Le patient majeur protégé
Par Ingrid Maria, Professeur à l’Université Grenoble Alpes, Co-directrice du Centre de Recherches Juridiques
Une hypothèse courante. Selon le contrôleur général des lieux de privation de libertés, « la plupart des patients séjournant durablement dans les services hospitaliers sont placés sous mesure de protection judiciaire, tutelle ou curatelle »[1]. Envisager le patient en soins psychiatriques sans consentement et concomitamment placé en mesure de protection juridique n’est donc pas une hypothèse d’école. Les textes relatifs aux soins sans consentement se font par ailleurs l’écho de ce constat puisqu’environ un cinquième d’entre eux mentionnent une « mesure de protection » ou une « protection juridique » dans le Code de la santé publique[2].
Qui est le « majeur protégé » ? Le majeur protégé était autrefois, c’est-à-dire avant la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs, désigné sous le terme de majeur incapable ou de personne frappée d’incapacité juridique. Le changement de vocabulaire a été unanimement salué car il permet d’éviter l’usage de termes connotés péjorativement[3]. L’expression aujourd’hui retenue est pourtant de nouveau critiquée, la protection n’incluant pas le devoir de respect de l’autonomie de ces personnes[4]. Les termes exacts retenus par le législateur dans le Code civil sont ceux de « personne protégée »[5]. L’expression « majeur protégé » a toutefois été préférée dans le titre de cette contribution afin de souligner que ne sera nullement abordée une autre catégorie de « personne protégée » que sont les mineurs[6]. Pour autant, les deux locutions (personne protégée/majeur protégé) seront utilisées alternativement dans le propos, sans qu’aucune différence ne soit faite entre les deux. Elles désignent la personne majeure placée en mesure de protection juridique[7], étant entendu qu’il existe à ce jour en droit français, cinq mesures de protection juridique : la sauvegarde de justice, la curatelle, la tutelle, le mandat de protection future et l’habilitation familiale.
Les mesures de protection juridique. Les trois premières correspondent au triptyque classique de Carbonnier tel qu’il a été retenu par la loi n° 68-5 du 3 janvier 1968 portant réforme du droit des incapables majeurs. Sans entrer dans le détail de chacune de ces mesures, il importe d’en retenir les éléments suivants. D’abord, la sauvegarde de justice[8] est une mesure qui ne prive pas la personne de sa capacité juridique[9], qui est d’une durée courte car supposée être transitoire[10] et qui permet à la personne vulnérable de revenir plus facilement sur les actes qu’elle aurait passés via une action en rescision pour lésion ou en réduction pour excès[11]. Ensuite, la curatelle est une mesure d’assistance pour les actes les plus graves, soit les actes de disposition, sauf s’il s’agit d’une curatelle renforcée auquel cas s’ajoute à l’assistance, la représentation pour la perception des ressources et le règlement des dépenses[12]. Enfin, la tutelle est une mesure de représentation continue. Elle est, parmi les mesures classiques, la plus incapacitante. Concernant les mesures « modernes » mises en place depuis 2007, l’on peut retenir que le mandat de protection future est supposé être une mesure d’anticipation de la perte de ses capacités. Il est donc un contrat passé en amont de cette perte[13]. Il n’ampute pas le mandant de sa capacité. Quant à la plus récente des mesures de protection, qu’est l’habilitation familiale[14], elle est une véritable alternative à la curatelle et à la tutelle en ce qu’elle peut être une mesure d’assistance ou une mesure de représentation. Une fois mis en place par le juge, qui doit vérifier la concorde familiale, elle ne dépend plus de celui-ci en principe. Tout se passe en famille. Toutes ces mesures peuvent protéger le patrimoine et/ou la personne du majeur vulnérable étant entendu que, si le jugement ou le mandat n’indique pas avec exactitude le champ de la protection, celle-ci est supposée s’appliquer tant au champ patrimonial que personnel.
