L’État de droit ou le rocher de Sisyphe : à l’heure de la négation le retour aux standards
Philomène CALVEZ est Doctorante à l’IDEDH, Université de Montpellier
Qu’est devenu l’État de droit ? La question se pose aujourd’hui dans une Europe transformée en champ de bataille idéologique où la Cour européenne – telle Sisyphe – s’escrime à essayer de le protéger et toujours plus l’affiner tout en se heurtant au manichéisme aveugle de certains dirigeants qualifiés de populistes.
En effet, « (…) Sans des juridictions indépendantes, impartiales et établies par la loi (…) la garantie de tous les autres droits de l’homme est illusoire. Et l’État de droit lui-même devient, me semble-t-il, une fiction sans substance[1] ». L’ancien Président de la Cour européenne des droits de l’homme pressentait certainement que ses mots acquerraient un poids tout particulier à peine deux ans plus tard au moment où la Cour EDH pu enfin se saisir des violations engendrées par la crise de l’État de droit en Pologne. En effet, les années 2021 et 2022 ont été marquées par une série d’arrêts rendus contre la Pologne, chacun portant sur un pan de la réforme du système judiciaire en Pologne mettant à mal l’indépendance de la justice dans le pays[2] (qu’il s’agisse du mode de nomination des juges, mais aussi des membres du Conseil national de la Magistrature ou encore de la cessation prématurée et souvent arbitraire de certains mandats).
Face aux problématiques que pose la réforme du système judiciaire, mais plus largement, face aux problématiques que pose la montée d’un conservatisme frôlant la tyrannie et l’absolutisme, peut-être faut-il « Clarifier[3] », « Préserver [4]», condamner, dialoguer…voir (re)hiérarchiser ou revaloriser certains droits. Il semble s’agir ici des crédos et résolutions guidant doctrine et juges européens. Clarifier l’État de droit pour mieux le préserver. À cette fin : condamner les États illibéraux tout en tentant de rester ouvert au « dialogue » en affinant le sens de certaines notions telle celle d’un « tribunal établi par la loi ». Voici les défis auxquels les juges de Strasbourg font face alors qu’une « vertigineuse dégradation démocratique [5]» s’établit en Europe. En effet, il s’agit pour certains dirigeants de s’opposer coûte que coûte à toute construction « occidentale » en entretenant un antagonisme constant avec les démocraties libérales et les organes européens souvent de manière aveugle et manichéenne, bien que la logique protestataire présidant à ces mouvements puisse aussi s’entendre, nous y reviendrons.
Effectivement, « libéralisme et démocratie ne font plus cause commune et cèdent la place à un affrontement stérile, voire inquiétant, entre le libéralisme (…) et l’illibéralisme (…) au nom d’une farouche inclination à se soustraire au jeu de la globalisation [6]», et au jeu du droit européen. Ces derniers sont considérés comme étant guidés par des élites trop éloignées des réalités et des besoins du « Peuple » et se drapant « (…) dans les oripeaux de la science économique [7]». Notons que cette pensée protestataire qui vient donc critiquer ces politiques considérées comme sournoises voir anti-démocratiques n’est pas contestée ici et elle peut être justifiée sur certains points. En revanche, c’est l’instrumentalisation de ce désenchantement démocratique et social par les personnalités étant parvenues au pouvoir dans certains États dits illibéraux qui doit ici être discutée. Car cette dernière en prenant un inquiétant tournant conservateur et identitaire semble irrémédiablement mener au délitement de la démocratie et de l’État de droit en Europe.
La Cour EDH tente d’endiguer le phénomène, malheureusement, cela signifie aussi qu’après 70 ans le besoin est ressenti de revenir sur des bases. Non seulement elle cherche à renforcer l’État de droit mais elle semble surtout tenter de le redéfinir à partir de son noyau dur (qui pourtant semble tellement évident qu’il devrait être acquis) : la séparation des pouvoirs et l’indépendance judiciaire. Ce, en encadrant le processus de nomination des juges nationaux et en érigeant des garanties propres à sauvegarder leur indépendance.
Cependant, ces efforts semblent parfois vains car après des condamnations à répétition de la Pologne sur la base de l’article 6, le Tribunal constitutionnel n’a pas hésité en novembre 2021[8] à la suite d’un raisonnement grossier à déclarer inconstitutionnel l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme. En effet, selon lui, l’article 6 englobe le Tribunal constitutionnel polonais, pour cette raison il doit être considéré comme contraire à la Constitution. Comprenons donc que le Tribunal constitutionnel polonais ne considère pas être un tribunal au sens de la Convention…tout est dit. Mais après tout, derrière ce raisonnement étrange se cache une logique implacable : point de tribunal, point de juge et point de juge, point d’ennui du côté du processus de nomination de ces derniers.
Toutefois, bien que la situation en Pologne soit inquiétante, toutes les juridictions ne battent pas en retraite. Plusieurs requêtes sont actuellement pendantes devant la CourEDH concernant des juges polonais qui furent suspendus de leur fonction pendant un mois après avoir rendu des décisions contestant la légitimité de cours composées de juges nommés par le Président polonais après proposition du CNM[9].
Il est aussi possible de mentionner l’arrêt de la Cour administrative suprême polonaise rendu le 16 novembre 2022[10]. Il s’agit d’un arrêt marquant où elle refuse de suspendre la procédure pendante devant elle en refusant d’ouvrir une procédure incidente devant le Tribunal constitutionnel au motif que certains juges constitutionnels nommés après 2015 l’avaient été en violation de la Constitution. Pour cela, la Cour déclare sans sourciller que « il convient de souligner que depuis le 3 décembre 2015, des personnes (actuellement M. Muszyński, J. Piskorski et J. Wyrembak) ont été nommées au poste de juge en violation des dispositions de la Constitution de la République de Pologne (…)» avant de s’appuyer clairement sur la jurisprudence de la CourEDH Xero Flor : « L’illégalité de l’occupation de la fonction de juge du Tribunal constitutionnel par les personnes susmentionnées a été confirmée à la fois par le jugement du Tribunal constitutionnel polonais du 3 décembre 2015, réf. n° K 34/15, ainsi que par l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 7 mai 2021 dans l’affaire Xero Flor Sp. z o.o. c. Pologne ». Ces avancées jurisprudentielles seront étudiées plus conséquemment en aval.
Avant cela, il s’agira dans un premier temps de revenir sur les causes théoriques de ce délitement démocratique en Pologne. Pour cela, il s’agira de s’intéresser aux critiques adressées à l’État de droit libéral qui sont de plus en plus dénoncées et qui ne pouvaient donc que mener à une fronde plus frontale de la part de certains détracteurs. En effet, les faiblesses de nos politiques fournissent à certains dirigeants, notamment en Pologne, un terreau fertile pour alimenter leurs discours, politiques et réformes. Cependant, cela mènera également à mettre en lumière l’instrumentalisation qu’ils font de ces critiques pour mener à bien leurs projets qui ne semblent finalement viser qu’à une chose : avoir une mainmise sur le pouvoir en affaiblissant les contre-pouvoirs, notamment le pouvoir judiciaire (I).
Dans un deuxième temps, il s’agira d’étudier concrètement les interprétations mises en œuvre par la CourEDH dans le cadre du contentieux polonais en s’intéressant précisément à deux évolutions d’un contentieux censé être objectif. D’abord la Cour vient substantialiser ce contentieux via l’aiguisement de la notion de « tribunal établi par la loi » (II) mais aussi le subjectiviser en reconnaissant un droit concret du juge à l’inamovibilité (III).
I- Chronique d’une mort annoncée
Les récentes condamnations à répétition de la Pologne sur la base de l’article 6§1 de la Convention EDH démontrent qu’aujourd’hui, dans certains États, l’Europe et les idéaux des démocraties constitutionnelles libérales ne sont plus perçus comme des valeurs[11]. Pis, est véhiculée par certains leaders charismatiques l’idée selon laquelle ces principes seraient des détracteurs de la souveraineté du « Peuple » et de la démocratie radicale[12]…ces dernières auraient été étiolées par l’Ouest néolibéral. En effet, pour W. Osiatyński ils semblent user de tout moyen permettant de diffuser une peur ou un rancœur parmi les citoyens dans le but d’être perçus comme les seuls capables de sauver les électeurs, que cette « menace » soit réelle ou imaginaire[13]. À son sens il n’existe qu’une seule différence entre une dictature et un régime illibéral, sa formule semble juste et parlante : « La différence c’est que le message d’un dictateur sera “ayez peur de moi ou je vous ferai du mal”. Un populiste, dit plutôt “ayez peur d’eux et je vous sauverai”[14] ». Ainsi, ce désenchantement démocratique est instrumentalisé par les dirigeants qualifiés de populistes, avant d’être mis à profit pour mener à bien leurs réformes et asseoir leur pouvoir.
