Vulnérabilité et justice pénale
CHAPITRE 5 – Vulnérabilité et justice pénale
Dans le cadre du procès pénal, il peut être tentant d’imaginer la vulnérabilité du côté de la victime. Cependant, l’auteur des faits est souvent lui aussi dans une situation de vulnérabilité. Le droit pénal de fond, la procédure pénale mais également le droit de la peine s’emploient à prendre en considération cette vulnérabilité existant de part et d’autre afin d’éviter naturellement que les personnes en situation de vulnérabilité ne deviennent la cible privilégiée de dérives comportementales. Il s’agit en outre de permettre à chacun de faire valoir ses arguments (notamment grâce aux droits procéduraux reconnus à la personne poursuivie et à la victime) mais également de faire en sorte que la sanction finalement prononcée – si sanction il devait y avoir – soit la plus individualisée et la plus adaptée à l’aune des besoins d’accompagnement et de soins de l’auteur des faits. Les acteurs institutionnels et associatifs sont alors mobilisés pour accompagner la reconstruction des auteurs en vue de leur (ré)insertion sociale.
CONTRIBUTIONS :
La personne vulnérable en procédure pénale
Catherine FRUTEAU, Maître de conférences en droit privé et sciences criminelles, Université de La Réunion.
Historiquement, la justice pénale a accordé davantage de considération à la vulnérabilité de la victime qu’à celle de l’auteur. La notion de « personne vulnérable » est connue du droit pénal. En procédure pénale, on constate que l’identification de la personne vulnérable a dû être repensée pour tenir compte d’une double définition de la vulnérabilité. La vulnérabilité peut être inhérente à la personne mais elle peut aussi résulter d’une situation (ainsi, une personne soumise à l’autorité d’une autre est par exemple vulnérable). Le procès pénal, de par sa procédure et ses conséquences, place l’individu, suspecté ou poursuivi, sous la menace d’une atteinte à sa liberté. De même, la victime peut être vulnérable si elle est privée de moyens d’action et/ou d’expression. Le procès pénal est donc susceptible de créer un état de vulnérabilité contre lequel il convient lutter.
L’enjeu de la matière est donc de prendre en compte l’état de vulnérabilité inhérent à la personne mais également celui généré par la procédure pénale. L’étude de cette dernière démontre qu’elle retient une définition large de la vulnérabilité en l’appréhendant dans ces deux conceptions. Néanmoins la démarche diffère. Si la vulnérabilité, inhérente à la personne, est appréhendée de façon catégorielle, la vulnérabilité inhérente à la procédure pénale fait l’objet d’une approche plus conceptuelle. La prise en compte de la vulnérabilité inhérente à la personne se fait par les critères classiques de la vulnérabilité (exemple : mineurs, majeurs protégés...). De façon notable, la procédure pénale envisage également la vulnérabilité selon d’autres critères qui tardent à émerger dans d’autres matières. On peut par exemple critiquer la portée de la mesure mais néanmoins, le mécanisme de l’aide juridictionnelle atteste de la prise en compte de la vulnérabilité économique. Le droit à un interprète pour avoir connaissance de ses droits dans une langue que l’on comprend atteste de la prise en compte de la vulnérabilité qui serait due à l’origine. Si le concept de vulnérabilité est présent en procédure pénale lorsqu’il est intrinsèquement lié à la personne vulnérable, il est important de souligner que la matière lutte également contre la vulnérabilité qu’elle est elle-même susceptible de générer. Dans cette deuxième hypothèse, la vulnérabilité n’est plus appréciée au cas par cas mais de façon catégorielle. Le législateur admet que toute personne impliquée dans une procédure pénale est en état de dépendance et est donc vulnérable. Sont donc considérés comme « personnes vulnérables » aussi bien auteur que victime.
La procédure pénale a admis dans un premier temps la vulnérabilité de l’auteur et plus généralement de toute personne suspectée ou poursuivie. Ainsi, ont été mises en place, au travers des droits de la défense, des dispositions pour lutter contre cette vulnérabilité. Ce sont généralement toutes les règles liées au droit à un procès équitable, le principe de respect de la présomption d’innocence ou encore le droit d’être assisté d’un avocat. Le législateur a également admis la vulnérabilité des personnes suspectées ou poursuivies face aux médias. Le secret de l’enquête et de l’instruction, initialement pensé pour garantir l’efficacité de la justice pénale, est aujourd’hui un moyen de préserver la réputation des personnes faisant l’objet de procédure pénale. On constate une prise en compte de la vulnérabilité de l’auteur du fait même qu’il soit au cœur d’une procédure pénale.
Plus récemment, c’est la vulnérabilité de la victime qui a fait l’objet de davantage de considération. Alors que le droit de se constituer partie civile est un droit fondamental, la parole de la victime en procédure pénale gagne en considération avec la possibilité pour une association de victimes de se constituer partie civile mais également avec le développement de la justice réparatrice via les procédures de médiation. Cette approche conceptuelle permet de rétablir, au sein du procès pénal, l’équilibre des parties tout en garantissant la fonction sociale de la justice pénale.
Vulnérabilité et justice pénale. Approche de droit pénal substantiel.
Cathy POMART, Maître de conférences HDR en droit privé et sciences criminelles, Université de La Réunion.
Il s’agit ici de s’intéresser au droit pénal substantiel. Le droit pénal se soucie classiquement plutôt de l’auteur de l’infraction. L’objectif du procès pénal est en effet de réprimer une atteinte à l’ordre public : c’est le procès de la société qui agit via le ministère public contre l’auteur présumé des faits. La victime a historiquement longtemps été laissée en marge du procès pénal. Cet auteur est-il une personne vulnérable ? Rien n’est moins sûr. S’occuper de l’auteur de l’infraction ne signifie absolument pas que l’on le considère comme une personne vulnérable. Schématiquement et en première intention, l’auteur d’une infraction n’est pas perçu comme une personne vulnérable par le droit pénal sauf dans deux cas de figure : un auteur sous l’emprise d’un trouble psychique ou neuropsychique[1] et/ou un auteur mineur[2]. L’auteur est donc assez peu considéré comme une personne vulnérable en droit pénal même si le procès pénal pourra révéler les fragilités dudit auteur qu’il faudra parvenir à accompagner dans un souci de réinsertion et de lutte contre la récidive.
L’angle d’attaque du sujet que l’on va privilégier est de considérer la victime. La personne vulnérable est / peut-être la victime d’une infraction. Sa prise en compte amène à penser que la notion de vulnérabilité est bien présente en droit pénal. Cependant, elle pourrait l’être davantage. Une fois la présence du concept de vulnérabilité établie (I), il peut être intéressant d’envisager les enjeux de l’affirmation de ce concept de vulnérabilité en droit pénal (II).
I – La présence du concept de vulnérabilité en droit pénal
Le concept de vulnérabilité est bien ancré dans notre droit pénal (A°) mais ce concept n’est pas exclusif. On admet également en matière pénale d’autres concepts qui sont plus ou moins proches de celui de vulnérabilité. Le concept de vulnérabilité subit la concurrence et bénéficie de la complémentarité d’autres concepts (B°).
A – La vulnérabilité, un concept connu en droit pénal
La vulnérabilité est un concept connu du droit pénal français au travers de deux modes d’appréhension différents.
Prise en compte de la vulnérabilité via la circonstance aggravante. La vulnérabilité est tout d’abord une circonstance aggravante en droit pénal. Elle va donc aggraver la peine encourue par l’auteur des faits. L’infraction est aggravée si elle est commise « sur une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de son auteur ».
Le législateur vise des hypothèses de vulnérabilité en les listant ce qui implique un risque de ne pas avoir tout envisagé ou une volonté de ne pas tout envisager. N’est-ce pas réducteur ? Qu’en est-il par exemple de la vulnérabilité, conséquence d’une absorption forcée de drogue ou d’alcool ? Il est – en l’état de notre droit – impossible de faire de cette circonstance une cause d’aggravation de la peine encourue ce qui peut sembler dommageable. Le législateur exige aussi que la vulnérabilité soit « particulière » pour déclencher cette circonstance aggravante. Qu’entend-t-on par là ? L’adjectif « particulière » renvoie-t-il aux hypothèses de vulnérabilité énoncées ou faut-il caractériser un degré particulier de vulnérabilité ? Enfin, le législateur exige que cette particulière vulnérabilité soit apparente ou connue de l’auteur. Ce n’est donc pas l’état de vulnérabilité de la victime en tant que tel qu’on prend en considération mais la volonté de l’auteur de s’attaquer à une personne particulièrement vulnérable. On se tourne plutôt vers l’intention de l’auteur que vers la qualité particulière de la victime.
