L’arbitrage CIRDI face aux droits de l’homme [Résumé de thèse]
L’arbitrage CIRDI face aux droits de l’homme
Par Jonathan Proust
Thèse de doctorat soutenue le 22 novembre 2013, sous la direction de Mme le professeur Muir Watt à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne.
Le jury était présidé par M. le professeur Thomas Clay (Université Versailles Saint-Quentin). Les rapporteurs étaient MM. les professeurs Emmanuel Gaillard (Sciences Po) et Eric Loquin (Université de Bourgogne). M. Walid Ben Hamida complétait le jury (Université d’Evry Val-d’Essonne).
La thèse de doctorat intitulée « l’arbitrage CIRDI face aux droits de l’Homme » se propose d’étudier les rapports entre deux branches du droit international public que sont le droit des investissements transnationaux et les droits de l’Homme à l’aune de la crise contemporaine du Centre international de règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI). Cette institution arbitrale a compétence pour trancher les différends survenant entre les investisseurs étrangers et les États d’accueil, par l’insertion d’une clause d’arbitrage dans le contrat d’investissement ou via une offre d’arbitrage que l’on trouve dans les traités bilatéraux d’investissement (TBI) ou la loi nationale. Cette offre d’arbitrage permet ainsi à l’investisseur étranger de poursuivre l’État d’accueil qui se rendrait coupable de violations des stipulations contractuelles ou conventionnelles.
Alors que l’arbitrage CIRDI fut souhaité ab initio par les acteurs du commerce international en raison de la dépolitisation des conflits survenant entre États et investisseurs étrangers, celui-ci est aujourd’hui contesté par une « frange d’États » qui dénonce son prétendu positionnement jurisprudentiel en faveur des investisseurs étrangers. Ainsi, le Centre favoriserait la protection des investissements directs étrangers au détriment des droits de l’Homme. Cette problématique peut sembler surprenante dans la mesure où le droit des investissements a vocation à protéger la stabilité des investissements et non les droits de l’Homme. Cependant, face à l’émergence d’une contestation grandissante qui a conduit certains États à dénoncer la Convention CIRDI, nous nous sommes appesantis sur le CIRDI, juge usuel du contentieux relatif aux investissements transnationaux. Pour se faire, nous avons mené une analyse des sentences du CIRDI depuis sa création afin de distinguer l’apparence de la réalité des critiques dirigées contre l’institution arbitrale. Si les droits de l’Homme dits de la « première génération » ont été consacrés à de nombreuses reprises par l’arbitre du CIRDI (dans de célèbres sentences telles que Yukos ou Pey Casado où il a notamment pu consacrer le droit à un procès équitable) cette démarche s’est cependant révélée décevante dans la mesure où nous n’avons pu que constater l’absence de consécration des droits de l’Homme de la « deuxième » et de la « troisième » génération. Par conséquent, un inventaire exhaustif des sentences dans le corps de la thèse s’est révélé inutile.
Cependant, l’arbitre du CIRDI, sous la pression de la société civile et des États d’accueil en voie de développement, a tenté de concilier les droits de l’Homme de la « deuxième » et de la « troisième » génération et ceux des investisseurs étrangers. C’est pourquoi ce juge arbitral a procédé à un rééquilibrage du droit des investissements transnationaux. C’est ce que notre étude a voulu mettre en exergue dans sa première partie en constatant les modifications substantielles des sources du droit des investissements (nouveaux TBI par exemple et possible extension de l’ordre public transnational) et de la méthodologie de l’arbitre (avènement du principe de proportionnalité dans l’arbitrage CIRDI, s’inspirant de la méthodologie de la Cour européenne des droits de l’Homme). Mais le changement ne s’arrête pas là. Afin de garantir une application effective des droits de l’Homme, l’institution a dû évoluer d’un point de vue structurel. Car les règles de désignation des arbitres ainsi que leur impartialité sont contestées, ce qui a conduit les parties à s’interroger sur la pérennité d’un système privilégié originellement pour sa neutralité. La publicisation du contentieux relevant de la compétence du CIRDI nécessite l’ouverture du Centre (notamment par le mécanisme des amici curiae) et un renforcement des exigences relatives à la qualité des arbitres. En l’absence de juge international du différend économique, le CIRDI occupe le vide laissé résultant de l’impossible consensus interétatique dans la création d’une Cour dédiée à ces questions.