A- La rancœur instrumentalisée
Peut-être est-ce là une façon de rejoindre la pensée de Carl Schmitt qui estimait que « l’État de droit bourgeois » et libéral (qui correspond à la majorité des constitutions actuelles selon lui) a fait de la « normativité absolue » une fiction et de « l’existentiel » la règle, ce qui eut pour conséquence de « laisser dans le vague une question aussi importante que celle de la souveraineté »[15]. Souveraineté devant s’entendre comme la compétence et le pouvoir (et le droit) de déroger à l’ordre légitime en place, dans l’intérêt de l’existence politique en prenant toute mesure s’imposant au regard du contexte[16]. Or, dans l’État de droit bourgeois l’exercice de toute puissance publique (« sans exception, dans sa totalité [17]») est encadré, si bien qu’aucune souveraineté n’est plus possible, ni celle du peuple ni celle du « Monarque ». Commence alors le délétère exercice, toujours selon Carl Schmitt, de la création inévitable d’actes de souveraineté dits apocryphes pour déroger aux lois, il ne serait pas possible de faire autrement puisque tout est encadré. La réalité étant que les décisions politiques échappent à l’encadrement normatif. La normativité absolue devient fiction[18]. Les démocraties libérales seraient donc hypocrites, les mains liées par les politiques économiques et œuvrant pour le seul bien-être de l’oligarchie.
La CourEDH joue donc un bien mauvais rôle aux yeux des adeptes de cette pensée, elle est après tout la gardienne de l’État de droit et des libertés bourgeoises en Europe et elle est européenne, donc supranationale. Malheureusement, l’hypocrisie subsiste car les régimes dits illibéraux – où les dirigeants conservateurs sont en quête d’un pouvoir quasi-absolu – viennent formater à leur guise l’exercice d’une puissance publique illimitée en s’attaquant frontalement à l’organisation de leur système judiciaire et en s’assurant une mainmise sur ce dernier.
Ils parviennent à leur fin en usant d’un discours bien singulier et d’un style politique spécifique à ce que l’on nomme désormais le populisme[19]. Ainsi, ils viennent entretenir un antagonisme constant avec les « Autres », et l’Europe, en pointant du doigt toutes les affections des démocraties libérales. Cela renvoie notamment au dévoiement de la raison théorique (celle du savant) par la raison pratique (celle du politique) dans ces démocraties libérales[20] (ce qui d’une certaine façon s’apparente au changement de paradigme que décrit Carl Schmitt). Cela est frénétiquement décrié dans les régimes illibéraux alors qu’ils s’adonnent eux aussi à une dénaturation de la raison théorique (ou raison populiste) en faveur d’une raison pratique revisitée. Cela semble consister à user d’un style politique s’apparentant en un chantage manichéen au nom du « Peuple » mais servant principalement le pouvoir central et non plus des politiques économiques.
Dans les « démocraties constitutionnelles libérales » le dévoiement de la raison théorique par la raison pratique se fait sur la base d’idéaux régulateurs[21]. Ce dévoiement conduit en revanche à une instrumentalisation de ces notions qui servent d’alibi à « un sophisme épistocratique avec lequel nous berce le néolibéralisme [22]» servant donc majoritairement des politiques économiques.
Dans les régimes « populistes » au lieu de servir le monde économique libéral, la raison pratique sert ici la quête de pouvoir d’un leader charismatique surfant sur un ressentiment de plus en plus prégnant des populations en proie à un désenchantement démocratique, social, économique… la source de son désenchantement étant présentée comme étant « l’Europe », les « Autres », le remède de ce désenchantement étant donc de s’y opposer. Coûte que coûte.
Ainsi, de la même façon que certains dirigeants néolibéraux viennent condamner « “l’autre politique” » [23] les dirigeants populistes eux fustigent Bruxelles, Strasbourg et tout ce qui leur est attaché ; la politique et les droits des « Autres » contre le « Peuple ».
Il s’agit là de la principale dérive de l’épistocratie, elle reste « le réflexe intellectuel de toute pensée politique qui cherche à parer du sceau de la science ses propres convictions idéologiques[24] ». La différence étant que les dirigeants populistes ne semblent pas se réfugier derrière la science à proprement parler, mais plutôt derrière le ressentiment des populations et les affections des démocraties libérales y étant afférentes.
Effectivement, l’une des convictions idéologiques qui anime les dirigeants illibéraux semble être la quête d’un pouvoir central fort et souverain rejetant toute influence supranationale ou extérieure ou non élue tels que les juges et encensant un peuple homogène[25]. Sa construction devant alors se faire au détriment de plusieurs idéaux régulateurs, notamment : les droits de l’Homme (et en particulier ceux des minorités ou des dissidents) et la séparation des pouvoirs (en particulier l’indépendance des juges). Finalement, ils s’attaquent et s’emploient à consumer ce que l’on entend généralement par « État de droit ».
Tout cela ayant mené à diverses réformes mettant à mal tous ces pans de l’État de droit, en particulier l’indépendance de la justice afin de mettre soi-disant fin à l’image des juges censeurs de la loi[26], ainsi qu’à l’individualisme des droits de l’Homme porté par les juges européens envers lesquels l’aversion devient quasiment viscérale.
B- La rancœur mise à profit
La mainmise d’un exécutif – en proie à une hubris de pouvoir – sur le système judiciaire ne laisse plus la place à un semblant de justice alors même que le droit à un procès équitable et par-delà même – surtout – le droit à un juge indépendant et impartial constituent le ciment de la société démocratique et de l’État de droit européen si ce n’est sa « quintessence[27]». Effectivement, « le principe de l’État de droit est une coquille vide sans juridictions indépendantes[28] ».
Ainsi, le droit à un procès équitable reflète « l’idéal de justice et de juste équilibre qui irrigue la Convention »[29]. Or, l’antagonisme est à son comble car le droit à un procès équitable en Pologne peut être considéré comme devenu théorique et illusoire. En effet, à la suite des différentes réformes législatives mises en place en Pologne, le système judiciaire se trouve largement diminué. Mais alors, comment en redorer le nom, et comment refaire du droit à un procès équitable en Pologne un droit concret et effectif ? Est-ce là l’opportunité pour la Cour de se réinventer ?
La Cour semble s’y employer dans sa récente jurisprudence en s’appesantissant sur le mode de nomination des juges et leur inamovibilité. En effet, on assiste en Pologne notamment à un démantèlement du système judiciaire. Treize lois sont venues réformer le système judiciaire et mettre à mal la séparation des pouvoirs en octroyant un large pouvoir à l’Exécutif et au Législatif (les deux étant aux mains du PiS[30]). La réforme a notamment eu pour conséquence des changements de composition des tribunaux (notamment le Tribunal constitutionnel[31]), mais aussi des ajustements de leurs fonctionnements[32] et des pouvoirs des juges ordinaires[33].
Les récents arrêts rendus contre la Pologne en attestent[34]. Ainsi, la scène juridique mais aussi politique, ne cesse de parler depuis maintenant une dizaine d’années d’une « crise » de l’État de droit en Pologne qui semble aujourd’hui avoir atteint son paroxysme. La décision radicale du Tribunal constitutionnel polonais du 7 octobre 2021 qui déclare partiellement inconstitutionnel le principe de primauté européen en atteste et illustre le parachèvement de la défiance des autorités polonaises envers l’UE[35]. Mais avant cela, d’autres décisions méritent d’être mentionnées afin de faire état de nettes régressions en matière de droit constitutionnel et d’une certaine tendance à la partialité de la part de son interprète. Sa tendance conservatrice- s’alignant à celle de la majorité politique – est visible dans une décision du 22 octobre 2020[36] déclarant une loi encadrant l’avortement inconstitutionnelle. Également, une décision du 14 juillet 2021 – précédent justement celle du mois d’octobre – était déjà venue estimer que la CJUE statuait « ultra vires » en imposant à la Pologne des mesures provisoires concernant la structure organisationnelle et le fonctionnement des tribunaux polonais, avant de juger inconstitutionnel l’article 4§3 du TUE et l’article 279 du TFUE.
Finalement, concernant spécifiquement le contentieux en lien avec les modes de nomination des juges, le Tribunal avait jugé inconstitutionnel en juin 2020[37] l’article 49(1) du Code de procédure civile polonais permettant l’examen d’une requête alléguant de la nomination irrégulière d’un juge par le Président polonais et faisant donc la demande de son exclusion… par un raisonnement analogue, le Tribunal a estimé dans sa décision de novembre 2021 précitée[38] que l’article 6 de la Convention EDH était inconstitutionnel dans la mesure où il permettait à la CourEDH de se prononcer sur la légalité du processus de nomination des juges en Pologne.
Le Président et la majorité abattent ainsi peu à peu tous les garde-fous d’un absolutisme présidentiel et d’une perte progressive d’indépendance du système judiciaire.
Aussi, cette crise de l’État de droit n’a fait qu’amplifier la nécessité́ de réinterroger l’État de droit, de revisiter ses fondements, de cerner d’autres de ses significations ainsi que ses implications concrètes. Particulièrement l’exigence d’un tribunal « établi par la loi » dont est logiquement tributaire l’indépendance des juges et qui est elle-même essentielle pour que le juge puisse assumer pleinement sa mission de gardien de l’État de droit.
