Lutter contre les ingérences étrangères envers le système démocratique Analyse comparée des lois française et hongroise
La Hongrie, en 2023, et la France, en 2024 ont toutes deux adopté une loi visant à lutter contre les ingérences étrangères. L’une et l’autre de ces législations confient cette mission à une autorité administrative, qui référence et rend public les activités d’influence étrangère, lesquelles demeurent légales. Pourtant, fondées sur des qualifications juridiques ambivalentes, ces lois présentent le risque de porter atteinte aux droits et libertés. Le droit comparé permet ainsi d’appréhender les écueils de la loi française, par rapport à ceux identifiées dans la loi hongroise. In fine, au-delà de leurs similarités, le texte français apporte toutefois bien plus de garanties juridiques que son équivalent hongrois
Par Fannie Duverger, Docteure en droit public de l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, Qualifiée aux fonctions de maître de conférences (02), Enseignante contractuelle à l’Université de Rouen.
En novembre 2023, le quartier du 14e arrondissement dans lequel je vis se réveille un peu hagard, avec la constatation que les façades des immeubles ont été peintes au pochoir avec des étoiles de David bleues. Les médias relèvent que « derrière ces étoiles bleues qui se veulent sans doute jaunes, toujours ce grand brouillard informationnel qui nous empêche de trouver le juste chemin »[1]. Le brouillard ne s’arrête pas là. Le dimanche 2 juin 2024, à 9 heures, cinq cercueils sont déposés au pied de la Tour Eiffel. Ils sont recouverts d’un drapeau français et d’une mention « soldats français de l’Ukraine ». Pourtant, quand ils sont ouverts, ils ne contiennent que du plâtre. Et ces exemples ne mentionnent pas les réseaux sociaux, où diverses informations ont circulé, plus déconcertantes les unes que les autres. Parmi ce florilège, on peut lire que « Brigitte Macron est née homme »[2], ou encore que « les nazis étaient d’extrême gauche »[3]. Sans aucun doute, ces opérations visent la déstabilisation par de fausses informations, dont la création et la diffusion sont probablement attribuées à la Fédération de Russie, aux États-Unis ou à l’extrême droite allemande.
Précisément, ces opérations sont constitutives d’une ingérence étrangère, caractérisée par « l’immixtion d’un État dans les affaires intérieures d’un autre État […] visant à déstabiliser, à saper la confiance dans les institutions d’un pays, à engendrer de la confusion entre le vrai et le faux, à servir les intérêts d’une puissance étrangère, pouvant même aller jusqu’à tenter de détruire une cible, par exemple, le système démocratique d’un État »[4]. En ce qui concerne le système démocratique, ces ingérences ont pour objectif de manipuler l’opinion publique et d’influer sur les procédés démocratiques comme les élections, les référendums ou, plus largement, la production de la loi. Elles recouvrent diverses actions, telles l’espionnage, le sabotage, le recrutement d’élus ou de scientifiques ou, selon un volet numérique, les cyberattaques et les campagnes de désinformation. Depuis 1881, l’article 27 de la loi sur la liberté de la presse réprime déjà la diffusion de fausses nouvelles[5]. Le régime juridique est complété en 2018 par l’ajout d’une action en référé, pour les trois mois précédant des élections générales, visant à faire cesser la diffusion « des allégations ou imputations inexactes ou trompeuses d’un fait, de nature à altérer la sincérité du scrutin […] diffusées de manière délibérée, artificielle ou automatisée et massive »[6]. En effet, les modalités de l’action d’ingérence évoluent aussi rapidement que l’intelligence artificielle elle-même, si bien que le régime juridique doit s’adapter à la nature hybride des menaces.
En France, la dernière loi a été adoptée en juin 2024[7]. D’initiative parlementaire, elle résulte des travaux de la délégation parlementaire au renseignement et de deux commissions d’enquête menées par les chambres du Parlement, lesquelles ont mis en évidence les insuffisances du cadre juridique. Cette loi rend obligatoire l’enregistrement des acteurs influant sur la vie démocratique française pour le compte d’une puissance étrangère[8]. La gestion de ce nouveau registre est confiée à une autorité de régulation, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), afin, d’abord, de « renforcer l’information des responsables publics et des élus sur la nature de leurs interlocuteurs étrangers », ensuite, de les contrôler, et enfin, de pouvoir les sanctionner pénalement en cas de non‑respect des obligations de déclaration[9]. Dans la droite ligne de l’objet de la commission d’enquête, la loi vise à empêcher que les réseaux d’influence étrangers puissent « obtenir des décisions contraires à l’intérêt national »[10].
Cet objectif n’est pas propre aux démocraties libérales, comme la France, puisque les régimes illibéraux[11] possèdent, eux aussi, des dispositifs similaires. Ainsi, en décembre 2023, la Hongrie, dont le Premier ministre se réclame de l’illibéralisme, a adopté la loi sur la défense de la souveraineté nationale, instituant également une autorité de surveillance censée « prévenir les interférences étrangères dans les processus décisionnels étatiques et sociaux »[12]. Sur le fondement de la Loi fondamentale hongroise[13], cette loi prévoit la création d’une nouvelle autorité administrative, le Bureau de protection de la souveraineté, dotée de compétences en matière d’évaluation et d’enquête afin de « révéler les tentatives d’ingérence étrangère »[14]. S’il partage certaines caractéristiques avec la France, le régime juridique hongrois diffère quant à l’indépendance de l’autorité chargée de cette mission. La loi hongroise attribue des compétences larges et vaguement définies à ce Bureau, lequel s’inscrit dans le giron du pouvoir exécutif[15]. Autrement dit, la loi ne fournit pas de garanties suffisantes à l’égard des droits et libertés des opposants politiques.
Le cas hongrois, particulièrement, illustre toute l’ambivalence qui résulte de la lutte contre les ingérences étrangères. D’un côté, la défense contre ces ingérences est nécessaire pour tout État souhaitant préserver et maintenir son système démocratique. Toutefois, d’un autre côté, ces mesures de protection constituent également « un outil dangereux entre les mains de ceux qui sont au pouvoir pour harceler les opposants politiques »[16]. Elles sont une défense autant qu’un risque pour le système démocratique. La déclaration conjointe, signée le 13 septembre 2024 notamment par les rapporteurs des Nations Unies et de la Commission interaméricaine des droits de l’homme, condamne d’ailleurs l’ambivalence des lois visant à lutter contre les ingérences étrangères[17]. Ce texte reconnaît que « la transparence en général est un objectif louable, visant […] à contrer d’éventuelles ingérences illégitimes, [mais que ces lois] risquent d’avoir des effets disproportionnés et stigmatisants sur les associations, et ne peuvent qu’avoir l’effet inverse et indésirable de réduire la capacité des associations de la société civile à jouer leur rôle vital pour assurer la transparence et la démocratie »[18]. En ce sens, ces lois ne seraient pas conformes aux normes internationales de protection des droits humains[19].
Ainsi, comparer les lois hongroise et française susmentionnées, et principalement les dispositions relatives à l’encadrement de l’influence étrangère, permet de mieux apprécier à la fois la pertinence et les risques de ces récentes législations[20]. Si l’ingérence étrangère ne renvoie pas nécessairement aux mêmes définitions en France ou en Hongrie, l’indétermination des termes n’empêche nullement de s’intéresser aux dispositions dont le contenu renvoie à l’objectif de lutter contre ces ingérences. En se concentrant sur « les fonctions semblables dans les systèmes […] étudiés », l’étude adopte donc la méthode fonctionnelle en droit comparé, principalement théorisée par l’Allemand Ernst Rabel[21]. À ce titre, les dispositions législatives visant à lutter contre les ingérences étrangères en Hongrie et en France servent de tertium comparationis[22], autrement dit de « fonction commune », pour analyser comment une même finalité est recherchée par deux régimes différents, l’un libéral et l’autre illibéral. De façon assez subversive[23], il s’agit d’établir si la récente loi française comporte les mêmes risques d’atteinte aux libertés que la loi hongroise.
À première vue donc, dans les deux États, ces deux législations visent le même objectif — lutter contre les ingérences étrangères — et présentent des moyens similaires — confier cette mission à une autorité administrative ad hoc. Dès lors, selon une première approche intégrative, centrée sur les similarités, il s’agit de révéler l’ensemble des risques d’atteintes aux droits et libertés par l’autorité administrative chargée du contrôle des ingérences (I.). Or, l’objectif de la comparaison n’est pas de tenir la France et la Hongrie pour équivalente, mais de relever ensuite, selon une approche plus différentielle, que l’existence de garanties procédurales, institutionnelles et juridictionnelles permet de maintenir le caractère libéral du dispositif français (II.).