Les liens entre traitement médical et traitement juridique. Parler du patient majeur protégé c’est se demander si la mesure de protection influe sur le traitement du patient et si, à l’inverse, la mesure de soin influe sur la protection juridique. Il ne saurait y avoir a priori d’impact dans un sens comme dans l’autre, l’indépendance du traitement médical et du traitement juridique étant un acquis de longue date. L’un n’a pas de répercussion automatique sur l’autre et inversement[15], même si les mesures de soins psychiatriques sans consentement peuvent être l’occasion de l’ouverture d’une mesure[16]. Par ailleurs, le principe qui irrigue le Code de la santé publique s’en fait largement l’écho : l’interlocuteur premier du médecin ou du personnel médical est le patient et personne d’autre. Il s’agit là du fameux principe d’autonomie qui irrigue tant le Code de la santé publique[17] que le Code civil, spécialement en matière personnelle[18]. Ce principe trouve néanmoins sa limite dans l’expression de la volonté : si le patient est hors d’état de manifester sa volonté, il faudra évidemment trouver un autre interlocuteur.
Problématique générale. Cette mise en contexte effectuée, qu’en est-il du patient majeur protégé en matière de soins psychiatriques ? Quelles interférences peuvent être notées entre la mesure de protection juridique et la mesure de soins sans consentement ? Si le majeur protégé se présente a priori comme un patient comme les autres, il y a des aménagements à cette identité de traitement qui peuvent donner l’impression d’une autonomie entravée (I). Pourtant cette autonomie est préservée au maximum en matière de santé, même pour les majeurs protégés (II).
I. L’autonomie entravée
Les interrogations. Selon l’article L. 3211-5 du Code de la santé publique, « une personne faisant, en raison de troubles mentaux, l’objet de soins psychiatriques prenant ou non la forme d’une hospitalisation complète conserve, à l’issue de ces soins, la totalité de ses droits et devoirs de citoyen, sous réserve des dispositions relatives aux mesures de protection des majeurs prévues aux sections 1 à 4 du chapitre II du titre XI du livre Ier du code civil (…) ». Concrètement quels sont donc ces droits perdus à cause de la mesure de protection juridique ? Le droit d’agir seul ? Pas totalement même s’il est certain qu’une autre personne s’invite dans le lien médical : le « protecteur »[19]. Mais quel protecteur (A)? Et pour quel rôle (B)?
A. Un autre interlocuteur : le « protecteur »
Des bizarreries difficiles à comprendre. Quel protecteur intervient dans les soins psychiatriques sans consentement ? A priori, ce ne devrait être que le représentant à la personne[20] comme c’est le cas dans les dispositions générales du Code de la santé publique. Ce dernier distingue, en effet, clairement la « personne chargée d’une mesure de protection juridique avec représentation relative à la personne » de la « personne chargée d’une mesure de protection juridique avec assistance à la personne »[21]. Or, un examen minutieux des dispositions relatives aux soins sans consentement montre que tous les textes ne respectent pas cette différenciation. Si l’article L. 3211-1 relatif à l’autorisation donnée à ces soins désigne précisément la « personne chargée d’une mesure de protection juridique avec représentation relative à la personne », les autres articles du même code visent plus large en usant, le plus fréquemment, de l’expression « personne chargée d’une mesure de protection juridique à la personne » ou de celle de « la personne chargée de la protection à la personne ». Or un tel visa englobe non seulement le représentant à la personne mais également l’assistant à la personne, autrement dit celui qui joue un rôle d’assistance en matière personnelle. Très concrètement, un renvoi aussi large permet de viser tant les tuteurs que les curateurs et toutes les personnes habilitées en matière familiale. Ce faisant, des pouvoirs identiques sont donnés à des « protecteurs » qui assument pourtant un rôle totalement différent. Qu’est-ce qui justifie cette différence avec les autres dispositions du Code de la santé publique ? Le choix législatif est-il vraiment conscient ? Il est permis d’en douter. En tout état de cause, cela laisse la place à celui qui ne fait qu’assister alors que le majeur assisté peut, de manière générale, apposer un veto pour que son curateur ou son habilité à l’assister dispose des informations médicales le concernant[22]. Le décalage interpelle… La perplexité est sans doute encore plus importante face à certaines dispositions qui visent plus largement encore en usant de l’expression « personne chargée de la protection juridique de l’intéressé »[23]. Un tel visa permet d’englober tant les personnes nommées pour protéger la personne que celle nommées pour protéger le patrimoine. Un peu d’homogénéisation serait donc bienvenue.
