Le droit de la vie humaine. Contribution à l’étude des relations entre la vie humaine et le droit
Thèse soutenue publiquement le jeudi 2 décembre 2021 à l’Université Jean Moulin Lyon 3 devant un jury composé de Monsieur Xavier Bioy, professeur à l’Université Toulouse 1 Capitole (Rapporteur), Monsieur Philippe Blachèr, professeur à l’Université Jean Moulin Lyon 3 (Directeur de thèse), Monsieur Xavier Dupré de Boulois, professeur à l’Université Paris 1 Panthéon‑Sorbonne (Rapporteur), Madame Stéphanie Hennette-Vauchez, professeure à l’Université de Nanterre (Présidente), Monsieur Bertrand Mathieu, professeur à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne (Directeur de thèse) et Madame Christine Noiville, directrice de recherche au CNRS, Université Paris 1 Panthéon‑Sorbonne.
Par Anne-Laure Youhnovski Sagon
Toute recherche possède son fait générateur. Le nôtre résulte d’un étonnement à double détente. L’étonnement a d’abord été suscité par la présence recrudescente de la vie humaine sur la scène médiatique et juridique. Simultanément, on assistait au retentissement de l’« affaire Vincent Lambert »[1], à la suppression du délai de réflexion de sept jours préalable à la réalisation d’une interruption volontaire de grossesse[2] ou encore à l’adoption de la loi du 2 février 2016 créant des droits en faveur des malades et de la fin de vie par le Parlement[3]. Ce premier regard porté sur les relations entre la vie humaine et le droit amplifiait l’impression selon laquelle cet objet de droit génère un régime juridique totalement éclaté. L’étonnement a encore été accentué lorsque l’on remarquait que l’État ne se contentait plus de respecter la vie en raison de son caractère indisponible, mais se pliait davantage à l’expression de l’autonomie de la personne humaine qui désire exercer une libre maîtrise sur la vie. Tel est par exemple le cas lors de l’attribution d’un pouvoir de déclencher ou d’interrompre le développement du processus vital à travers l’assistance médicale à la procréation ou l’avortement. Le lien entre ce changement de paradigme et le phénomène de subjectivisation du droit est rapidement devenu évident, la doctrine faisant fréquemment état d’un « retournement des droits de l’homme »[4] provoqué par le respect croissant porté à l’autonomie personnelle[5] en lieu et place de certaines valeurs collectives[6]. La répercussion de ces questions sur la scène juridique émane précisément de la force de résistance opposée par l’État, ce dernier étant désormais chargé d’orchestrer les équilibres à atteindre entre le respect de la vie et celui de l’autonomie de la personne. En effet, la volonté de la personne d’exercer une libre maîtrise sur la vie se confronte à la persistance de son caractère sacré dont le droit se fait le relai[7]. Dès lors, une certaine distance doit être adoptée à l’égard de l’hypothèse postulant que le mouvement de subjectivisation du droit aurait transformé la nature des relations entre la vie humaine et le droit. En sens contraire, l’on constate la diffusion d’un phénomène inverse provoquant l’objectivisation du droit, lequel se manifeste plus particulièrement par la dilation et l’intensification des obligations de protection de la vie. De ces relations conflictuelles entre la vie humaine et le droit émergent, par suite, deux droits aux régimes juridiques distincts qui peuvent sembler irréconciliables : le droit au respect de la vie — témoin de la dimension objective de leurs relations — et le droit sur la vie — marqueur de leur dimension subjective.
Face au constat du caractère éclaté et conflictuel des relations entre la vie humaine et le droit, l’objet de la recherche vise à proposer une relecture de leur liaison afin de les percevoir non plus dans leur disparité, mais dans leur unité. Parallèlement, il s’agit de déterminer la part respectivement occupée par le régime de respect de la vie et de maîtrise sur la vie pour vérifier l’hypothèse selon laquelle le mouvement de subjectivisation, dont le respect de l’autonomie personnelle compose la clé de voûte, aurait transformé l’état des relations entre la vie humaine et le droit.