Il est important de souligner la conception que l’on peut « classiquement » avoir de l’État de droit pour la confronter à la jurisprudence actuelle. On a pu avoir tendance à estimer que cette société démocratique, cet état de droit protégé par la Convention et la Cour s’axaient surtout autour des notions de pluralisme, liberté d’expression de la société civile, des parlementaires, etc. disons donc des droits plus politiques, considérés comme plus substantiels.
La Cour EDH n’a jamais laissé de côté le pendant dit « formel » de l’État de droit et a toujours affirmé que l’indépendance judiciaire était inhérente à la société démocratique et à l’État de droit[39]. De même que l’exigence de légalité d’établissement d’un tribunal[40].
Cependant, avec les jurisprudences récentes précitées[41] il est permis de se demander si finalement l’accent n’est pas mis sur cette catégorie de droits : les droits procéduraux, et si finalement cet acharnement – justifié – à protéger l’État de droit dit substantiel n’est pas remis en cause. Ou si tout du moins la priorité de la Cour n’est pas dédoublée.
D’une part, continuer à protéger le pluralisme, d’autant que ces régimes illibéraux ou « populistes » sont par définition anti-pluralistes et que les atteintes à la liberté d’expression, à la liberté d’association et à de multiples autres droits sont devenus légion. D’autre part, il semble aussi s’agir de revenir sur des bases concrètes, plus formelles que sont le droit à un tribunal établi par la loi et l’inamovibilité des juges. Leur nature première est formelle mais on ne peut nier le lien consubstantiel qu’ils entretiennent avec des garanties plus substantielles puisqu’ils sont la condition d’un redressement efficace de toutes les autres violations.
Deux tendances de la Cour EDH ont semblé se révéler à travers les différents arrêts condamnant la Pologne sur la base de l’article 6§1. La première s’apparente en la volonté de la Cour de redessiner et affiner les contours du droit à un « tribunal établi par la loi », avant de se pencher également sur la question de l’inamovibilité des juges. En somme, deux conditions fondamentales pour garantir l’indépendance et l’impartialité et donc le procès équitable.
II- La restauration du fondement de l’équité procédurale : la substantialisation de la légalité d’établissement d’un tribunal
En clarifiant le sens donné à un « tribunal établi par la loi », la Cour EDH fait de cette exigence purement formelle, une exigence substantielle. Elle appuie ses propos en se fondant sur le rôle prééminent des Cour constitutionnelles pour la préservation des droits, mais aussi sur celui des membres de l’organe de garantie de l’indépendance des juges (Conseil de la magistrature). Effectivement, lorsque la majorité en place devient dangereuse pour la préservation de l’État de droit, il s’agit de s’efforcer de préserver le seul pouvoir normalement à l’abri des déficiences de la majorité : les juges. En ce sens leur mode de nomination est primordial.
A- L’accent sur le rôle d’arbitre ultime du Tribunal constitutionnel
La première affaire touchant à ce pan de la jurisprudence de la Cour est l’arrêt Xero Flor w Polsce sp. Zo.o c. Pologne, du 7 mai 2021[42], l’arrêt a déjà fait l’objet de commentaires[43] de même que son prédécesseur[44] qui joue le rôle d’instigateur dans cette redéfinition de la notion de « tribunal établi par la loi ». Dans ce dernier, la Cour avait fait du processus de nomination des juges un élément inhérent à la notion de « tribunal établi par la loi ». Elle faisait aussi du droit à un tribunal établi par la loi un droit autonome par rapport aux autres garanties de l’article 6§1, tout en rappelant qu’il nouait des liens étroits avec les exigences d’indépendance et d’impartialité. De cette manière la Cour opte pour une approche qui est à saluer. En effet, « cette nouvelle approche méthodologique, où l’inhérence et l’autonomisation attribuent à l’exigence d’un « tribunal établi par la loi » une préséance, une sorte de préalable à l’équité du procès, bouleverse tous les équilibres jusqu’alors établis qui, s’il n’était pas réalisé, rendrait inutile l’examen des deux autres aspects, car ils seraient entachés ipso facto par la violation originelle[45] ».
De plus, la Cour invitait les États dans lesquels « la question n’a pas été tranchée » (§228) à faire usage de la grille de lecture qu’elle avait entreprise de tracer. En bref, cette subtile injonction consistait en une mise en garde manifeste vis-à-vis de la Pologne et de la Hongrie. Mise en garde qui s’est concrétisée dans le cadre de l’arrêt Xero Flor.
En l’espèce, une question de gazon endommagé, une demande de réparation intégrale refusée, et des recours devant le Tribunal constitutionnel rejetés. Trois problématiques qui menèrent la Cour à se prononcer pour la première fois sur la réforme du système judiciaire en Pologne à l’époque où plus de trente requêtes étaient pendantes.
L’une des questions de fond de l’espèce reposait sur le fait que le nouveau président polonais – récemment élu à l’époque des faits – avait refusé d’assermenter trois juges du Tribunal constitutionnel alors que ces derniers avaient été légalement élus par la Diète (chambre basse du Parlement polonais) en accord avec le droit en vigueur qui encadrait le mode de nomination des juges. Cela procédait de nouvelles élections législatives où ledit président avait obtenu la majorité à la Diète (désormais largement conservatrice) et avait alors nommé trois nouveaux juges (que certains qualifieraient « d’agents du gouvernement »).
Ce contentieux avait déjà été déféré au Tribunal constitutionnel – encore en pleine possession de ses moyens à cette époque-là – qui avait donc logiquement jugé que ces nominations étaient entachées d’irrégularité. La Cour de Strasbourg s’aligne avec lui et estime que ces actions du Gouvernement – faisant notamment fi de la jurisprudence constitutionnelle – revenaient à renier le rôle d’interprète ultime de la Constitution et de la constitutionnalité de la loi.
Dans ce but, c’est surtout par rapport à la question du droit à un tribunal établi par la loi qu’elle se positionne (§247).
En l’espèce elle va donc venir mettre en œuvre le triple test dressé lors de la précédente affaire[46].
La première étape du test (existait-il une violation manifeste du droit interne ?) est facilement évacuée car le Tribunal constitutionnel polonais avait affirmé en 2015 que les trois nouvelles nominations constituaient une violation du droit interne (§§255-275).
La deuxième étape quant à elle diffère de l’interprétation de l’arrêt Gudmundur[47]. En effet, il s’agissait alors de savoir si la violation était d’une telle gravité qu’elle portait atteinte aux principes fondamentaux de prééminence du droit et séparation des pouvoirs ne permettant pas au juge d’exercer sa fonction libre de toute ingérence[48].
La Cour estime que tel était bien le cas. D’une part car la Pologne ne s’est pas conformée à l’arrêt du Tribunal constitutionnel qui avait estimé que la règle selon laquelle un juge devait être élu par et pendant la législature de la Diète durant laquelle son siège devenait vacant était fondamentale. Il avait ensuite déclaré inconstitutionnelles les dispositions faisant passer en force les candidats en les nommant. Or, les arrêts n’ont pas même été publiés à l’époque. Ainsi, la Pologne a porté atteinte à un principe fondamental[49].
D’autre part, la violation de ce principe n’a pas permis au Tribunal d’exercer ses fonctions correctement (§§276-287). Notons sur ce point l’intervention salutaire du commissaire aux droits de l’homme polonais qui du paragraphe 230 au 236e, pointe les nettes régressions du Tribunal constitutionnel polonais, et n’épargne rien au nouveau gouvernement.
Finalement aucun recours ne permettait de contester la nomination des juges, d’ailleurs le gouvernement accorde lui aussi cela (§288).
La Cour s’appuie donc sur le rôle d’arbitre ultime du Tribunal constitutionnel, principe inhérent à la prééminence du droit et à l’État de droit, et laisse de côté la question de l’indépendance sur laquelle elle ne se prononce pas, du moins explicitement. Ce afin de « statuer sous l’angle du juge légal qui permet, notamment, de sanctionner des violations manifestes du droit interne[50] ». Mais peut-être cela procède-t-il aussi d’une volonté de rendre son arrêt plus « acceptable ». Quelle meilleure façon de le faire que de s’appuyer sur la jurisprudence de la Cour constitutionnelle nationale plutôt que derrière des principes pouvant passer pour « ennemis » et « occidentaux ». Elle estime ainsi que ce comportement est incompatible avec le principe de légalité et avec l’État de droit. Le droit à un tribunal établi par la loi en a donc été vidé de sa substance.
