Le droit de l’audiovisuel en mutation : de l’actualisation du principe de pluralisme à la conceptualisation du principe d’honnêteté de l’information
Le droit de l’audiovisuel français est, étonnamment, un droit en mutation. L’arrêt Reporters Sans Frontières du 13 février 2024 a remis en question la seule appréciation quantitative du principe de pluralisme qui prévalait depuis les années 70, pour y accoler son versant qualitatif. Dans un arrêt du 4 juillet 2025, Cercle Droit et liberté et autre, le Conseil d’État a répondu aux nombreuses questions qu’il avait laissées en suspens concernant les modalités de ce nouveau contrôle. L’arrêt RSF constitue l’acmé de la mutation du droit de l’audiovisuel, mais un autre principe, l’honnêteté de l’information est façonnée au cas par cas par l’ARCOM et le Conseil d’État. Ces deux principes sont complémentaires : un environnement pluraliste serait vain à assurer la qualité de l’information transmise au public si lesdites informations étaient inexactes.
Pauline Trouillard est Post-doctorante, Université Paris Nanterre, Chaire Colibex
Voilà quelques années que le droit de l’audiovisuel, parfois considéré comme un sujet mineur du droit administratif, est au cœur de l’actualité. L’année 2024 fut notamment marquée par trois évènements qui permirent de débattre sur le fond des principes sur lesquels devraient reposer ce droit dans le futur. Le revirement de jurisprudence du Conseil d’État concernant le principe de pluralisme dans l’arrêt Reporters sans Frontières1, au début de l’année 2024 a donné lieu à beaucoup de commentaires, dans le monde juridique comme dans le monde médiatique. La Commission d’enquête parlementaire qui a été diffusée en direct sur La chaine parlementaire a également fait couler beaucoup d’encre dans la mesure où elle a forcé des journalistes et animateurs à répondre de la conformité de leurs actes à leurs obligations contractuelles et légales devant des représentants de la Nation. Enfin, le renouvellement des fréquences TNT, et le non-renouvellement de la chaîne C8sur laquelle exerçait notamment Cyril Hanouna donna lieu à des accusations de censure étatique. Ces accusations sont infondées. Comme le Conseil d’État a eu l’occasion de le soulever lors du recours contre le refus d’autorisation d’occupation du domaine public, de nombreux critères objectifs expliquent le refus de renouvellement de C8, au regard des objectifs législatifs de sauvegarde du pluralisme des courants d’expression socio-culturels et d’intérêt du public qui guident l’attribution. C’est notamment le cas des nombreuses sanctions dont C8 a fait l’objet2.
Ces trois évènements ont rappelé que le droit de l’audiovisuel a des conséquences sociétales très importantes, et que les choix faits dans ce domaine ont des implications théoriques et démocratiques majeures3. Ils ont également permis de mettre en exergue un phénomène que j’observe depuis des années dans mes recherches : l’ineffectivité des textes juridiques dans le domaine de l’audiovisuel et la difficulté pour l’ARCOM (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique) de prévenir les manquements aux obligations constitutionnelles, législatives, règlementaires et contractuelles.
Cette ineffectivité est presque originelle depuis la loi Léotard de 1986. En 2010, Arnaud Montebourg dénonçait déjà le fait que TF1 avait vu sa concession renouvelée malgré son manque de respect des obligations contractuelles qui la liait au CSA (notamment concernant les programmes culturelles)4. Toutefois, elle a été renforcée par plusieurs phénomènes au cours des 10 dernières années. D’abord, la multiplication du nombre d’émissions de plateaux, qualifiées soit de « talk-show » soit d’ « infotainment » (néologisme provenant de la contraction entre « information » et « entertainment ») ont fait de la recherche du buzz le principe directeur de l’économie politique audiovisuelle. Ensuite, l’entrée de Bolloré au capital de Vivendi qui détient le groupe Canal + lui a permis de transformer son pouvoir économique en pouvoir politique5. Last, but not least, la diffusion des fausses nouvelles s’est multipliée dans la société française. Les premières recherches sur ce sujet se sont concentrées sur leur création et leur mode de diffusion sur les réseaux sociaux6. C’est d’ailleurs cette piste qui a été privilégiée par le Parlement pour lutter contre ce phénomène dans l’espace public7.
La multiplication des fausses nouvelles a sans nul doute été amplifiée par la vélocité à laquelle se propagent les messages sur internet du fait du coût marginal quasi-nul de la création d’un message8. Il serait toutefois faux de penser que seuls les médias « démocratiques », au sens étymologique du terme, qui n’opèrent pas de sélection à l’entrée peuvent mener à la création de fausses nouvelles. Autrement dit, la seule existence d’une barrière à l’entrée d’un média ou d’une autre forme de mode de communication ne suffit pas à faire obstacle à la diffusion de fausses nouvelles.
Le droit de la liberté d’expression s’est jusqu’à présent peu penché sur ces questions, qui se heurtent à un épineux problème de définition9. Après être revenu sur le revirement de jurisprudence du Conseil d’État dans l’arrêt Reporters Sans Frontières et ses suites juridiques (I) cet article s’essaiera donc à une analyse du principe d’honnêteté en droit de l’audiovisuel français (II).
I La nécessaire actualisation du principe de pluralisme
Si l’arrêt « Reporters Sans Frontières » a créé un bouleversement en considérant que la règle des trois-tiers n’était plus suffisante pour assurer l’impératif constitutionnel et législatif du pluralisme des courants de pensée et d’opinion (A), une jurisprudence postérieure a permis de résoudre les questions laissées en suspens par ce bouleversement (B).
A- Le bouleversement « Reporters sans frontières »
Le plus gros bouleversement récent du droit de la régulation audiovisuel est la redéfinition du principe de pluralisme dans l’arrêt Reporters Sans Frontières10. Le principe de pluralisme est considéré comme intrinsèquement lié à la démocratie, car le peuple, pour faire des choix politiques, doit pouvoir choisir entre plusieurs alternatives et se voir présenter plusieurs points de vue. Ce lien a été souligné de manière constante par la CEDH et le Conseil constitutionnel11. La nécessité que les citoyens puissent faire des choix informés permet d’expliquer que la liberté d’expression soit limitée, à la télévision, plus strictement que dans la vie réelle. Parce que, comme l’a joliment formulé le Conseil constitutionnel dans son importante décision de 1986, « les auditeurs et les téléspectateurs sont au nombre des destinataires essentiels de la liberté proclamée par l’article 11 de la Déclaration de 1789 »12, la liberté d’expression des animateurs et journalistes doit être mise en balance avec la liberté de réception des téléspectateurs. Cette mise en balance s’explique également par le caractère limité des fréquences et l’impact de la télévision sur l’opinion publique du fait de la diffusion simultanée à des millions de téléspectateurs d’images et de sons faisant appel à leurs émotions.
En l’espèce, le Conseil d’État avait à connaître d’une décision de l’ARCOM concernant une saisine de Reporters Sans frontières. Reporters Sans Frontières (RSF) avait demandé à l’ARCOM, sur le fondement des articles 42, 13 et 3 de la loi Léotard du 30 septembre 1986, de faire respecter par CNews le pluralisme des courants de pensée et d’opinion dans les programmes, en particulier pour les émissions d’informations politiques et générales. RSF demandait également à l’ARCOM de mettre en demeure CNews de respecter l’honnêteté de l’information, une autre obligation légale de l’article 3 de la loi Léotard.
