La crise de l’état de droit à l’aune des exemples polonais et hongrois
Les changements politiques hongrois et polonais attirent l’attention des instances européennes depuis respectivement 2012 et 2015. Officiellement, les instances européennes, et tout particulièrement l’Union européenne, disposent de nombreux instruments permettant d’assurer le suivi du respect de l’état de droit. Dans sa communication du 14 mars 2014, relative au « Nouveau cadre de l’UE pour renforcer l’état de droit », la Commission européenne a constaté que « lorsque les mécanismes mis en place à l’échelle nationale pour garantir l’état de droit cessent de fonctionner correctement, une menace systémique plane sur l’état de droit et, partant, sur le fonctionnement de l’Union européenne en tant qu’espace de liberté, de sécurité et de justice sans frontières intérieures ». Élaboré à la suite d’atteintes à l’état de droit en Hongrie, le mécanisme imaginé par la Commission devait pallier à l’impuissance de l’Union européenne dans la mesure où elle pouvait agir. Mis en œuvre pour la première fois à partir de 2016 dans le cadre de la Pologne, le mécanisme de suivi n’a toutefois pas véritablement porté ses fruits.
Les discussions menées par les instances de l’Union européenne ou du Conseil de l’Europe n’ont pas permis pour l’heure d’améliorer la situation. Les derniers appels du Parlement européen (en mars 2018 concernant la Pologne ou en septembre 2018 concernant la Hongrie) ou de la Commission européenne (recommandation 2018/103 concernant l’état de droit en Pologne) invitant le Conseil à agir sont restés sans réponse européenne concrète. En avril 2019, la Commission européenne a encore ouvert un débat pour renforcer l’état de droit dans l’Union européenne. De nombreuses condamnations de la Cour de justice à l’encontre de la Pologne 1, ou tout récemment de la Hongrie 2, ne peuvent toutefois pas, sans une action politique concomitante remédier aux violations constatées.
Les différents appels du Conseil de l’Europe n’ont pas non plus ému les gouvernements polonais 3 ou hongrois 4 qui ignorent par ailleurs régulièrement les différents avis de la Commission de Venise quant aux réformes successives engagées dans ces deux pays 5.
L’épidemie de covid-19 et l’urgence sanitaire afférente ont toutefois apporté des effets très contrastés dans ces deux pays. Le 30 mars 2020, le premier ministre hongrois s’est vu attribuer les pleins pouvoirs, permettant ainsi au gouvernement de légiférer par ordonnance pendant une période indéfinie, accentuant encore les possibles dérives démocratiques. En revanche, le parti PiS (Droit et Justice), au pouvoir en Pologne, a vu sa position menacée. Alors que le président sortant et candidat du parti, Andrzej Duda, était donné gagnant dès le 1er tour des élections présidentielles, celles-ci, initialement prévues le 10 mai dernier, ont été reportées au dernier moment au 28 juin 2020. La gestion très critiquée de l’épidémie par le gouvernement en place, la gestion des élections présidentielles que le gouvernement actuel a souhaité à tout prix maintenir même par correspondance, et les propos méprisants du président actuel sur les personnes LGBT (qualifié d’« idéologie » et non d’« hommes ») ont eu pour effet de propulser dans les sondages le candidat de l’opposition, Rafal Trzaskowski, actuel maire de Varsovie, libéral et europhile. Alors que le parti PiS était le grand favori de ces élections, les cartes semblent a présent rebattus, et ce d’autant, que l’opposition a réussi à remporter les éléectios sénatoriales en octobre 2019.
Plusieurs manifestations scientifiques et écrits ont in fine été consacrés à la crise de l’état de droit en Pologne et en Hongrie. A partir des exemples polonais et hongrois, ce dossier revient sur cette question, par le biais d’un prisme pluridisciplinaire.
Les contributions suivantes seront publiées dans le dossier (les titres exacts pourront par ailleurs être actualisés) :
- Les atteintes à la liberté d’expression en Pologne et en Hongrie, Katarzyna BLAY-GRABARCZYK, Maitre de conférences HDR à l’Université de Montpellier
- La notion d’Etat de droit au sein du Conseil de l’Europe et à l’aune des crises hongroise et polonaise, Noël BOY, Doctorat à l’Université de Montpellier, RDLF 2020 chron. n°54
- Les populisme en Europe, un éternel retour ?, Alexandre DEZE, Maître de conférence à l’Université de Montpellier, RDLF 2020, chron. n°55
- L’État de droit ou le rocher de Sisyphe : à l’heure de la négation le retour aux standards, Philomène Calvez, RDLF 2023, chron. n°31
- De la justice constitutionnelle à la justice politique – Qu’est-ce que les Polonais ont perdu en 2015 et qu’ont-ils obtenu en retour ? Tomasz Tadeusz Koncewicz, RDLF 2020 chron. n°79
Katarzyna Blay-Grabarczyk, Maître de conférences HDR, Université de Montpellier, IDEDH
Notes:
- CJUE, GC, 24 juin 2019, Commission c/ Pologne (indépendance de la Cour suprême), aff. C-619/18 ; CJUE, GC, 5 novembre 2019, Commission c/ Pologne (indépendance des juridictions de droit commun), aff. C-192/18. Voir également l’indication des mesures provisoires : CJUE, GC, 8 avril 2020, Commission c/ Pologne (compétences de la chambre disciplinaire). ↩
- CJUE, GC, 18 juin 2020, Commission c/ Hongrie (transparence associative) à, aff. C-78/18. ↩
- Rapport de la Commissaire aux droits de l’homme sur la Pologne du 28 juin 2019 : https://www.coe.int/fr/web/commissioner/-/poland-s-authorities-should-shield-judges-from-pressure-actively-protect-women-s-rights-and-step-up-policies-for-gender-equality ↩
- Rapport de la Commissaire aux droits de l’homme sur la Hongrie du 21 mai 2019 : https://www.coe.int/fr/web/commissioner/-/hungary-should-address-interconnected-human-rights-issues-in-refugee-protection-civil-society-space-independence-of-the-judiciary-and-gender-equality ↩
- Concernant la Hongrie : Avis 943/2018 sur la loi relative aux juridictions administratives ; Avis 889/2017 sur le projet de loi sur la transparence des organisations recevant de l’aide de l’étranger ; Avis 668/2012 sur la loi relative aux services du parquet et au statut du procureur général. Concernant la Pologne : Avis 977/2020 de la Commission de Venise et de la Direction générale des droits de l’homme et de l’état de droit du Conseil de l’Europe sur les amendements à la loi sur les Tribunaux ordinaires, à la loi sur la Cour suprême et à certaines autres lois ; Avis 904/2017 sur le projet de loi portant modification de la loi sur le Conseil national de la justice ; Avis 892/2017 sur la loi relative au ministère public. ↩