Pour autant, y a-t-il vraiment atteinte aux droits du majeur protégé ? Pour s’en assurer, encore faut-il savoir précisément quels rôles sont attribués au protecteur dans ces dispositions.
B. Le rôle du « protecteur » en matière de soins sans consentement
Si l’on en croit le rapport du contrôleur général des lieux de privation de liberté, « le rôle du mandataire de justice nommé porte sur la gestion ou l’aide à la gestion des biens du majeur protégé, ce qui doit le conduire, par conséquent, à la participation aux décisions de prise en charge entraînant des dépenses (sorties, logement). Il peut saisir le juge des libertés et être présent aux audiences ». Cette affirmation n’est pas sans susciter un certain étonnement dans la mesure où elle semble faire fi de la protection de la personne, champ de protection pourtant cœur de cible en matière de santé. La personne en charge de la protection doit particulièrement être présente pour des soins psychiatriques lorsqu’elle a été désignée pour protéger la personne du majeur protégé ! En d’autres termes, contrairement à ce que pourrait laisser penser le rapport du contrôleur général des lieux de privation de libertés, le rôle du « protecteur » ne se résume certainement pas à la gestion de l’argent. Cette précision faite, en matière de soins sans consentement, que disent exactement les textes quant au rôle de ce « protecteur » ? D’une part, ils offrent certains pouvoirs à la personne chargée d’une mesure de protection à la personne. D’autre part, ils lui permettent d’être informée.
Les pouvoirs du protecteur à la personne. La personne en charge de la mesure de protection à la personne peut d’abord faire la demande de soins[24] ce qui rend a priori encore plus étrange le fait que l’assistant en matière personnelle puisse être visé car celui-ci ne représente pas en principe le majeur protégé pour agir[25]. En réalité, cela s’explique par le fait que le protecteur n’est pas ici habilité à faire cette demande en sa qualité de représentant du majeur, mais en tant que « membre de la famille » ou « personne justifiant de relations avec le malade antérieures à la demande de soins » au sens de l’article L. 3212-1, II, le texte posant cette condition. Assez logiquement, elle peut également demander la levée des soins[26]. Pour faire la demande de soins, le protecteur doit évidemment attester de sa qualité de « personne chargée d’une mesure de protection juridique à la personne » en produisant « le mandat de protection future visé par le greffier ou un extrait du jugement instaurant la mesure de protection »[27]. Deux remarques peuvent ici être formulées. D’abord, il n’est fait aucune mention de l’habilitation familiale alors que cette mesure de protection représente plus de 37% des mesures ouvertes chaque année[28]. Ensuite, comment être sûr que le protecteur désigné exerce bien la mission de protection à la personne avec un « extrait » du jugement ?
Information du protecteur : les textes. Si le protecteur doit être informé, c’est en raison de sa qualité à agir dans l’intérêt du patient[29]. Sur ce point, les dispositions du Code de la santé publique visent tantôt la personne en charge de la protection prise dans son aspect général, tantôt la personne en charge de la protection à la personne. Au titre des premières, se trouvent les articles concernant l’information relative à l’admission d’une demande de soins, à savoir l’article L. 3212-1 II 2° pour les soins pour péril imminent décidés par le directeur d’établissement et l’article L. 3213-9 pour l’admission en soins psychiatriques sans consentement sur demande du représentant de l’Etat ou de personnes détenues pour troubles mentaux. Mais alors quid de l’information quand il s’agit d’une admission de soins à la demande d’un tiers ? Au titre de l’information devant être délivrée au protecteur à la personne, d’abord, l’article R. 3211-11 prévoit que le greffe du juge des libertés et de la détention doit lui communiquer la requête dès qu’il l’a reçue. Ensuite, ce protecteur à la personne doit être convoqué devant le juge conformément à l’article R. 3211-13 du Code de la santé publique et être entendu à l’audience[30]. Il doit aussi être informé de la saisine d’office du JLD[31]. Enfin, concernant l’isolement et la contention, les articles R.3211-36 à 3211-38 du même code prévoient une communication de la requête enregistrée par le greffe, une information de l’éventuelle saisine d’office du JLD ainsi que la possibilité de fournir des observations au juge. L’article R. 3211-41 prévoit également une convocation dudit protecteur à l’audience relative à isolement et à la contention.
