La diligence des sociétés transnationales en matière de droits fondamentaux – Étude de droit comparé (droit français et droit anglais)
Thèse soutenue le 25 juin 2022 à l’Université Paris Nanterre sous la direction de M. le Professeur Emmaniel Dockès (Université Paris Nanterre) devant un jury composé de Mme la Professeure Muriel Fabre-Magnan (Université Paris 1 Panthéon – Sorbonne, présidente du jury), Mme la Professeure Irina Parachkévova-Racine (Université Côte d’Azur, rapporteure), M. le Professeur Fabrice Rosa (Université de Reims Champagne – Ardenne, rapporteur), Mme la Professeure Anne Danis-Fatôme (Université Paris Nanterre), M. le Professeur Nicola Countouris (University College London).
Par Juliette Camy, docteure en droit
Devoir de vigilance, diligence raisonnable, duty of care… la diligence des sociétés transnationales en matière de droits fondamentaux se décline aujourd’hui dans les droits nationaux et supranationaux. Les deux standards de diligence étudiés, le devoir de vigilance en droit français et le duty of care en droit anglais, procèdent d’une logique commune et préfigurent de nouveaux instruments de portée transnationale. Ils ont ouvert la voie au projet de traité international sur les entreprises et les droits de l’Homme et à la directive européenne sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité.
La loi française du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre prévoit l’élaboration et la mise en œuvre effective d’un plan de vigilance rendu public par les grandes sociétés. En cas de manquement à ces obligations, elle ouvre la possibilité de demander au juge d’enjoindre la société à agir. Elle permet aussi de poursuivre la société sur le fondement de la responsabilité civile afin de réparer les dommages résultant de la faute de vigilance. La common law anglaise ouvre depuis peu la possibilité de poursuivre une société transnationale sur le fondement du délit de négligence pour manquement à son duty of care. Une action en responsabilité civile est rendue possible. La responsabilité de la société pourra être engagée pour une faute (breach of duty) ayant entraîné un dommage.
La thèse propose une comparaison systématique des règles encadrant le devoir de vigilance et le duty of care. Combinant obligations de prévention et responsabilité juridique en cas de manquement, l’effectivité de la protection des droits fondamentaux est recherchée dans les deux ordres juridiques selon des procédés aux nombreux traits communs. L’étude est menée au vu d’autres systèmes juridiques et au vu des droits international et européen. Elle révèle le développement d’un standard juridique de diligence des sociétés transnationales en matière de droits fondamentaux. Et en retour ce standard éclaire les règles dans les ordres juridiques étudiés. Norme de comportement au contenu variable et déterminé par les circonstances de droit ou de fait, la diligence permet l’extension du périmètre de la protection des droits fondamentaux jusqu’aux limites du pouvoir de la société transnationale. Ainsi concourt-elle à l’encadrement juridique des activités des sociétés en appréhendant, par le droit, d’une part la construction réticulaire des chaînes de valeur transnationales, et d’autre part la prolifération des normes d’autorégulation et de droit souple à l’échelle mondiale.
L’étude s’articule autour de deux axes : le rôle de la diligence des sociétés transnationales dans la prévention des atteintes aux droits fondamentaux et l’action en justice mise en œuvre pour sanctionner la faute de diligence des sociétés transnationales.
La première partie de l’étude porte sur la prévention. Elle montre que les engagements volontaires constituent l’essentiel des démarches engagées par les sociétés transnationales. La diligence, combinée au standard classique du raisonnable, est le moyen d’un renouvellement limité des pratiques. Plus avant, la diligence tend à justifier l’immixtion d’une société dans les activités d’une autre société à des fins de prévention. Dans ce cadre, les parties prenantes de la société ne jouent qu’un rôle résiduel. L’étude revisite la théorie des parties prenantes à l’aune de leur association, limitée, à la mise en œuvre de la diligence. Elle insiste sur le développement des accords-cadres transnationaux qui pourraient jouer un rôle central dans la perspective d’un renforcement des prérogatives des parties prenantes. Pour l’heure, elle souligne aussi que le levier majeur du respect de la diligence, à la disposition de toutes les parties prenantes justifiant d’un intérêt à agir, est judiciaire.
La seconde partie de la thèse porte sur la sanction de la négligence. Elle recouvre un aspect central de l’étude, justifiant une approche de droit comparé : l’avènement d’une responsabilité juridique des sociétés transnationales en matière de droits fondamentaux. Dans l’optique d’une action en justice, l’étude porte d’abord sur la détermination de la juridiction compétente et de la loi applicable. S’agissant ensuite des conditions de fond de l’action en responsabilité, la recherche d’une faute de diligence ayant causé un dommage ne fait bénéficier d’un traitement judiciaire que les manquements les plus graves. Plusieurs recommandations sont formulées. La construction de la responsabilité de la société transnationale devrait s’affranchir de l’exigence d’une faute au profit d’une responsabilité objective du fait d’autrui. Le jeu des présomptions est aussi envisagé. Enfin, l’engagement de la responsabilité personnelle du dirigeant pour faute de diligence est étudié.
En définitive, une telle étude de droit comparé propose une réflexion plus générale sur la diligence raisonnable et offre de précieuses clés de lecture de la nouvelle directive européenne sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité.