Le suivi du respect des droits de l’homme au sein du Conseil de l’Europe [Résumé de thèse]
Le suivi du respect des droits de l’homme au sein du Conseil de l’Europe. Contribution à la théorie du contrôle international
AILINCAI (Mihaela)
Thèse Grenoble, 2009, sous la direction de Madame le Professeur Catherine Schneider
La thèse a été couronnée par le prix Jacques Mourgeon 2010 (prix de thèse de la Société française pour le droit international) et par le prix René Cassin 2010 (prix de thèse de l’Institut international des droits de l’homme). Elle sera publiée aux éditions Pédone.
L’idée d’entamer une étude des mécanismes de suivi du respect des droits de l’homme au sein du Conseil de l’Europe était fondée sur le constat d’une prolifération relativement récente des procédures qualifiées de « suivi » à l’échelle de cette organisation internationale. A l’échelle de cette organisation, la notion est mobilisée par exemple à propos de la surveillance, par le Comité des Ministres, de l’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme au titre de l’article 46 § 2 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales (CEDH), du système de visite établi par la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines et traitements inhumains ou dégradants (CEPT), ou des mécanismes de surveillance sur rapport établis notamment par la Charte sociale européenne, la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales ou la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains. La notion est encore sollicitée au sujet de la vérification, par l’Assemblée parlementaire et le Comité des Ministres, du respect des obligations incombant aux Etats en tant que membres de l’Organisation.
La multiplication des procédures de suivi intrigue parce qu’elle laisse apparaître que l’organisation investit désormais massivement dans d’autres modalités de protection des droits de l’homme que l’option juridictionnelle qu’elle a initialement privilégiée. Le terme même de « suivi », qui s’est largement épanoui dans le contexte du Conseil de l’Europe, interpelle non seulement parce qu’il n’a pas de signification juridique précise, mais aussi parce qu’il semble se substituer au terme plus classique et plus aisément compréhensible de « contrôle ». L’étude réalisée permet de constater que ce changement sémantique a du sens. Il est vrai que le suivi constitue une modalité particulière de contrôle parce qu’il intègre les trois phases caractéristiques de l’opération de contrôle, c’est-à-dire l’établissement des faits, l’interprétation éventuelle de la norme de référence et la confrontation du fait au droit. Plus précisément, le suivi constitue un contrôle non contentieux. Mais pour appréhender l’essence même du suivi il faut ajouter que celui-ci se présente comme une technique souple de contrôle international, caractérisée par sa continuité dans le temps et le fait qu’elle vise à fournir aux Etats une assistance dans la mise en œuvre des normes européennes relatives aux droits de l’homme. La finalité du suivi n’est donc pas de stigmatiser les comportements déviants, mais plutôt d’accompagner la mise en œuvre des normes relatives aux droits de l’homme.
Or, le juriste est naturellement porté à croire que l’efficacité des mécanismes de contrôle est proportionnelle au degré de contrainte qui leur est inhérent. Cette opinion incite à privilégier les modes autoritaires d’application du droit, c’est-à-dire les méthodes de contrôle qui sont fondées sur la sanction. Elle conduit aussi à exalter le contrôle juridictionnel qui, bien qu’axé essentiellement sur une finalité réparatrice, aboutit à des décisions juridiquement contraignantes, ce qui lui donne une dimension de fermeté. A l’inverse, ce postulat pourrait encourager à nourrir une certaine indifférence à l’égard du suivi, qui ne se construit pas par référence à la contrainte mais privilégie au contraire une approche « adoucie » du contrôle. Pourtant, l’analyse attentive des mécanismes de suivi du respect des droits de l’homme qui se sont développés au sein du Conseil de l’Europe montre que le suivi questionne l’exaltation des modes contraignants de mise en œuvre du droit en général ainsi que de la méthode juridictionnelle en particulier. Il incite à nuancer quelque peu l’enthousiasme provoqué par l’approche autoritaire, dont il fait ressortir les limites. En ce sens, le suivi se conçoit à la fois comme une alternative crédible et comme un complément fertile aux modalités de surveillance internationale empreintes de fermeté.
