Le principe de subsidiarité au sens du droit de la Convention européenne des droits de l’homme
Thèse soutenue le 11 septembre 2015 à l’Université de Montpellier, devant un jury composé de Monsieur Joël ANDRIANTSIMBAZOVINA, Professeur à l’Université Toulouse 1 Capitole (rapporteur), Madame Peggy DUCOULOMBIER, Professeur à l’Université de Strasbourg (rapporteur), Monsieur Jean-Pierre MARGUENAUD, Professeur à l’Université de Limoges, Madame Angelika NUSSBERGER, Juge à la Cour européenne des droits de l’homme et Monsieur Frédéric SUDRE, Professeur à l’Université de Montpellier (directeur de thèse).
Cette étude, portant sur un sujet particulièrement important et d’actualité en droit européen des droits de l’homme, a pour principal intérêt la clarification de la nature et des fonctions du principe de subsidiarité. En effet, le principe de subsidiarité au sens du droit de la Convention européenne est un principe empreint d’ambiguïtés puisque souffrant d’une indétermination à la fois sémantique et juridique. Or, ni la Convention ni la jurisprudence ne se risquent à définir expressément ce principe, le récent protocole n°15 évitant lui aussi la difficulté puisqu’il se borne au rappel du « rôle prioritaire des États membres dans la garantie des droits » et opère, en ce sens, un lien direct et critiquable avec la technique de la marge nationale d’appréciation, sans plus de précisions. Doté d’une double dimension à la fois procédurale et matérielle, il n’en reste pas moins un principe fondamental du droit européen, un principe « à la base du système de la Convention » pour reprendre l’expression de la Cour. Ainsi, la présente recherche part du postulat selon lequel le principe de subsidiarité devrait être un principe directeur du droit – guidant l’interprétation de la Convention et le contrôle du juge européen – principe qui n’apparaît pourtant être, en pratique, qu’un élément de variation dans l’étendue du contrôle européen et donc un principe à la libre disposition du juge strasbourgeois.
Face à ce postulat initial, il s’agissait tout d’abord d’identifier le principe de subsidiarité dans toute sa complexité et diversité et, pour ce faire, d’appréhender le paradoxe qui existe autour de cette question entre d’une part, le caractère fondamentalement ambigu du principe et d’autre part, les fonctions malgré tout directrices qui lui sont conférées en droit européen. En effet, il est à première vue déroutant de constater que, malgré l’hétérogénéité des sens du principe et son insaisissabilité générale en droit, tout particulièrement en droit de la Convention européenne où l’origine prétorienne du principe n’est pas propice à la clarification de sa signification ou nature juridique, c’est toutefois un principe qui irrigue et sous-tend le droit européen dans son ensemble. En effet, c’est lui qui guide l’organisation et le fonctionnement du système en tant que principe de structuration ou de répartition des compétences. C’est également lui qui oriente l’office et le contrôle du juge de Strasbourg en tant que principe de conciliation des objectifs poursuivis par le juge européen. La première partie de cette étude permet ainsi, d’une part, de démontrer que l’ambiguïté fondamentale du principe n’est finalement pas incompatible avec son rôle de principe directeur du droit et, d’autre part, d’identifier le principe de subsidiarité comme un principe fondamental toutefois particulièrement souple et malléable, donc adaptable.
Sur la base de cette identification, il s’agissait ensuite d’analyser l’application concrète du principe de subsidiarité par le juge européen et d’ainsi démontrer le caractère stratégique de sa mise en œuvre dans la jurisprudence. En effet, si le juge de Strasbourg se livre à une utilisation variable du principe – et par là même à une instrumentalisation de celui-ci – c’est généralement dans le but précis d’en faire un instrument clé de sa politique jurisprudentielle actuelle qui vise à responsabiliser les États membres dans leur rôle prioritaire de protecteur des droits de l’homme. La deuxième partie permet donc de démontrer que son caractère adaptable est finalement la plus grande force du principe de subsidiarité puisqu’il offre ainsi au juge quantité de possibilités selon le contexte dans lequel il s’inscrit et les objectifs poursuivis. De ce fait, le constat d’une utilisation libre du principe n’apparaît pas incompatible avec sa fonction de principe directeur du droit puisqu’il ne vise qu’à orienter le contrôle du juge européen, non à le déterminer, puisqu’il pose des objectifs sans toutefois leur livrer de contenu précis.
Par conséquent, le postulat initial de recherche s’est en majeure partie vérifié puisque, malgré le caractère fondamentalement ambigu du principe et sa nature faiblement déterminée en droit européen, la subsidiarité n’en reste pas moins un principe directeur du droit qui, du fait de sa malléabilité, fait l’objet d’une application variable. Le principe de subsidiarité se présente donc bien, en pratique, comme un outil à la libre disposition du juge européen. Cela étant, cette instrumentalisation de la subsidiarité n’est pas synonyme d’une effectivité neutralisée du principe mais plutôt d’une « mutation-réaffirmation » de celui-ci, non plus protecteur des libertés étatiques mais désormais source de contraintes et d’encadrement des États membres. En effet, au travers de cette « instrumentalisation » – entendue au sens d’une utilisation délibérément orientée du principe dans un but déterminé – la Cour cherche à éduquer les autorités nationales, à consolider leur rôle prioritaire dans la protection nationale des droits de l’homme et ce, dans le but de renationaliser le contentieux européen. Loin d’être en péril, la subsidiarité apparaît donc comme un principe certes transformé mais aussi renforcé, et dont la mutation tend à confirmer la contribution de ce principe à la garantie d’une effectivité de la protection des droits de l’homme.