Cette circonstance aggravante est prévue dans un grand nombre d’infractions pénales contre des personnes[3] ou des biens[4]. Dès lors que le législateur effectue des prévisions au cas par cas, il oublie peut-être des hypothèses dans lesquelles la circonstance aggravante pourrait fort pertinemment trouver à s’appliquer. Ainsi, on pourrait songer à généraliser cette circonstance aggravante à toutes infractions intentionnelles contre les personnes ou les biens. Il semble également envisageable d’avancer une définition renouvelée, un peu plus générale, de la circonstance aggravante qui prendrait place au sein des articles 132-72 et suivants du Code pénal et qui pourrait intégrer notamment la vulnérabilité économique et se détacherait des cas d’espèce.
Prise en compte de la vulnérabilité via des infractions spécifiques. La vulnérabilité de la victime est également constitutive d’infractions spécifiques. Il existe dans le Code pénal des infractions en nombre qui se réfèrent à la vulnérabilité[5]. Ces infractions sont souvent critiquées par la doctrine ainsi que par les magistrats du fait de leur imprécision. Tout l’enjeu consiste à poser un cadre pour guider l’appréciation de ces infractions autour de la vulnérabilité qui laissent une marge de manœuvre assez grande pour le magistrat.
B – La vulnérabilité, un concept concurrencé en droit pénal
La vulnérabilité est un concept qui est concurrencé en droit pénal français. En effet, on mobilise d’autres notions voisines.
Par exemple, si le droit répressif français connait la circonstance aggravante de vulnérabilité, le législateur mobilise également d’autres circonstances aggravantes simultanément comme la minorité (via la circonstance aggravante de mineur de 15 ans)[6], le rapport ascendant/descendant, l’abus d’autorité de fait ou de droit ou encore le rapport de couple (via la circonstance aggravante d’époux, de concubins, de partenaires pacsés ou d’ex-époux, d’ex-concubins ou d’ex-partenaires – définition générale à l’article 132-80 Cpén.). La minorité joue également comme condition préalable ou élément constitutif dans différentes infractions comme celle d’atteintes sexuelles sur mineur qui va être traitée de manière différente selon l’âge de la victime[7].
Des interrogations surgissent quant à l’intérêt de préserver l’ensemble de ces notions. N’est-il pas possible de promouvoir une notion unique, celle de vulnérabilité ?
II – Les enjeux de l’affirmation du concept de vulnérabilité en droit pénal
Il semble possible de faire preuve d’audace et d’affirmer davantage la notion de vulnérabilité. Cela forcera à établir une définition renouvelée de la vulnérabilité (A°) pour ne conserver qu’une notion unique, clairement définie (B°).
A – La stabilisation d’une définition renouvelée du concept de vulnérabilité
Il conviendrait d’élargir la définition de la circonstance aggravante de vulnérabilité et de la clarifier. Trois éléments clefs peuvent d’ores et déjà être identifiés pour clarifier le concept de vulnérabilité en droit pénal.
On peut tout d’abord songer à supprimer la référence à l’âge, à la maladie, à l’état de grossesse, à l’infirmité, à la déficience physique ou mentale (ce qui fera cesser l’interrogation autour du caractère limitatif ou non de l’énumération).
Il semble également possible de viser de façon plus générale les situations de dépendance économique, physique ou psychologique. Cette expression apparaît déjà à l’article 222-33 du Code pénal relatif au harcèlement sexuel qui prévoit l’aggravation de la peine encourue par l’auteur si l’infraction est commise « 3° Sur une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de leur auteur ou ; 4° Sur une personne dont la particulière vulnérabilité ou dépendance résultant de la précarité de sa situation économique ou sociale est apparente ou connue de leur auteur ».