Information du protecteur suffisante ? L’obligation d’informer la personne en charge de la mesure de protection est d’importance, cela ne fait aucun doute. Ainsi, si elle fait défaut ou est insuffisante, la sanction de la nullité sera inévitablement examinée par les juges. La Cour de cassation a ainsi qualifié, par deux fois, d’irrégularité de fond le défaut d’information et de convocation du curateur. Il n’est donc nul besoin de démontrer qu’un grief est caractérisé pour que l’exception de nullité soit appréciée[32]. Pour autant, le dispositif en place sur ce point nous paraît quelque peu lacunaire. Il est, en effet, possible de s’étonner que certaines informations ne soient pas délivrées au protecteur. Ainsi, par exemple, pourquoi la notification de la déclaration d’appel suspensif formée par le ministère public n’est-elle pas faite à la personne en charge de la protection[33] ? Il en va de même pour la notification de l’ordonnance rendue en appel[34] ou encore pour l’information du renouvellement d’une mesure de contention ou d’isolement[35], pour les soins à la demande d’un tiers ou en cas de péril imminent[36] ou lorsque le majeur protégé, objet de poursuites, est détecté comme nécessitant des soins[37]. Nulle mention n’est faite au protecteur à la personne dans l’ensemble de ces cas.
Transition. L’individu en charge de la protection à la personne peut être amené à jouer un rôle non négligeable en matière de soins psychiatriques sans consentement. Il est un acteur incontournable ou presque. Est-ce à dire que cette place aboutit inéluctablement à une atteinte à l’autonomie du majeur protégé patient ? L’affirmer très généralement serait induire en erreur car l’autonomie de ce dernier est préservée.
II. L’autonomie préservée
Double hypothèse de préservation de l’autonomie. Tant les textes que la jurisprudence ont dans l’esprit de sauvegarder au maximum l’autonomie du patient majeur protégé. L’objectif de préservation de l’autonomie est, dans un tel cas, directement voulu par le droit (A). Toutefois, ce but semble parfois atteint sans avoir été directement poursuivi. C’est alors la méconnaissance de la mesure qui favorise le maintien de l’autonomie du patient majeur protégé (B).
A. Un objectif directement poursuivi
L’autonomie de principe. En matière médicale, même si le patient est un majeur protégé, l’autonomie demeure le principe. C’est ce qui explique que le personnel médical doive respecter la volonté du patient même si celui-ci est placé en mesure de protection juridique[38]. Le consentement à l’acte médical doit ainsi être obtenu du majeur protégé sauf s’il est inapte à exprimer sa volonté[39]. Le majeur protégé est, par ailleurs, le destinataire prioritaire des informations sur sa santé[40]. Cette autonomie en matière de réception de l’information va même très loin puisque l’information « peut être délivrée à la personne chargée d’une mesure de protection juridique avec assistance à la personne si le majeur protégé y consent expressément »[41]. C’est dire que le majeur bénéficiant d’une mesure de protection avec assistance en matière personnelle (habilitation familiale ou curatelle) peut émettre un veto à l’encontre de l’information de son « protecteur ».