L’ARCOM a refusé de faire droit à ces demandes. En ce qui concerne l’honnêteté de l’information, elle a considéré que les séquences dont se prévalaient RSF avaient déjà été sanctionnées. En ce qui concerne le principe de pluralisme, RSF faisait valoir que la chaîne CNews « n’assurait pas une diversité suffisante des points de vue exprimés à l’antenne, notamment à l’occasion des débats sur des questions prêtant à controverse ». Fidèle à sa jurisprudence constante, selon laquelle seul le temps d’antenne dédié à des personnalités politiques est pris en compte pour mesurer le respect des impératifs de pluralisme, l’ARCOM a refusé de faire droit à la demande de RSF.
Le CE a annulé la décision de l’ARCOM, en considérant que le pluralisme devait être apprécié en tenant compte non seulement des personnalités politiques, mais également de l’ensemble des participants aux programmes diffusés13. Il a enjoint l’ARCOM de procéder au réexamen de la demande de RSF. Il s’agit d’un très gros revirement de jurisprudence car il remet en question l’appréciation du principe de pluralisme qui prévalait depuis les années 70.
Jusqu’à présent, et ce depuis une directive de l’ORTF en 1969, le principe de pluralisme était comptabilisé quantitativement, en se basant sur le temps d’intervention des personnalités politiques. C’était la règle qu’on avait appelé des trois-tiers, car elle prévoyait initialement qu’ un tiers du temps de parole des personnalités politiques par chaîne était réservée aux membres du gouvernement, un tiers aux membres de la majorité et un tiers aux membres de l’opposition14. A la libéralisation du secteur en 1982, cette règle fut d’abord appliquée sans base textuelle. La loi de 1986 imposa elle, aux chaînes une « expression pluraliste des courants de pensée et d’opinions » (article 13) et la loi du 1er février 1994 ajouta une obligation pour le CSA de transmettre, chaque mois au Parlement, le relevé des temps de parole. On a donc longtemps considéré, et cela représente une particularité française, que le pluralisme des courants de pensée et d’opinions était mis en œuvre par la règle des trois-tiers15. Cette concrétisation extrêmement artificialisée16 du principe de pluralisme reflétait plus la souveraineté nationale de Sieyès que la souveraineté populaire de Rousseau17. Seules les personnes élues ou appartenant à un parti politique représenté au Parlement étaient considérées comme pouvant avoir une influence sur la formation de l’opinion publique.
Cela était sans doute vrai au moment du monopole, lorsque le temps d’antenne était extrêmement réduit et les invités choisis parce qu’ils représentaient un parti politique. Mais comme on l’a vu, la multiplication des canaux de diffusion s’est accompagnée d’une multiplication des émissions d’infotainment ou de talk-shows, dans lesquelles beaucoup d’invités ne sont pas des personnalités politiques et discutent pourtant de l’actualité politique. Il est donc illusoire de penser que seuls les invités faisant partie d’un parti politique puissent avoir un impact sur le public. Cette faille régulatoire a été exploitée avec grand succès par CNews, lequel invite très peu d’hommes et de femmes politiques (et la plupart des hommes et femmes politiques refusent de s’y rendre depuis des années). La majorité des invités sont donc des chroniqueurs, qui ne sont pas comptabilisés comme des personnalités politiques mais qui expriment pourtant une opinion, classé souvent à droite – voire à l’extrême droite – de l’échiquier politique. Il y avait ce que les normativistes pourraient appeler un « paradoxe de la concrétisation »18 : alors que CNews respectait le principe de pluralisme tel qu’il était appliqué par l’ARCOM, elle ne respectait pas le principe constitutionnel de pluralisme tel que conceptualisé par le Conseil constitutionnel. C’est la raison pour laquelle le Conseil d’État, qui a suivi les propositions de son rapporteur public, a annulé la décision de l’ARCOM en considérant que la façon dont elle mesurait le principe de pluralisme était illégal et inconstitutionnel.
B- Les suites de l’arrêt Reporters Sans Frontières : comment mesure le pluralisme différemment ?
Ce revirement de jurisprudence a été salué par quelques auteurs19, critiqué par d’autres20, mais il a surtout fait parler les journalistes et le milieu médiatique qui s’est interrogé sur la façon dont l’ARCOM allait désormais compatibiliser le principe de pluralisme. Il existait une crainte compréhensible de la part des journalistes audiovisuels de perdre beaucoup de liberté dans la façon dont ils exercent leur métier. Les juristes, eux, purent regretter l’ambiguïté de la formulation de l’arrêt du Conseil d’État21, qui aurait pu laisser entendre que l’ARCOM devait comptabiliser le temps de parole de tous les invités sur le plateau en les classifiant en fonction de leur appartenance politique22. Ceci aurait été problématique philosophiquement parlant, car cela aurait sans doute mené à répartir les temps de parole en référence à la règle des droits tiers, impliquant ainsi la dépendance de la sphère publique à la sphère politique. La démocratie implique que les sphères publiques et politiques soient indépendantes l’une de l’autre pour que la sphère publique puisse contrôler la sphère politique et que l’opinion publique se forme de manière autonome23. Or, si le temps de parole des différents intervenants était calculé en référence aux dernières élections législatives, cela aurait impliqué une surreprésentation des visions favorables au pouvoir, rendant plus difficile une future alternance politique24. Cela aurait impliqué également que chaque individu ne s’exprime à la télévision ou à la radio qu’en fonction du ou des candidats pour lesquels il aurait voté aux élections précédentes, niant ainsi l’autonomie individuel des intervenants. L’ARCOM a répondu à cette crainte de façon mesurée, par une délibération du 17 juillet 2024. Elle a explicité que pour la mise en œuvre du principe de pluralisme tel qu’il résulte de la décision du conseil Constitutionnel, de la loi Léotard et de l’arrêt du CE de 2024, elle tiendrait compte de :
- la variété des sujets ou thématiques abordés à l’antenne ;
- la diversité des intervenants dans les programmes ;
- l’expression d’une pluralité de points de vue dans l’évocation des sujets abordés à l’antenne25.
Le 29 juillet 2024, en se fondant sur ces critères, l’ARCOM a réexaminé la demande de RSF. L’ARCOM a considéré que « de nombreux sujets, tels que les violences commises contre les forces de l’ordre, le fonctionnement de la justice ou les effets de l’immigration sur le fonctionnement de notre société, apparaissaient traités de manière univoque, les points de vue divergents demeurant très ponctuels »26. Il a toutefois simplement mis en garde CNews, pour moduler les effets du revirement de jurisprudence du CE.
Le feuilleton n’était toutefois pas terminé, car quelques questions restaient encore en suspens. Le Conseil d’État allait-il entériner cette vision qualitative, et non quantitative27 du principe de pluralisme ? Quel serait le degré de contrôle du Conseil d’État sur l’appréciation de l’ARCOM ? Et enfin, les services titulaires d’une autorisation seraient-ils tenues de continuer d’appliquer une conception quantitative pour les personnalités politiques ? Autrement dit, la conception qualitative du principe de pluralisme supplanterait-elle ou complèterait-elle la conception quantitative ?