Certaines juridictions nationales n’ont pas hésité à dénoncer l’irrégularité des nominations des juges, notamment l’arrêt de la Cour administrative suprême de 2022 susmentionné[51] qui s’appuie sur cette ancienne jurisprudence du Tribunal constitutionnel et sur l’arrêt Xero Flor. Les formules des juges sont par ailleurs frappantes, en effet, il est affirmé que « l’ensemble du Tribunal constitutionnel polonais est, pour ainsi dire, » infecté » d’illégalité et perd ainsi, au sens matériel, la capacité de statuer conformément à la loi, puisqu’il existe un haut degré de probabilité qu’au moins une des prétendues » doublures » figure dans la composition [52]» ainsi, dans une telle configuration « il est trop risqué pour la Cour administrative suprême de suspendre la procédure devant le tribunal administratif et de se fier à la » chance aveugle » qu’il n’y ait pas l’une des » doublures » dans la composition de la formation de jugement [53]»
Cette interprétation diffère quant à elle de celle mise en œuvre dans l’arrêt qui fera l’objet de la suite de cet article[54], d’une part car les faits sont différents mais aussi car dans Reczkowicz la Cour se trouvait face à une contradiction entre deux Hautes Cours, tandis que dans Xero Flor la décision de 2015 de la Cour constitutionnelle était claire. Cela la mène à venir se placer plus explicitement sur le terrain de l’indépendance.
B- Une procédure viciée par une influence indue de l’exécutif
Il était question en l’espèce[55] de deux lois adoptées en 2017, la première était relative au Conseil National de la Magistrature (ci-après CNM), la deuxième relative à la Cour Suprême. Les membres du premier sont désormais élus par la Diète, et ceux de la chambre disciplinaire de la Cour suprême sont proposés par le CNM et nommés par le Président. Cela fut avalisé par le « nouveau » Tribunal Constitutionnel à majorité conservatrice élu par la nouvelle Diète [56] qui vint infirmer l’ancienne jurisprudence qui avalisait le fait que les membres du CNM soient élus par leurs pairs[57].
L’imbroglio entre le pouvoir judiciaire et l’exécutif devient alors manifeste. En effet, bien que « la nomination des juges par le Président de la république sur proposition d’un organe chargé par la Constitution de protéger l’indépendance des juridictions et des juges est dans son principe de nature à garantir le caractère objectif du processus. Encore faut-il que l’organe en question soit lui-même suffisamment indépendant par rapport aux pouvoirs législatif et exécutif [58]». Ce que la Cour estimera bien évidemment ne pas être le cas.
Il était donc question en l’espèce de la nomination douteuse des membres de ces deux instances. La requérante (une avocate qui avait été suspendue de ses fonctions à l’issu d’une procédure disciplinaire) contestait ce mode de nomination, l’estimant contraire au droit, aux principes de la prééminence du droit et de séparation des pouvoirs.
Notons par ailleurs l’originalité de la situation car la Cour suprême elle-même estimait que la chambre disciplinaire ne pouvait décemment être considérée comme une juridiction au sens du droit interne et de l’article 6. Elle avait posé des questions préjudicielles en ce sens à la Cour de Justice de l’Union européenne[59] qui avait sans surprise estimé que le CNM qui proposait donc les juges n’offrait pas de garanties d’indépendance suffisantes vis-à-vis des pouvoirs législatifs et exécutifs. Dans un jugement de 2019[60] la Cour suprême vient abonder dans le sens de la CJUE. Puis, une résolution du 23 janvier 2020[61] des deux chambres réunies de la Cour suprême confirma cela en estimant que toutes les formations judiciaires – y compris celle de la chambre disciplinaire – où siègent des juges nommés selon la procédure faisant intervenir le Conseil nationale de la magistrature étaient irrégulières.
Cependant, le Tribunal constitutionnel vint suspendre cette résolution en 2020[62] en estimant la résolution incompatible avec la Constitution.
La Cour EDH quant à elle, pour estimer si l’exigence de légalité d’établissement d’un tribunal était satisfaite appliqua donc les trois critères susmentionnés. Pour convenir d’une violation manifeste du droit interne la Cour, là encore, ne faiblit pas. Elle se fonde sur la décision et la résolution de la Cour suprême en estimant que ces dernières étaient motivées, approfondies et détaillées (§264). En revanche elle estime sans flancher que le Tribunal constitutionnel a une argumentation largement lacunaire et même arbitraire dans ses deux derniers arrêts (§262), de sorte que la Cour ne pouvait décemment pas la prendre en compte dans son argumentation.
Quant à savoir si les atteintes au droit interne vidaient de sa substance le droit à un « tribunal établi par la loi », la Cour EDH semble venir enrichir ou éclairer une nouvelle fois l’exigence de légalité d’établissement d’un tribunal en consacrant le principe « d’influence déterminante ou indue » (§274) des pouvoirs exécutifs et législatifs au stade de la proposition/recommandation des membres. Donc elle fait entrer ce stade de la procédure dans le droit à un tribunal établi par la loi. En effet, il était clair que la Cour avait – depuis longtemps – fait du processus de nomination des juges un élément inhérent à la notion de « tribunal établi par la loi »[63], mais un flou demeurait quant à la question de savoir à partir de quel stade de la procédure (recommandation, nomination…) cette exigence s’appliquait.
Dès lors, puisque les deux pouvoirs s’immiscent de manière indue au stade de la proposition des membres du Conseil national de la magistrature, celui-ci ne peut donc pas être considéré comme indépendant et impartial (§276), cela révèle que la nomination des membres de la chambre disciplinaire souffre par extension du même vice puisque le Conseil intervient dans ce processus. Cette procédure est donc entachée d’une « irrégularité fondamentale » et est incompatible avec l’article 6§1 car elle compromet manifestement la légitimité des juges du Conseil national de la magistrature et de ceux de la chambre disciplinaire (§276)[64]. La Cour conclut alors fermement que cette dernière n’est pas un tribunal établi par la loi.
Toujours est-il que la Cour vient sanctionner des atteintes manifestes à des règles fondamentales et non pas purement formelles, ce, dans un but bien précis : sauvegarder le principe d’inamovibilité des juges. En effet, le vade-mecum établi par la Cour depuis l’arrêt Gudmundur met en place un triptyque plutôt consensuel de critères, visant à ne pas rendre ses exigences trop rigides ou rendant trop facile la constatation d’un manquement au droit à un tribunal établi par la loi, après tout l’inamovibilité́ des juges fait elle aussi partie intégrante des garanties d’indépendance et il ne serait pas souhaitable d’ouvrir la porte à des ingérences injustifiées en la matière. La Cour s’est par ailleurs aussi saisie de cette question spécifique, afin de compléter l’édifice à l’heure où le nombre important de contentieux relatifs à l’indépendance judiciaire le lui permet.
III- Le renforcement du premier garde-fou des juges contre la dépendance : la subjectivisation de l’exigence d’inamovibilité
La Cour fait sienne et étend la pensée du juge Sicilianos dans son opinion concordante de l’arrêt Baka[65]: il avait affirmé que puisque l’État de droit devait protéger l’indépendance du juge, cela n’avait pas de sens « sans le droit correspondant du juge lui-même à l’indépendance ». La logique était implacable, « comment peut-on espérer que les justiciables jouissent du droit à un juge indépendant si le juge lui-même ne bénéficie pas des garanties propres à lui assurer cette indépendance ? », indépendance notamment protégée par l’inamovibilité et donc le droit subjectif correspondant. La Cour vient donc reconnaitre le droit à l’inamovibilité des juges, mais aussi des membres du CNM, organe constitutionnel chargé d’assurer l’indépendance de ces derniers.
A- La reconnaissance d’un droit subjectif
Indépendance, et donc, inamovibilité. Le deuxième étant le corollaire du premier comme la Cour le précise depuis 1984[66]. C’est en se livrant alors à une interprétation audacieuse de l’applicabilité de l’article 6 en la matière et à une interprétation compendieuse mais salutaire de la jurisprudence Eskelinen[67] que la Cour parvient à faire entrer dans son champ de compétence un contentieux relatif à la cessation prématurée des mandats de vice-président d’une juridiction[68], à l’image de son téméraire arrêt Baka[69]. Ce, afin de tenter encore une fois, dans ce méandreux contentieux de l’indépendance judiciaire, de renforcer l’autorité de la justice dans une société plus vraiment démocratique.
Dans cet arrêt, la Cour dut tout d’abord prouver l’existence d’un « droit » comme l’imposent les conditions d’applicabilité de l’article 6. Pour cela, elle est venue consacrer un droit subjectif des juges à l’inamovibilité[70], en effet elle l’évoque au paragraphe 149, en affirmant que l’État défendeur « a porté atteinte à la substance même du droit pour les requérants d’accéder à un tribunal ». Le requérant se voyant donc reconnaitre un droit subjectif. La Cour l’a fait « en déduisant de la Constitution un droit subjectif pour le juge à ce que son indépendance et son inamovibilité puissent être garanties »[71] en s’appuyant sur « les principes constitutionnels relatifs à l’indépendance et à l’inamovibilité des juges tels qu’établis aux articles 178 et 180 de la Constitution » (§106).
Certes, la Cour « força quelque peu l’existence d’un « droit[72] » », (ce que le juge polonais dissident ne manqua pas de faire remarquer), mais cela est bienvenu lorsqu’il s’agit du seul moyen « d’aborder à bras-le-corps la mécanique de déconsolidation démocratique en Pologne [73]».
Il est vrai que ce droit n’avait a priori aucune base en droit interne. Or, il s’agit normalement d’une condition permettant de reconnaitre l’existence d’un droit reconnu de manière défendable en droit interne[74].