L’absence d’atteinte aux droits du majeur protégé. Si l’on excepte le pouvoir de demander une mesure de soin sans consentement, aucune des prérogatives accordées au protecteur à la personne n’est véritablement attentatoire aux droits du majeur protégé. Le fait d’informer la personne en charge de la mesure de protection personnelle permet, au contraire sans doute, que celle-ci puisse vérifier que les intérêts de la personne protégée soient bien sauvegardés. En tout état de cause, cela n’empêche pas le patient majeur protégé d’agir seul comme l’a rappelé un important arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 5 juillet 2023[42]. Il s’agissait, en l’espèce, d’une femme admise en soins psychiatriques sans consentement alors qu’elle était placée en curatelle. Cette personne protégée décidait d’interjeter appel contre la décision ordonnant la poursuite de la mesure des soins. Son recours était toutefois jugé irrecevable par la cour d’appel de Paris aux motifs que « le défaut de capacité d’un majeur à ester, et, donc à former appel d’un jugement en application de l’article 468, alinéa 3 du code de procédure civile, constitue une irrégularité de fond en application de l’article 117 du Code de procédure civile […] ». En d’autres termes, le juge du second degré refuse d’accueillir l’appel pour défaut d’assistance de l’appelant alors qu’il était placé en curatelle. La première chambre civile censure cette analyse au visa des articles 415 et 459 du Code civil ainsi que de l’article L. 3211-12 du Code de la santé publique. Après avoir souligné ce que prévoit chacun de ces textes, la cour en déduit que « tant la saisine du juge des libertés et de la détention aux fins d’obtenir la mainlevée d’une mesure de soins sans consentement que l’appel de sa décision maintenant une telle mesure constituent des actes personnels qu’une personne en curatelle peut accomplir seule ». La qualification retenue pour la saisine du juge et l’appel (« acte personnel ») permet d’éviter celle d’acte strictement personnel au sens de l’article 458 du Code civil[43] qui aurait réservé au seul majeur protégé l’acte avec le risque que personne ne puisse agir dans son intérêt. Ainsi, jugeant que le recours au JLD constitue un acte personnel, les Hauts conseillers préservent la possibilité pour le protecteur à la personne d’agir sans attenter à la capacité d’agir seul du majeur protégé. Cette solution contredit celle retenue pour les actions en justice dans les textes relatifs à la protection juridique des majeurs[44]mais ce n’est pas la première fois que la Cour de cassation pose une exception à l’article 458 [45]. Tous les commentateurs ont salué cette solution et ont souligné l’importance de la référence à l’article 415 dans le visa : celle-ci permet de préserver l’autonomie et le respect des droits et libertés fondamentaux de la personne protégée. La première chambre civile a, par ailleurs, conforté sa position dans un récent arrêt du 31 janvier 2024 en retenant la même solution pour le pourvoi, au visa des mêmes textes [46]. Tout ceci ne peut néanmoins fonctionner que si la mesure de protection est connue.
B. Un objectif incidemment atteint
Certaines mesures oubliées. Deux mesures de protection semblent avoir échappé au viseur du législateur en matière de soins psychiatriques sans consentement : le mandat de protection future et l’habilitation familiale. Si la première n’est pas très pratiquée, la seconde représente près de 40% des mesures de protection ouvertes[47]. Son absence dans le Code de la santé publique est donc problématique. Deux arguments sont toutefois à mentionner en faveur de notre législateur. D’abord, il semble y avoir une explication temporelle : cette mesure n’a vu le jour qu’en 2016 donc postérieurement aux premières dispositions sur les soins psychiatriques sans consentement. Il est néanmoins possible de noter que les retouches à la loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011[48] ont été légion ensuite si bien que les occasions d’intégrer l’habilitation familiale ne manquaient pas. Aussi reste-t-il pour le moins gênant que cette mesure ne soit pas mentionnée. Ainsi, par exemple, quand l’article L. 3211-8 du code de la santé publique dispose que « la personne faisant l’objet de soins psychiatriques […] peut être placée en curatelle ou en tutelle », ne faudrait-il pas ajouter que cela n’empêche pas davantage la mise en place d’une habilitation familiale ou encore la prise d’effet d’un mandat de protection future ? Pire sans doute, l’article L. 3212-11 du même code prévoit un registre dans chaque établissement qui comprend « la mention de la décision de mise sous tutelle, curatelle ou sauvegarde de justice ». Quid, encore une fois, de l’habilitation familiale et du mandat de protection future ? Ces deux dispositions datent toutefois de 2011 ce qui explique au moins l’absence de référence à l’habilitation familiale. Le mandat de protection future existait déjà depuis plus quatre ans en revanche. Ensuite, mises à part les deux dispositions venant d’être citées, tous les articles du Code de la santé publique mentionnant les mesures de protection juridique adoptent une expression suffisamment englobante pour que l’habilitation familiale puisse être concernée[49]. La portée de l’oubli est donc mineure. Il n’en demeure pas moins que la conséquence immédiate de ce défaut de mention au mandat de protection future et à l’habilitation familiale est la méconnaissance probable de ces deux mesures et donc l’impossibilité pour la personne habilitée ou le mandataire de pouvoir exercer son office en matière de soins psychiatriques sans consentement. Ce faisant, l’autonomie du majeur protégé est sauvegardée indirectement, l’action de son protecteur étant, de fait, neutralisée.