Il constitue une alternative crédible face au droit commun du contrôle non juridictionnel qu’est le contrôle diplomatique exercé unilatéralement par les Etats. Alors que ce dernier est caractérisé par une subjectivité qui lui est intrinsèque, le suivi s’emploie à assurer l’objectivité de l’appréciation portée sur les comportements des sujets surveillés. A cette fin, il semble se laisser spontanément guider par les garanties d’objectivité que lui propose le standard du procès équitable, tout en les adaptant au contexte dans lequel il se déploie. Le suivi tend ainsi à réserver un rôle central aux organes composés d’experts indépendants et présumés impartiaux, au détriment des organes composés de représentants gouvernementaux. Il cherche en outre à assurer la neutralité des renseignements sur lesquels se fonde son appréciation et ambitionne de se soumettre au principe de non-discrimination, au principe du contradictoire ainsi qu’aux principes de motivation et de publicité. De plus, le suivi cherche à apprécier les comportements étatiques non pas selon la logique binaire connue des juristes, dont les deux alternatives sont la violation et la non violation du droit, mais en utilisant un code plus complexe, mais aussi moins lisible, qui peut être synthétisé par l’expression « non-respect ». Ce code permet de procéder à une évaluation nuancée des comportements étatiques, qui admet un dégradé de conclusions au sujet de l’exécution des obligations qui s’imposent aux Etats. Il autorise aussi le suivi à tenir compte des causes sous-jacentes aux défaillances constatées, ce qui est en principe exclu dans un raisonnement construit autour de la violation ou de la non-violation du droit. Cela ouvre la possibilité de faire varier la réaction à l’inexécution d’une obligation selon que l’Etat est pris en défaut de négliger intentionnellement ses obligations ou qu’il s’avère incapable de les assumer par ses propres moyens.
Selon une autre perspective, le suivi se présente comme un complément fertile au contrôle juridictionnel. Aussi efficace soit-il, un tel contrôle ne constitue pas une solution absolue pour satisfaire l’impératif d’une protection intégrale des droits de l’homme. La méthode juridictionnelle présente en effet des fragilités, parmi lesquelles compte le fait que le juge soit astreint au respect de l’encadrement ratione materiae, ratione temporis et ratione personae de ses compétences ou encore le fait qu’il soit peu enclin à s’immiscer dans les matières hautement politiques. A cela s’ajoute que la juridiction européenne des droits de l’homme n’est pas pleinement adaptée pour réagir aux violations graves et massives des droits de l’homme. Le contrôle qu’elle exerce est enfin tributaire de la volonté des Etats, lesquels peuvent faire barrage à l’exercice efficace du droit de recours individuel en empêchant l’accès des victimes à la Cour, en refusant de coopérer à l’établissement des faits ou en refusant d’exécuter les mesures provisoires dictées par la Cour. Dans ce contexte, le suivi s’analyse comme un complément utile au contrôle juridictionnel, qu’il sublime tout autant qu’il l’appuie. Il le sublime car il lui permet d’assurer l’effectivité des droits de l’homme à la fois sous l’angle procédural et sous l’angle substantiel. Du point de vue procédural, il fournit à la Cour européenne un réservoir d’informations fiables de nature à faciliter l’établissement des faits, y compris dans l’hypothèse d’un défaut de coopération de l’Etat défendeur. Du point de vue substantiel, le suivi crée un cadre favorable à l’émergence d’un consensus exploité par la Cour européenne aux fins de dynamiser l’interprétation de certaines dispositions de la CEDH. Toujours sur le terrain substantiel, il inspire la Cour en lui proposant des solutions qui renforcent la protection des droits de l’homme car elles dépassent l’approche strictement casuistique traditionnellement privilégiée par la juridiction européenne. Par ailleurs, le suivi appuie le contrôle juridictionnel en relayant l’action de la Cour dans des champs matériels qui lui sont inaccessibles ou qu’elle s’interdit d’explorer. Il concourt ainsi à la construction et à la protection de l’ordre public européen. Sa contribution à la construction dudit ordre public passe par une activité d’homogénéisation juridique de la communauté des Etats membres du Conseil de l’Europe et par la mise en exergue de valeurs fondamentales structurantes. Sa participation à la protection de l’ordre public se manifeste quant à elle à travers la défense des individus ou des groupes d’individus qui, pour une raison ou une autre, sont dans l’incapacité d’accéder au prétoire de la Cour. Elle se traduit encore par une intervention en faveur de la sauvegarde des valeurs fondamentales de l’Organisation dans des situations d’urgence, qui inhibent la Cour européenne parce qu’elles appellent une prise en compte de considérations hautement politiques.
Il apparaît ainsi que le suivi constitue un instrument commode pour tenter de combler les segments de fragilité du contrôle juridictionnel. Il est donc excessif de penser que ce dernier peut exister dans un environnement vierge de tout autre mécanisme de mise en œuvre du droit. Cela incite à repenser la relation entre les contrôles juridictionnel et non juridictionnel. Plutôt que de les présenter comme des modalités qui se situeraient aux deux extrémités d’une hiérarchie invisible de performance, il est opportun de mettre l’accent sur le fait que la réalisation sociale du droit européen des droits de l’homme s’épanouit à travers leur articulation.
Crédits photo : Jenny Rollo, stock.xchng