Observer les relations entre la vie humaine et le droit exige de ne pas se fier aux apparences. Analyser l’évolution de leurs liaisons nécessite de se livrer à une entreprise de systématisation imposant de mobiliser, dans une posture positiviste, l’essentiel des prescriptions juridiques ayant la vie humaine pour objet. L’adoption de cette démarche panoramique a permis d’identifier les contours d’une notion structurant les relations entre la vie et le droit : le droit de la vie humaine. Du simple postulat, l’avènement de cette notion fédératrice doit être démontré. En filigrane, son degré de perméabilité au mouvement de subjectivisation des droits et libertés fondamentaux sera mesuré en déterminant sa nature objective ou subjective, centrée sur le respect de la vie ou la maîtrise sur la vie (Partie 1). L’analyse de la concrétisation du droit de la vie humaine permet, ensuite, d’observer l’articulation du régime de respect de la vie et du régime de maîtrise sur la vie, afin de vérifier si le régime de maîtrise sur la vie a supplanté le régime de respect de la vie ou, au contraire, s’ils parviennent à coexister. Prima facie, ces deux régimes juridiques semblent contradictoires puisque la maîtrise sur la vie peut entraîner la cessation du processus biologique, s’opposant ainsi au droit au respect de la vie qui promeut l’interdiction d’y porter atteinte comme l’obligation de la protéger. Mais la mise à l’épreuve du droit au respect de la vie et du droit sur la vie permet d’attester qu’ils cohabitent sans se neutraliser, voire qu’ils s’inscrivent tous deux dans une dynamique commune visant à préserver la dimension objective du droit de la vie humaine (Partie 2).
PREMIÈRE PARTIE : L’AVÈNEMENT D’UN DROIT DE LA VIE HUMAINE
Titre 1 : L’apparition de la vie humaine au sein des sources du droit
L’avènement du droit de la vie humaine s’opère par strate successive. L’identification de l’assise du droit de la vie humaine constitue l’étape préalable à la démonstration de son existence comme notion structurante des relations entre la vie et le droit. Autrement dit, il s’agit de déterminer les sources du droit qui se sont emparées de cet objet. L’émergence du droit de la vie humaine coïncide avec l’appréhension de la vie par un double canal juridique. Réceptionnées par le droit positif (Chapitre 1), les prérogatives et obligations ayant la vie humaine pour objet font ensuite l’objet de représentations plurielles par la doctrine (Chapitre 2).
La scission entre le droit positif et la doctrine permet de mettre en lumière les similitudes et dissimilitudes de l’apparition de la vie au sein des différentes sources du droit. D’abord, la réception de la vie par le droit positif et la doctrine révèle leur prédisposition commune à l’appréhension de la vie humaine — donnée naturelle par excellence — comme un objet de droit. Si le droit international public constitue la terre d’élection de la réception de la vie par le droit positif, c’est essentiellement le législateur, secondé par le juge du référé-liberté, qui garantit, en droit interne, la diffusion de la saisie de la vie par le droit. La doctrine contribue, parallèlement, à consolider le socle du droit de la vie humaine en participant au dévoilement de cet objet de droit. Mais lorsque la trajectoire de la réception de la vie par le droit positif croise celle de la représentation de la vie par la doctrine, vient le temps des dissimilitudes ; la systématisation des discours doctrinaux révèle une conception protéiforme de la nature du droit de la vie humaine. Le rôle de la doctrine devient alors fondamental car la physionomie du droit de la vie humaine au sein du discours sur le droit n’est pas identique à celle que lui compose le droit positif. En effet, la doctrine diffuse une double dimension de ce droit, alternativement assimilé au régime de respect ou de maîtrise sur la vie, alors même que la réception de la vie par le droit positif fait majoritairement état d’un droit centré sur le respect de la vie. À ce stade de la recherche, le glissement provoqué par l’appréhension distincte de la vie par le droit positif et la doctrine ne permet pas d’affirmer avec certitude la nature dominante du droit de la vie humaine. Par suite, déterminer la place occupée par le mouvement de subjectivisation au sein du droit de la vie humaine conduit à une impasse.