I. Des risques similaires d’atteinte aux droits et libertés
Les lois hongroises et françaises visant à lutter contre les ingérences étrangères présentent toutes deux des risques d’atteintes aux droits et libertés. Ces risques se décèlent dans l’appréciation ambivalente, et donc discrétionnaire, de ce qui relève de l’ingérence étrangère (A) conduisant à confier des pouvoirs extensibles à l’autorité administrative ad hoc (B).
A. L’appréciation discrétionnaire de l’« ingérence étrangère »
Initialement, le terme d’ingérence n’est pas nécessairement négatif puisqu’il peut, par exemple, renvoyer au devoir d’ingérence, doctrine selon laquelle « les États tiers ou des organisations internationales devraient intervenir lorsque de graves violations du droit humanitaire ont lieu dans un État déterminé »[24]. Pourtant, ce terme fait aujourd’hui référence à une hostilité, à « des manœuvres secrètes et délictuelles »[25], contre lesquelles il convient de « lutter »[26]. En cela, l’ingérence se différencie de l’influence. Cette dernière, théorisée par Joseph Nye suivant l’idée de soft power, renvoient aux politiques visant à « structurer une situation de telle manière que d’autres pays développent des préférences ou définissent leurs intérêts en harmonie avec les siens »[27]. Précisément, les activités d’influence sont menées par des personnes sous « le contrôle d’un mandant étranger […] aux fins de promouvoir les intérêts de ce dernier »[28]. L’influence étrangère est donc à la fois tolérable et légale, à l’inverse de politiques d’ingérences, qui sont illégales et dommageables[29]. Loin d’une séparation manichéenne, divers auteurs décrivent plutôt un continuum entre l’influence et l’ingérence[30], la première pouvant conduire à la seconde, confirmant toute la difficulté qu’il y a à qualifier ce qui relève d’une action répréhensible. Là réside toute l’ambivalence des régimes juridiques visant à lutter contre les ingérences puisque ces dernières risquent d’être largement définies, de n’être pas définies, ou encore, d’être confondues avec l’influence.
Cette ambivalence se lit dans la loi hongroise où les deux termes sont bien mentionnés, différenciant l’« ingérence » de l’« influence »[31]. Dans le préambule de la loi, c’est le terme d’ingérence qui est utilisé à trois reprises, mais sans définition précise. Par exemple, il est prévu que pour divulguer « les tentatives d’ingérence étrangère et la prévention de ces tentatives, un organisme indépendant devrait être mis en place »[32]. Cet organe est mentionné dans la Loi fondamentale hongroise, au 12e amendement qui, ajouté le même jour que l’adoption de la loi, dispose qu’un organe indépendant établi par une loi cardinale « pour protéger l’identité constitutionnelle ». Cet organe, le Bureau de protection pour la souveraineté, doit donc à la fois « combattre les ingérences dirigées contre la souveraineté de la Hongrie »[33] et « protéger l’identité constitutionnelle »[34], sans que ni l’une ni l’autre de ces notions ne soient vraiment définies. Si l’on se réfère à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, les deux notions restent étroitement reliées : « la protection de la souveraineté de la Hongrie est, en même temps, la protection de son identité propre »[35]. La Cour constitutionnelle explique que l’identité constitutionnelle n’est pas une « liste de valeurs fermées et statiques » et que son contenu se développe au cas par cas[36]. Dès lors, ni la loi de 2023 ni la jurisprudence constitutionnelle ne permettent d’établir avec précision ce qui relève de l’ingérence étrangère.
Cette qualification se complexifie encore lorsqu’au-delà du préambule, on s’attache à lire le reste de la loi de 2023. En effet, seul le préambule parle d’ingérence, alors que le corps du texte renvoie, lui, par une quinzaine d’occurrences, à l’influence. Selon la lettre du texte, le Bureau de protection pour la souveraineté est chargé d’étudier « les activités visant à influencer le discours démocratique et les processus décisionnels de l’État et de la société, y compris les activités influençant la prise de décision par des personnes exerçant des responsabilités », ou encore, les organisations, financées par des fonds étrangers cherchant à « influencer le résultat des élections ou à influencer la volonté des électeurs »[37]. Ce sont donc bien les activités d’influence qui sont visées par cette loi et qui constituent le cœur des missions du Bureau, sans que ces activités — qui restent légales — ne soient pour autant sanctionnées. Visiblement, la loi cherche à éviter l’ingérence en révélant au grand public, encore plus largement, toute activité d’influence.
En France, la distinction entre l’ingérence et l’influence, par la loi de 2024, est tout aussi complexe. La définition de l’acte d’ingérence est ajoutée au Code monétaire et financier, en renvoyant à des « agissement commis directement ou indirectement à la demande ou pour le compte d’une puissance étrangère et ayant pour objet ou pour effet, par tout moyen, y compris par la communication d’informations fausses ou inexactes, de porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation, au fonctionnement ou à l’intégrité de ses infrastructures essentielles ou au fonctionnement régulier de ses institutions démocratiques »[38]. Malgré cette définition, il reste certaines interrogations, puisque l’ingérence demeure trop largement définie. Matériellement, la loi précitée renvoie à toute sorte d’agissements et de moyens mis en œuvre au service d’une puissance étrangère. Dès lors, les ingérences ne s’identifient que par leurs finalités qui, fixées par la loi, renvoient à l’action selon laquelle une puissance étrangère tente « de porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation, au fonctionnement ou à l’intégrité de ses infrastructures essentielles ou au fonctionnement régulier de ses institutions démocratiques », des notions, elles aussi, assez abstraites[39]. De surcroît, si les finalités de l’ingérence permettent d’en déduire une qualification juridique, cela reste complexe, car elles sont, par définition, « volontairement tenues secrètes, malveillantes et trompeuses »[40].
En outre, comme pour la loi hongroise, il y a aussi dans la loi française, « l’idée d’un continuum entre l’influence et l’ingérence »[41], lequel s’observe à plusieurs reprises. D’un côté, une partie de la loi repose sur la prévention de l’ingérence étrangère : le traitement algorithmique des données de réseaux, auparavant limité à la détection des menaces terroristes, est maintenant élargi pour les connexions susceptibles de révéler des « ingérences étrangères »[42]. De même, le gel des fonds et ressources peut être conjointement décidé par les ministres de l’Économie et de l’Intérieur pour « prévenir la commission d’actes d’ingérence »[43]. D’un autre côté, l’objet principal de la loi est d’encadrer l’influence, puisqu’elle crée un registre numérique des activités d’influence étrangère sous l’autorité de la HATVP[44]. De la sorte, comme en Hongrie, la prévention de l’ingérence est recherchée par l’encadrement de l’influence étrangère, activité considérée comme légale. D’ailleurs, bien que l’amendement n’ait pas été adopté, la rapporteure du Sénat avait proposé d’élargir l’intitulé du texte pour inclure la mention du « contrôle des activités d’influence »[45].
En l’espèce, l’appréciation discrétionnaire de ce qui relève ou non de l’ingérence étrangère prend le risque de stigmatiser, voire d’incriminer, des pratiques d’influences non pénalement répréhensibles. Cette ambivalence de termes confie surtout des pouvoirs extensibles à l’autorité administrative chargée de les mettre en œuvre.
B. Les pouvoirs extensibles de l’autorité administrative
Dans la loi hongroise comme dans la loi française, la prévention des ingérences étrangères est confiée à une autorité administrative, respectivement le Bureau de protection de la souveraineté et la HATVP[46]. Ces autorités ont deux missions relativement similaires : d’une part, une mission d’évaluation par laquelle elles formulent des propositions sur les risques d’ingérence et, d’autre part, une mission d’enregistrement et d’enquête concernant les activités d’influence.
Concernant la première mission d’évaluation, en Hongrie, le Bureau est chargé de développer une méthodologie pour l’évaluation du « risque de souveraineté ». En ce sens, il publie, chaque année, un rapport et peut formuler des propositions pour modifier la loi de manière à « protéger la souveraineté de la Hongrie »[47]. De façon similaire, la loi française prévoit la remise par le gouvernement au Parlement, tous les deux ans, d’un rapport sur l’état des menaces résultant d’ingérences étrangères qui pèsent sur la sécurité nationale[48]. De la sorte, cette mission d’évaluation entraine peu de risques pour les droits et libertés.