La méconnaissance générale des mesures de protection. La dernière remarque pourrait finalement être généralisée à l’ensemble des mesures de protection au regard du problème de l’accès à la connaissance de celle-ci. Certes, l’article R. 3211-10 du Code de la santé publique prévoit que le « protecteur » doit être indiqué dans la requête [50]. Néanmoins ce protecteur peut-il toujours être connu ? Si la publicité des curatelles et tutelles est assurée par le biais de la mention au registre d’état civil[51], on ne peut en dire autant à ce jour de la publicité de l’habilitation familiale et du mandat de protection future. Pour la première, l’article 494-6 du code civil prévoit, dans son alinéa 8, que « les jugements accordant, modifiant, ou renouvelant une habilitation générale font l’objet d’une mention en marge de l’acte de naissance selon les conditions prévues à l’article 444 ». En d’autres termes, seule l’habilitation générale doit faire l’objet d’une publicité, ce qui laisse dans l’ombre toutes les habilitations spéciales. La récente loi du 27 mars 2024 portant mesures pour bâtir la société du bien-vieillir et de l’autonomie semble pallier l’inconvénient d’une absence actuelle de publicité pour certaines mesures en créant, dans un nouvel article 427-1 du Code civil, un registre national pour toutes les mesures de protection[52]. Toutefois, la loi renvoie l’entrée en vigueur de cette disposition à la publication d’un décret qui devra intervenir, au plus tard, le 31 décembre 2026. Le temps n’est donc pas encore venu que l’on dispose d’un registre général permettant de connaître toutes les mesures de protection mises en place. En outre, même si la mesure fait l’objet d’une publicité, l’information relative à l’étendue de la mission du « protecteur » est-elle vraiment accessible ? Comment savoir s’il a une mission de protection à la personne ou pas ? Ce n’est pas un extrait de jugement, tel que cela est prévu actuellement, qui suffira. Et s’en remettre à la parole du patient n’est certainement pas un gage de sécurité. Ce faisant, l’autonomie de celui-ci est évidemment sauvegardée puisqu’à protecteur inconnu, mission impossible…
Conclusion. Le droit actuel des soins psychiatriques sans consentement est encore largement perfectible s’agissant du patient majeur protégé. Mais faut-il encore ajouter au mille-feuilles législatif ? Les droits du patient nous paraissent être sauvegardés en l’état actuel du droit à condition toutefois que le dernier inconvénient relatif à la connaissance de la mesure et des pouvoirs de la personne qui en est chargée soit examiné avec sérieux.
[1] Rapport « Soins sans consentement et droits fondamentaux », ed. Dalloz, 17 juin 2020, p. 94.