C’est donc ce que dénonce le juge Wojtyczek dans Broda et Bojara ( mais aussi dans Grzeda qui fera l’objet d’une analyse en aval de cet article). Cependant, il n’existe pas de ligne jurisprudentielle claire sur la question. Normalement, pour savoir si le droit existe de manière « défendable » en droit interne, la Cour doit examiner le droit interne pertinent et l’interprétation qu’en font les juridictions. Or, en passant en revue la jurisprudence existante la prise en compte des critères est fluctuante. Mais surtout, il est possible de se rendre compte que le critère est interprété plutôt souplement par la Cour et qu’elle vise surtout à ne pas restreindre voir même à étendre l’applicabilité de l’article 6§1. Ce que les arrêts d’espèce tendent à démontrer.
Dans Broda et Bojara, il semblerait que la Cour ait plutôt usé du critère de la base légale, car la Constitution laissait à penser que les requérant pouvaient prétendre à l’existence d’un droit défendable. En ce sens, elle semble en contrepartie avoir délaissé la jurisprudence pertinente comme le démontre le juge Wojtyczek.
Cependant, eu égard à l’importance des enjeux en cause pour la pérennité des valeurs propres à l’État de droit, nous pouvons entendre et défendre le raisonnement de la Cour bien que celui-ci ne soit pas d’une rigueur méthodologique implacable. En effet, force est de constater qu’au-delà de la manière dont l’interprétation est menée, la solution n’est pas seulement acceptable mais surtout nécessaire. A ce titre, une affirmation de B.Chenot peut venir soutenir cette résolution. En effet, il soutient que « (…) le mouvement même des faits sociaux a ouvert dans les sciences sociales et notamment dans le droit une crise des fondements (…). Les principes sont flous, les notions se font et se défont de plus en plus vite, les règles se contredisent (…). Les constructions classiques se vident de leur sens quand le milieu social évolue trop vite. Si l’évolution est vraiment trop rapide, elle laisse derrière elle les plus harmonieuses théories comme des carcasses où passe le vent. [75]»
Il s’agirait donc peut-être d’un risque auquel s’exposerait la Cour et sa jurisprudence si elles n’évoluaient pas. Aussi, reconnaitre à un juge le droit de mener son mandat à terme et donc lui reconnaitre un droit subjectif à l’inamovibilité ? Rien de bien étonnant dans un État de droit et rien de plus nécessaire dans le contexte actuel touchant la Pologne et la réforme de son système judiciaire.
Il appartient à la Cour de protéger des droits concrets et effectifs, or forcer un peu l’applicabilité de l’article 6 permet de faire entrer dans le champ d’application de la Convention des litiges éminemment importants.
En ce qui concerne son argumentation relative aux critères Eskelinen, la Cour se contente d’estimer qu’aucune disposition du droit interne ne prévoyait une exclusion « expresse » du droit d’accès à un tribunal des requérants sans se livrer à l’habituel examen circonstancié du droit pertinent[76]. La Cour finit de toute manière par évacuer l’établissement de ce critère en raison du fait que le deuxième critère n’était pas établi (§116) car l’exclusion d’accès à un tribunal ne reposait pas sur des motifs objectifs liés à l’intérêt de l’État. Et ce pour une bonne raison. En effet la Cour vient rappeler la singularité du rôle du juge et ses attributs dans un État de droit: « compte tenu du statut particulier des membres du corps judiciaire et de l’importance du contrôle juridictionnel des procédures concernant la révocation ou la destitution des juges, la Cour estime qu’on ne saurait affirmer qu’un lien spécial de confiance entre l’État et les requérants justifiait l’exclusion des droits garantis par la Convention » (§122).
Sur le fond, il était question dans Broda et Bojara d’une loi habilitant le ministre de la Justice à démettre avant terme les présidents de tribunaux sans conditions de fond ni motivation et sans leur accorder une possibilité de recours, par dérogation au principe d’inamovibilité en cours de mandat. La Cour estime sans surprise que ce cadre juridique n’était pas assez précis et que l’on pouvait donc soupçonner un élément d’arbitraire dans les décisions du ministre au moment de la révocation des juges.
Ce fut aussi l’occasion pour la Cour de marteler sans ambages que « la négation de l’État de droit est tout aussi intolérable en matière de droits procéduraux qu’en matière de droits substantiels » (§145). Ce qui revient à faire référence aux propos tenus plus haut relativement à l’État de droit. Effectivement, cette affirmation constitue un rappel. Il a toujours été évident que des violations des droits dits substantiels portaient atteinte à l’État de droit et à la société démocratique. Il en va évidemment de même pour les droits procéduraux, la Cour n’a d’ailleurs jamais délaissé ce pan de son contentieux. Cependant, ici, le rappel catégorique effectué par la Cour qui peut paraitre surabondant aux initiés peut interroger. Équivaut-il à une injonction pour les États à prioriser la protection des garanties procédurales dans leurs systèmes. Sinon, est-ce là une volonté de revaloriser les droits procéduraux ?
Toujours est-il qu’il s’agit d’un mémento ayant une résonance particulière : l’État de droit est un tout, les pans le constituant entretiennent des liens indissociables. La négation de l’un ou l’autre est équivalente. Aussi, peut-être est-ce aussi révélateur du paroxysme qu’atteint cette crise de l’État de droit : le besoin de revenir sur les fondements les plus élémentaire d’un État de droit, telle Sisyphe roulant sa pierre.
Ainsi, les standards de protection sont de plus en plus encadrés et précisés pour les rendre effectifs. On continue dès lors assister à une subjectivisation des contentieux objectifs[77] lorsque sont en jeu la séparation des pouvoirs et l’organisation de la justice et d’un autre côté cela renforce également le mouvement de substantialisation des garanties procédurales.
L’arrêt Grzeda[78] en atteste et démontre également que lorsqu’est en jeu l’indépendance de la justice, premier prérequis à l’effectivité du procès équitable, la Cour ne s’enferme pas dans les affres de la subsidiarité et n’hésite pas à se livrer à des interprétations audacieuses la menant à désavouer toute la politique organisationnelle d’un État.
B- Le droit analogue d’un membre du CNM
Il s’agit désormais de s’intéresser à l’arrêt Grzeda, qui avait déjà fait parler de lui lorsque la Cour avait anticipé l’entrée en vigueur du Protocole 15 en faisant fi de l’opposition du gouvernement polonais lorsqu’elle avait fait le choix de se dessaisir en faveur la Grande Chambre.
Dans cette affaire, il n’était plus question de la révocation de présidents de juridiction mais de la révocation d’un membre du Conseil national de la magistrature. Effectivement, le requérant, juge à la Cour administrative suprême avait vu son mandat au sein de cette instance être abrégé en application de la loi 2017 susmentionnée en deuxième partie (article 6 de la loi).
Par conséquent, lorsque la Diète élut quinze nouveaux membres le mandat du requérant prit fin ex lege sans qu’il en ait été notifié officiellement.
Ici encore la Cour conclut à l’existence d’un droit pour rendre applicable l’article 6 : celui d’accomplir l’intégralité de son mandat (§286). Elle se fonde pour cela sur la protection constitutionnelle de l’inamovibilité qui existait bel et bien et n’avait jamais été contestée aussi frontalement avant l’arrivée de la nouvelle majorité (§271). Quant à la jurisprudence constitutionnelle qui vient avaliser les nouveaux modes de nomination, la Cour vient la disqualifier sans ciller au motif qu’il était légitime de douter de sa validité et sa légitimité à cause de la composition suspecte du Tribunal (§277). Elle s’appuie d’ailleurs sur l’arrêt Xero Flor pour motiver cela.
Ainsi, contrairement à l’arrêt Broda et Bojara elle insiste longuement sur les justifications d’applicabilité de l’article 6 et sur les critères Eskelinen, cela s’entend puisque le cas était nouveau, il ne s’agissait pas de la révocation d’un juge à proprement parler.
A ce titre, le juge Lemmens s’accorde avec la majorité pour dire que le droit du requérant d’accomplir son mandat existait et qu’il déclenchait dès lors l’application de l’article 6§1 puisqu’il existait à son sens de manière « défendable ». Il s’oppose cependant à l’argumentation de la majorité tendant à estimer que ce droit existait « réellement », « avec une certitude quasi absolue ». Selon lui, la Cour a donc poussé trop loin son examen. Il y a d’ailleurs comme un air de déjà vu, car dans un arrêt contre la Hongrie[79], un autre juge, le juge Sicilianos avait émis exactement la même critique[80].
Ainsi, si on se réfère aux opinions du juge Wojtyczek et du juge Lemmens et comme le relève D.Szymczak, cela nous permet de constater que les juges eux-mêmes ont une approche différente des conditions d’applicabilité de l’article 6 sur ce point[81] et de la méthode interprétative à mettre en oeuvre. Ce qui démontre un manque de clarté au sein du régime de l’article 6 de la Convention qu’il s’agit peut-être de corriger afin de parfaire l’acceptabilité des arrêts de la Cour. D’autant plus dans un contexte de vive opposition.