En revanche, concernant la seconde mission d’enregistrement et d’enquête, celle-ci menace davantage les droits fondamentaux. En Hongrie, le Bureau est chargé d’enquêter, très largement, sur toutes les activités de représentation d’intérêts, de manipulation de l’information, de désinformation, et d’influence sur le discours démocratique et sur les processus décisionnels de l’État et de la société, sans même qu’aucune contribution financière de la part d’une entité étrangère ne soit nécessairement identifiée dans ces activités[49]. Le texte ne définit ni n’exemplifie ce que recouvrent des termes aussi abstraits. Ces activités peuvent concerner les organisations non gouvernementales (ONG), les journalistes, les professeurs d’université, voire pourrait inclure les commentaires de particuliers sur les réseaux sociaux. De plus, la loi permet d’enquêter sur les organisations et les activités financées par des fonds étrangers qui exercent « une influence sur le résultat des élections ou sur la volonté des électeurs ». Le terme d’influence, particulièrement large, indique que n’importe quel média, ONG, ou association recevant des fonds, même modiques, de l’étranger, incluant les fonds européens, peut voir ses activités investiguées.
Pour cette mission, le Bureau hongrois bénéficie d’un pouvoir d’enquête important. Il peut demander toutes informations à l’organisation directement concernée par l’enquête, ou à toute personne indirectement concernée, qui doit répondre dans un délai de 15 jours[50]. Surtout, il peut requérir des informations en rapport avec l’enquête auprès d’organes de l’État, y compris s’il s’agit de données classifiées[51]. Les résultats de l’enquête sont rendus publics sur le site du Bureau, accompagnés de ses conclusions, et sont éventuellement mentionnés dans le rapport annuel[52]. Comme le relève la Commission de Venise, le Bureau cherche à stigmatiser les entités investiguées, par un processus de name and shame. Dès lors, ces enquêtes « peuvent interférer avec plusieurs droits de l’homme, en particulier le droit à la liberté de la vie privée, le droit à la liberté d’expression et le droit à la liberté d’association »[53]. De même, soulignent certains rapporteurs des Nations Unies, les termes ambigus usités par la loi ouvrent « la voie à des abus de pouvoir pour enquêter indûment et étiqueter par la suite toute organisation ou entité sur la base de son engagement dans des activités de plaidoyer “liées à l’étranger” »[54]. Confirmant les craintes des institutions internationales, des ONG et des médias indépendants ont fait l’objet d’enquêtes stigmatisantes. L’une d’elles fut menée contre le média Átlátszó, spécialisée dans l’investigation de la corruption, qui a reçu 11 questions[55]. Une autre enquête a été lancée à l’égard de l’ONG Transparency International, avec un total de 62 questions, au motif que l’organisation menait des activités de nature à influencer les décisions des électeurs, de surcroît financées par des subventions étrangères[56]. Publié dans le rapport annuel, le résultat de l’enquête a conclu que « les notions de « transparence » et d’« anticorruption », développées par Transparency International, ne servent ni la « pureté de la vie publique », ni la concurrence égale entre les acteurs du marché, mais les intérêts économiques et politiques américains, par une « désinformation qui stigmatise la Hongrie et les institutions de l’État hongrois »[57]. Les conclusions rendues, insusceptibles de recours, démontrent toute l’étendue des pouvoirs de l’autorité administrative.
En France, c’est le mandataire de l’étranger qui se déclare lui-même, s’ils réalisent des actions d’influence pour une puissance étrangère[58]. Précisément, la loi confie à la HATVP la mission d’établir un registre numérique public référençant « les personnes physiques ou morales exerçant, sur l’ordre, à la demande ou sous la direction ou le contrôle d’un mandant étranger […], une ou plusieurs actions destinées à influer sur la décision publique »[59]. Le champ d’application de la loi reste, lui aussi, plutôt large, car les personnes devant se déclarer sont celles qui, pour le mandant, réalisent trois types d’action : d’abord, des actions de communication à destination du public, ensuite, des opérations de collecte de fonds ou, enfin, toutes actions d’influence à destination des autorités politiques[60]. Naturellement, cette loi concerne les cabinets de conseil, possiblement déjà inscrits sur le répertoire des représentants d’intérêts, ayant des puissances étrangères comme clients. Cette loi pourrait aussi s’appliquer au salarié d’une entreprise étrangère qui donne une conférence publique, à une ONG internationale qui collecte ou verse des fonds en France, ou encore, aux avocats « lorsqu’ils réalisent des prestations d’assistance ou de représentation des parties devant les juridictions et les organismes juridictionnels ou disciplinaires »[61]. En effet, malgré leurs demandes récurrentes pour protéger le secret professionnel, les avocats n’ont pas été exclus du dispositif[62]. Ni les avocats, ni les associations à objet cultuel, ni les entreprises de presse[63] ne sont dispensés de déclaration, alors que ces exemptions avaient été proposées par le rapporteur de la loi[64]. Les parlementaires ont craint que de telles exemptions encouragent les ingérences par les personnes exclues, rendant la loi contre-productive[65]. Par conséquent, seuls sont exclus les membres du personnel diplomatique et consulaire, ainsi que « les membres et les agents d’un État étranger, lorsqu’ils agissent dans l’exercice de leurs fonctions ». En outre, l’article 3 de la loi vise explicitement l’enregistrement des think tanks, des laboratoires d’idées et des instituts œuvrant avec un partenaire étranger, en tant que personne morale[66]. Selon Aude Denizot, cette disposition inclurait encore les universités et les chercheurs, lorsque, financés par une puissance étrangère, ils réalisent des actions de communication publique[67]. La lecture des débats parlementaires révèle pourtant une volonté politique inverse, car les amendements proposés sur ce sujet ont été rejetés par la commission sénatoriale afin de préserver la liberté académique[68] et de respecter le PFRLR d’indépendance des professeurs d’université[69]. Les universitaires ne sont donc pas concernés par l’obligation d’enregistrement auprès de la HATVP.
En l’espèce, l’entrée en vigueur de la loi n’est prévue que pour le 1er juillet 2025 et il revient au pouvoir réglementaire, dont les décrets d’application n’ont pas encore été publiés, de préciser la mise en œuvre du dispositif. Pourtant, l’étendue des personnes et des activités visiblement concernées ne permet nullement de se rassurer vis-à-vis d’éventuelles atteintes aux droits et libertés. Les risques encourus sont les mêmes qu’en Hongrie : la violation disproportionnée des droits à la vie privée, à la liberté d’expression ou à la liberté d’association, et la stigmatisation des organisations mentionnés dans le registre public. D’autant que la HATVP bénéficie, avec la loi de 2024, d’un pouvoir d’enquête renforcé, aussi important que le Bureau hongrois de protection de la souveraineté. D’abord, le mandataire est tenu de lui transmettre son identité, celle de son mandant, l’accord d’influence qui les lie, le nombre de personnes qui œuvrent aux activités d’influence et la liste des activités menées[70]. Ensuite, elle peut mettre en demeure toute personne qui ne se conformerait pas aux obligations de déclaration, exiger la communication des informations nécessaires et, éventuellement, procéder à des vérifications empiriques « lors desquelles ses agents peuvent exiger la communication et obtenir ou prendre copie, par tout moyen et sur tout support, des documents professionnels de toute nature, entre quelques mains qu’ils se trouvent, propres à faciliter l’accomplissement de leur mission »[71]. Une telle possibilité démontre l’extension des pouvoirs de la HATVP et fait craindre une atteinte à la protection des sources journalistiques[72]. Enfin, si la personne ne se conforme pas à la mise en demeure et à ses observations, la HATVP peut prononcer une astreinte qu’elle peut rendre publique, renforçant d’autant plus la stigmatisation des entités sanctionnées[73]. Dès lors, la loi visant à prévenir les ingérences étrangères en France n’est pas exempte de ressemblances avec la loi hongroise, soulevant des inquiétudes sur les mesures juridiques instaurées.
Outre leurs potentiels effets liberticides, les lois française et hongroise interrogent sur leur efficacité : « imagine-t-on un instant que ceux qui ont déposé des cercueils à Paris ou laissé des graffiti iront s’inscrire ? »[74]. L’ingérence étant, par nature, une activité secrète, réussira-t-on à établir la preuve d’une filiation entre l’agent et un organe étatique ou politique ? De même, ces lois présentent certaines limites, car elles ne s’appliquent pas aux actions d’influence menées en dehors du territoire. Par exemple, en 2024, les indépendantistes kanak se sont rendus à une conférence internationale sur la décolonisation à Ankara, dont les frais de transport ont été payés par les services secrets de l’Azerbaïdjan. Cette tentative d’ingérence, qui serait pilotée par les régimes russe et chinois pour déstabiliser la France, n’est pourtant pas couverte par la loi de 2024, car elle a lieu à l’extérieur du territoire français[75]. C’est pourquoi, au-delà de leurs effets liberticides, les lois française et hongroise risquent également d’être inefficaces.