[2] Une vingtaine d’articles dénombrée : 11 législatifs et 9 réglementaires (articles L. 3211-1, L. 3211-5, L. 3211-6, L. 3211-8, L. 3211-12 I, L. 3212-1 II, L. 3212-2, L. 3212-3, L. 3212-9, L. 212-11, L. 3213-9 et R. 3211-10, R. 3211-11, R. 3211-13, R. 3211-15, R. 3211-29, R.3211-36 à 3211-38, R. 3211-41).
[3] V., par exemple, J. Hauser, « Des incapables aux personnes vulnérables », dossier « Tutelles », Dr. fam. 2007. Étude 14.
[4] V., par exemple, pour la proposition du terme « soutien » en lieu et place de la « protection » : G. Millerioux, La capacité juridique du majeur vulnérable, Institut Francophone pour la Justice et la Démocratie, collec. : Thèses, tome 213, 2022.
[5] Voir les articles 425 et s. du Code civil.
[6] Voir la contribution de S. Renard dans le présent dossier.
[7] Prise par opposition aux mesures de protection sociale que sont la mesure d’accompagnement social personnalisé (MASP Cf : articles L271-1 à L271-8 du Code de l’action sociale et des familles) et la mesure d’accompagnement judiciaire (MAJ cf : articles 495 à 495-9 du Code civil)
[8] Sur laquelle, voir les articles 433 à 439 du Code civil.
[9] C. civ. art. 435 al. 1.
[10] Un an renouvelable une fois. Cf : C. civ. art. 439 al.1
[11] C. civ. art. 435 al. 2 et 3.
[12] C. civ. art. 472.
[13] C. civ. arts. 477 et s.
[14] Créée par l’ordonnance n° 2015- 1288 du 15 octobre 2015 portant simplification et modernisation du droit de la famille.
[15] V. D. Noguéro, « Dispense d’assistance pour l’action en justice du curatélaire concernant un acte relatif à sa personne en santé psychiatrique », LPA janv 2024, n°1, p. 78.
[16] V. CSP art. L. 3211-6 pour la sauvegarde de justice médicale et L. 3211-8 pour la curatelle et la tutelle.
[17] CSP, art. L. 1111-4 al. 3 : « le médecin a l’obligation de respecter la volonté de la personne ».
[18] C. civ. art. 459, al. 1 : « la personne protégée prend seule les décisions relatives à sa personne ».
[19] Si le terme permet d’englober toutes les personnes en charge d’une mesure de protection, il peut laisser croire à une sorte de « super-pouvoir » de ladite personne ce qui serait, bien évidemment trompeur. La commodité du terme ne doit pas occulter son caractère factice.
[20] Donc le tuteur à la personne, la personne habilitée à représenter en matière personnelle ou le mandataire dans le mandat de protection future.
[21] CSP art. L.1111-2 III.
[22] Ibid.
[23] V. CSP art. L. 3211-12-1 II 2° relatif à l’information en matière de soins pour péril imminent et art. L. 3213-9 relatif au visa de l’admission en soins sur demande de représentant de l’Etat ou de personnes détenues pour troubles mentaux.
[24] CSP art. L. 3212-1 II 1°.
[25] C. civ. art. 469 du Code civil al 1 : « Le curateur ne peut se substituer à la personne en curatelle pour agir en son nom ».
[26] CSP arts. L. 3211-12, I, 3° et L. 3212-9.
[27] CSP arts. L. 3212-2 dernier al. et L.3212-3.
[28] V. https://www.justice.gouv.fr/sites/default/files/2023-10/Chiffres_Cle%CC%81s_2023_En_ligne_0.pdf
[29] V. CSP art. L. 3212-1 II 1°.
[30] CSP art. R. 3211-15.
[31] CSP art. R. 3211-29.
[32] Civ. 1ère 16 mars 2016, n°15-13.745 ; RDTCiv. 2016, p. 322, obs. J. Hauser ; Dr. fam. 2016, comm. 155, obs. I. Maria ; RJPF 2016, n°6, p. 22, obs. S. Mauclair ; RGDM 2016, n°59, p. 373, obs. V. Vioujas ; Gaz. Pal. 2016, n°26 p. 75, obs. C. Robbe, C. Schlemmer-Bégué – Civ. 1ère 11 oct. 2017, n°16-24869 ; AJ Fam. 2017 p.593, obs. V. Montourcy ; D. 2018. 1458, obs. J.-J. Lemouland et D. Noguéro ; RGDM 2018, n°66 p. 291, obs. V. Vioujas ; Dr. fam. 2018, comm. 17, obs. I. Maria.