Titre 2 : La construction de la vie humaine comme un droit
Étape complémentaire à la délimitation de l’assise du droit de la vie humaine, la vérification de sa juridicité permet d’attester de sa construction juridique accomplie. Pour y parvenir, il advient d’examiner les effets provoqués par ce droit à l’égard de ses différents titulaires et débiteurs (Chapitre 3) ainsi que d’observer les traits saillants de sa justiciabilité au prisme de l’analyse du contentieux de la violation et de la réparation du droit de la vie humaine (Chapitre 4). À travers l’étude de leur juridicité, le dénominateur commun aux règles de droit ayant la vie humaine pour objet se fait jour, justifiant leur agrégation au sein d’un droit qui les structure.
Les prérogatives et obligations ayant la vie humaine pour objet possèdent une propriété commune : celle de la résistance au phénomène de subjectivisation du droit. Ce courant s’identifie à l’aide de différents critères alternatifs. D’un côté, les effets de ce mouvement à l’égard des destinataires d’une règle de droit, lesquels s’expriment par la multiplication de droits subjectifs octroyés à de nouveaux titulaires ; de l’autre, la nature de l’objet de droit accordé, caractérisée par la consécration d’un objet de droit qui tend à satisfaire l’autonomie de la personne.
Reproduit à l’échelle du droit de la vie humaine, cette grille de lecture permet de nuancer l’hypothèse selon laquelle les relations entre la vie humaine et le droit seraient désormais gouvernées par le mouvement de subjectivisation du droit. Les effets du droit de la vie humaine s’inscrivent dans une dynamique à géométrie variable. L’universalisation inachevée des titulaires du droit de la vie humaine, critère pourtant topique du phénomène de subjectivisation, contraste avec la généralisation accomplie de ses débiteurs. En effet, la personne humaine en demeure le titulaire exclusif tandis que la personne publique comme la personne privée sont toutes deux débitrices des obligations qui en émanent. Dès lors, puisque le droit de la vie humaine est majoritairement saisi sous l’angle de l’obligation qui incombe à ses débiteurs, sa dimension objective prégnante doit être relevée. Une fois ses destinataires identifiés, confirmant le constat précédemment dressé d’une subjectivisation limitée du droit de la vie humaine, sa justiciabilité doit être examinée. Par la détermination de la nature de l’objet de droit, centré sur le respect de la vie ou celui de l’autonomie personnelle, ce critère forme un prisme permettant de discerner les nuances objectives ou subjectives qui composent le droit de la vie humaine. Là encore, le tableau est monochrome. Polarisé sur le droit au respect de la vie, le contentieux de la violation du droit de la vie humaine révèle sa nature essentiellement objective. En sus, les indices décelés lors de l’analyse du contentieux de la réparation des atteintes portées à la vie sont concordants. La vie humaine a été saisie, pour l’essentiel, sous la forme d’un objet de droit imposant son respect à ses débiteurs davantage qu’un objet accordant une libre maîtrise sur la vie à ses titulaires.
Le postulat de l’existence du droit de la vie humaine a été vérifié, corroborant l’intuition selon laquelle cette notion unificatrice constitue la structure des relations entre la vie et le droit. Le constat de la dimension objective prégnante du droit de la vie humaine doit-il, pour autant, occulter la présence — embryonnaire — du régime de maîtrise sur la vie ? Seule l’étude des régimes juridiques composant le droit de la vie humaine doit permettre de déterminer la nature des équilibres en présence entre le régime de respect de la vie et la maîtrise sur la vie, confirmant ou infirmant leur possible coexistence.
SECONDE PARTIE : LA CONCRÉTISATION DU DROIT DE LA VIE HUMAINE
Titre 1 : le droit au respect de la vie humaine : une nature objective renforcée
Le droit de la vie humaine possède un double objet tendant concurremment à respecter la vie mais également à exercer une maîtrise sur la vie, conformément à l’expression de l’autonomie de la personne. En raison de sa nature binaire, le droit de la vie humaine serait par nature prédisposé à se soumettre au mouvement de subjectivisation, bâti sur le respect de l’autonomie de la volonté. De cette porosité résulteraient deux conséquences : l’inclinaison du régime de respect de la vie face au régime de maîtrise sur la vie, d’une part ; la primauté du principe d’autonomie personnelle sur le principe d’indisponibilité de la vie, d’autre part. Strictement hypothétique, cette allégation mérite d’être vérifiée à la lumière de la concrétisation des différents régimes juridiques formant le droit de la vie humaine. L’étude de ses composantes révèle d’abord l’existence du droit au respect de la vie, lequel demeure totalement hermétique à l’influence du mouvement de subjectivisation du droit. Il s’agit là de la dimension objective du droit de la vie humaine. Précisément, le droit au respect de la vie se décline en une obligation de non-ingérence à l’égard de la vie d’autrui, autrement dit en une interdiction générale de porter atteinte à la vie (Chapitre 5) ainsi qu’en une obligation de protection de la vie (Chapitre 6).