Malgré ces inquiétudes, des garanties entourent l’application de ces législations, des garanties nettement plus importantes en France qu’en Hongrie.
II. Des garanties inégales contre les atteintes aux droits et libertés
En Hongrie comme en France, les garanties encadrant ces lois ne trouvent leur origine que dans l’organisation constitutionnelle et libérale de ces États. Par conséquent, selon une approche différenciée, la loi hongroise présente moins de garanties juridiques à l’égard des droits et libertés fondamentaux, car, à l’inverse de la loi française, elle ne garantit pas l’indépendance de l’autorité administrative, n’autorise aucun recours contre ses décisions (A), ni ne prend en compte le respect du cadre juridique européen (B)
A. Des garanties statutaires et juridictionnelles différenciées
L’hétérogénéité des garanties juridiques entre le Bureau de protection pour la souveraineté et la HATVP se lit, d’une part, sur le plan statutaire, dans le processus de nomination des deux autorités, et, d’autre part, sur le plan juridictionnel, dans la possibilité de former un recours contre les décisions rendues.
Sur le plan statutaire, le Bureau hongrois entretient un lien étroit de dépendance avec l’exécutif. Si la section 1 (2) de la loi affirme que « l’Office est indépendant et n’est subordonné qu’à la loi », insistant sur le fait qu’il « ne reçoit aucune instruction […] et accomplit sa mission séparément des autres organes et sans aucune ingérence », en réalité la lecture systématique du texte laisse entrevoir l’ambiguïté du statut de cette institution. D’abord, le président du Bureau est nommé par le président de la République, sur proposition du Premier ministre. Ce système de nomination n’implique ni les autres pouvoirs, le législatif ou le judiciaire, ni l’opposition. Ensuite, l’autorité de nomination, le président de la Hongrie, est élue par la majorité des parlementaires. Par conséquent, en cas de majorité absolue au sein du parlement monocaméral de Hongrie, comme c’est le cas depuis 2010, la chambre, le gouvernement, le président de la République et le président du Bureau appartiennent, en toute logique, au même parti politique, renforçant le risque d’un déséquilibre des pouvoirs. Enfin, la dépendance à l’égard de l’exécutif est exacerbée par la possibilité offerte au président de la Hongrie de renouveler ou de mettre un terme au mandat du président du Bureau[76]. Le renouvellement de son mandat peut constituer une récompense à l’égard de sa loyauté au pouvoir exécutif, tandis que sa révocation, une sanction. Parallèlement, les vice-présidents de l’institution dépendent, eux, du président du Bureau, qui les nomme, les révoque ou les démet, selon un important pouvoir discrétionnaire[77]. Avec de telles modalités de nomination, le Bureau ne présente pas de garantie suffisante à l’égard du pouvoir exécutif. Dans la pratique, c’est d’ailleurs Tamás Lánczi, le fils d’un membre influent du parti au pouvoir qui a été nommé à la tête de ce Bureau.
À l’inverse, la HATVP présente des garanties différentes quant à la nomination des membres du collège. Le président de la haute autorité est nommé par décret du président de la République après l’avis des commissions des lois des deux chambres parlementaires, selon la procédure de l’article 13 de la Constitution[78]. Le collège est ensuite composé de deux membres élus par le Conseil d’État, deux par la Cour de cassation, et deux par la Cour des comptes, choisis respectivement au sein de chacune de ces juridictions[79]. Deux personnalités qualifiées sont encore nommées, l’une par le président de l’Assemblée nationale, l’autre le président du Sénat, après l’approbation par trois cinquièmes des membres des commissions des lois de l’assemblée concernée. Chacune de ces autorités juridictionnelles et parlementaires désigne respectivement un homme et une femme[80]. Dès lors, le processus de nomination fait intervenir près de sept autorités différentes, gage d’une plus grande indépendance institutionnelle. En outre, ces membres ne sont pas révocables et la fin anticipée de leur mandat reste encadrée par des conditions très strictes[81]. L’ensemble de ces procédures permet de soutenir que la HATVP pourrait résister à toute pression politique sur les membres du collège.
Sur le plan juridictionnel, la différence de garanties s’observe dans l’absence de recours offerts aux personnes concernées par les décisions de ces deux autorités administratives. En effet, aucun recours juridique n’est possible à l’égard du Bureau hongrois, ni concernant ses enquêtes ni concernant la publication de ses conclusions dans le rapport annuel[82]. La Cour constitutionnelle estime que cette impossibilité n’est pas contraire au droit à un recours effectif prévu à l’article XXVIII de la Loi fondamentale, car le Bureau, « organe administratif indépendant et autonome de l’État », n’exerce aucun contrôle administratif, ni n’impose directement de sanctions[83]. Pour cette raison, la Cour constitutionnelle considère que ses actions ne sont pas protégées par le droit à un procès équitable, de même que les rapports publics ne sont pas des décisions administratives impliquant le droit à un recours effectif[84].
En France, le recours contre les actes de la HATVP a été rendu possible par l’élargissement de la justiciabilité des actes administratifs élaboré par le Conseil d’État. D’abord, par deux arrêts du 21 mars 2016, le Conseil d’État ouvre le recours pour excès de pouvoir contre les actes de « droit souple » des autorités de régulation[85]. Puis, par un arrêt du 19 juillet 2019, cette solution s’applique aux prises de position de la HATVP qui, bien que non décisoires, accompagnaient les déclarations de situation patrimoniale sur lesquelles étaient constatés certains manquements et qui, par conséquent, étaient « de nature à produire, sur la personne du député qu’elle concerne, des effets notables, notamment en termes de réputation »[86]. Cette justiciabilité s’est finalement étendue à tous les documents de portée générale, émanant d’autorités publiques, « susceptibles d’avoir des effets notables sur les droits ou la situation d’autres personnes que les agents chargés de les mettre en œuvre »[87]. Par conséquent, en tenant compte de ses effets, un rapport de la HATVP pourrait tout à fait faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. De surcroît, avec la loi de 2024, la HATVP peut désormais prononcer des astreintes, après une mise en demeure, pour un montant maximal fixé à 1 000 euros par jour, envers toute personne qui ne respecterait pas ces obligations de déclaration[88]. Si l’astreinte n’est pas considérée comme une sanction administrative[89], la mise en demeure[90], les injonctions[91] et l’astreinte ont toutes trois étaient reconnues comme justiciable d’un recours devant le juge administratif[92]. Ainsi, même en l’absence d’un véritable pouvoir de sanction administrative, les actes de la HATVP sont susceptibles d’un recours juridictionnel, garantissant le droit à un recours effectif de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
En dépit de ces garanties, il est à regretter que la loi française n’ait pas fait l’objet d’un contrôle par le Conseil constitutionnel. En effet, alors même que la saisine a été rédigée le 7 juin par un groupe de 60 députés, celle-ci n’est arrivée au greffe que le lundi 10 juin, le lendemain du prononcé de la dissolution. Dès lors, dans une décision du 10 juillet, le Conseil a considéré que les requérants n’avaient plus la qualité pour effectuer cette saisine[93]. Deux jours après cette décision, les députés récemment élus ont à nouveau saisi le Conseil, saisine qui une nouvelle fois a été considérée comme irrecevable, car le Conseil ne peut être saisi sur le fondement de l’article 61 « d’un nouveau recours contre le même texte », quand bien même le premier recours n’avait pas abouti à l’examen de la loi sur le fond[94]. Le Conseil rappelle, tout de même, la possibilité « pour tout justiciable de le saisir d’une question prioritaire de constitutionnalité », lorsque la loi sera entrée en vigueur.
Dès lors, malgré la perfectibilité de la protection constitutionnelle française, les garanties juridictionnelles restent plus importantes en France qu’en Hongrie. D’autant plus que ces garanties diffèrent aussi lorsqu’il s’agit de tenir compte du cadre juridique européen.
B. Le respect disparate du cadre juridique européen
Le droit européen, conventionnel ou communautaire, est différemment pris en compte par les lois hongroises et françaises.