On pourrait encore préciser que ces situations de vulnérabilité ne doivent pas avoir pour origine / pour source le comportement volontaire de la victime. Ainsi, par exemple, si la victime se met elle-même sous l’emprise de stupéfiants et qu’elle ne maîtrise plus ses actes, elle ne pourra pas invoquer sa situation de vulnérabilité (hypothèse d’une consommation volontaire d’une substance abolissant le discernement ou annihilant le contrôle des actes ou la perception des choses par la victime). On trouve ici l’idée de faute antérieure de l’agent.
Ces quelques pistes – non limitatives – permettent d’appréhender la potentialité d’une réflexion en vue d’une redéfinition de la circonstance aggravante de vulnérabilité.
B – Les avantages de l’affirmation d’un concept de vulnérabilité unique en droit pénal
Il est parfaitement envisageable de substituer le concept de vulnérabilité à nombre d’autres concepts (comme celui de la minorité). Il semble également possible d’en promouvoir une appréciation in concreto. Ainsi, par exemple, la minorité ne serait plus en soi et par principe une cause d’aggravation. Tout dépendrait de l’appréciation du cas d’espèce. L’affirmation de ce concept permettrait d’éviter les effets de seuils (lesdits seuils étant toujours extrêmement complexes à fixer[8]). L’enjeu est également de simplifier la législation pénale, d’éviter la démultiplication des circonstances aggravantes et de simplifier l’articulation des concepts entre eux et lutter contre les éventuelles redondances.
Il semble donc préférable d’axer le raisonnement pénal autour du critère du discernement et de la vulnérabilité. Le juge n’est alors aucunement lié par un seuil d’âge déterminé a priori par le législateur. Il se détermine au cas par cas en fonction de la personnalité du mineur concerné et des circonstances de fait dans le cadre d’un faisceau d’indices plus large.
Vulnérabilité des auteurs et action de la Protection Judiciaire de la Jeunesse.
Diane GEINDREAU, Conseillère technique Santé, Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ) de La Réunion.
Je vais commencer mon intervention par une évidence que l’on peut, parfois, avoir tendance à oublier. A la Protection Judiciaire de la Jeunesse, nous travaillons avant tout, avec des adolescents. Il me semble pouvoir dire que la population adolescente est unanimement reconnue comme vulnérable, fragile. C’est une phase de transition, de questionnement, de rébellion, d’expérimentations.
En quoi les adolescents de la PJJ sont-ils différents des autres ? Dans l’absolu, en rien. Les vulnérabilités sont intrinsèquement identiques à celles de tout adolescent ; elles sont néanmoins exacerbées voire envahissantes. Ce sont des jeunes particulièrement fragiles, particulièrement perméables aux risques, particulièrement influençables. Cela est notamment vrai en matière de Santé.
Pourquoi me permettre d’affirmer cela ? Entendons-nous bien. Par une telle annonce, je ne vous dis pas que nos jeunes sont plus malades que la moyenne. Ce que je veux dire, c’est que les jeunes accompagnés par la PJJ n’ont pas eu, et n’ont pas le même accès à la Santé que les autres.
Cela n’est pas visible, mais je mets une majuscule au mot Santé ; parce que je vous parle de Santé globale, de Santé bien-être telle que décrite dans la Charte d’Ottawa de 1986. Cela englobe certes l’accès aux soins, mais aussi l’accès à l’éducation à la santé (c’est-à-dire l’acquisition de compétences permettant d’agir en faveur de son propre bien-être), c’est également l’accès à un environnement sécurisant et au bien-être physique et psychique. Ces éléments sont autant de clés pour grandir et pour s’insérer.
J’en reviens à ma question initiale : pourquoi et comment affirmer que notre public est plus vulnérable en matière de Santé ? Réfléchissez bien… quelles sont les structures qui nous permettent de construire notre rapport à la Santé et au Bien-être ? La famille ; l’école ; les pairs. Sans s’étendre sur la question, vous comprenez bien ce que cela implique pour les jeunes qu’accompagne la PJJ. La Santé est un facteur d’épanouissement et d’insertion auquel ces jeunes n’ont pas, ou très peu, eu accès.