Construit en parallèle du mouvement de subjectivisation des droits et libertés fondamentaux, le droit au respect de la vie, régi par le principe d’indisponibilité de la vie, implique deux formes de comportements de la part de ses débiteurs : d’un côté, leur mise en retrait, supposant un comportement passif ; de l’autre, leur intervention, entrainant un comportement actif afin de satisfaire les obligations de protection de la vie qui leur incombent. L’interdiction de porter atteinte à la vie constitue la première déclinaison du droit au respect de la vie. L’obligation d’abstention qui en résulte est universelle. Parce qu’elle incombe désormais à la personne privée comme à la personne publique, la portée de l’interdiction de porter atteinte à la vie s’en trouve renforcée. Cependant, cette interdiction souffre d’un respect inégal. L’exorbitance des pouvoirs de la personne publique lui permet, en effet, de conserver le droit de déroger à l’interdiction de porter atteinte à la vie de manière exceptionnelle et proportionnée en cas de menace à la souveraineté de l’État. Bien que l’obligation d’abstention à l’égard de la vie humaine soit dénuée de caractère absolu, sa généralisation témoigne de l’existence d’un mouvement d’objectivisation du droit, caractérisé par l’extension du champ des obligations interdisant de porter atteinte à la vie. Mais c’est particulièrement grâce à la seconde déclinaison du droit au respect de la vie, à savoir l’obligation de protection de la vie, que l’objectivisation du droit de la vie humaine devient manifeste. En atteste notamment le dédoublement du champ de l’obligation de protection de la vie qui n’est plus seulement individuelle mais également collective, la population constituant désormais l’un des bénéficiaires du droit au respect de la vie. Couplé à l’intensification du degré de protection de cette obligation, ce double niveau de protection témoigne de l’engrènement du droit au respect de la vie dans les rouages du mouvement d’objectivisation du droit.
L’étude de la dimension objective du droit de la vie humaine prouve que le respect de la vie demeure le « souverain bien »[8] de la société moderne. Le postulat selon lequel le phénomène de subjectivisation affaiblit le respect porté à la vie doit donc être renversé tant le courant contraire d’objectivisation du droit œuvre à la dilatation et au renforcement des obligations négatives et positives issues du droit au respect de la vie. Si l’intuition selon laquelle le droit de la vie humaine résiste au mouvement de subjectivisation vient d’être étayée, elle ne peut être définitivement confirmée sans procéder à l’observation de l’ensemble des régimes juridiques constituant le droit de la vie humaine. Reste alors à vérifier l’existence d’un droit sur la vie en identifiant les droits subjectifs qui le composent.
Titre 2 : le droit sur la vie humaine : une subjectivisation latente
La protection de la vie est à géométrie variable : renforcée pendant la vie mais diminuée aux seuils de l’existence : avant la naissance comme au moment de la mort. Partant, ce n’est que lors de la création ou l’extinction du processus biologique que le droit au respect de la vie peut être concilié avec le droit au respect de la vie privée, sous-tendu par la notion d’autonomie personnelle. La consécration de prérogatives offrant à la personne humaine une maîtrise sur la vie atteste alors de la soumission balbutiante du droit de la vie humaine au phénomène de subjectivisation des droits et libertés fondamentaux. Toutefois, le droit sur la vie humaine n’accorde pas une place identique au respect de l’autonomie personnelle lorsqu’elle s’exprime au début de la vie ou à la fin de la vie. La logique irriguant le droit de la personne humaine de disposer de sa vie (Chapitre 7) se distingue de celle qui anime son pouvoir de maîtriser la vie de l’être humain (Chapitre 8).