Concernant la Hongrie, l’ingérence étrangère peut venir de n’importe quel État et les 27 membres de l’Union européenne ne sont pas traités différemment. Pourtant, la considération des États membres comme potentiels sources d’ingérence pose moins un problème juridique que les risques d’atteinte aux droits fondamentaux. Ce sont donc surtout les atteintes aux valeurs de l’Union européenne qui font peser un risque d’inconventionnalité sur la loi. Dans un rapport de 2024, la Commission de Venise affirme des doutes quant à « l’indépendance du bureau », pouvant « conduire à une application arbitraire et politiquement motivée de la loi »[95]. Dans le continuité de ce rapport, la Commission européenne engage une procédure d’infraction à l’encontre de la Hongrie au motif que cette loi porte atteinte aux valeurs démocratiques de l’Union, au principe démocratique, aux droits électoraux des citoyens et à plusieurs droits fondamentaux consacrés dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, tels que le droit au respect de la vie privée et familiale, le droit à la protection des données personnelles et la liberté d’expression[96]. Après plusieurs mises en demeure, le 4 décembre 2024, la Commission saisit finalement la Cour de justice de l’Union européenne d’un recours en manquement. Sur le plan contentieux, ni la Cour de justice de l’Union européenne ni la Cour européenne des droits de l’homme ne se sont encore prononcées sur la loi hongroise. En revanche, ces deux juges européens ont déjà eu à se prononcer sur des affaires similaires.
En effet, dans l’arrêt Commission/Hongrie (Transparence associative) du 18 juin 2020[97], la Cour de justice se prononce sur un recours en manquement concernant la loi hongroise sur la transparence des organisations recevant de l’aide de l’étranger[98]. En imposant des obligations d’enregistrement, de déclaration et de publicité à certaines organisations bénéficiant d’une aide étrangère, la Hongrie n’a pas respecté la libre circulation des capitaux ainsi que les droits au respect de la vie privée, à la protection des données et à la liberté d’association énoncés dans de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Particulièrement, ces obligations sont susceptibles d’avoir un « effet dissuasif » sur la participation de donateurs étrangers et sont de nature à créer « un climat de défiance généralisée envers les associations et les fondations en cause ainsi qu’à les stigmatiser »[99]. Sous l’effet de cette condamnation, dix mois après, la Hongrie a finalement abrogé sa loi nationale.
Dans Ecodefence et autres c. Russie[100], la Cour de Strasbourg va encore plus loin que celle de Luxembourg, en se prononçant sur la conventionnalité de la loi russe sur les agents étrangers. En l’espèce, les ONG requérantes s’étaient vues imposer de nouvelles exigences en matière d’enregistrement, de nombreuses inspections, des sanctions et des restrictions quant à leurs sources de financement et la nature de leurs activités, entraînant la dissolution de certaines organisations et portant atteinte à la liberté d’association. Dans ce cadre, la Cour a affirmé que ce type de loi n’était nullement nécessaire dans une société démocratique, soulignant, à l’inverse, la nécessité de l’ingérence, car qu’il est important que certaines organisations bénéficient de financements étrangers, notamment lorsqu’il s’agit de défendre des « sujets politiquement ou socialement sensibles ou des causes impopulaires au niveau national »[101]. À la lecture de ces récentes décisions, le risque d’inconventionnalité pesant sur la loi hongroise semble important, faisant craindre un nouveau bras de fer entre les juges européens et Viktor Orban.
À l’inverse, la loi française cherche à tenir compte de l’ordre juridique de l’Union européenne, intégré à l’ordre interne. Plusieurs éléments le démontrent. D’abord, la loi ne mentionne que les candidats aux élections européennes comme destinataire de l’influence, et non les eurodéputés, car ces derniers relèvent des règles fixées par le droit de l’Union européenne lui-même[102]. Ensuite, elle exclut de la définition de mandants étrangers les États, les partis et les groupements politiques de l’Union européenne[103]. Enfin, la liste des dons et des versements déclarés par les Think tanks exclut ceux reçus de la part de toute personne morale relevant d’un État membre de l’Union européenne[104]. Ces exclusions ont été intégrées par les parlementaires dans le but de se prémunir contre toute éventuelle inconventionnalité[105]. Pourtant, en se référant aux critiques formulées à l’égard de la loi hongroise, le problème n’est pas vraiment l’inclusion des États membres de l’Union comme potentielle source d’ingérence, mais plutôt les risques d’atteinte aux droits fondamentaux.
En cela, cette exclusion peut même constituer un choix discutable, car l’ingérence étrangère peut tout autant venir d’Europe que d’ailleurs, notamment dans un contexte de rivalité économique entre alliés[106]. Précisément, en excluant l’Union européenne, la loi semble faire dépendre l’ingérence non pas de l’action d’ingérence en elle-même, mais de la provenance de cette action. Autrement dit, il semble impossible que des alliés diplomatiques cherchent à se déstabiliser. Cette idée semble assez critiquable pour deux raisons. La première se lit dans les récentes actualités qui ont montré que les alliés de toujours peuvent rapidement devenir des ennemis. Les menaces d’ingérence ne sont pas manichéennes, mais hybrides, diffuses et multilatérales. La seconde tient à la diversité des acteurs d’influence étrangers au sein des États membres de l’Union. Il est probable que les partis d’une même sensibilité politique ne cherchent pas à déstabiliser le système démocratique français. Toutefois, cette possibilité ne peut être exclue pour des partis de sensibilités différentes. Rien n’empêche les extrêmes, droite ou gauche, de chercher à influencer, voire à déstabiliser certaines autorités politiques françaises. En grossissant le trait, l’ingérence et a fortiori l’influence étrangère, peuvent se concevoir comme une opposition politique qui vient d’ailleurs. Dans ce cadre hautement politique, il ne faudrait pas que l’application de la loi varie en fonction du titulaire du pouvoir, au prétexte que les alliés diplomatiques évoluent. Pour cette raison, bien que l’objectif premier des parlementaires soit louable, il semble plus utile d’inclure tout État dans le champ d’application de la loi pour, surtout, se concentrer sur la nature de l’acte d’ingérence, et non sur sa provenance.
***
En conclusion, bien que nécessaires pour mieux appréhender les ingérences étrangères, les lois hongroise et française ne sont pas exemptes de défauts puisqu’elles présentent les risques d’être inefficaces ou de porter atteinte aux droits et libertés. Si la loi française apporte des garanties constitutionnelles et conventionnelles plus importantes que la loi hongroise, celles-ci ne sont pas la panacée pour une démocratie libérale, soucieuse des droits et libertés. Mais alors, que serait une bonne loi visant à lutter contre les ingérences étrangères ? Selon une approche libérale, une bonne loi serait celle qui prévient un autocrate, influencé par les intérêts étrangers, d’arriver au pouvoir. Toutefois, si pour de multiples raisons, cet autocrate accédait au pouvoir, une bonne loi serait surtout celle qui ne lui permet pas de s’y maintenir, indéfiniment, en ciblant ses opposants, qu’ils viennent de l’intérieur ou d’ailleurs. La loi qui lutte contre les ingérences étrangères doit donc s’efforcer de rechercher cette ligne de crête, entre la préservation de la souveraineté et la garantie des droits et libertés.
[1] « Derrière les tags d’étoiles de David, une opération d’influence russe ? », France Culture, 2023, en ligne : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/un-monde-connecte/les-etoiles-de-david-bleues-apercues-sur-les-murs-de-paris-une-potentielle-vaste-operation-d-influence-3245296
[2] D. Schneidermann, « Fake news sur Brigitte Macron, nouvelle munition des Russes… et des Américains », Libération, le 22 mars 2025, en ligne : https://www.liberation.fr/idees-et-debats/opinions/fake-news-sur-brigitte-macron-nouvelle-munition-des-russes-et-des-americains-par-daniel-schneidermann-20250322_WE72EEYBHJAGTDP4FB6NCVGG5I/
[3] M. Ygrand, « Non, le fascisme et le nazisme n’étaient pas des dictatures socialistes », Les Surligneurs, 4 juillet 2024, en ligne : https://lessurligneurs.eu/non-le-fascisme-et-le-nazisme-netaient-pas-des-dictatures-socialistes/
[4] J.-P. Tanguy et C. Le Grip, Rapport fait au nom de la commission d’enquête relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères — États, organisations, entreprises, groupes d’intérêts, personnes privées — visant à influencer ou corrompre des relais d’opinion, des dirigeants ou des partis politiques français, Assemblée nationale, 16e législature, t. 1, p. 11.
[5] Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, art. 27. Les fausses nouvelles sont définies par la Cour de cassation et reprises par le Conseil d’État comme « les nouvelles se rattachant à un fait précis et circonstancié, non encore divulgué et dont le caractère mensonger est établi de façon objective ». Voir, CE, Ass. générale, sec. de l’Intérieur, Avis sur les propositions de lois relatives à la lutte contre les fausses informations, n° 394641 et 394642, 19 avril 2018, § 10. Cette interprétation est transposée à la notion de fausse information, qui se distingue de celle de fausse nouvelle « par l’absence de condition de non-divulgation préalable ».
[6] Loi du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l’information (1), art. 1.
[7] Loi n° 2024-850 du jeudi 25 juillet 2024 visant à prévenir les ingérences étrangères en France. Les trois décrets nécessaires à l’application du texte devaient être publiés en février 2025. Le 26 mars 2025, aucun n’avait été publié.
