Protection du mineur et liberté d’expression sur internet. Etude comparée des droits français et américain à l’aune du droit européen et international [Résumé de thèse]
Protection du mineur et liberté d’expression et liberté d’expression sur internet. Etude comparée des droits français et américain
à l’aune du droit européen et international
Par Amélie Robitaille-Froidure
Thèse soutenue à l’Université Paris Ouest Nanterre la Défense le 6 décembre 2013.
Composition du jury : Mme la Professeure Véronique CHAMPEIL-DESPLATS, Université Paris Ouest – Nanterre La Défense, Directrice de thèse ; M. le Professeur Emmanuel DERIEUX, Université Panthéon-Assas, Rapporteur ; M. le Professeur Emmanuel DREYER, Université Paris Sud, Rapporteur ; M. le Professeur Yves POULLET, Facultés de droit de Namur et de Liège ; Mme Catherine PREBISSY-SCHNALL, Université Paris Ouest – Nanterre La Défense, Présidente et Mme Sylvia PREUSS-LAUSSINOTTE, Université Paris Ouest – Nanterre La Défense, Directrice de thèse.
Tandis que la liberté d’expression « sans considération de frontières » (Déclaration universelle des droits de l’homme, Résolution 217 A (III),10 décembre 1948, article 19) prend tout son sens sur Internet, le développement et la propagation massive de ce média ne se sont pas faits sans heurts. En effet, Internet est à la fois un formidable outil de communication et de connaissance et le terrain privilégié de nombreux abus de la liberté d’expression, notamment en matière de protection des mineurs. L’étude de la protection du mineur sur Internet requiert que soient prises en considération les spécificités de ce média, à savoir l’interactivité, la transnationalité et ses particularités techniques.
La présente thèse s’articule autour de deux problématiques : la pornographie enfantine et l’exposition des mineurs à des contenus susceptibles de leur être préjudiciables.
En effet, le caractère interactif d’Internet pousse à s’interroger sur les risques pesant sur le mineur dans le cadre de la liberté d’émettre des informations sur Internet, d’une part, et dans celui de la liberté d’en recevoir, d’autre part. Il est envisageable, pour ce faire, de distinguer le mineur « objet » et le mineur « sujet ». Le mineur peut être qualifié d’ « objet » lorsque la liberté d’expression est invoquée pour diffuser ou consulter des représentations pornographiques dans lesquelles des enfants sont « objectisés ». Il est ici question de la pédopornographie. La liberté d’expression peut également porter atteinte au mineur en tant que « sujet » lorsque celui-ci est susceptible d’être confronté à des messages qui pourraient lui être préjudiciables. La distinction entre le mineur « objet » et le mineur « sujet » permet une approche globale et cohérente des questions relatives à la protection du mineur sur Internet.
Outres les questions qui se posaient sur les médias traditionnels, l’avènement et l’implantation massive d’Internet, couplés à la convergence des médias et à un usage de plus en précoce et intensif des Technologies de l’Information et de la Communication par les enfants, ont entraîné de nouvelles pratiques qui présentent des risques inédits pour les mineurs.
Internet est venu multiplier les possibilités pour les éditeurs de pornographie enfantine de diffuser de tels contenus dont l’accès est, par là même, grandement facilité et a, par ailleurs, fortement augmenté leur nombre. Certes, les photographies et vidéos pornographiques mettant en scène des enfants existaient avant Internet. Cependant, les caractéristiques de ce média, telles que l’anonymat – ou, à tout le moins, le sentiment d’anonymat -, la mondialisation des échanges et le faible coût que requièrent la diffusion et la réception de messages dans le cyberespace, ont entraîné la prolifération de la pornographie enfantine sur Internet. En effet, face à la demande croissante des amateurs de pornographie enfantine, divers réseaux de cybercriminalité transnationale se sont tournés vers cette « activité ». Ces réseaux disposent de moyens financiers considérables – ses bénéfices seraient passés de vingt millions à vingt milliards de dollars annuels en moins de dix ans – et peuvent donc s’offrir les services de techniciens hautement qualifiés. Leur concours s’est avéré d’autant plus nécessaire que les Etats se sont attelés à développer divers mécanismes de filtrage et autres systèmes d’identification. Ces réseaux de criminalité transnationale – pour lesquels la pornographie enfantine constitue une « activité » parmi tant d’autres – ont donc déployé de nombreux efforts dans le but d’échapper aux poursuites et de déjouer les mesures de filtrage. Parallèlement, de nombreux réseaux d’amateurs de pornographie enfantine ont vu le jour. Ces derniers répondent à une organisation hiérarchiquement structurée et sont restreints à leurs seuls membres qui seraient, à ce jour, entre cinquante et cent mille répartis dans le monde entier.