Je souhaiterais maintenant vous citer un très court résumé des articles 23 à 27 de la Convention Internationale des droits de l’Enfant du 20 novembre 1989 : « L’Enfant a le droit de jouir du meilleur état de santé possible. Les États assurent l’accès aux soins médicaux à tous les enfants, en mettant l’accent sur la prévention, l’éducation sanitaire et la réduction de la mortalité infantile ».
Partant de là, que mettons nous en œuvre à la PJJ pour aider les jeunes que nous accompagnons à grandir dans le respect de leur droit à la Santé.
Je vais utiliser les « 3 P » de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant pour vous présenter notre action : Protection ; Prestations ; Participation.
– « Protection » : Garantir au jeune le respect de son intégrité physique et psychique soit créer un environnement protecteur et favorable à la Santé Bien-Être.
* Inscription de la Santé dans les projets de service.
* Formation des professionnels à la Promotion de la Santé, au handicap …
* Mise en place d’un environnement favorable : projets d’activités sportives, repas équilibrés, accessibilité des locaux, posture des professionnels…
– « Prestations » : Garantir au jeune l’accès aux dispositifs de soins ; à l’éducation à la santé ; au discours de prévention.
* Réalisation de bilans santé ; dépistage ; consultations auprès de spécialistes ; accompagnement vers le dispositif diagnostic quand suspicion d’une pathologie ou d’un handicap.
* Accès à la Sécurité Sociale grâce à la signature d’une convention partenariale.
* Accès à la Promotion de la Santé et à la Prévention grâce à des liens forts avec le tissu associatif (Centre Ressources ETCAF – Saint-Pierre ; Réseau Oté ! ; ARPS ; Kazados).
Cet axe repose sur le travail en réseau, l’inter-connaissance, le partage des compétences pour le jeune. C’est aller auprès des professionnels et des prestataires de service pour faire connaître notre public et faire reconnaître ses vulnérabilités et son besoin d’obtenir un accès simplifié au dispositif. Nous avons besoin les uns des autres pour éviter de creuser ces vulnérabilités qui éloigneront encore plus le jeune de l’insertion.
– « Participation » : Enfin, garantir la participation du jeune et de ses parents à toutes ces démarches de Santé. Mes collègues éducateurs me rappellent sans cesse que ces jeunes ont des parents et que la Santé est une chose intime qui leur appartient. Ils ont raison ! L’ensemble des actions que je viens de vous présenter n’ont de sens que travaillées pour le jeune et avec lui, et avec ses parents. Notre rôle est d’ouvrir la voie et de donner l’impulsion et le soutien au jeune, avec ses parents, pour qu’il apprenne à agir en faveur de sa propre Santé Bien-Être.
Je conclurai en vous disant ceci : Œuvrer en faveur de la santé de ces adolescents, au combien fragile, c’est contribuer à ce qu’ils s’emparent de leur avenir. C’est leur donner une chance. Je dirai donc que oui, la Santé est une dimension pleine et entière de notre action éducative à la Protection Judiciaire de la Jeunesse.
Exemple d’action éducative menée par la Protection Judiciaire de la Jeunesse.
Etienne DEMARLE, Directeur territorial, Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ) de La Réunion.
J’ai longuement réfléchi pour savoir si j’allais vous parler au cours de cette intervention de vélo ou d’une randonnée à Mafate. J’ai finalement fais le choix de vous parler de Mafate.
Il s’agit d’une action éducative menée par une structure de la PJJ, le STEMO de Saint-Pierre. Cette action consiste, à emmener six jeunes, délinquants, encadrés par des éducatrices pendant trois jours. Au cours de cette randonnée, ils participeront à la réfection des chemins de randonnées avec les agents de l’ONF, travaillerons dans une pépinière, apprendront à photographier, et seront filmés.
Pourquoi, la société, l’Etat, la magistrature et accessoirement le directeur territorial de la PJJ acceptent que soit monté et financé un tel projet dans le cadre d’une ordonnance judiciaire ?
C’est une histoire ancienne qui porte un regard sur la délinquance juvénile. Ce regard s’est concrétisé juridiquement une première fois en 1912 dans une loi qui pose le postulat suivant : la délinquance est due essentiellement à des carences éducatives. La réponse sociétale doit la prendre en compte, concomitamment à la sanction pénale. C’est notamment de cette idée que le concept d’éducation dans un cadre contraint a été construit. L’esprit de cette loi a été repris et développé dans le corps de l’ordonnance du 2 févier 1945.