Ce pouvoir discrétionnaire et la malléabilité du critère par la Cour au fur et à mesure des arrêts rendus permettent de se rendre compte de la difficulté à saisir le sens de ce critère.
Toujours est-il que si le juge Lemmens déplore le pointillisme de la Cour dans cet arrêt, il s’agit aussi de noter que c’est peut-être aussi là une façon de rendre plus clair son point de vue afin de justifier l’extension de l’applicabilité de l’article 6 dans l’affaire.
D’autant plus qu’une certaine forme d’hypocrisie ou « d’opposition de principe » peut être relevée car fort est à parier que si la Cour avait conclu en sens inverse les dissidences auraient crû de manière exponentielle.
Sur la question de savoir si la condition relative à l’exclusion d’accès à un tribunal en droit interne était remplie, la Cour semble s’empêcher de répondre explicitement à la question (§294) comme elle l’avait fait dans Broda et Bojara. Cela s’explique par le fait que le doute était permis quant à savoir si le droit interne censé être pertinent l’était réellement étant donné la situation actuelle en Pologne. La Cour n’ayant surement pas le désire de reconnaitre l’existence d’une loi avalisant ou facilitant l’arbitraire.
Notons cependant que cette affaire a été l’occasion pour la Cour d’affiner la première condition Eskelinen en assouplissant de manière surprenante cette dernière en n’en faisant plus un critère « stricte »[82]. Cependant, bien que la Cour ne réponde pas explicitement dans un premier temps, elle le fait implicitement lors de l’examen sur le fond de l’arrêt, car c’est justement l’exclusion de l’accès à un tribunal qu’elle sera amenée à examiner, et c’est sur ce fondement qu’elle finira par condamner la Pologne.
En ce qui concerne le deuxième critère la Cour ne fait pas l’économie d’arguments pour l’exclure.
Ainsi elle commence par insister longuement sur le rôle particulier des conseils de la magistrature qui rend l’obligation de garantir leur indépendance indispensable afin de ne pas nuire à leur mission de protection de l’indépendance de la justice (§§300-306)[83]. Elle vient finalement user de la subsidiarité à son avantage en en faisant « un argument de responsabilité renforcée[84] » selon lequel les autorités et juridictions nationales ont la charge d’interpréter et d’appliquer le droit interne « d’une manière qui donne plein effet à la Convention (…). A cet égard, la Cour souligne que le système de la Convention ne peut fonctionner en l’absence de juges indépendants ». (§324). C’est évident, mais il s’impose malheureusement de le rappeler. Ce qui l’amène d’ailleurs à déclarer sans ménagement (et « avant même de se prononcer sur le fond [85] ») que « L’impossibilité qui a été faite à l’intéressé d’accéder à une garantie fondamentale pour la protection d’un droit (…) étroitement lié à la préservation de l’indépendance de la justice ne saurait passer pour relever de l’intérêt d’un État de droit. » (§326).
En ce qui concerne le fond de l’affaire, la Cour condamne sans surprise la Pologne pour violation du droit d’accès à un tribunal en estimant que « des garanties analogues à celles qui s’appliquent en cas de révocation d’un juge devrait de même s’appliquer lorsqu’un (..) membre du Conseil national de la magistrature a été démis » (§345), ainsi « à raison de l’absence de contrôle juridictionnel en l’espèce, l’État défendeur a porté atteinte à la substance même du droit pour le requérant d’accéder à un tribunal »(349).
Elle en profite pour pointer du doigt au paragraphe 348 les nettes régressions ayant eu lieu en Pologne relativement à l’indépendance de la justice et qui démontrent à son sens une « tendance générale » visant à « affaiblir l’indépendance de la justice ».
On ne peut que lui donner raison, cette tendance générale est aussi révélatrice d’un contexte particulièrement tendu et d’un « conflit (..) frontal entre les conceptions promues par les ordres européens et celle revendiquée par le parti au pouvoir en Pologne [86] ». Depuis lors la Cour EDH tente de lutter sur tous les fronts, en indiquant des mesures provisoires par exemple dans différentes affaires[87]. Notamment dans une affaire où ce conflit frontal et le rejet manichéen et irrationnel du droit européen apparait flagrant, voir (tristement) risible.
Effectivement, la Cour EDH a dû indiquer des mesures provisoires dans une affaire concernant une juge accusée d’avoir appliqué la jurisprudence de la Cour EDH elle-même en contestant la légitimité des nominations de certains juges …[88].
Conclusion
Depuis sa création, la Cour est en permanence confrontée à de nouveaux défis, et aujourd’hui elle n’a de cesse de lutter « contre ces forts vents contraires[89] » qui l’assaillent, dont les atteintes à l’indépendance de la justice constituent l’un des principaux défis de la Cour.
Reste à savoir si ses réponses sont satisfaisantes.
Cela pourrait passer pour un truisme, mais rappelons en premier lieu l’importance d’une justice indépendante pour mesurer ensuite la pertinence des réponses apportées : « l’indépendance de la justice est bien davantage qu’une garantie procédurale. (…) les droits fondamentaux ne sont réellement protégés que si un juge indépendant est en mesure de prévenir ou d’en sanctionner la violation [90]». C’est donc toute l’architecture du système conventionnel qui est en jeu puisqu’une justice indépendante est le préalable à une application logique et efficace de la subsidiarité dont l’épuisement des voies de recours est la marque procédurale et les juges internes les acteurs principaux.
A partir de là, quelle appréciation porter sur les réponses de la Cour ?
A-t-elle innové ? Oui, en étendant l’applicabilité de l’article 6 et en consacrant des droits subjectifs aux juges. Mais a-t-elle suffisamment innové ? La question mérite qu’on s’y attarde et il convient pour cela d’y répondre sous deux prismes différents. D’une part, dans le cadre du système conventionnel il est possible d’affirmer qu’elle a suffisamment innové en plaçant sous les auspices des droits de l’homme le droit du juge à l’indépendance et à l’inamovibilité.
La Cour renforce ainsi la séparation et l’équilibre des pouvoirs, mais surtout l’assise du droit conventionnel en droit interne, puisque ce dernier repose sur la subsidiarité. Comment envisager autrement la pérennité du système conventionnel dans un contexte où certains États par les réformes mises en place rendent délicate une application du principe de subsidiarité ?
Tout cela permet donc de garantir une application effective des droits de l’Homme pour rappeler que tous les pans faisant d’un État un État de droit sont interdépendants et qu’il ne s’agit pas de s’y conformer « à la carte » : la subsidiarité doit aussi se mériter.
D’autre part, en confrontant les réponses de Strasbourg à celles de Luxembourg il s’agit de noter que la Cour ne se place pas aussi frontalement sur le terrain de l’indépendance que la CJUE[91].
Pourquoi? Les réponses ne peuvent être qu’hypothétiques et nous excluons celle qui tendrait à affirmer que la Cour cherche à se démarquer de la CJUE, au contraire les deux Cour semblent créer une « alliance juridictionnelle contre la logique illibérale[92] ». A notre sens, la Cour a cherché à se saisir de manière détournée de la question de l’organisation juridictionnelle polonaise en autonomisant la notion de « tribunal établi par la loi ». Mais surtout, cela lui a permis de ne pas stigmatiser à outrance la Pologne. La Cour est après tout toujours confrontée au défi de l’effectivité, car faut-il encore que ses arrêts soient appliqués (malheureusement, sur ce terrain, les réponses peuvent s’apparenter à des pis-aller…[93]).
Toujours est-il qu’il nous semble donc plutôt que la Cour fait le choix d’une réponse équilibrée permettant de revenir et parfaire les bases d’un État de droit. En effet, face à une telle opposition que faire d’autres que répéter et adapter : répéter pour convaincre, pour réaffirmer, pour revaloriser. Adapter également le principe en l’étendant aux champs voisins : le droit à accéder à une justice indépendante se ramifie[94]. Aussi, la Cour fait évoluer les notions, les adapte à un contentieux particulier et répète des principes censés être acquis, sans pour autant prétendre résoudre la crise à elle seule.
À plus forte raison, il ne faut pas oublier les conditions dans lesquelles le droit s’élabore « dans le tumulte des assemblées, sous l’huis clos des juridictions [95]» et que les notions et les règles élaborées par la jurisprudence « (…) jouent dans la marge d’initiative que les lacunes ou les ambiguïtés des textes laissent aux tribunaux et ceux-ci se réfèrent, à l’occasion, aux grands principes, ceux qui ne sont écrits nulle part sinon dans les tables philosophiques que sont les déclarations de droits. [96]». A ce titre, l’État de droit renferme des paradoxes ; il est « impossible [97] », car il devient indubitablement un État soumis au juge ou à la volonté des hommes ; mais également « inévitable [98]», car il repose sur une conception de la liberté. Ainsi, dans un tel contexte, il nous semble que la Cour est légitime à user d’une forme « d’autonomie morale » lui permettant de parfaire le sens d’un État de droit et de faire évoluer les conséquences s’y attachant pour les États.
