ainsi reformulé en conflit entre l’intérêt de la personne au respect de son droit fondamental, d’une part, et l’intérêt général du for de poursuivre sa réglementation de droit international privé, d’autre part. Ce changement de perspective se constate tant dans la jurisprudence supranationale que dans la jurisprudence nationale, lorsque les droits fondamentaux sont appliqués aux contentieux civils internationaux. Or un tel changement modifie la perception traditionnelle du problème de droit international privé : les normes sont éclipsées par les valeurs, le point de vue étatique étranger est ignoré, la distinction des règles et des décisions est abandonnée, l’internationalité de la situation est effacée et la distinction du droit public et du droit privé est transcendée. En négligeant les concepts fondateurs du droit international privé, les droits fondamentaux participent assurément à l’érosion de son paradigme. Ils ne provoquent pas sa rupture pour autant, dans la mesure où les objectifs poursuivis par la discipline sont, par ailleurs, confortés par les droits de l’homme. Ces derniers peuvent, en effet, autant protéger la continuité des situations juridiques que défendre la cohésion de l’ordre interne. Les droits fondamentaux subordonnent toutefois la réalisation des objectifs du droit international privé au respect de la personne humaine. Du moins, dans l’idéal. Car les droits de l’homme sont innervés par des philosophies nombreuses et variées. Pour les extirper de l’individualisme auquel ils sont trop souvent assignés, les droits fondamentaux devraient avoir pour seule finalité la protection de la personne humaine. Toujours est-il que cette finalité inspirée du personnalisme ne prescrit pas de hiérarchie entre les objectifs du droit international privé. Elle invite, au contraire, à les concilier abstraitement, lors de l’élaboration de la réglementation des relations privées internationales et, concrètement, lors de son application. L’intervention des droits fondamentaux dans les contentieux civils internationaux conduit dès lors à mettre en balance les intérêts poursuivis par la discipline. Or une telle opération remet potentiellement en cause la primauté dont bénéficie classiquement la défense de la cohésion de l’ordre interne lorsqu’elle s’oppose à la protection de la continuité des situations juridiques. Les solutions de droit international privé risquent dès lors d’être perturbées.
La seconde partie s’attache à évaluer cette perturbation en établissant d’abord un diagnostic pour rechercher ensuite des remèdes.
Le premier titre a pour objet de déterminer l’origine et l’ampleur de « la perturbation des solutions de droit international privé » par les droits fondamentaux. Il est focalisé sur la proportionnalité. Technique de réalisation des droits de l’homme, la proportionnalité est naturellement employée par les juges européens lorsque les contentieux civils internationaux sont soumis à leur appréciation. Elle consiste à vérifier que l’énoncé ou l’application de la norme au cas d’espèce est adéquat, nécessaire et proportionné stricto sensu au regard des intérêts en conflit. Si la proportionnalité favorise la casuistique, la technique est surtout inédite en droit international privé. Non seulement la proportionnalité ne peut être réduite à l’exception d’ordre public international mais elle exclut également toute assimilation des droits fondamentaux aux méthodes de droit international privé inspirées de l’unilatéralisme et du fonctionnalisme. Toujours est-il que la mise en œuvre de la proportionnalité a une incidence inégale sur la discipline. Ses méthodes sont, d’un côté, épargnées. En effet, les droits fondamentaux ne remplacent pas, ne prescrivent pas et n’évincent pas de méthodes de règlementation. L’extension de la méthode de la reconnaissance ne saurait dès lors être imputée aux décisions supranationales rendues sur le fondement des articles 8 de la CEDH et 21 du TFUE. D’un autre côté, le contrôle de proportionnalité a une incidence prononcée sur les solutions de droit international privé. L’analyse de la jurisprudence européenne révèle une tendance à privilégier la continuité des situations juridiques sur la défense de la cohésion de l’ordre interne. Or cette tendance s’inscrit à rebours de celle du droit international privé. Bien que la Cour de Strasbourg et la Cour de Luxembourg ne consacrent pas de droit fondamental à la continuité des situations juridiques, pas plus qu’elles n’imposent aux ordres juridiques étatiques d’obligation générale de reconnaissance des situations, force est d’admettre qu’elles pressent aujourd’hui la discipline à libéraliser ses solutions.
L’avenir de cette évolution est discuté dans le second titre dans la « tentative de rationnaliser » l’emploi des droits fondamentaux dans les contentieux civils internationaux. Pour ce faire, les orientations à privilégier ont d’abord été déterminées. Le contrôle de proportionnalité présente incontestablement certaines faiblesses. Les solutions déterminées à partir des droits fondamentaux souffrent d’un manque de légitimité et perdent en prévisibilité. Ceci étant, le contrôle de proportionnalité possède également des vertus en droit international privé. Il permet, d’une part, de sauvegarder l’opportunité des règles matérielles, en excluant l’application des règles odieuses et imparfaites, et d’autre part, de renforcer l’efficacité des règles indirectes par la réalisation et le dépassement de la communauté de droit. Ainsi convaincu de l’utilité du contrôle de proportionnalité et de la nécessité de composer avec l’existence des Cours européennes, des propositions ont ensuite été recherchées pour mieux encadrer l’application contentieuse des droits fondamentaux en droit international privé. En dissociant les droits de l’homme de l’ordre public international, les solutions pourraient, d’une part, être clarifiées. En corrigeant la mise en œuvre du contrôle de proportionnalité, elles pourraient, d’autre part, gagner en légitimité et en prévisibilité. A cet égard, il est proposé de cantonner le contrôle de proportionnalité par son exclusion, en cas d’abus de droit fondamental, et par sa nationalisation. L’adoption d’une méthodologie commune aux ordres juridiques étatiques et l’amélioration de la motivation des décisions de justice permettraient, enfin, de rationaliser son emploi. A ces conditions pourrait, nous l’espérons, se reconstruire l’équilibre entre protection des droits et autorité du droit, entre continuité des situations juridiques et cohésion de l’ordre interne et entre juge supranational et juge national.