Le Conseil d’État a répondu à ces questions dans un arrêt très pédagogique du 4 juillet 202528 dans laquelle il clarifie la nature du contrôle à opérer par l’ARCOM. En l’espèce, les associations Cercle Droit et Libertés, La Courte échelle et L’association de défense des libertés fondamentales avaient demandé à l’ARCOM de mettre en demeure les chaînes de télévision et de radio France 2, France 3, France 4, France 5, France info, France Inter, France Culture, Arte, M6, TF1, TMC, BFM, RMC et RTL sur le fondement de l’article 42 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication (et donc de la nouvelle interprétation de l’article 13 de la loi telle qu’elle résultait de la jurisprudence Reporters Sans Frontières), en leur enjoignant de « modifier la liste [des] animateurs, chroniqueurs et invités autres que les personnalités politiques » intervenant dans les différentes émissions de ces services « de façon que les divers courants de pensée et d’opinion disposent d’un temps de parole proportionnel à leur poids dans la société française ». L’ARCOM avait implicitement rejeté les demandes de ces associations, qui attaquent alors la décision implicite de rejet en recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d’État. Le Conseil d’État refuse de faire droit à leur demande avec un considérant de principe assez clair sur les étapes à suivre :
« Il appartient à l’ARCOM, lorsqu’elle est saisie dans ce cadre d’une réclamation par une personne justifiant d’un intérêt lui donnant qualité pour ce faire, de rechercher, sur une période qui, sauf circonstances particulières, doit être suffisamment longue pour qu’elle puisse porter son appréciation, s’il ne résulte de son examen aucun déséquilibre manifeste et durable au regard de l’exigence d’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinion dans les programmes des services de radio et de télévision, en particulier pour les programmes d’information et les programmes concourant à l’information. A ce titre, l’ARCOM doit porter une appréciation globale sur la diversité des expressions, sans avoir à qualifier ou classer les participants aux programmes au regard des courants de pensée et d’opinion. Cet examen reste sans préjudice des règles applicables au décompte du temps de parole des personnalités politiques, notamment en période électorale, et des autres dispositions et stipulations applicables aux services concernés ».
Le Conseil d’État, qui suit encore une fois les recommandations de son rapporteur public, rejette donc l’obligation de classifier les intervenants en fonction de leur appartenance politique. Ce rejet est expliqué par le rapporteur public par les mots suivants : « ce n’est pas l’identité ou le statut de la personnalité qui s’exprime qui importe, mais le contenu de son discours ».
Le Conseil d’État considère également que l’examen de l’ARCOM doit porter sur une période suffisamment longue pour qu’elle puisse identifier un potentiel déséquilibre manifeste et durable au regard de l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinion. Autrement dit, l’ARCOM ne pourra sanctionner le déséquilibre des opinions sur une seule séquence, préservant ainsi la liberté éditoriale des journalistes des chaînes audiovisuelles. Le principe de pluralisme ne saurait donc se transformer en une exigence de présenter toujours deux points de vue opposés lorsqu’un journaliste doit traiter un thème. Par exemple, lorsque Charline Van hoeonacker interroge une militante pour le climat, elle n’est pas dans l’obligation d’interviewer en même temps un relativiste de la cause climatique. Le principe de pluralisme ne saurait se transformer en une exigence d’exhaustivité des points de vue : le journaliste peut continuer de choisir les points de vue qu’il souhaite mettre en exergue29. Il ne semble pas ressortir de la formulation du Conseil d’État ou de l’ARCOM une obligation d’exhaustivité de la représentation de toutes les tendances politiques. De ce fait, la pratique de Quotidien de refuser d’inviter des membres du Rassemblement National n’est sans doute pas contraire au nouveau principe de pluralisme30.
Il ressort en creux de cette définition que le principe de pluralisme est une obligation de variété dans les thèmes et les discours sur ces thèmes. Cette obligation peut être assimilée à une interdiction des chaînes d’opinion. Cette interdiction est salutaire, car l’exposition du public à
une seule opinion, sans contradictoire, peut être préjudiciable à sa capacité à faire des choix politiques rationnels. Elle peut également renforcer la polarisation dans l’espace public. Les chercheurs en psychologie sociale31 ont observé depuis longtemps le phénomène suivant : lorsque des membres d’un groupe partageant les mêmes opinions, surtout des opinions extrêmes, ne sont pas exposés régulièrement à des points de vue divergents susceptibles de nuancer leur point de vue, ces points de vue sont plus susceptibles de devenir encore plus extrêmes sous l’effet du groupe32. Non seulement les points de vue sont susceptibles de devenir plus extrêmes, mais les membres du groupe qui n’étaient pas convaincus par de tels points de vue auront plus de chance de se ranger à l’opinion dominante au sein du groupe (ce qu’on appelle les cascades informationnelles33).
En ce qui concerne la réponse à la seconde question, le Conseil d’État affirme de manière très claire qu’il exercera un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation sur le choix opéré par l’ARCOM de mettre (ou de ne pas mettre) en demeure un opérateur. Ce choix s’applique pour des manquements constatés sur une longue période comme pour les manquements ponctuels sur une séquence donnée (qui ne concernent donc pas le principe de pluralisme)34. Si le refus de mettre en demeure est susceptible d’un recours pour excès de pouvoir, l’annulation d’une sanction pécuniaire fait elle l’objet d’un recours de plein contentieux ce qui permet au juge de moduler le montant de la sanction35.
La réponse à la troisième question est positive. Le Conseil d’État fait encore une fois œuvre de pédagogie en affirmant que : « Cet examen reste sans préjudice des règles applicables au décompte du temps de parole des personnalités politiques, notamment en période électorale, et des autres dispositions et stipulations applicables aux services concernés ». Le contrôle quantitatif et le contrôle qualitatif du pluralisme coexisteront donc. La solution ne pouvait sans doute pas être différente dans la mesure où la loi prévoit explicitement que « Les services de radio et de télévision transmettent les données relatives aux temps d’intervention des personnalités politiques dans les journaux et les bulletins d’information, les magazines et les autres émissions des programmes à l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique selon les conditions de périodicité et de format que l’autorité détermine ». A cet égard, il faut noter que le Conseil d’État exerce désormais un contrôle normal (ou contrôle de l’erreur de qualification) sur la qualification d’un individu comme personnalité politique36 (et donc entrant dans le contrôle quantitatif), opérant par la même un revirement de jurisprudence sur la nature du contrôle opéré37.
Si la diversité des thèmes et des opinions présentées à l’antenne doit permettre d’assurer que les citoyens exercent leurs choix politiques librement, tel est également le but du principe d’honnêteté de l’information prévu à l’article 3 de la loi Léotard (II).
II La nécessaire conceptualisation du principe d’honnêteté
L’article 3 de la loi Léotard dispose que l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique garantit l’honnêteté, l’indépendance et le pluralisme de l’information et des programmes qui y concourent. Le principe d’honnêteté est un des principes fondateurs du droit de l’audiovisuel, et pour cause : le rôle du journaliste dans une société démocratique consiste à faire le travail de vérification et d’enquête à la place des citoyens pour que celui-ci ait accès à des informations fiables, et puisse en retour se faire sa propre opinion sur ces vérités38. Ce principe est repris par toutes les conventions d’autorisation passées entre l’ARCOM et les titulaires de services titulaires de l’autorisation. Le Conseil constitutionnel a eu l’occasion, dans une décision n° 88-248 DC du 17 janvier 198939 de reconnaître à ces principes une valeur impérative, contrairement à des éléments d’appréciation qui revêtent un caractère indicatif, non limitatif et même pour certains d’entre eux évolutifs (tels que le nombre d’heures de programmes dédiés à un genre par exemple).
Comme pour le principe de pluralisme, la reprise par Bolloré du groupe Canal + a accéléré l’ineffectivité du principe d’honnêteté. Les chaînes CNews et C8 se caractérisent en effet par la distance qu’elles entretiennent parfois la vérité40. Ces manquements, et la jurisprudence de plus en plus importante sur le sujet, permettent paradoxalement de développer une certaine conceptualisation du respect du principe d’honnêteté.