[33] CSP art. R. 3211-20.
[34] CSP art. R. 3211-22.
[35] CSP art. R. 3211-31-1.
[36] CSP art. R. 3212-1 concernant la requête.
[37] CSP art. L. 3213-7.
[38] Sur ce point, v. notamment I. Maria, « Le respect de la volonté des personnes âgées malades », Droit, santé et société, 2021, n°1, vol. 8, p. 49 à 55.
[39] CSP art. L.1111-4 al. 8 et 9.
[40] CSP art. L.1111-2 III.
[41] Ibid.
[42] Civ. 1ère 5 juillet 2023, n°23-10.096 ; LPA 2024, n°1, p. 78, obs. D. Noguéro ; JCP G, 2023, act. 1126, obs. I. Maria ; Gaz. Pal. 2023, n°31 p. 25, obs. C. Gamaleu Kameni ; RJPF 2023, n°10, p. 13, obs. I. Corpart ; D. 2023 p. 1498, obs. J.-J. Lemouland et G. Raoul-Cormeil ; Dr. fam. 2023, comm. 148, obs. I. Maria ; AJ Fam. 2023. 466, obs. V. Montourcy ; RTD civ. 2023. 599, obs. A.-M. Leroyer.
[43] D’après ce texte, est un acte strictement personnel, l’acte qui « ne peut jamais donner lieu à assistance ou représentation de la personne protégée ». Sur les risques de cette qualification, voir notamment P. Salvage-Gerest, « Les actes dont la nature implique le consentement strictement personnel du majeur en tutelle : une catégorie à revoir d’urgence », Dr. fam. 2009. Chron. 17
[44] Quant à la curatelle, l’article 468 du Code civil prévoit, en son alinéa 3 que l’assistance du curateur est « requise pour introduire une action en justice ou y défendre ». Quant à la tutelle, l’article 475 dispose, en son alinéa 1, que « la personne en tutelle est représentée en justice par le tuteur ». Aucune disposition spécifique aux actions de justice n’existe en revanche pour les autres mesures de protection.
[45] V., pour l’appel d’une décision relative au droit de visite et d’hébergement d’un majeur protégé sur son enfant mineur : Civ. 1ère 6 nov. 2013, n°12-23.766, P I, n°217 ; Dr. fam. 2014. Comm. 10, obs. I. Maria ; D. 2014. 467, note G. Raoul-Cormeil ; AJ fam. 2013. 717, obs. T. Verheyde ; RTD civ. 2014. 84, obs. J. Hauser ; JCP 2014. 20, obs. N. Peterka.
[46] celui-ci, bien que formé par le curatélaire sans l’assistance de son curateur est recevable)Civ. 1ère 31 janv. 2024, n°22-23.242 ; AJ Famille 2024 p.167, note F. Eudier ; Procédures n° 4, Avril 2024, comm. 91, obs. M. Douchy-Oudot ; RDSS 2024 p.339, obs. P. Curier-Roche ; D. 2024 p. 1203, obs. J-J Lemouland et D. Noguéro ; Dr. fam. 2024. Comm. 58, obs. L. Mager-Vielpeau.
[47] V. supra note 28.
[48] Loi relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge.
[49] « Mesure de protection juridique » ou « Mesure de protection à la personne ».
[50] On remarque, sans que l’on en comprenne la raison, que cette mention n’apparaît pas lorsque la demande est formée par un tiers ou pour péril imminent (CSP art. art R. 3212-1).
[51] C. civ. art. 444.
[52] Loi n° 2024-317 du 8 avril 2024 portant mesures pour bâtir la société du bien vieillir et de l’autonomie, art. 18.