D’une part, l’État préserve le caractère indisponible de vie de la personne humaine qu’il a lui-même institutionnalisée ; il ne concède à la personne qu’une maîtrise résiduelle sur sa propre vie. C’est la raison pour laquelle l’exercice du droit de disposer de sa vie, accordé à la personne humaine dans des cas de figure très restreints, demeure limité. La détermination des frontières de sa propre vie demeure encore encadrée par l’État ; seul le droit à la sédation profonde et continue et le droit au refus de traitements constituent des droits subjectifs pouvant être librement exercés par leur titulaire. D’autre part, et à l’inverse, l’autonomie de la personne est davantage prise en considération lorsque cette dernière souhaite exercer un pouvoir sur la vie de l’être humain, lequel se matérialise par la création ou la destruction de la vie biologique. Toutefois, le droit est plus enclin à garantir l’expression de l’autonomie de la personne qui souhaite mettre un terme au processus vital — à travers le recours à l’avortement — que lorsqu’elle désire le déclencher par le biais de l’assistance médicale à la procréation, encore encadrée par de nombreux droits objectifs qui limitent l’exercice de la liberté procréative positive. Partielle, la maîtrise de la personne sur la vie de l’être humain se déploie plus largement dans sa dimension extinctrice que créatrice. Finalement, l’on s’aperçoit que la personne humaine n’exerce une maîtrise de fait que sur la vie anténatale, et non sur la vie de la personne humaine institutionnalisée par l’État. La construction inachevée du droit sur la vie confirme alors que le principe d’autonomie personnelle n’a pas supplanté le principe d’indisponibilité de la vie, révélant la nature objective prégnante du droit de la vie humaine.
Conclusion générale
En délaissant l’approche segmentée des relations entre la vie humaine et le droit au profit d’une démarche panoramique, la recherche a dévoilé l’existence d’une notion structurante qui encadre leurs liaisons : le droit de la vie humaine. Cette notion constitue une grille de lecture permettant de révéler la proportion occupée par le régime de respect de la vie face au régime de maîtrise sur la vie. L’étude systémique des différentes normes ayant la vie humaine pour objet livre un diagnostic sans appel. Le droit de la vie humaine possède une dimension objective prégnante, preuve que l’influence du mouvement de subjectivisation sur ce droit demeure limitée. Transversale, cette dimension objective s’observe aussi bien lors de la démonstration de l’existence de cette notion qu’à travers sa concrétisation. D’une part, l’analyse de l’avènement du droit de la vie humaine témoigne d’une construction bâtie en parallèle du mouvement de subjectivisation. Qu’il s’agisse de la réception de la vie par le droit positif, de l’universalisation à géométrie variable de ses destinataires ou encore de sa justiciabilité singulière, le droit de la vie humaine se révèle, pour l’essentiel, sous sa facette objective. D’autre part, la mise en œuvre du droit de la vie humaine s’inscrit dans la même dynamique et invite à formuler un triple constat. Premièrement, l’autonomie personnelle ne constitue pas la nouvelle matrice du droit de la vie humaine, en lieu et place du principe d’indisponibilité de la vie. Deuxièmement, l’écart entre le régime de respect de la vie et le régime de maîtrise sur la vie est tel que le droit sur la vie ne peut ni supplanter ni neutraliser le droit au respect de la vie. Troisièmement, et en tout état de cause, l’octroi progressif d’une maîtrise sur la vie à la personne humaine ne remet pas catégoriquement en cause le respect porté au droit au respect de la vie. Penser les relations entre la vie humaine et le droit au prisme du droit de la vie humaine favorise donc leur appréhension conjointe dans la mesure où la logique subjective, incarnée dans le droit sur la vie, n’annihile pas nécessairement la logique objective inscrite dans le droit au respect de la vie. Dépourvu d’unité substantielle, le droit de la vie humaine assure la coexistence des régimes de respect et de maîtrise sur la vie au sein d’une notion à la structure dédoublée. L’unité de la notion réside toutefois dans la présence de propriétés communes à l’ensemble des régimes qui la composent. D’un côté, le droit de la vie humaine résiste au mouvement de subjectivisation des droits et libertés fondamentaux ; de l’autre, le principe d’indisponibilité de la vie constitue encore son principe directeur. Enfin, si la notion de droit de la vie humaine procure aux relations entre la vie humaine et le droit la lisibilité et la cohérence dont elles étaient dépourvues, elle leur apporte également de la stabilité. Nul doute qu’à l’avenir, les contours du droit de la vie humaine sont amenés à évoluer : ses colorations subjectives se diffuseront encore davantage aux côtés de ses teintes objectives[9]. Mais lorsque sera venu le temps de bouleverser les équilibres en présence, la structure pérenne du droit de la vie humaine leur survivra.