[1] J-P. COSTA, « Renforcer l’État de droit et l’accès à un travail indépendant », intervention lors de la Conférence du 70 ème anniversaire de la Convention, septembre 2020.
[2] Cour EDH, Xero Flor w Polsce sp. Zo.o c. Pologne, 7 mai 2021, n°4907/18. ; Cour EDH, Reczkowicz c.Pologne, 22 juillet 2021, n°43447/19 ; ; Cour EDH, Broda et Bojara c. Pologne, 29 juin 2021, 26691/8 27367/18 ; CEDH, Gr. Ch. Grzęda c. Pologne, 15 mars 2022, n°43572/18.
[3] F. KRENC, « L’État de droit : une exigence à clarifier, un édifice à préserver », Revue trimestrielle des droits de l’Homme, 2021/4 (N° 128), p. 775-790.
[4] Ibid.
[5] L. BURGORGUE-LARSEN, « Actualité de la Convention européenne des droits de l’Homme (Septembre-Décembre 2021) » AJDA, 2022, p. 207.
[6] A. VIALA, « Libéralisme/populisme : les failles d’un nouveau clivage », dans AOC, 2019, disponible à : https://aoc.media/analyse/2019/05/29/le-piege-epistocratique-liberalisme-vs-populisme-2/
[7] Ibid.
[8] Tribunal constitutionnel polonais, 24 novembre 2021, K6/21.
[9] Cour EDH, Synakiewicz et 4 autres c. Pologne, 23 mai 2022, n°46453/21 et 4 autres (Affaire communiquée).
[10] NSA, 16 novembre 2022, III OSK 2528/21 : https://orzeczenia.nsa.gov.pl/doc/19E3B22F74.
[11] L. BURGORGUE-LARSEN, « Populisme et droits de l’homme – Du désenchantement à la riposte démocratique », dans E. Dubout et S. Touzé (dir.), Refonder les droits de l’homme – des critiques aux pratiques, Coll. Publications du Centre de Recherche sur les droits de l’Homme et le droit humanitaire, Editions A. Pedone, , Paris, 2019, p.207 : « (…) les ressorts populistes résident toujours et encore dans un désarroi social qui s’est développé́ (…) au sein de démocraties constitutionnelles libérales (…). Ainsi, au désenchantement social per se, se superpose un désenchantement démocratique libéral qui n’épargne guère le rôle et la place des Cours constitutionnelles garantes des droits fondamentaux, dont on sait qu’elles sont un rouage consubstantiel au constitutionnalisme moderne ».
[12] Il s’agit là d’une approche du populisme retenue par Ernesto Laclau (E. LACLAU, La raison populiste, Paris, Seuil, 2008), le populisme créerait un antagonisme fondamentale entre le « Eux » (le système) et le « Nous » (le peuple) afin que ce dernier s’émancipe du « Eux » pour œuvrer à la réalisation d’une démocratie radicale.
[13] W.OSIATYŃSKI, Human Rights and Their Limits, Cambridge University Press, 2009, p.82. Extrait en anglais: « Usually, populist leaders use all accessible means to spread fear among citizens, precisely so that they will be seen as the ones who are able to save the voters from real or imaginary threats ».
[14] Ibid. Extrait en anglais: The difference is that a dictator’s message is “fear me or I will harm you.” A populist, instead, says “fear them and I will save you”.
[15] C. SCHMITT, Théorie de la Constitution, PUF, 2ème édition Quadrige, 2013, p. 246.
[16] Ibid.
[17] Ibid.
[18] Ibid.
[19] P-A., TAGUIEFF, L’illusion populiste, 2002. Selon lui le populisme est « Un style politique capable de mettre en forme divers matériaux symboliques et de se fixer en de multiples lieux idéologiques, prenant la coloration politique du lieu d’accueil. Il se présente aussi comme un ensemble d’opérations rhétoriques mises en œuvre par l’exploitation symbolique de certaines représentations sociales […] ».
[20]A. VIALA, « Libéralisme/populisme : les failles d’un nouveau clivage », dans AOC, 2019, disponible à : https://aoc.media/analyse/2019/05/29/le-piege-epistocratique-liberalisme-vs-populisme-2/
[21]A. VIALA, « Le piège épistocratique – libéralisme vs populisme 2 », dans AOC, 2019, disponible à : https://aoc.media/analyse/2019/05/29/le-piege-epistocratique-liberalisme-vs-populisme-2/. Des idéaux tels que le climat, la liberté, etc.
[22] Ibid.
[23] Ibid.
[24] Ibid.
[25] P. ROSANVALLON, Le siècle du populisme – Histoire, théorie, critique, Éditions du seuil, 2020 : selon lui le populisme repose sur une certaine conception du peuple (un « peuple-un ») (pp.29-35), une théorie de la démocratie directe et polarisée (pp. 39-49) et sur une modalité particulière de la représentation : « l’homme-peuple » (pp. 49-53).
[26] A-M. LE POURHIET, « De l’État légal à l’empire des droits : comment la hiérarchie s’est inversée », dans Le droit contre la loi, Colloque de la Fondation Res Publica, 2018.
[27] L-A. SICILIANOS, « La Convention européenne des droits de l’homme a 70 ans : dynamique d’un instrument international unique », RevTrimDrH,,2020, n° 124, p. 830.
[28] Traduction libre du discours de Robert Spano, « Building a European Community of Human Rights Judges at the National Level », Faculté de Droit, Université de Ljubljana, 24 juin 2021.
[29] L-A. SICILIANOS, « La Convention européenne des droits de l’homme a 70 ans : dynamique d’un instrument international unique », RevTrimDrH, 2020, n° 124,. p. 830.
[30] Parti Droit et Justice (parti d’extrême-droite conservateur et eurosceptique).
[31] Pour ce qui est du Tribunal constitutionnel le PiS nomma ses candidats aux sièges du Tribunal et ces derniers adoptèrent sans surprise des lois paralysant les fonctions de la juridiction. Par exemple en insérant l’obligation de traiter des affaires dans l’ordre chronologique, ou encore par la manipulation du quorum de juges nécessaires. Désormais, le Tribunal ne peut que statuer à la majorité́ qualifiée (sachant qu’une grande partie des juges ont été nommés par le gouvernement). Aujourd’hui, il n’est plus qu’une « épée émoussée », un « comité politique » : T.T. KONCEWICZ, « De la justice constitutionnelle à la justice politique – qu’est-ce que les polonais ont perdu en 2015 et qu’ont-ils obtenu en retour ? », dans RDLF, 2020, chron. n°79 et Commission de Venise, Avis sur la loi relative au Tribunal constitutionnel, n°860/2016, CDL-AD(2016)026.
[32] L. BURGORGUE-LARSEN, « Populisme et droits de l’homme – Du désenchantement à la riposte démocratique», op.cit.p. 239.
[33] Commission de Venise, Avis dur le projet de loi portant modification de la loi sur le conseil national de la justice et trois autres projets de lois, Avis n°904/2017.
[34] Cour EDH, Xero Flor w Polsce sp. Zo.o c. Pologne, 7 mai 2021, n°4907/18. ; Cour EDH, Reczkowicz c.Pologne, 22 juillet 2021, n°43447/19 ; Cour EDH, Broda et Bojara c. Pologne, 29 juin 2021, 26691/8 27367/18 ; Cour EDH, Gr. Ch. Grzęda c. Pologne, 15 mars 2022, n°43572/18.
[35] Tribunal constitutionnel polonais, 7 octobre 2021, K3/21.
[36] Tribunal constitutionnel polonais, 22 octobre 2020, K1/20.
[37] Tribunal constitutionnel polonais 2 juin 2020, P13/19.
[38] Tribunal constitutionnel polonais, 24 novembre 2021, K6/21.
[39] Cour EDH, Sunday Times c. Royaume-Uni, 26 avril 1979, n°6538/74 : « Nous entendons rappeler ici qu’il n’est pas de société démocratique sans que « le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture » (arrêt Handyside précité, p. 23, par. 49) se traduisent effectivement dans son régime institutionnel, que celui-ci soit soumis au principe de la prééminence du droit, qu’il comporte essentiellement un contrôle efficace de l’exécutif, exercé, sans préjudice du contrôle parlementaire, par un pouvoir judiciaire indépendant (arrêt Klass et autres précité, pp. 25-26, par. 55), et qu’il assure le respect de la personne humaine ».
[40] Cour EDH, Lavents c. Lettonie, 21 novembre 2002, n°58442/00 : « La Cour rappelle qu’en vertu de l’article 6 § 1, un « tribunal » doit toujours être « établi par la loi ». Cette expression reflète le principe de l’État de droit, inhérent à tout le système de la Convention et de ses protocoles. » §114.
[41] Voir infra note 2.
[42] Cour EDH, Xero Flor w Polsce sp. Zo.o c. Pologne, 7 mai 2021, n°4907/18.