Par ailleurs, le développement des Technologies de l’Information et de la Communication et, plus particulièrement, d’Internet s’est accompagné de modes de création inédits de matériels pédopornographiques. En 1996, l’opération « Cathédrale » – la première opération de démantèlement d’un réseau de pornographie enfantine menée à l’échelle internationale – est venue mettre en lumière l’un de ces modes de création inédit : la diffusion en direct d’abus sexuels commis à l’encontre de mineurs. De plus, l’interactivité propre à Internet permet, comme cela a été le cas dans cette affaire, aux récepteurs de ces vidéos de donner, en temps réel, des instructions sur les traitements à infliger à ces jeunes victimes. La pornographie enfantine virtuelle compte, elle aussi, parmi les modes de création inédits qu’a permis le développement des Technologies de l’Information et de la Communication. Celle-ci repose sur la conception d’outils permettant de créer des « images qui, bien que ‘‘réalistes’’, ne représentent pas, en fait, un enfant véritable se livrant à un comportement sexuellement explicite » (Rapport explicatif de la Convention sur la cybercriminalité, STE n°185, paragraphe 101). Internet est ensuite venu mettre à la disposition des amateurs de tels contenus les divers logiciels – parfois gratuits – permettant de créer des images totalement fabriquées par l’ordinateur mais également des images de morphing, c’est-à-dire des montages numériques d’images d’enfants dans des positions ou des situations sexuellement explicites. Enfin, la propagation d’Internet, et plus particulièrement, l’équipement croissant des adolescents en ordinateurs portables, smartphones et tablettes, a entraîné l’apparition du sexting. Celui-ci, qui consiste en la production et, parfois, la diffusion, avec ou sans leur consentement, de photographies et vidéos érotiques ou pornographiques dans lesquelles les adolescents se mettent eux-mêmes en scène, est devenu très populaire ces dernières années.
Ainsi, Internet est non seulement venu exacerber les questions relatives à la lutte contre la pornographie enfantine qui se posaient sur les médias traditionnels mais il a également entraîné de nouvelles pratiques. En revanche, en matière de protection du mineur contre les contenus susceptibles de lui être préjudiciables, Internet n’a pas soulevé de nouvelles difficultés. Néanmoins, ses caractéristiques techniques sont venues démultiplier les cas dans lesquels les mineurs sont susceptibles d’accéder – délibérément ou non – à des contenus – commerciaux ou non – violents ou pornographiques.
Il est vrai que de jeunes Internautes accèdent intentionnellement à des sites violents ou pornographiques. Cependant, nombreuses sont les occasions pour les mineurs qui ne le souhaitent pas de se trouver confrontés à de tels contenus. Ces expositions involontaires peuvent intervenir lors de l’affichage intempestif des fenêtres publicitaires (pop-up) ou encore de l’envoi de courriers électroniques non sollicités (spamming). Les mineurs peuvent également être exposés à des messages violents et pornographiques lorsqu’ils n’orthographient pas correctement une URL ou qu’ils visionnent des vidéos sur des sites comme Dailymotion ou You Tube. Le risque pour les mineurs d’être exposés à des contenus susceptibles de leur être préjudiciables est d’autant plus important que certains éditeurs de sites violents et pornographiques n’hésitent pas à utiliser des noms de domaine abusifs (misleading domain name), à s’enregistrer sous des URL qui hébergeaient auparavant des sites destinés aux enfants, à mettre en place diverses techniques pour qu’il soit le plus difficile possible de quitter leur site et même, pour certains, à avoir recours à des mots-clés trompeurs (misleading meta tags) qui leur permettent d’être « bien classés » dans les résultats des moteurs de recherche.
La présente thèse adopte une approche comparative des droits français et américain à l’aune du droit international et européen.
Cette démarche permet de prendre en considération le caractère transfrontière d’Internet et, dans le même temps, de comparer deux conceptions de la liberté traditionnellement opposées. En effet, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen reconnaît, en son article 11, la liberté d’expression comme étant l’ « un des droits les plus précieux de l’homme » mais précise que « tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ». L’approche adoptée par les Pères fondateurs américains est diamétralement opposée puisque le Premier amendement, qui interdit au législateur de restreindre la liberté d’expression, n’admet aucune réserve. Certes, cette opposition doit être relativisée. Il est toutefois intéressant de comparer les régimes français et américain de la protection du mineur sur Internet afin de déterminer si cette problématique tend à atténuer ou à accentuer ces divergences. Au-delà des approches française et américaine de l’encadrement de la liberté d’expression sur Internet au nom de la protection du mineur, une large part est faite à l’étude du droit international et européen car Internet, par définition transnational, appelle des solutions sur la scène internationale ou, à tout le moins, sur la scène régionale.