On doit d’abord distinguer selon que l’information communiquée au public soit une opinion ou un fait. Les opinions, qui contiennent un jugement de valeur ou qui reposent sur une conception du bien ne peuvent pas être fausses41, mais elles peuvent être présentées de manière malhonnête. Dans ce cas, le principe d’honnêteté de l’information implique de distinguer une opinion des faits (B). En ce qui concerne les faits, le principe d’honnêteté de l’information implique que les journalistes présentent des faits confirmés (A)
A- Dire la vérité
Vérité et Politique est un essai paru après les controverses ayant entouré la parution de Eichmann à Jérusalem autour de son concept phare, la Banalité du mal. Dans cet essai, Arendt s’intéresse à la façon dont la chose politique instrumentalise la vérité à des fins électorales. Arendt y reprend d’abord une distinction importante établie par Leibniz entre vérité de faits et vérité de raison. Tandis que la vérité de fait peut-être vérifiée ou infirmé par des témoins (1) la vérité rationnelle, peut, elle, être vérifiée par des méthodes scientifiques (2).
1- Vérités de fait
Les vérités de fait sont des affirmations factuelles qui peuvent être confirmées par des témoins oculaires. « Il a plu Place Talensac à Nantes le 15 juin 2025 » est une vérité de fait car elle 1) peut être confirmée ou infirmée (il a soit plu, soit il n’a pas plu, et les deux cas ne peuvent pas coexister) 2) ne demande pas d’expertise particulière pour être confirmée ou infirmée42 et peut être confirmée par des témoins43.
Dans ce cas, l’honnêteté de l’information implique l’exactitude des informations délivrées. Ce cas est le premier visé par le principe d’honnêteté de l’information, et c’est sans doute le cas le plus important à sanctionner dans la mesure où compter un fait inexact est l’une des erreurs les plus grossières d’un journaliste dans l’exercice de sa profession. Cette obligation première des journalistes de présenter des faits exacts se comprend par la vulnérabilité des vérités de fait vis-à-vis du pouvoir, du fait de leur contingence intrinsèque44. La contingence des faits signifie que ce qui s’est passé factuellement aurait très bien pu ne pas se passer, et ce qui ne s’est pas passé aurait pu très bien advenir. Il est donc facile de faire croire qu’un fait n’est pas advenu, ou au contraire que quelque chose qui n’est pas arrivé s’est produit45. L’obligation d’exactitude à laquelle sont tenus les journalistes permet de protéger la capacité du public, qui est, dans le secteur de l’audiovisuel, le premier destinataire de la liberté d’expression46, à se former sa propre opinion.
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Régime juridique applicable aux journalistes
Le Conseil d’État a considéré, dans l’arrêt LCI de 202447 que l’obligation d’établir l’exactitude des faits présentés par les journalistes est une obligation de moyen plutôt que de résultat. Il n’est toutefois pas nécessaire de prouver le caractère intentionnel d’une fausse nouvelle. En l’espèce, il s’agissait d’une séquence diffusée dans l’émission « 24h Pujadas », au cours de laquelle les journalistes avaient présenté une infographie contenant des informations erronées. Cette infographie faisait apparaître qu’un couple au chômage avec deux enfants pouvait bénéficier d’un revenu supérieur à celui d’un couple dont les deux conjoints travaillent, grâce à un cumul d’allocations de retour à l’emploi et du revenu de solidarité active. Ce recours au Revenu de Solidarité Active était en réalité rendu impossible par les dispositions applicables en l’espèce. L’ARCOM avait sanctionné la chaîne sur le fondement de l’obligation d’honnêteté et de rigueur. Dans son mémoire en défense devant le Conseil d’État, l’ARCOM soutenait qu’une mise en demeure pouvait être prononcée au seul motif « qu’un service présente pour vrai ce qui n’est pas démontré, ou qui à l’inverse, occulte ce qui est établi »48. Le Conseil d’État, sur recommandation du Rapporteur public, considère que l’ARCOM a commis une erreur d’appréciation en établissant un lien de cause à effet entre l’erreur factuelle et l’atteinte à l’obligation d’honnêteté de l’information. Il ressort de la décision du Conseil d’État que lorsque les obligations de diligence nécessaires ont été accomplies, l’erreur factuelle ne peut pas mener à une mise en demeure.
Le rapporteur public, qui s’étend longuement sur ce cas, note en effet que les journalistes de la chaîne avaient effectué toutes les vérifications nécessaires en utilisant l’outil du site internet de la caisse d’allocations familiales. Ils avaient pris attache envers le service de communication de Pôle Emploi pour s’assurer de la fiabilité de ces données et que « des assurances leur avaient été alors données ».
Cette solution a le mérite d’être nuancée. Elle ne dédouane pas les journalistes de leurs obligations, tout en considérant que l’erreur, même factuelle, peut exister. Si le principe de l’obligation de moyen est donc retenu, il ne faudrait toutefois pas que ce principe permette aux chaînes ou aux journalistes de se prévaloir de leur propre turpitude.
Cette obligation de moyen, et sa mise en œuvre par le Conseil d’État soulève donc une question juridique d’importance :
Dans la mise en œuvre du principe d’honnêteté, quel est le niveau de l’obligation de moyen applicable pour l’établissement d’une vérité de fait ? L’ARCOM et le CE peuvent et doivent-ils s’inspirer des règles déontologiques ?
Cette question touche à la mise en œuvre des règles déontologiques par le droit, une question épineuse dans la sphère du journalisme.
La déontologie désigne le respect des bonnes pratiques propres à chaque métier ou chaque profession. La valeur juridique de ces règles déontologiques varie en fonction des professions. Pour certaines professions, des textes juridiques prévoient la sanction de ces règles, souvent par un conseil de pairs. C’est notamment le cas de la médecine : le code de déontologie a une valeur règlementaire (article R4127-& du code de la santé publique), tandis que la loi organise la procédure de sanction par les pairs à travers le Conseil de l’ordre des médecins (Article L4121 & suivant du code de la santé publique). Les sanctions qui peuvent être exercées par ces conseils doivent être distinguées des sanctions pénales et/ou de la responsabilité civile. Ces sanctions concernent uniquement l’exercice de la profession et vont du blâme à la radiation. Si les règles déontologiques sont centrales à l’exercice du métier de journaliste et sont enseignées dans toutes les écoles de journalisme, leur mise en œuvre par des sanctions pose plus de difficultés.
La première difficulté réside dans la diversité des statuts et des médiums sur lesquels exercent les journalistes49. Les obligations s’appliquant aux médias audiovisuels ne peuvent pas être les mêmes que ceux s’appliquant à la presse écrite, et les obligations en matière de presse sportive ne sont pas les mêmes que celles d’un reporter de guerre.
La deuxième difficulté réside dans l’opposition apparente entre liberté de la presse et déontologie journalistique. La liberté de la presse peut s’opposer à la mise en œuvre des sanctions par un organe centralisé. Il existe en effet un risque non négligeable qu’un tel organe soit instrumentalisé pour réduire au silence les journalistes informant sur des sujets non consensuels. Cette opposition apparente peut expliquer « l’opposition quasi-générale » dont elle fait l’objet en France au sein des professions concernées50. Toutefois, comme le rappelle justement Emmanuel Derieux, les règles déontologiques, si elles contraignent l’exercice de la fonction, sont d’abord là pour protéger le journaliste de pressions extérieures51. Parce que nous tous traversés par des biais, conscients ou inconscients, les règles déontologiques doivent permettre au journaliste de penser contre lui-même et le protéger de ses propres biais. Les règles déontologiques doivent également permettre au journaliste de penser contre son propre employeur, qui n’est pas toujours mû par les mêmes objectifs que lui, notamment dans le secteur audiovisuel. La recherche constante du profit par les chaînes audiovisuelles a en effet un impact profond sur la manière dont s’exerce le journalisme. Il est probable que les chaînes souhaitent réduire le temps consacré à la préparation des informations (temps durant lequel elles ne réalisent pas de profit52), ce qui peut mener à la multiplication des erreurs factuelles. Ces erreurs seront attribuées au journaliste alors qu’elles découlent du modèle économique de l’entreprise de son employeur.