[8] Ibid., art. 1.
[9] Exposé des motifs, Proposition de Loi visant à prévenir les ingérences étrangères en France, n° 2150, déposée le mardi 6 février 2024, Assemblée nationale.
[10] Proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête parlementaire relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères, – États, organisations, entreprises, groupes d’intérêts, personnes privées- visant à influencer ou corrompre des relais d’opinion, des dirigeants ou des partis politiques français, n° 275, déposée le mardi 27 septembre 2022, Assemblée nationale.
[11] Confondues avec les démocratures, celles-ci désignent les régimes politiques où les pouvoirs tendent à se concentrer dans les mains d’un seul organe, en général l’exécutif. Dans ce cadre, « le leader populiste agit au nom du peuple : une opposition à sa volonté ne peut qu’être le fruit d’“ennemis du peuple” ». V. T. Hochmann, « Cinquante nuances de démocratures », Pouvoirs, vol. 2019, n° 2, 2019, p. 19-32, spé. p. 27. V. aussi, V. Barbé, B.-L. Combrade et C.-É. Sénac, La démocratie illibérale en droit constitutionnel, Bruxelles, Bruylant, 2023.
[12] Loi n° LXXXVIII de la Hongrie sur la protection de la souveraineté nationale, 12 décembre 2023.
[13] Le 12e amendement à la loi fondamentale de la Hongrie prescrit que « pour protéger l’identité constitutionnelle, un organe indépendant établi par une loi cardinale doit fonctionner ».
[14] Loi n° LXXXVIII de la Hongrie sur la protection de la souveraineté nationale, 12 décembre 2023, préambule.
[15] Commission de Venise, Avis sur la loi LXXXVIII de 2023 sur la protection de la souveraineté nationale, 2024, Avis n° 1169/2023.
[16] Commission de Venise, Avis urgent sur la loi relative à la commission d’état chargée d’enquêter sur l’influence russe sur la sécurité intérieure de la République de Pologne pendant la période de 2007-2022 et sur le projet de loi modifiant cette loi, 2023, CDL-AD(2023)037.
[17] Déclaration conjointe sur la protection du droit à la liberté d’association à la lumière des lois sur les « agents de l’étranger » et de l’« influence étrangère », signée par la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les droits à la réunion pacifique et d’association, le Rapporteur spécial sur la liberté d’expression de la CIDH, le Commissaire Rapporteur pour les défenseurs des droits de l’homme de la CIDH, le Rapporteur spécial sur les défenseurs des droits de l’homme et point focal sur les représailles en Afrique de la CADHP, la Représentante de l’Indonésie auprès de la Commission intergouvernementale des droits de l’homme de l’ASEAN et du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme de l’OSCE.
[18] Ibid., p. 5.
[19] Ibid., p. 3 : « Préoccupés en outre par le fait que ces lois utilisent pour la plupart des définitions vagues, trop larges et/ou ambiguës et, en tant que telles, ne respectent pas les normes internationales relatives aux droits de l’homme, y compris le principe de sécurité juridique et de prévisibilité de la législation, et permettent un large pouvoir discrétionnaire et une application arbitraire de la part des autorités chargées de leur mise en œuvre »
[20] Dès lors, sont surtout analysés les articles 1 à 4 de la loi française et 1 à 32 de la loi hongroise.
[21] E. Rabel, « Unification du droit de la vente internationale, ses rapports avec les formulaires ou contrats types des divers commerces », dans Introduction à l’étude du droit comparé, Recueil d’études en l’honneur d’E. Lambert, 1938, t. 2, p. 688. V. aussi, K. Zweigert, « Des solutions identiques par des voies différentes (Quelques observations en matière de droit comparé) », Revue internationale de droit comparé, vol. 18, n° 1, Janvier-mars 1966, p. 5-18. Cette approche conduit à « considérer les règles juridiques sous deux angles, d’une part celui de la fonction occupée par la norme et d’autre part celui de son aptitude à remplir la fonction assignée ». V., B. Jaluzot, « Méthodologie du droit comparé : bilan et prospective », Revue internationale de droit comparé, Vol. 57, n° 1, 2005, p. 29-48, spé. p. 40.
[22] Le professeur Ralf Michaels explique : « la fonction elle-même sert de tertium comparationis. Les institutions, tant juridiques que non juridiques, même celles qui sont doctrinalement différentes, sont comparables si elles sont fonctionnellement équivalentes, si elles remplissent des fonctions similaires dans des systèmes juridiques différents ». V., R. Michaels, « The Functional Method of Comparative Law » dans M. Reimann et R. Zimmermann (eds.), The Oxford Handbook of Comparative Law, Oxford, Oxford Handbooks Online, 2006, p. 340-373, spé. p. 342.
[23] H. Muir-Watt, « La fonction subversive du droit comparé », Revue internationale de droit comparé, vol. 52 n° 3, 2000, p. 503-527, spé. p. 518. Cette méthode peut sembler « subversive » pour reprendre les termes de H. Muir-Watt. Elle l’est d’autant plus que les ingérences étrangères, dans le cas hongrois, ne renvoient pas implicitement à la Russie, qui est un allié, mais plutôt aux États occidentaux et à l’Union européenne elle-même.
[24] J. Salmon, « Devoir d’ingérence », Dictionnaire de droit international public, 2001, p. 579.
[25] Rapport fait au nom de la commission d’enquête relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères — États, organisations, entreprises, groupes d’intérêts, personnes privées — visant à influencer ou corrompre des relais d’opinion, des dirigeants ou des partis politiques français, n° 1311, Assemblée nationale, p. 90.
[26] Loi n° LXXXVIII de la Hongrie sur la protection de la souveraineté nationale, 12 décembre 2023, préambule. Source non traduite : « with a view to combatting interference attempts against Hungary’s sovereignty ».
[27] J. Nye, « Soft Power : The Means to Success in World Politics », Public Affairs, 2004.
[28] Loi n° 2024-850 du jeudi 25 juillet 2024 visant à prévenir les ingérences étrangères en France, art. 1.
[29] Rapport fait au nom de la commission d’enquête relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères — États, organisations, entreprises, groupes d’intérêts, personnes privées — visant à influencer ou corrompre des relais d’opinion, des dirigeants ou des partis politiques français, n° 1311, Assemblée nationale, p. 89.
[30] F. Charillon, Guerres d’influence : les États à la conquête des esprits, Odile Jacob, 2022.
[31] Les termes anglais de la traduction officielle disponible sur le site de l’Assemblée nationale hongroise sont « interference » et « illegal influence ».
[32] Loi n° LXXXVIII de la Hongrie sur la protection de la souveraineté nationale, 12 décembre 2023, préambule. Source non traduite : « ensure democratic debate, transparency in public and social decision-making processes, disclosure of foreign interference attempts and the prevention of such attempts, an independent body should be set up ».
[33] Ibid. Source non traduite : « with a view to combatting interference attempts against Hungary’s sovereignty ».
[34] Selon la Loi fondamentale hongroise et l’article premier de la loi de 2023.
[35] Cour constitutionnelle hongroise, Décision 22/2016. (XII. 5.) AB, on the Interpretation of Article E) (2) of the Fundamental Law, “the quota decision”, para. 111. Source non traduite : « the protection of Hungary’s sovereignty is also the protection of self-identity at the same time »
[36] Ibid. Source non traduite : « It unfolds the content of this concept from case to case »
[37] Loi n° LXXXVIII de la Hongrie sur la protection de la souveraineté nationale, 12 décembre 2023, Section 3, ac, b et c. De plus, La modification du Code pénal consiste en l’introduction d’une nouvelle infraction pénale, « l’influence illégale de la volonté des électeurs » (article 350/A du Code pénal créé par l’article 32 de la loi). Cette infraction pénalise le fait pour « un membre, un responsable ou un dirigeant d’une organisation de nomination au sens de la loi sur la procédure électorale et un candidat au sens de la loi sur la procédure électorale/… /d’utiliser un soutien étranger interdit ou un avantage matériel provenant d’un accord déguisant, pour contourner cette interdiction, l’origine du soutien étranger interdit ».
[38] De la sorte, la nationalité de la personne physique ou morale qui commet l’acte d’ingérence n’a pas d’importance. Ce qui compte, en revanche, c’est qu’elle agisse pour le compte d’un autre État. De la même manière, précise le rapport de la proposition de loi, « une personne étrangère qui commet un acte visant à porter atteinte à un intérêt fondamental de la Nation ne le fait pas nécessairement au nom d’une puissance étrangère ». Pour une définition de l’ingérence étrangère en dehors de la loi de 2024, V., article R. 1132-3, al. 9 du Code de la défense.