Ces textes se déclinent en trois novations :
– un texte – l’ordonnance en elle-même – traitant de manière singulière de la délinquance juvénile,
– la création d’un juge des enfants, juge spécialisé pour l’enfance,
– une administration l’éducation surveillée qui deviendra la PJJ et des associations (1100 aujourd’hui) qui participent à la prise en charge de jeunes sous ordonnance judiciaire au pénal.
Les deux principes fondamentaux de l’ordonnance de 45 sont :
– le principe d’éducabilité
– l’atténuation de responsabilité du fait même de la minorité. Ce principe peut être écarté par la juridiction.
Depuis lors, cette ordonnance a été amendée plus de 130 fois. Des réécritures de l’ordonnance ont été effectuées à la demande de plusieurs gouvernement successifs, sans que ces projets de loi ne soit proposées au législateur.
Deux évolutions majeures des pratiques professionnelles ont émaillé ces vingt dernières années :
– Le rôle du procureur : il traite aujourd’hui en direct les affaires les moins graves. Le juge des enfants, et le juge d’instruction sont chargés des affaires les plus complexes. Plus de 95 % des actes de délinquance donnent lieu à des poursuites.
– La PJJ en 2008, hors mesures d’investigation, a vu son activité réorientée de manière exclusive sur le pénal. Les enfants en danger sont pris en charge par le conseil départemental.
Par la suite, sera consacrée par les lois de 1958, soit plus de 70 ans après la question de l’enfance délinquante, la question de la prévention. Il s’agit des situations aujourd’hui gérées par les services du département : le concept d’enfance en danger, susceptible de l’être, et de l’intérêt supérieur de l’enfant.
La question des vulnérabilités de l’enfant délinquant est au centre de la construction et de l’appréhension du concept ainsi que des réponses sociétales à la délinquance juvénile.
Les vulnérabilités, tout autant que les potentialités du jeune et de sa famille font l’objet d’attentions.
Il existe même, pour les situations les plus complexes des mesures d’investigation : leur objet est d’informer les magistrats avant leurs prises de décision.
Par ailleurs, sont inscrites dans les pratiques professionnelles des évaluations régulières du parcours judiciaire de chacun des jeunes suivis.
Mais pourquoi une randonnée à Mafate ? L’objectif est de faire reconnaître à chacun des jeunes mais également à ses parents, ses paires qu’il a des qualités autres que celles nécessaires à commettre des délits. Le travail éducatif, c’est, petit pas, petit pas, de mettre des mots sur des vulnérabilités et des potentialités.
Ainsi, l’accompagnement éducatif proposé permet à chacun des jeunes de rencontrer : un groupe de pairs / l’effort / les collectifs / d’autres groupes adultes / la culture / la réparation de chemin / la découverte de la biodiversité / des échanges avec des éducateurs / culture / la photo, le travail sur l’image… la prise en charge permet à chaque jeune d’exprimer ses émotions, de les confronter à celles des autres.
A cet égard, il faut souligner l’importance de la diversification des rencontres avec les membres de la société civile : cinéaste photographe, randonneurs…
Les trois jours ont donné lieu à un film dont vous pourrez disposer si vous le souhaitez.
Vous imaginez aisément le travail éducatif en amont et en aval de l’action que cela mobilise : en amont, un engagement du service sur les questions investigation / évaluation des situations permettant de choisir les adolescents pour cette action particulière (il s’agit notamment de l’association de la famille au projet, de la mobilisation de chaque jeune, de leur préparation) ; en aval, le bilan de l’action et son inscription dans la prise en charge (son inscription dans leurs parcours de chaque jeune et l’association des familles au bilan).
Les professionnels de la PJJ ont besoin de la société civile pour mettre en avant une reconnaissance des jeunes comme ayant des qualité, des compétences.
Des administrations pour faciliter l’accès au droit commun en termes d’insertion au sens large : culture, santé, insertion scolaire et professionnelle, etc.