Une troisième explication – qui n’est pas une difficulté – à l’absence de règles déontologiques sanctionnées pour la profession de journaliste réside dans la complémentarité, en France, entre droit et déontologie. La loi du 29 juillet 1881 contient de nombreuses dispositions engageant la responsabilité des journalistes. Cette dernière explication pourrait aider à plaider en faveur de l’intégration de critères empruntés aux règles déontologiques au sein du droit de l’audiovisuel. L’article 3-1§3 de la loi Léotard dispose que (pour garantir l’honnêteté de, l’indépendance et le pluralisme de l’information) « L’autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique veille notamment à ce que les conventions conclues en application de la présente loi avec les éditeurs de services de télévision et de radio garantissent le respect de l’article 2 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ». Cet article prévoit lui que « toute convention ou contrat de travail signé entre un journaliste professionnel et une entreprise ou société éditrice de presse ou de communication audiovisuelle entraîne l’adhésion à la charte déontologique ou de la société éditrice ». La charte déontologique des journalistes du groupe TF1 (dont fait partie LCI) contient un paragraphe entier sur la vérification de l’information. Elle prévoit notamment que « Toute information doit être vérifiée et recoupée avant d’être diffusée sur les antennes et autres supports du groupe TF1) ».
Toutefois, la question qui nous occupe est de savoir si l’ARCOM pouvait se prévaloir de cette charte pour édicter sa sanction. La formulation de l’article 3-1 est à cet égard ambigüe. L’ARCOM doit « veille[r] à ce que les conventions garantissent le respect de l’article 2-1 bis de la loi du 29 juillet 1881 » qui elle-même prévoit que « Toute convention ou tout contrat de travail signé entre un journaliste professionnel entraîne l’adhésion à la charte déontologique de l’entreprise ». Cette formulation ne semble pas impliquer un pouvoir de faire respecter une telle charte déontologique mais semble limiter le pouvoir de l’ARCOM à s’assurer que les contrats signés entre les chaînes et leur journaliste emportent l’adhésion à une telle charte.
Toutefois, le Conseil d’État, sur recommandation de son rapporteur public, prend en compte le fait que l’information avait été recoupée par les journalistes pour considérer que l’ARCOM a commis une erreur d’appréciation. Le Conseil d’État note en effet que pour s’assurer de la véracité des faits, les journalistes avaient 1) utilisé le site de la CAF pour vérifier le montant alloué aux personnes sans emploi 2) appelé le service de communication de Pôle Emploi pour s’assurer que les personnes touchant le RSA pouvaient également toucher l’Allocation de Retour à l’emploi et pour s’assurer que le simulateur était fiable53. De sorte que l’obligation de moyen telle qu’elle est appliquée par le Conseil d’État en l’espèce comprend le recoupement de l’information qui est l’une des règles déontologiques les plus importantes de la profession de journaliste.
Une telle solution semble conforme aux textes de lois. Si l’ARCOM n’a pas le pouvoir de sanctionner le non-respect des principes déontologiques par les journalistes eux-mêmes, rien ne l’empêche d’emprunter aux règles déontologiques pour interpréter le principe d’honnêteté et de rigueur de l’information qu’elle doit faire respecter aux chaînes en vertu de l’article 3-1 §3 de la loi Léotard.
Les chaînes, elles, peuvent difficilement se défausser juridiquement de cette obligation, alors
que la charte déontologique à laquelle elles doivent soumettre leurs journalistes du fait de leurs contrat, et en vertu de l’article 2-1 bis de la loi de 1881, prévoit que les journalistes doivent recouper l’information. Demander devant l’ARCOM à ne pas être tenu par l’obligation de recoupement qui découle de la charte déontologique qu’elles ont fait signer à leurs employés reviendrait à se prévaloir de leur propre turpitude.
La prise en compte par l’ARCOM des règles déontologiques pour l’interprétation du principe d’honnêteté a un avantage : elle revient à sanctionner la chaîne – et non les journalistes – pour des erreurs factuelles qui, si elles sont factuellement le fait des journalistes, sont souvent causées par le modèle économique des entreprises audiovisuelles.
La solution d’espèce retenue doit être également commentée. L’ARCOM considérait que les journalistes auraient dû prendre attache auprès du service juridique de Pôle Emploi, et non auprès du service de la communication, pour que leur recoupement soit valable. Le Conseil d’État considère lui qu’en recoupant l’information auprès du service de la communication, les journalistes avaient accompli les diligences de vérification des informations qui pouvaient raisonnablement être attendues de leur part, excluant ainsi le recours à un professionnel du droit, ou même à un récipiendaire du service.
Cette deuxième question tient non seulement au recoupement des informations, mais également à la pertinence des témoins interrogés. La question de la pertinence des témoins n’est pas moins importante que celle du recoupement. Si l’on demande à un habitant de la Place Talensac à Nantes s’il a plu sur cette place le 15 juin 2025, il se peut que celui-ci se sente compétent pour répondre, mais il l’est uniquement s’il a vu la pluie Place Talensac, ou dans la négative, s’il est resté toute la journée devant la fenêtre de son habitation le 15 juin 2025. De ce fait, la véritable valeur ajoutée du travail du journaliste est de savoir discerner la fiabilité des témoins interrogés54.
En l’espèce, plusieurs indices peuvent nous laisser penser que les journalistes ont fait preuve de légèreté dans leur travail d’établissement de la fiabilité des témoins interrogés.
Premièrement, toute personne ayant déjà eu à faire à Pôle Emploi ou à la CAF sait que les indications données par les simulateurs concernant les sommes potentiellement touchées ne sont qu’indicatives55. Ce caractère indicatif apparaît sur toutes les simulations effectuées sur les sites internet, tant de la CAF que de Pôle Emploi. Les sommes perçues peuvent dépendre de nombreux facteurs dont seuls les algorithmes ont le secret56. C’est la raison pour laquelle les agents ne communiquent pas directement le montant des sommes que les bénéficiaires pourraient toucher à ces bénéficiaires.
L’ARCOM reprochait aux journalistes d’avoir contacté le service de communication de Pôle Emploi et non le service juridique compétent, tandis que le CE a accepté l’argument de LCI selon lequel les services de communication constituaient un point de contact pour les journalistes, et que des « des assurances leur avaient été données » concernant la possibilité de cumuler l’ARE et le RSA. Il est d’ailleurs probable que les services de la communication de Pôle Emploi ait précisé à ces journalistes que le cadre légal et règlementaire est complexe concernant la possibilité de cumuler des aides et qu’elle dépend des situations, même si la chaîne assure.
Pour respecter les règles déontologiques qui s’appliquent normalement aux journalistes dans le cadre de l’exercice de leur profession, la chaîne aurait sans doute dû présenter ce diagramme comme indicatif et non comme un fait établi. Pour présenter la situation présentée comme certaine, les journalistes auraient pu prendre contact avec des personnes dans la situation qu’ils entendaient décrire en s’appuyant sur leurs bulletins de situation ou avec des professionnels du droit de la sécurité sociale comme le suggérait l’ARCOM57. Ce cas d’espèce illustre l’importance d’analyser les marqueurs verbaux permettant de signaler le degré de certitude d’une information pour analyser l’honnêteté d’un journaliste dans la présentation d’une information58.
La prise en compte des règles déontologiques par l’ARCOM et le Conseil d’État n’est pas démesurée dans la mesure où l’ARCOM, soutenue par le Conseil d’État, a également prévu les cas dans lesquels les fausses informations étaient proférées par un invité, et donc pas imputables à la chaîne, établissant par la une différence de régime justifiable entre les fausses nouvelles proférées par un invité et les fausses nouvelles proférées par un journaliste.