[39] Par exemple, les intérêts fondamentaux de la nation s’entendent, au sens de l’article 410-1 du Code pénal, « de son indépendance, de l’intégrité de son territoire, de sa sécurité, de la forme républicaine de ses institutions, des moyens de sa défense et de sa diplomatie, de la sauvegarde de sa population en France et à l’étranger, de l’équilibre de son milieu naturel et de son environnement et des éléments essentiels de son potentiel scientifique et économique et de son patrimoine culturel », définition qui renseigne difficilement sur les finalités de l’ingérence étrangère.
[40] J.-P. Tanguy et C. Le Grip, Rapport fait au nom de la commission d’enquête relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères — États, organisations, entreprises, groupes d’intérêts, personnes privées — visant à influencer ou corrompre des relais d’opinion, des dirigeants ou des partis politiques français, Assemblée nationale, 16e législature, t. 1, p. 52. En effet, le rapport de l’Assemblée nationale explique que l’ingérence se distingue de l’influence « par son aspect secret et répréhensible ».
[41] Ibid., p. 89.
[42] Loi n° 2024-850 du 25 juillet 2024 visant à prévenir les ingérences étrangères en France, art. 6. Codifié à l’article 851-3 du Code de la sécurité intérieure. Sur ce point, V., B. Guillaumin, « Du contre-espionnage à la contre-ingérence : évolution ou mutation des missions de la DGSI ? », Cahiers de la sécurité et de la justice, n° 61, publication à l’été 2025.
[43] Ibid., art. 7. Codifié à l’article L. 562-2-1 du code monétaire et financier.
[44] Loi n° 2024-850 du 25 juillet 2024 visant à prévenir les ingérences étrangères en France, art. 1.
[45] Sénat, Séance du 22 mai 2024, J.O. Débats parlementaires, p. 3232. L’amendement 21 vise à rédiger ainsi l’intitulé du texte « Proposition de loi visant à contrôler les activités d’influence étrangère et à prévenir et lutter contre les risques d’ingérence étrangère en France. »
[46] Au-delà de ces deux lois, les services de renseignements, particulièrement la DGSI en France, ont aussi la mission de prévenir les ingérences étrangères. De même, Viginum en France, met en lumière dans ses rapports les ingérences étrangères numériques. Toutefois, cette étude se concentre sur les missions d’enregistrement et d’enquête confiées en Hongrie et en France à des autorités administratives.
[47] Loi n° LXXXVIII de la Hongrie sur la protection de la souveraineté nationale, 12 décembre 2023, art. 2, c.
[48] Loi n° 2024-850 du 25 juillet 2024 visant à prévenir les ingérences étrangères en France, art. 4.
[49] Loi n° LXXXVIII de la Hongrie sur la protection de la souveraineté nationale, 12 décembre 2023, art. 3.
[50] En ne fournissant pas les informations demandées, l’entité visée prend le risque d’être interrogée par la commission permanente de l’Assemblée nationale chargée de la sécurité nationale. V., Loi n° LXXXVIII de la Hongrie sur la protection de la souveraineté nationale, 12 décembre 2023, art. 12.
[51] Loi n° LXXXVIII de la Hongrie sur la protection de la souveraineté nationale, 12 décembre 2023, art. 9
[52] Ibid., art. 6. En effet, le Bureau ne peut imposer de sanctions ni formuler une injonction, même s’il constate une violation de la loi. S’il découvre des éléments susceptibles d’ouvrir une procédure pénale, il le notifie à l’organe habilité à poursuivre de telles infractions. V., Ibid., art. 11.
[53] Commission de Venise, Avis sur la loi LXXXVIII de 2023 sur la protection de la souveraineté nationale, 2024, Avis n° 1169/2023, CDL-AD(2024)001, p. 12.
[54] Rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression et Rapporteur spécial sur la situation des défenseurs des droits de l’homme, 8 décembre 2023, Réf. : OL HUN 1/2023, p. 3. Source non traduite : « We note that the draft Bill uses overly broad and ambiguous terms which could open the doors to abuse of power to unduly investigate and subsequently label any organization or entity on the basis of engaging in `foreign-linked` advocacy, alleged information manipulation and activities aimed at influencing democratic debate and decision-making processes ».
[55] C. Eveno, « Atteintes aux libertés en Hongrie : pourquoi l’ONG Transparency et un média d’investigation sont visés par une enquête ? », L’Humanité, le 26 juin 2024, en ligne : https://www.humanite.fr/monde/corruption/atteintes-aux-libertes-en-hongrie-pourquoi-long-transparency-et-un-media-dinvestigation-sont-vises-par-une-enquete
[56] Ibid.
[57] Bureau de la protection de la souveraineté, « Transparency International Hongrie mène des activités nuisibles et dissipe la désinformation », 2024, en ligne : https://szuverenitasvedelmihivatal.hu/hirek/a-transparency-international-magyarorszag-karos-tevekenyseget-fejt-ki-es-dezinformaciot-terjeszt
[58] Les mandants étrangers sont désignés comme les puissances étrangères, les personnes morales dirigées par une puissance étrangère, les partis ou les groupes politiques étrangers, en dehors de l’Union européenne. De la sorte, à la différence de la Hongrie qui ne s’intéresse pas à l’origine de l’influence, la France restreint celle-ci à la sphère étatico-politique, « ce qui risque de priver la loi d’une partie de son intérêt en rendant délicate la preuve d’une filiation entre l’agent et un organe étatique ou politique ». V., A. Denizot, « Ingérence étrangère : la France sur les pas du Nicaragua », RTD Civ., n° 4, 2024, p. 991-1000, spé. p. 993. En outre, la précédente rédaction de la loi parlait de « personne physique ou morale étrangère », ce qui incluait l’influence sans mandataire. La formulation définitive, modifiée par la commission des lois est celle d’une « personne physique ou morale agissant au nom ou pour le compte d’une puissance étrangère », incluant donc les personnes françaises mandatées par l’étranger, mais excluant l’influence directe. En effet, telle que rédigée, la loi ne semble pas inclure les cas où un étranger entreprend lui-même, sans mandataire, des activités d’influence en France. Néanmoins, cette éventualité pourrait être couverte par le répertoire des représentants d’intérêts créé par la loi Sapin II du 11 octobre 2013, tel que le précise une circulaire du Premier ministre du 21 octobre 2021 : « lorsqu’elle vise à peser sur la décision publique, qu’elle est conduite formellement par une personne morale de droit privé ou une personne physique agissant à titre individuel, et qu’elle s’exerce auprès des cibles désignées par la loi, une action d’influence étrangère est susceptible d’entrer dans le champ de ces dispositions ».
[59] Loi n° 2024-850 du 25 juillet 2024 visant à prévenir les ingérences étrangères en France, art. 1.
[60] Ibid. Comme le résume le rapporteur de la loi à l’Assemblée nationale, les trois critères cumulatifs déclenchant la mise en œuvre des obligations déclarative et déontologique sont : « le déclarant doit agir pour le compte d’un mandant étranger, défini comme une puissance étrangère, l’un de ses démembrements ou une organisation politique ; il doit agir sur l’ordre, la demande, la direction ou le contrôle du mandant ; il doit réaliser une activité de lobbying, de communication ou de collecte de fonds ». Voir, S. Houlié, Rapport fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république, sur la proposition de loi, visant à prévenir les ingérences étrangères en France, Assemblée nationale, n° 2150, p. 62. Les autorités politiques sont désignées comme les ministres, les parlementaires, leurs collaborateurs, les anciens dirigeants politiques, les candidats aux élections nationales, les présidents des exécutifs locaux, ou les conseillers régionaux.
[61] L. Garnerie, « Ingérences étrangères : les avocats devront déclarer leurs activités », Gaz. Pal., 30 juill. 2024, n° GPL467a7, p. 4.
[62] Les débats parlementaires démontrent que « les activités contentieuses des avocats ne relèvent pas des activités visées par l’article 1er. Ils sont donc exemptés de déclaration dans ce cas. En revanche, « s’ils exercent une activité d’influence, ils devront remplir leurs obligations déclaratives, comme ils le font déjà au titre de la loi Sapin 2. » Voir, Assemblée nationale, 2e séance du 26 mars 2024, J.O. Débats parlementaires, p. 2401.
[63] Ibid., p. 2402.
[64] S. Houlié, Rapport fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république, sur la proposition de loi, visant à prévenir les ingérences étrangères en France, Assemblée nationale, n° 2150, p. 21-22.