PREMIÈRE PARTIE : L’AVÈNEMENT D’UN DROIT DE LA VIE HUMAINE
Titre 1 : L’apparition de la vie humaine au sein des sources du droit
Chapitre 1 : La réception de la vie humaine par le droit positif
Chapitre 2 : Le rôle de la doctrine dans la représentation du droit de la vie humaine
Titre 2 : La construction de la vie humaine comme un droit
Chapitre 3 : Les destinataires du droit de la vie humaine
Chapitre 4 : La justiciabilité du droit de la vie humaine
SECONDE PARTIE : LA CONCRÉTISATION DU DROIT DE LA VIE HUMAINE
Titre 1 : Le droit au respect de la vie humaine : une nature objective renforcée
Chapitre 5 : L’interdiction de porter atteinte à la vie humaine
Chapitre 6 : L’obligation de protéger la vie humaine
Titre 2 : Le droit sur la vie humaine : une subjectivisation latente
Chapitre 7 : Le droit de la personne humaine de disposer de sa vie
Chapitre 8 : Le pouvoir de la personne humaine de disposer de la vie de l’être humain
[1] Pour une rétrospective de l’« affaire Vincent Lambert », voir E. HIRSCH, Vincent Lambert, une mort exemplaire ?, Paris, Le Cerf, 2020 ; A. MINET-LELEU, « L’affaire Lambert : épilogue », RDSS, 2019, p. 701.
[2] Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé.
[3] Loi n° 2016-87 du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie.
[4] M. FABRE-MAGNAN, L’institution de la liberté, Paris, PUF, 2018, p. 173.
[5] D. ROMAN, « Le corps a-t-il des droits que le droit ne connaît pas ? La liberté sexuelle et ses juges : étude de droit français et comparé », D., 2005, p. 1509 : l’autonomie personnelle est « appréhendée comme la possibilité reconnue au sujet de poser sa propre norme, c’est-à-dire comme un principe “placé au service de [son] épanouissement”.
[6] F. CHÉNEDÉ, « Le Droit à l’épreuve des droits de l’homme » in Mélanges en l’honneur du professeur Gérard Champenois, Paris, Defrénois, 2012, p. 139.
[7] Le caractère sacré de la vie est perceptible lorsque la Cour européenne des droits de l’homme qualifie le « droit de toute personne à la vie » — consacré à l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme — de « valeur fondamentale des sociétés démocratiques » (CEDH, Gr. Ch., 27 septembre 1995, McCann et a. c. Royaume-Uni, n° 18984/91, § 147) ou lorsqu’elle rappelle la « prééminence du respect de la vie » en tant que « valeur fondamentale » (CEDH, Gr. Ch., 6 juillet 2005, Natchova c. Bulgarie, n° 43577/98, §§ 93-95), l’adoption d’un vocabulaire axiologique par la Cour se faisant la traduction séculière du caractère sacré de la vie.
[8] H. ARENDT, Condition de l’homme moderne, [1958], trad. G. FRADIER, Paris, Calmann-Lévy, 2002, p. 390.
[9] En atteste par exemple l’adoption par l’Assemblée nationale en première lecture, le 8 avril 2021, de l’article premier de la proposition de loi donnant le droit à une fin de vie libre et choisie légalisant l’aide médicalisée à mourir (Proposition de loi n° 288 donnant le droit à une fin de vie libre et choisie proposée par O. FALORNI, S. PINEL, J. DUBIÉ, S. CLAIREAUX, 17 octobre 2017 ) ou encore la proposition de loi visant à améliorer l’effectivité du droit à l’avortement (Proposition de loi n° 3292 visant à renforcer le droit à l’avortement proposée par A. GAILLOT et a., 25 août 2020) adoptée par l’Assemblée nationale en deuxième lecture le 30 novembre 2021, laquelle prévoie notamment l’extension du délai d’avortement de douze à quatorze semaines.