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Régime juridique des fausses nouvelles proférées par les invités
Le régime juridique des fausses nouvelles proférées par des invités est le suivant : lorsque l’émission est diffusée en direct, l’éditeur ne saurait être tenu responsable des propos tenus par l’un des invités si l’éditeur a « maîtrisé son antenne ». Maitriser l’antenne signifie que l’animateur doit intervenir pour contredire l’invité qui profère une fausse information ou une incitation à la haine. Dans le cas où l’invité continue à parler, la chaîne peut être sanctionnée, et le montant de la sanction dépend de la durée de la séquence, de la prévisibilité du dérapage et des réactions de l’animateur (CE, SESI, 12 juillet 2022).
Une des questions restant en suspens concerne le régime juridique des fausses nouvelles proférées par un présentateur qui n’est pas journaliste, tel que Cyril Hanouna dans son émission « Touche Pas à Mon Poste ». Ne pas soumettre ces animateurs au régime juridique des journalistes comporterait le risque d’inciter les chaînes à considérer systématiquement leurs présentateurs comme des animateurs plutôt que des journalistes. Étant donné que les genres télévisuels tendent à se mélanger, notamment avec les programmes d’infotainment, il serait plus prudent de soumettre ces présentateurs au même régime que les journalistes de la chaîne, quand bien même ceux-ci n’auraient pas été formés au journalisme.
Une autre question se pose lorsque le journaliste ne sait pas que l’affirmation en question est une fausse nouvelle. Dans ce cadre, la prévisibilité de l’affirmation et le temps de préparation devraient être pris en compte59.
Dans le cas des vérités de fait, deux régimes juridiques sont donc applicables : une obligation de moyen concernant la vérification de l’information pour les journalistes de la chaîne, et une obligation de moyen concernant la maîtrise de l’antenne pour les invités. Le régime juridique concernant les vérités rationnelles est lui, un peu différent.
2- Vérités rationnelles
Les vérités rationnelles sont des vérités dont la véracité peut être établie grâce à une certaine expertise. Le régime juridique applicable aux vérités rationnelles est distinct du régime juridique des vérités de fait dans la mesure où 1) des témoins oculaires ne suffisent pas à établir la véracité d’une vérité rationnelle. Ces vérités sont établies grâce à des méthodes scientifiques comprenant notamment les critères de vérifiabilité, reproductibilité et réfutabilité60 2) l’état de la science ou des enjeux de pouvoir peuvent avoir un impact sur la connaissance que nous avons de ces vérités. Mais la connaissance sur la vérité est indépendante de la vérité elle-même. La Terre tournait autour du Soleil en 1200, avant la Révolution copernicienne comme en 1700 après cette Révolution, mais en 1200 la majorité des scientifiques et de la population pensait que la terre était le centre de l’univers. De la même façon, un scientifique peut avancer en 1976, Ramses II est mort de la tuberculose, alors même que la tuberculose a été découverte en 1882 et que Ramses II est mort au XIIIème siècle avant JC61. Les fausses nouvelles dans le domaine de la rationalité serait donc dangereuse. Elles pourraient avoir pour effet d’empêcher l’expression de courants scientifiques minoritaires, qui décrivent peut-être des vérités, comme Galilée devant l’Inquisition.
C’est la raison pour laquelle l’ARCOM et le Conseil d’État ont dégagé certains principes concernant la présentation des controverses scientifiques.
Lorsqu’il existe un relatif consensus scientifique sur le sujet, comme c’est le cas par exemple de la cause anthropocène du changement climatique, le fait que le journaliste ou l’intervenant présente une opinion minoritaire vis-vis de ce consensus doit être exprimée clairement. (ARCOM, 2024, Bercoff dans tous ses états).
L’exigence d’honnêteté de l’information ne fait pas obstacle à la définition d’une ligne éditoriale pouvant conduire à faire intervenir à l’antenne des invités développant les thèses les plus controversées. Mais elles imposent, en revanche, aux éditeurs, y compris dans les programmes traitant l’information sous un angle polémique, de n’aborder les questions prêtant à controverse qu’en veillant à une distinction entre la présentation des faits et leur commentaire et à l’expression de points de vue différents62.
Dans un arrêt de 202363, le Conseil d’État a ainsi confirmé la mise en demeure de CNews par l’ARCOM pour défaut de maîtrise de l’antenne dans un cas où un professeur en médecine avait affirmé sur le plateau que l’épidémie de covid-19 était » quasiment terminée en France « , alors que les données épidémiologiques disponibles à la date de l’émission montraient que la circulation du virus augmentait rapidement. Ce même professeur que l’efficacité de traitements contre la covid-19 à base d’hydroxychloroquine, d’antibiotiques et d’un médicament antiparasitaire, dont il a soutenu que » toute l’expérience des médecins dans le monde et des pays qui ont traité » de cette manière avait permis d’éviter tout décès, était largement démontrée. Il a enfin soutenu que les vaccins à ARN messager avaient pour effet de » modifier les cellules des gens « . Le CE confirme la mise en demeure car, étant donné le caractère controversé et minoritaire des affirmations de l’invité, l’éditeur aurait dû prendre des dispositions particulières pour assurer l’expression de points de vue différents.
B- Distinguer les opinions des faits
Une autre des distinctions d’Arendt dans Vérité et Politique, qui concentre la majeure partie de son développement, est la distinction entre vérités et opinions. Pour Arendt, la vérité s’oppose à l’opinion par sa force contraignante64. Contrairement à l’opinion, elle ne peut pas être débattue. C’est la raison pour laquelle, selon Arendt, le pouvoir a intérêt à transformer le fait en opinion, ou l’opinion en faits. Or, la vérité factuelle est fragilisée par son caractère contingent. Arendt insiste donc sur le fait que la distinction entre faits et opinions est donc nécessaire à la démocratie, mais qu’elle est en même temps extrêmement fragile.
Il semble que l’ARCOM et le Conseil d’État considèrent le principe d’honnêteté comme comprenant cette nécessaire distinction, par les journalistes, entre l’opinion et les faits. Lorsque CNews a présenté l’avortement comme la première cause de mortalité dans le monde avec 45 millions de morts par an, l’ARCOM a condamné la chaîne pour manquement à l’honnêteté de l’information. En sanctionnant ce manquement, l’ARCOM reproche à CNews d’avoir fait passer une opinion (les fœtus à 3 mois de grossesse sont des êtres humains) pour des faits.
Pourtant, cette nécessaire distinction est, comme le prédisait Arendt, la plus difficile à faire respecter. Les participants à un débat ont tout intérêt à faire passer leurs opinions pour des faits pour que cette opinion ne puisse plus être débattue, tout en présentant certaines vérités qu’ils souhaiteraient qu’elles n’existent pas comme des opinions. Parfois, la distinction entre vérité et opinion est si tenue que les qualifications peuvent diverger. Par exemple, dans un arrêt RTL, Éric Zemmour avait accusé la Cour européenne des droits de l’homme, le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État, de perpétrer un « putsch judiciaire » en prenant en compte le principe de non-discrimination. Le CE a considéré qu’il s’agissait d’une opinion qu’il fallait protéger. L’ARCOM avait considéré que ces propos entraient en conflit avec l’obligation de ne pas discriminer. L’expression même de « putsch judiciaire » est difficilement compréhensible.