Les exemptions sont majoritairement retirées de la loi française alors qu’elle s’inspire de la loi américaine (FARA Act), dans laquelle huit exemptions sont notamment prévues. De même, au Royaume-Uni, la loi sur la sécurité nationale de 2023 instaurant un registre relatif aux influences étrangères (le Foreign Influence Registration Scheme ou FIRS), des exceptions sont prévues, notamment pour les ONG, les avocats et les « éditeurs d’information ».
[65] Assemblée nationale, 2e séance du 26 mars 2024, J.O. Débats parlementaires, p. 2400.
[66] Loi n° 2024-850 du 25 juillet 2024 visant à prévenir les ingérences étrangères en France, art. 3. la loi dispose que les organismes qui bénéficient de dons et versements et « qui réalisent des analyses ou des expertises sur tout sujet en lien avec une politique publique nationale ou en matière de politique étrangère ainsi que les établissements éducatifs publics à but non lucratif œuvrant avec un partenaire étranger et ayant pour vocation la diffusion d’une langue étrangère et la promotion des échanges culturels sont tenus de transmettre à la HATVP la liste des dons et des versements reçus de la part de toute puissance étrangère ou de toute personne morale étrangère extérieures à l’Union européenne ».
[67] A. Denizot, « Ingérence étrangère : la France sur les pas du Nicaragua », art. cit., p. 998.
[68] Amendement Gisèle Jourda, n° 12 rect. concernant la déclaration des financements étrangers reçus par les universités (Rejeté) ; Amendement Gisèle Jourda, n° 13 concernant l’obligation pour les chercheurs de mentionner les liens d’intérêt avec toute puissance ou personne morale étrangère (Rejeté). Voir, Sénat, Compte rendu de la commission des lois, Mardi 14 mai 2024, en ligne : https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20240513/lois.html#toc8
[69] PFRLR pour « les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ». V., Décision n° 83-165 DC du 20 janvier 1984, Loi relative à l’enseignement supérieur, cons. 19 et 20.
[70] Loi n° 2024-850 du 25 juillet 2024 visant à prévenir les ingérences étrangères en France, art. 1, III.
[71] Ibid.
[72] A. Denizot, « Ingérence étrangère : la France sur les pas du Nicaragua », art. cit., p. 997.
[73] Parallèlement, en refusant de déclarer ses activités, la sanction pénale encourue a été alourdie et peut atteindre trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende.
[74] A. Denizot, « Ingérence étrangère : la France sur les pas du Nicaragua », art. cit., p. 995.
[75] A. De Morgny, « Proposition de loi visant à prévenir les ingérences étrangères : un verre à moitié plein ! », Centre de recherche appliquée de l’école de guerre économique CR451, 2024, en ligne : https://cr451.fr/proposition-de-loi-visant-a-prevenir-les-ingerences-etrangeres-un-verre-a-moitie-plein/
[76] Loi n° LXXXVIII de la Hongrie sur la protection de la souveraineté nationale, 12 décembre 2023, art. 14 et 16.
[77] Ibid., art. 17 (1).
[78] Loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, art. 19 ; Loi organique n° 2024-448 du 21 mai 2024 modifiant la loi organique n° 2010-837 du 23 juillet 2010 relative à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution (1).
[79] Loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, art. 19.
[80] Ibid.
[81] Loi n° 2017-55 du 20 janvier 2017 portant statut général des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes (1), art. 6. Les conditions pour mettre fin aux fonctions d’un des membres sont très encadrées par l’article 6 : « Il ne peut être mis fin aux fonctions d’un membre du collège que dans les formes prévues pour sa nomination soit en cas de démission, soit, sur proposition du président ou d’un tiers des membres du collège, après délibération, à la majorité des trois quarts des autres membres du collège que l’intéressé, constatant un manquement grave à ses obligations légales ou une incapacité définitive empêchant la poursuite de son mandat. Cette délibération ne peut intervenir qu’après que l’intéressé a été en mesure de produire ses observations dans un délai qui ne peut être inférieur à une semaine ».
[82] Loi n° LXXXVIII de la Hongrie sur la protection de la souveraineté nationale, 12 décembre 2023, art. 6.
[83] Cour constitutionnelle de Hongrie, décision du 15 novembre 2024, n° 20/2024. (XI.28.), accessible en ligne : https://hunconcourt.hu/datasheet/?id=57838AD2B57B9BF0C1258B5500449DB1
[84] Ibid.
[85] CE, ass., 21 mars 2016, Sté Fairvesta International GmbH et a., et Sté NC Numericable, n° 390023.
[86] CE Ass., 19 juillet 2019, Mme A (dite Marine Le Pen), n° 426389.
[87] C’est le caractère public de l’acte qui importe : « lorsqu’il émet des recommandations, sans faire usage de la faculté dont il dispose de la rendre publique, le Défenseur des droits n’énonce pas des règles qui s’imposeraient aux personnes privées ou aux autorités publiques, […]. Par suite, ces recommandations, alors même qu’elles auraient une portée générale, ne constituent pas des décisions administratives susceptibles de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir », V., CE, 22 mai 2019, Rigolot, n° 414410.
[88] Loi n° 2024-850 du 25 juillet 2024 visant à prévenir les ingérences étrangères en France, art. 1. Codifié à l’art. 18-16 du Code de la compliance. Comme le relève Didier Migaud, « Ce n’est pas tout à fait de même nature que le pouvoir de sanction administrative que nous demandons, mais c’est un premier pas ! ». Voir, Entretien avec Didier Migaud, Propos recueillis par B. Monnery et É. Phélippeau, « La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique : dix ans de lutte contre les conflits d’intérêts dans la sphère publique », Revue française d’administration publique, n° 186, vol. 2, p. 369-380, spé. p 374.
[89] CC, n° 2013-675 DC du 9 octobre 2013, Loi organique relative à la transparence de la vie publique, cons. 40. V., aussi, B. Guillemont, « La Haute autorité pour la transparence de la vie publique : une autorité inédite dans le paysage politique français », Les Cahiers Portalis, n° 11, vol. 1, 2023, p. 159-174.
[90] La jurisprudence considère que la mise en demeure qui précède l’édiction du pouvoir d’injonction ne constitue pas « une mesure préparatoire, insusceptible de recours pour excès de pouvoir, mais […] une décision de nature à être contestée par la voie d’un tel recours ». Voir, CE, 5 septembre 2008, Société Directannonces, n° 319071.
[91] CE, 21 mars 2016, Société Fairvesta international GmBH et autres et Société NC Numéricable, n° 368082.
[92] J. de Saint Sernin, « Le pouvoir d’injonction des autorités indépendantes », RFDA, 2020, p. 861-870.
[93] CC, Décision n° 2024-870 DC du 10 juillet 2024, Loi visant à prévenir les ingérences étrangères en France.
[94] CC, Décision n° 2024-871 DC du 24 juillet 2024, Loi visant à prévenir les ingérences étrangères en France.
[95] Commission de Venise, Avis sur la loi LXXXVIII de 2023 sur la protection de la souveraineté nationale, 2024, Avis n° 1169/2023, CDL-AD(2024)001, p. 23.
[96] Commission européenne/Hongrie, 4 décembre 2024, Affaire C-829/24, (C/2025/124).
[97] CJUE, 18 juin 2020, Commission/Hongrie (Transparence associative), C-78/18.
[98] Loi hongroise n° LXXVI de 2017 sur la transparence des organisations recevant de l’aide de l’étranger.
[99] CJUE, 18 juin 2020, Commission/Hongrie (Transparence associative), C-78/18, para. 118.
[100] CEDH, 14 juin 2022, Ecodefence et autres c. Russie, no 9988/13.
[101] Ibid., § 186.
[102] Loi n° 2024-850 du jeudi 25 juillet 2024 visant à prévenir les ingérences étrangères en France, art. 1. Pour la législation européenne, voir, par exemple, les propositions d’évolution, Résolution du Parlement européen du 15 décembre 2022 sur les soupçons de corruption par le Qatar et, plus largement, la nécessité de transparence et de responsabilité au sein des institutions européennes, 15 décembre 2022, (2022/3012(RSP))
[103] Loi n° 2024-850 du jeudi 25 juillet 2024 visant à prévenir les ingérences étrangères en France, art. 1, II.
[104] Ibid., art. 3.
[105] V. notamment, Assemblée nationale, 2e séance du 26 mars 2024, J.O. Débats parlementaires, p. 2400.
[106] J.-P. Tanguy et C. Le Grip, Rapport fait au nom de la commission d’enquête relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères — États, organisations, entreprises, groupes d’intérêts, personnes privées — visant à influencer ou corrompre des relais d’opinion, des dirigeants ou des partis politiques français, Assemblée nationale, 16e législature, t. 1, p. 99.