[43] F. SUDRE, L. MILANO, B. PASTRE-BELDA et H. SURREL, « Convention européenne des droits de l’homme – Droit de la Convention européenne des droits de l’homme – Chronique », dans La Semaine Juridique Edition Générale n° 1-2, 11 Janvier 2021, doctr. 28 ; L.MILANO, « La Pologne sous le feu des condamnations », dans Le club des juristes, 2021.
[44] Cour EDH, Gr. Ch., Ástráðsson c. Islande, 1er décembre 2020, n° 26374/18 : E. DREYER, « Un an de droit de la Convention européenne des droits de l’homme en matière pénale – Février 2020 – Février 2021 », dans Revue de droit pénal, 2021.
[45] L. BURGORGUE-LARSEN, « Actualité́ de la Convention européenne des droits de l’homme – août – décembre 2020 » AJDA, n°04, 2021, p.200
[46] Le test tient en trois étapes i. il s’agit en premier lieu de savoir s’il y avait une violation manifeste du droit interne, ii. Ensuite la violation doit être examinée à la lumière de l’objet et du but des exigences d’un tribunal établi par la loi, iii. Finalement, l’allégation a été examinée ou si des recours étaient disponibles.
[47] Cour EDH, Gudmundur Andri Astradsson c. Islande, 1er décembre 2020, n°26374/18.
[48] Ce deuxième critère s’entend car la violation doit s’analyser à la lumière de l’objet et du but de l’exigence d’un « tribunal établi par la loi » qui sont justement : veiller à ce que le pouvoir judiciaire puisse s’acquitter de sa mission de manière indépendante – donc à l’abri de toute ingérence injustifiée – afin de préserver la prééminence du droit et la séparation des pouvoirs.
[49] Donc la règle selon laquelle un juge devait être élu par et pendant la législature de la Diète durant laquelle son siège devient vacant.
[50] L. MILANO, « La Pologne sous le feu des condamnations », dans Le club des juristes, 2021.
[51] NSA, 16 novembre 2022, III OSK 2528/21.
[52] Traduction libre.
[53] Traduction libre.
[54] Cour EDH, Reczkowicz c. Pologne, 22 juillet 2021, n°43447/19.
[55] Ibid.
[56] Tribunal constitutionnel polonais, 20 juin 2017, aff. K5/17.
[57] Tribunal constitutionnel polonais, 18 juillet 2007, aff. K25/07.
[58] K. BLAY-GRABARCZYK, « Les juridictions de l’Union européenne et les droits fondamentaux. Chronique de jurisprudence (2021) », Revue trimestrielle des droits de l’Homme, vol. 131, no. 3, 2022, p. 521.
[59] CJUE, A. K. contre Krajowa Rada Sądownictwa et CP et DO contre Sąd Najwyższy, 19 novembre 2019, aff. C-585/18, C-624/18 et C-625/18, §§ 139-153.
[60] Cour suprême polonaise, 5 décembre 2019, no. III PO 7/180.
[61] Résolution du 23 janvier 2020, no. BSA I-4110-1/20.
[62] Tribunal constitutionnel polonais, Décisions du 28 Janvier et 21 Avril 2020, no. K 1/20.
[63] Depuis, Cour EDH, Bulut c. Autriche, 22 février 1996, n°17358/90 (§29) ; confirmé par Cour EDH, Lavents c. Lettonie, 21 novembre 2002, n°58442/00 (§114).
[64] La Cour le formule exactement comme suit : A procedure for appointing judges which, as in the present case, discloses an undue influence of the legislative and executive powers on the appointment of judges is per se incompatible with Article 6 § 1 of the Convention and as such, amounts to a fundamental irregularity adversely affecting the whole process and compromising the legitimacy of a court composed of judges so appointed (§276).
[65] Cour EDH, Baka c. Hongrie, 27 mai 2014, n°20261/12.
[66] Cour EDH, Campbell et Fell c. Royaume-Uni, 28 juin 1984, n°7819/77 et 7878/77 § 80.
[67] Cour EDH, Vilho Eskelinen c. Finlande, 19 avril 2007, n°63235/00 : la Cour y a établi une présomption d’applicabilité de l’article 6 aux conflits de travail entre agents publics et État. Cette présomption s’efface selon deux conditions cumulatives : le droit interne a exclu l’accès à un tribunal de manière expresse en visant la catégorie de salariés en question, et, si cela est le cas, l’État doit prouver que l’objet du litige est lié à l’exercice de l’autorité étatique ou qu’il remet en cause le lien spécial de confiance et loyauté entre le fonctionnaire et l’État.
[68] Cour EDH, Broda et Bojara c. Pologne, 29 juin 2021, 26691/8 27367/18.
[69] Cour EDH, Baka c. Hongrie, 27 mai 2014, n°20261/12 : il était question de l’interruption prématurée du mandat du président de la Cour suprême en conséquence des opinions qu’il avait publiquement exprimées en cette qualité. Il lui était en plus impossible de contester cette interruption prématurée de son mandat.
[70] L. BURGORGUE-LARSEN, « Actualité de la Convention européenne des droits de l’homme – janvier – août 2021 », AJDA, n°04, 2021, p.200
[71] Ibid.
[72] Ibid.
[73] Ibid.
[74] Le critère de la « défendabilité » a été consacré dans l’arrêt James c. Royaume-Uni, 21 février 1986, n°8793/79 (§81) et constitue désormais un préalable à l’applicabilité de l’article 6.
[75] B.CHENOT, « L’existentialisme et le Droit », dans Revue française de science politique, n°1, 1953, pp.59-61
[76] Ibid.
[77] Ibid.
[78] Cour EDH, Gr. Ch. Grzęda c. Pologne, 15 mars 2022, n°43572/18.
[79] CEDH, GC, Bélané Nagy c. Hongrie, 13 décembre 2016, n°53080/13
[80] Notons que le fond des affaires est différent, l’affaire hongroise porte sur des faits s’étant déroulés en 2005 c’est-à-dire antérieurement aux réformes anti-démocratiques menées depuis 2010 et était relative à la suspension des fonctions d’un pasteur par un tribunal ecclésiastique. Toujours est-il qu’une interprétation très poussée de l’existence d’une « contestation défendable » a lieu dans les deux cas, sans pour autant que cela ne mène au même résultat car dans les affaires polonaises la Cour conclut à l’applicabilité de l’article 6 mais pas en 2017 dans l’affaire hongroise.
[81] D. SZYMCZAK, « Sollicitations et réponses de la Cour européenne des droits de l’homme dans la crise de l’État de droit », RDLF, chron. n°09, 2023
[82] §§291-292 : le critère est censé être stricte, mais la Cour vient admettre que cela n’est pas toujours approprié, ainsi cette condition peut aussi être remplie « lorsque l’exclusion en question est de nature implicite, en particulier lorsqu’elle découle d’une interprétation systémique du cadre juridique applicable ou du corpus législatif dans sa globalité ».
[83] Notamment « (…) la raison d’être du CNM et sa mission de protection de l’indépendance de la justice exigent qu’il soit indépendant des branches politiques du pouvoir de l’État. » ainsi, « (…) la Cour estime qu’il convient de comprendre l’indépendance de la justice de manière inclusive, comme s’appliquant aux juges non seulement dans leur rôle judiciaire, mais aussi dans le cadre des autres fonctions officielles étroitement liées au système judiciaire qu’ils peuvent être amenés à assumer ».
[84] C BOITEUX-PICHERAL, C. HUSSON-ROCHCONGAR et M. AFROUKH, « Évolutions de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme – Second semestre 2021 » dans RDLF 2022, chron. n°16.
[85] Ibid.
[86] Ibid.
[87] Voir infra note 9.
[88] Cour EDH, Glowacka c. Pologne, 31 mars 2022, n°15928/22.
[89] Opinion en partie concordante en partie dissidente du juge Pinto de Alburquerque dans l’arrêt GIEM SRL et autres c. Italie, 28 juin 2018, n°1828/06. Il fait par cette formule référence aux mouvements populistes.
[90] F.Krenc, « L’État de droit : une exigence à clarifier, un édifice à préserver », Revue trimestrielle des droits de l’Homme, vol. 128, no. 4, 2021, p.783
[91] CJUE, Commission c. Pologne, 26 juin 2019, aff. C-619/18 ; CJUE, Commission c. Pologne, 15 juillet 2021, C-791/19 ; CJUE, W.Z., 6 octobre 2021, C-487/19
[92] X.SOUVIGNET, « Le dialogue des juges sur la notion de « tribunal établi par la loi » », RevueDLF, chron. n°10, 2023
[93] La Pologne peine à exécuter les arrêts, voir à s’y opposer, voir en ce sens la décisions susmentionnée dy Tribunal constitutionnel polonais du 24 novembre 2021, K6/21.
[94] Il trouve un prolongement dans le droit subjectif du juge à voir garantie son indépendance avant d’être étendu au juge membre du Conseil National de la Magistrature.
[95] B. CHENOT, « L’existentialisme et le Droit », dans Revue française de science politique, n°1, 1953, p.63
[96] Ibid. p.64
[97] M.TROPER, La théorie du droit, le Droit, l’État, PUF, Coll. Léviathan, 2001, p.272
[98] Ibid. p.275