Un putsch signifie un coup d’État par la force des armes. Cela signifie que la Cour européenne des droits de l’Homme aurait adopté cette jurisprudence de manière violente. Évidemment, même l’auditeur le plus inattentif aura compris que ce n’était pas le cas en l’espèce. On peut donc considérer qu’il s’agit d’une hyperbole rhétorique, qui n’est donc pas une affirmation factuelle65. Toutefois, une interprétation extensive de l’hyperbole rhétorique serait dangereuse, dans la mesure où elle participerait à flouter cette distinction entre l’opinion et les faits. Si le Conseil d’État a considéré qu’il s’agissait d’une opinion, l’auditeur a pu très bien considérer, lui, que le dépassement par les cours de leurs fonctions que cette expression hyperbolique entendait décrire était un fait, et non une opinion. En tant que juristes, nous aurions sans doute considéré qu’il s’agissait d’une fausse information dans la mesure où le principe de non-discrimination en droit états-unien comme en droit européen repose sur des textes et est loin de reposer sur une jurisprudence autopoïetique. L’argument du « putsch » ou d’un « coup d’État » des juges a d’ailleurs de nouveau été mobilisée lors de la condamnation de Marine Le Pen par les journalistes de LCI et de CNews, qui reprochaient aux juges … d’avoir appliqué la loi67.
Conclusion : Le droit de l’audiovisuel est, étonnamment, un droit étonnamment en pleine mutation. Il s’adapte aux évolutions du paysage audiovisuel français, qui malgré la création des plateformes de réseaux sociaux continue de constituer un référentiel pour l’information des citoyens français. A ce titre, le respect des principes d’honnêteté et d’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinion est primordiale pour permettre au citoyen de faire ses propres choix politiques (et culturels). Ces principes, qui permettent de protéger le récepteur de l’information, doivent être mis en balance avec une autre facette de la liberté d’expression, celle des journalistes et des animateurs et même des éditeurs de service eux-mêmes. Ce conflit intra-droit68 est, dans le cas du principe d’honnêteté de l’information, résolu au cas par cas par l’ARCOM et le Conseil d’État. L’analyse des conditions de production du discours sont primordiales pour établir une faute de la chaîne menant à une sanction, l’obligation de moyen prévalent sur l’obligation de résultat. Si le principe de pluralisme était autrefois mesuré à l’aune de critères uniquement quantitatifs, l’introduction d’une analyse qualitative va également pousser le juge et l’ARCOM à prendre en compte la substance et le contexte pour mesurer le respect du principe. Cela laisse augurer une jurisprudence de l’ARCOM et du Conseil d’État fort intéressante dans les années à venir.
1 CE, 13 février 2024, Reporters Sans Frontières, nº 463162, publié au Lebon
2 Voir CE, Sociétés NRJ 12 et NRJ Groupe, Société C8, CE 19 février 2025, n 499823, 500009, examinant le refus par l’ARCOM de renouveler l’autorisation d’utilisation du domaine public hertzien.
3 Sur les liens entre loisirs et démocratie, voir J. Balkin, « Cultural democracy and the First Amendment », Northwestern University Law Review,
4 Voir Pierre Carles, Pas Vu, Pas pris, 2010
5 Voir généralement sur le sujet E. Baker, Media concentration and democracy. Why ownership matters, Cambridge University Press, 2006
6 Voir CSA, « La propagation des fausses nouvelles sur les réseaux sociaux : Exemple de la plateforme Twitter ». Enguerrand Marique & Alain Strowel, La régulation des fake news et avis factices sur les plateformes, t.XXXIII Revue internationale de droit économique 383 (2019).
7 Voir Loi n° 2018-1202 du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l’information, JORF n° 0297, 23 décembre 2018.
8 Robert Post, The Internet, Democracy and Misinformation, in Disinformation, Misinformation and Democracy (A Koltay & Ronald J. Jr. Krotoszynski eds., 2024), https://www.ssrn.com/abstract=4545891.
9 Voir Thomas Hochmann, Lutter contre les fausses informations. Le problème préliminaire de la définition, RDLF, 2018, Chronique 16
10 CE, 13 février 2024, Reporters Sans Frontières, N° 463162 publié au Recueil.
11 Voir par exemple CEDH, Nit SLR c/ Moldavie, 5 avril 2022, nº 28470/12 Légipresse 2022. 400 et les obs. ; AJDA 2022. 1892, chron. L. Burgorgue-Larsen.
12 CC, 18 septembre 1986, n° 86-217 DC, Loi relative à la liberté de Communication, note Patrick Waschamann, AJDA, 1987, p. 102 ; note Favoreu, RDP, 1986 p. 399 ; note Genevois, Annuaire International de Justice Constitutionnelle, 1986, p. 430
13 « L’ARCOM doit apprécier le respect par les éditeurs de services de cette exigence, dans l’exercice de leur liberté éditoriale, en prenant en compte, dans l’ensemble de leur programmation, la diversité des courants de pensée et d’opinion exprimés par l’ensemble des participants aux programmes diffusés ».
14 Conseil d’administraion de l’ORTF, dir. du 12 nov. 1969, promouvant « l’équilibre entre les représentants des pouvoirs publics, ceux qui les approuvent et ceux qui les criiquent ».
15 Qui fut ensuite modifiée pour prendre en compte la diversité des situations politiques. Pour un récapitulatif des différentes modifications Voir Camille Broyelle, « Le pluralisme interne à la télévision », Légipresse, 2024, p. 417
16 Voir Quentin Epron, « Le temps de parole des personnalités politiques », JusPoliticum, Juillet 2010
17 Sur cette distinction, voir par exemple Samuel Hayat, « La souveraineté populaire », Citoyenneté, république, démocratie en France 1789-1899, Atlande, 2014, p. 145-159
18 Voir Otto Pfersmann, « La Constitution comme norme », in Droit constitutionnel, sous la direction de L.Favoreu, Dalloz, Précis, 2016, 18ème édition, § 94 Le paradoxe de la concrétisation résulte du fait que les normes les plus basses dans la hiérarchie des normes sont celles qui s’imposent en dernier lieu aux individus.
19 Voir Camille Broyelle, « Le pluralisme interne à la télévision », Légipresse, 2024, p. 417 ; Pauline Trouillard, « Pour une conception qualitative du principe de pluralisme », La revue des droits de l’Homme, 26 mars 2024
20 Didier Casas, Note sous CE, Reporters sans Frontières, AJDA, 2024, p. 500
21 Camille Broyelle, Op cit ; Didier Casas, Op cit.
22 Voir Didier Casas, Op cit.
23 Voir Jurgen Habermas, La transformation p structurelle de l’espace public, 1962, trad française 1978
24 Voir Robert Post, « Community and the First Amendment”, Arizona State Law Journal, 473 (1997)
25 Délibération n° 2024-15 du 17 juillet 2024 relative au respect du principe de pluralisme des courants de pensée et d’opinion par les éditeurs de services
26 ARCOM, Décision Assemblée plénière du 24 juillet 2024, Réexamen de la saisine de l’association Reporters sans frontières (RSF)
27 Sur cette distinction, voir Pauline Trouillard, « Pour une conception qualitative du principe de pluralisme », Op cit.
28 CE, 4 juillet 2025, Cercle Droit et Liberté et autres, nº 494597
29 Sous réserve de respecter l’honnêteté de l’information dans la séquence. Voir infra.
30 « A l’audition de Yann Barthès à l’Assemblée nationale : « “Quotidien”, c’est zéro dérapage, zéro mise en demeure de l’Arcom, zéro mise en garde », Le Monde, 27 mars 2024
https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/03/27/a-l-audition-de-yann-barthes-a-l-assemblee-nationale-quotidien-c-est-zero-derapage-zero-mise-en-demeure-de-l-arcom-zero-mise-en-garde_6224511_3234.html
31 R. Brown, Social Psychology, 2nd edn New York: Free Press, 1985, p. 222 ; Johannes A. Zuber et al., “Choice shift and group polarization” Journal of Personality and Social Psychology, 62(1) 50
32Cass R. Sunstein, The Law of Group Polarization, Journal of Political Philosophy, (2002) 10.