A ce titre, des conventions sont signées avec l’éducation nationale, l’ARS, la DAC OI… mais également avec tous les acteurs qui permettent à ces jeunes d’accéder aux droits communs en vue de leur donner des attributs de la citoyenneté.
L’objectif de l’accompagnement éducatif judiciaire au pénal, c’est d’aller chercher les jeunes dans leur humanité. Il ressort assez clairement de ce propos que prendre en compte la vulnérabilité nécessite de voir au-delà de l’état premier et d’envisager une réinsertion de la personne concernée afin de lui redonner la qualité de citoyen.
Vulnérabilité et mineurs délinquants.
José ALAMELOU, Conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation, SPIP 974 antenne Nord.
Ces mineurs délinquants, une fois devenus adultes, basculent dans le « régime classique » et deviennent pleinement auteurs d’infractions.
On va prendre l’exemple de Mathieu. Il a 28 ans, est célibataire et est en détention pour vol. C’est le deuxième d’une fratrie de 4 enfants. Mathieu a eu une enfance marqué de la pauvreté. Il a vécu dans un logement insalubre. Il parle d’une chute que sa mère a faite alors qu’il était encore petit lui causant un retard mental. Il quitte l’école vers 14 ans et ne sait pas écrire. Il a ensuite commencé à sombrer dans la petite délinquance. En tant qu’adulte, il a 11 mentions à son casier judiciaire dont 7 fermes. Il reconnaît également son addiction à plusieurs substances (tabac, alcool…). Pour ce qui est des infractions, elles sont toutes communes : il s’agit de vols. Il est placé sous tutelle et donc son argent est assez bien géré. On décrit Mathieu comme naïf, fragile, influençable. Tout son entourage parle de le protéger de lui-même et des autres.
Depuis 8 ans, il alterne entre détention et liberté. L’avant-dernière mesure prononcée à son encontre était une contrainte pénale c’est-à-dire qu’à la place d’une peine d’emprisonnement, une contrainte pénale a été prononcée.
La contrainte pénale est une sanction pénale alternative à la prison prévue à l’article 131-4-1 du Code pénal. Elle s’applique aux auteurs d’un délit punissable d’une peine d’emprisonnement, en fonction de la gravité de l’infraction. Cette contrainte pénale permet au condamné de rester hors les murs de la prison, tout en étant soumis à certaines obligations qui limitent sa liberté. La juridiction doit fixer une durée de la contrainte pénale allant de 6 mois à 5 ans.
Le cas de Mathieu n’est pas unique. Son histoire fait qu’il s’agit d’une personne vulnérable et on devrait pouvoir le protéger. Or, à chaque fois qu’il passe devant une institution, il est condamné et est responsable de ses actes. Ensuite, la situation de vulnérabilité s’accentue en détention car il est dépendant de son co-détenu qui l’aide dans la vie carcérale. La question ici est de déterminer une solution à ce genre de situations de vulnérabilité. La contrainte pénale est en ce sens un bon outil étant donné qu’elle permet d’explorer les facteurs de risques, de protection.
Un besoin de rééquilibrage apparaît dans le sens où il faut prendre aussi en compte la vulnérabilité de l’auteur. Ce changement est actuellement en plein essor notamment au niveau européen. Cependant, pour plusieurs raisons (exemple : manque de budget), les directives pour la prise en compte de la vulnérabilité des majeurs qui commentent une infraction sont passées de directives à recommandations.
ECHANGES :
Débat autour du risque de hiérarchisation des vulnérabilités ?
Si tout le monde est vulnérable, est-ce qu’il y aura encore une protection spécifique ?
C’est assez compliqué, lorsqu’une infraction pénale est commise, de ne pas considérer que la première victime est celle qui a subi l’infraction. Ainsi, commencer par la vulnérabilité de la victime est inéluctable. De plus, aggraver la peine selon l’état de vulnérabilité de la personne victime semble pertinent afin d’empêcher que les personnes vulnérables soient en permanence visées.