Mais force est de constater que la crise du CIRDI perdure malgré cette impulsion nouvelle ; les contestations à son endroit persistent. L’absence de responsabilité des sociétés transnationales cristallise les critiques d’une partie des États qui revendiquent une évolution du droit des investissements. Les sociétés transnationales structurées autour d’une société mère et de filiales échappent en effet assez largement à toute forme de responsabilité. Il n’existe pas de cadre juridique international contraignant qui permettrait de mettre en jeu efficacement leur responsabilité. Le droit des investissements lui-même permet à la société transnationale de jouir des avantages du droit international, sans toutefois lui imposer de quelconques obligations. Les TBI par exemple ne prévoient pas d’obligations à l’encontre de ces sociétés qui jouissent pourtant du bénéfice des traités. De même, seuls les investisseurs ont la possibilité de débuter une procédure devant le CIRDI, ce qui rend tout recours de la part de l’État d’accueil impossible en cas de violation des droits de l’Homme par l’investisseur étranger. Ce déséquilibre irrite les États d’accueil qui demandent une refondation du droit des investissements. C’est pourquoi, notre étude propose dans sa seconde partie une prise en compte de la soft law (droit souple) par l’arbitre du CIRDI, qui permettrait de consacrer la responsabilité des sociétés transnationales qui échappent de jure assez largement à toute forme de responsabilité.
Loin d’être une révolution, nous avons tenté de démontrer que l’arbitre du CIRDI dispose des moyens juridiques suffisants pour consacrer cette normativité renouvelée, injustement qualifiée de « droit mou » par une partie de la doctrine. Le Conseil d’État qui vient d’ailleurs de lui consacrer son dernier rapport a fait évoluer sa sémantique en abandonnant la notion de « droit mou » (sémantique usitée dans un précédent rapport de 1981) au profit du « droit souple », consacrant ainsi la normativité de celle-ci.
Ainsi, envisagée ab initio comme un outil de marketing et de communication par les sociétés transnationales, la soft law matérialisée dans des codes de conduite privés pourrait constituer un moyen d’engager la responsabilité des sociétés transnationales lorsque celles-ci violent les droits de l’Homme. Ceux-ci sont déjà largement contractualisés dans les contrats d’investissements transnationaux ou visés par le contrat.
Les États dépossédés de leurs compétences régaliennes par les sociétés transnationales dans la protection des droits de l’Homme font également leur « retour » en droit international.
Vilipendés dans le triptyque de John Ruggie pour leur incapacité à protéger efficacement les droits de l’Homme, les États se les réapproprient au travers de codes de conduite publics sous l’égide d’organisations internationales. Ces codes de conduite publics et privés constituent subséquemment un moyen de prendre en compte la responsabilité des sociétés transnationales dans l’arbitrage CIRDI. L’émergence de ce droit global devrait permettre de pérenniser l’arbitrage d’investissement. L’étude du jus cogens nous a permis de proposer une solution alternative. Les règles impératives du droit international public permettent en tout état de cause à l’arbitre de maintenir une éthique des affaires transnationales.
Résumé en anglais :
Solving litigations relative to transnational investments contracts often widely slips out of the state jurisdictions and to the benefit of investment arbitration. In this respect, the International Centre for Settlement of Investment Disputes (ICSID) turns out to be an arbitration institution offering neutral dispute-solving mechanisms.
Nevertheless, this institution seems to be facing recently a legitimacy crisis. The ICSID is confronted to accusations of lack of neutrality by a segment of the hosting states, in regards to its tendency to further protect the rights of foreign investors instead of the Human Rights. The Centre is under such pressure that it has been aiming at reforming its processes and structure so as to introduce new values, which were until now outbound the investment arbitration circle.
Yet, despite efforts to find a new balance and despite greater consideration for the Human Rights on behalf of the ICSID, several states keep threatening to leave the Centre.
What are the current tools at the disposal of the arbitrator in order to promote the Human Rights while being on the other hand tied to the parties’ nomination and to the “electio juris” clause?
After noting that the process of rebalancing implemented by the Centre’s arbitrator remains dissatisfactory, this thesis aims at studying and offering judicial mechanisms which would allow the arbitrator to enshrine a true liability of the transnational company. Such an evolution could actually happen through the account being taken of the – poorly so called – “soft law” which has yet to offer an adequate answer to the lack of binding normative framework & of responsibility from the transnational companies.
Salut. Je tiens tout d’abord à décliner mon admiration à l’auteur. En effet, cette recherche aborde des questions au cœur de nouvelles préoccupations du Droit International des Investissements.
Comme le fait remarquer l’auteur, le sujet étudié met en évidence le conflit entre les États et les sociétés transnationales. Mais au-delà de cette oppisition États/sociétés transnationales, ne peut- on pas y voir une opposition entre le Nord et le Sud? Tant la majorité des multinationales est d’origine du Nord. La fabrique des accords bilatéraux d’investissement est à questionner ici.Ma double formation de juriste et politiste me conduit à cette reflexion, qui est le produit d’un questionnement sur les dynamiques latentes de la réalité susmentionnée.
Je suis actuellement engagé dans de nombreuses recherches relatives au Droit International des Investissements,et disposé à être associé à d’autres.
NGOH EKOBE Jacques Charlie
Diplomate/ enseignant/ chercheur
Comment faire pour avoir copie de cette thèse intéressante. Son résumé est plein d’enseignement.
Vous pouvez contacter son auteur. A notre connaissance, il est avocat au Mans (72).
http://maitreproust.fr/