La présente thèse porte une attention particulière aux spécificités techniques d’Internet et adopte, pour ce faire, une approche empirique.
Certes, la présentation des divers outils de filtrage et d’identification des Internautes relève davantage du technicien que du juriste. Pour autant, une présentation de ces mécanismes est essentielle, ne serait-ce que pour être à même d’apprécier la pertinence des arguments techniques trop souvent invoqués par les professionnels d’Internet. Il s’est, par ailleurs, avéré indispensable de vérifier in concreto l’effectivité des principaux dispositifs de protection du mineur sur Internet tels que les logiciels de contrôle parental.
La présente thèse s’intéresse, dans un premier temps, aux fondements et limites de la protection du mineur sur Internet. Sont ensuite étudiées et confrontées les diverses modalités que peut prendre celle-ci.
En effet, on se saurait se contenter d’affirmer que la protection du mineur doit systématiquement prendre le pas sur la liberté d’expression sur Internet. On ne saurait davantage se satisfaire d’une conception de la liberté d’expression absolutiste qui prendrait systématiquement le pas sur la protection du mineur dans le cyberespace. Il est donc indispensable d’analyser les divers arguments avancés par les pouvoirs publics et les acteurs d’Internet en matière de protection du mineur. Il s’agit, bien souvent, de résultats de recherches menées dans le domaine de la psychologie, de la pédopsychiatrie ou encore de la sociologie. Nombreux sont également les arguments tirés des contraintes techniques inhérentes au fonctionnement d’Internet. Force est constater l’instrumentalisation des fondements de la protection du mineur sur Internet : les mêmes arguments – rarement vérifiés par ceux qui les invoquent – sont tantôt invoqués au profit d’une liberté d’expression sans limites sur Internet, tantôt invoqués pour justifier les dispositifs en faveur de la protection du mineur.
Ainsi, la recherche d’un équilibre entre protection du mineur et respect de la liberté d’expression sur Internet est particulièrement délicat. Sa mise en œuvre s’avère, elle aussi, particulièrement délicate.
In fine, il ressort de la présente thèse que, sans imposer un quelconque « cyber paternalisme », les Etats refusent toutefois qu’Internet soit un espace de « non-droit », laissé aux mains des tenants d’un absolu « cyber libertarianisme ». Tentant de concilier au mieux respect de la liberté d’expression et protection des mineurs sur Internet, les Etats sont néanmoins contraints de reconnaître que dans le cyberespace la mise en oeuvre de cette conciliation est particulièrement délicate. Face à l’échec de la réglementation étatique, il a pu, dans un premier temps, sembler opportun de se tourner vers l’autorégulation. Bien que nécessaire, celle-ci s’est toutefois avérée insuffisante à tel point que seule une approche multi-partenariale mettant à contribution les professionnels d’Internet et la société civile sous le contrôle des Etats est à même de prendre en considération l’interactivité, la transnationalité et les particularités techniques de ce média. Malgré les multiples initiatives en ce sens menées ces dernières années, nombreux sont les efforts qui restent à faire pour assurer une protection effective des mineurs dans le cyberespace.
Partie 1 : La recherche d’un équilibre entre respect de la liberté d’expression et protection du mineur sur Internet
Titre 1. Les fondements de la protection du mineur sur Internet
Chapitre 1. Les fondements de la protection du mineur « objet » sur Internet
Chapitre 2. Les fondements de la protection du mineur « sujet » sur Internet
Titre 2. Les limites de la protection du mineur sur Internet
Chapitre 1. Les limites de la protection du mineur « objet » sur Internet
Chapitre 2. Les limites de la protection du mineur « sujet » sur Internet
Partie 2. La délicate mise en œuvre de l’encadrement de la liberté d’expression au nom de la protection du mineur sur Internet
Titre 1. La réglementation étatique de la protection du mineur sur Internet, un vœu pieux
Chapitre 1. Les lacunes et imperfections de la réglementation de la protection du mineur « objet » sur Internet
Chapitre 2. Les lacunes et imperfections de la réglementation de la protection du mineur « sujet » sur Internet
Titre 2. De l’autorégulation à la gouvernance de la protection du mineur sur Internet
Chapitre 1. L’autorégulation de la protection du mineur sur Internet, une solution nécessaire mais insuffisante
Chapitre 2. La gouvernance de la protection du mineur sur Internet, une solution indispensable mais inachevée