33 Cass R Sunstein, “Group dynamics”, Cardozo Studies in Law and Literature, 2000, 12, p. 129
34 « Il appartient au juge de l’excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens à l’appui de conclusions dirigées contre le refus de l’ARCOM de faire usage de ce pouvoir, de vérifier si les faits litigieux sont constitutifs d’un manquement et, dans l’affirmative, d’apprécier, compte tenu du large pouvoir d’appréciation de l’Autorité dans la mise en œuvre des prérogatives qui lui sont conférées par la loi, si sa décision est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation”
35 Voir par exemple CE, 10 juillet 2024, Société C8, nº 472887.
36 CE, 10 juillet 2025, M. A, nº 490949
37 Voir précédemment CE, 28 septembre 2022, nº 452212 exerçant un contrôle de l’erreur manifeste.
38 Voir Hannah Arendt, Vérité et Politique in La crise de la culture, 1968 : « La liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie ».
39 Décision n° 88-248 DC du 17 janvier 1989, Loi modifiant la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication
40 Voir les différentes
41 Thomas Hochmann, Op cit.
42 Au contraire des vérités rationnelles.
43 Voir Arendt, Op cit : « La vérité de fait, au contraire, est toujours relative à plusieurs : elle concerne des événements et des circonstances dans lesquels beaucoup sont engagés ; elle est établie par des témoins et repose sur des témoignages »
44 Voir Hannah Arendt, Vérité et politique, Op cit : « Les chances qu’a la vérité de fait de survivre à l’assaut du pouvoir sont effectivement très minces ; elle est toujours en danger d’être mise hors du monde, par des manœuvres, non seulement pour un temps, mais virtuellement, pour toujours. Les faits et les événements sont choses infiniment plus fragiles que les axiomes, les découvertes et les théories ».
45 Ibid.
46 Voir CC, 18 septembre 1986, n° 86-217 DC, Op cit.
47 CE, 4 décembre 2024, LCI, n° 473875 publié au Recueil.
48 Conclusions du Rapporteur Public Florian Roussel sous l’arrêt CE, 4 décembre 2024, LCI, n° 473875 publié au Recueil.
49 Voir Emmanuel Derieux, « Déontologie journalistique : et si le droit suffisait ? », Actu Juridique, 2019, https://www.actu-juridique.fr/professions/deontologie-professions/deontologie-journalistique-et-si-le-droit-suffisait/
50 Emmanuel Derieux, « Déontologie du journalisme », LEGICOM, 1996, n° 11 p 21. A noter que le Syndicat National du Journalisme, le plus vieux et le plus représentatif des syndicats de journalistes est à l’origine de la première charte déontologique des journalistes en Juillet 1918. Le syndicat milite depuis pour la défense et l’actualisation des règles déontologiques.
51 Ibid, p. 21 « Expression du sens des responsabilités, la déontologie est aussi la condition et la garantie de la liberté professionnelle. Cela devrait suffire à en justifier l’existence et à susciter l’adhésion et l’approbation ».
52 Voir Christophe Magis, Pour une critique matérialiste des médias, Editions sociales, p. 40
53 « En estimant que ces faits constituaient un manquement de la chaîne à l’obligation d’honnêteté et de rigueur qui lui incombe en vertu des dispositions rappelées au point précédent, alors qu’il ressort des pièces du dossier que les auteurs de la séquence en cause avaient établi cette infographie sur le fondement d’informations fournies par le simulateur mis en ligne sur le site internet des caisses d’allocations familiales, qui comportaient la même erreur, laquelle n’a été corrigée qu’à la suite de la diffusion de cette séquence, qu’ils avaient cherché à faire confirmer ces informations par le service chargé de la communication de Pôle emploi et qu’ils avaient ainsi accompli les diligences de vérification des informations qui pouvaient raisonnablement être attendues de leur part, l’ARCOM a commis une erreur d’appréciation ».
54 Sur le faisceau d’indices utilisé par Médiapart pour s’assurer qu’un témoignage de violence sexuelle est fiable, Voir Marine Turchi, « De l’enquête au procès. Le séisme Adèle Haenel », Podcast, at https://www.mediapart.fr/journal/france/030225/le-seisme-adele-haenel-14-le-hasard-d-une-rencontre?uid=MTIzNDI1Mg==. Dans la plupart des cas, les violences sexuelles se déroulent sans témoin oculaire autre que la personne qui accuse et la personne accusée. Pour cette raison, les précautions entourant la reprise par les journalistes ou les juges des témoignages de la personne qui accuse constituent un exemple intéressant. En effet, dans ce cas, on ne pourra jamais être absolument certain que la personne accusée a bien commis les violences dont l’accusent la personne qui se dit victime. Accepter cet état de fait pour ne pas condamner la personne accusée n’est toutefois pas satisfaisant car cela reviendrait à ne condamner le viol que lorsqu’il existe des témoins oculaires, et donc à ne pratiquement jamais le condamner. C’est la raison pour laquelle les juges acceptent de prendre en compte un faisceau d’indices pour reconnaître juridiquement la culpabilité d’une personne accusée.
55 Les simulateurs de Pôle Emploi et de la CAF précisent bien que le montant donné par la simulation est indicatif et peut être différent après étude de la demande
56 Sur le rôle croissant des algorithmes dans la prise de décision administrative et la personnalisation extrême qui en résulte, voir H. Guillaud, Les algorithmes contre la société, La Fabrique Editions, 2025
57 Voir Conclusions du Rapporteur Public sous l’arrêt LCI pré-cité.
58 Anastasia Giannakidou and Alda Mari, “A linguistic framework for knowledge, belief and veridicality judgement”, en ligne à https://philarchive.org/archive/GIAALF
59 Voir par exemple Alexis Pichard, Tristan Cabello, « N’en déplaise aux antiwoke et à Yasha Mounk, les enfants blancs et latinos se côtoient encore aux Etats-Unis », Le Nouvel Obs, 22 décembre 2023, qui soulignent l’absence de déontologie professionnelle de Léa Salamé qui, dans la matinale du 18 décembre 2023 reprend les fausses nouvelles de son invité sans les contester, alors même qu’elle avait lu le livre de l’invité et aurait donc eu le temps d’effectuer les vérifications nécessaires.
60 Robert Post, Democracy, expertise and Academic Freedom : A first amendment jurisprudence for the modern State, 2012 ; Voir aussi Arendt, Op cit : “Ce qui distingue la verité de fait de la vérité de raison, c’est leur établissement. On n’établit pas de la même façon que « la somme d’un triangle est égale à deux droits » et « en août 1914 l’Allemagne a envahi la Belgique ».
61 Voir Paul Boghossian, « Bruno Latour et Ramses II » in La Peur du Savoir, 2009, Agone, p. 165
62 CE, 29 novembre 2022, Diversité TV, nº 452762
63 CE, 4 août 2023, SESI, nº 465757
64 La vérité de fait et la vérité de raison « ont en commun d’être au-delà de l’accord, de la discussion, de l’opinion ou du consentement ».
65 Voir Thomas Hochmann, Op cit : « les affirmations factuelles n’incluent pas les propos qui mêlent des aspects factuels et des appréciations subjectives de telle manière que les deux éléments ne peuvent être séparés sans fausser le sens de l’expression (…) ».
67 Voir Samuel Gontier, « Inéligibilité de Marine Le Pen : un coup d’État contre la démocratie, un putsch contre l’État de droit (sur CNews) », En léger différé, 1er avril 2025
68 Voir Pierre Auriel, Charles Girard, « La liberté d’expression en conflits », RDLF, 2020, Chronique n 86