Au fil du temps, on a commencé à considérer que la vulnérabilité pouvait également exister du côté de l’auteur des faits. Il n’est pas incompatible en droit de considérer que tous les protagonistes sont dans une situation de vulnérabilité. Alors, il est de bon ton, d’accorder des droits à chacun. Sur le fond, il est cependant important d’accompagner de manière différente l’auteur et la victime. Ainsi, par exemple, la peine d’emprisonnement peut avoir différentes fonctions : réinsertion, punition…
Il faut aussi faire une séparation : la vulnérabilité d’une victime ne peut occulter la vulnérabilité d’un délinquant. L’objectif de la protection judiciaire de la jeunesse c’est d’éviter la récidive et pour cela, il faut prendre en compte leur vulnérabilité pour travailler sur cette vulnérabilité.
Durant toute la procédure pénale, la personne présumée auteur est en état de vulnérabilité dans le sens où on ne sait pas si elle est véritablement l’auteur. De plus, une preuve de cette vulnérabilité semble s’imposer : 85 % des suicides en détention se produisent lors de la première journée.
Débat autour de l’accès aux soins pour les jeunes sous ordonnance judiciaire.
L’accès aux soins est difficile pour plusieurs raisons. La première est que ces jeunes personnes ne sont pas toujours disposées à rencontrer un médecin. C’est donc compliqué de s’assurer de leur participation. Il y a donc un facteur non maîtrisé et il est connu de plusieurs professionnels de la santé et donc ces professionnels ont une certaine appréhension pour ce type de public.
Ensuite, il y a la difficulté d’obtenir un rendez-vous avec un spécialiste comme un ophtalmologue.
De plus, il n’existe peu de maisons de santé à La Réunion, établissements réunissant différents prestataires de santé à qui on peut adresser notamment un public particulier.
[1] L’article 122-1 Cpén., réformé à plusieurs reprises notamment par la loi du 25 février 2008 et celle du 15 août 2014, propose une répression à deux vitesses : al. 1er : « N’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes » ; alinéa 2nd : « La personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes demeure punissable ; toutefois, la juridiction tient compte de cette circonstance lorsqu’elle détermine la peine et en fixe le régime (…) ».
[2] Art. 122-8 Cpén.
[3] V. par ex. le meurtre – Art. 221-4 Cpén. ; les tortures et actes de barbarie – Art. 222-3 et -4 Cpén. ; les violences volontaires – Art. 222-8, -10, -12, -13, -14 Cpén. ; le viol – Art. 222-24 Cpén. ; les autres agressions sexuelles – Art. 222-29 Cpén. ; la réduction en esclavage – Art. 224-1 C Cpén.; le proxénétisme – Art. 225-7 Cpén. ; le recours à la prostitution – Art. 225-12-1 Cpén. ; l’exploitation de la mendicité – Art. 225-12-6 Cpén. ; l’exploitation de la vente à la sauvette – Art. 225-12-9 Cpén. ; le bizutage – Art. 225-16-2 Cpén. ; le harcèlement sexuel – Art. 222-33 Cpén. ; le harcèlement moral – Art. 222-33-2-2 Cpén.
[4] V. par ex. le vol – Art. 311-5 Cpén. ; l’extorsion – Art. 312-2 Cpén. ; l’escroquerie – Art. 313-2 Cpén. ; l’abus de confiance – Art. 314-2 Cpén. ; les destructions, dégradations et détériorations ne présentant pas de danger pour les personnes – Art. 322-3 Cpén.
[5] V. par ex. Art. 225-1 Cpén. – discrimination ; Art. 225-4-1 Cpén. – traite des êtres humains ; Art. 225-13 Cpén. – fourniture de services non rétribués ou en échange d’une rétribution manifestement sans rapport avec l’importance du travail ; Art. 225-14 Cpén. – soumission à des conditions de travail ou d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine ; Art. 225-14-2 Cpén. – réduction en servitude ; Art. 223-15-2 Cpén. – abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse.
[6] Parfois, le législateur préfère des seuils d’âge.
[7] V. Art. 227-25 et -27 Cpén.
[8] V. Affaire dite de Pontoise – Tribunal correctionnel de Pontoise, 13 février 2018, Affaire dite de Meaux – Cour d’assises de la Seine-en-Marne, 8 novembre 2017 et projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes commises contre les mineurs et les majeurs (mars avril 2018). Dans la dernière version du projet de loi proposé, abandon de l’idée de seuil en tant que tel pour lui préférer une appréciation plus contextualisée.