Le droit d’alerter. Étude sur la protection de l’intégrité physique des personnes [Résumé de thèse]
Le droit d’alerter. Étude sur la protection de l’intégrité physique des personnes
Par Marie Dupisson-Guihéneuf
Thèse soutenue le 20 novembre 2013 à l’Université de Nantes, sous la direction du Professeur Rafael Encinas de Munagorri.
Composition du jury : M. le Professeur Rafael Encinas de Munagorri (Directeur de la thèse), M. le Professeur Patrick Chaumette (Président), M. le Professeur Jean-Pierre Marguénaud (Rapporteur), M. le Professeur François-Guy Trébulle (Rapporteur), M. le Professeur Etienne Vergès.
Alerter consiste à prévenir de l’existence d’un danger pour en éviter sa réalisation ou son aggravation. Lorsqu’elle est émise par les agences publiques en charge de la santé ou de l’environnement, l’alerte ne suscite pas d’interrogation sur sa légitimité. Mais la vigilance n’est pas l’apanage de l’État et elle est exercée de plus en plus par les citoyens qui tentent, parfois en vain, de divulguer des informations d’intérêt général. C’est dans ce contexte que le terme de lanceur d’alerte a fait son apparition. Issu de l’anglais whistleblower qui signifie au sens littéral « celui qui donne un coup de sifflet » et francisé par les sociologues Francis Chateauraynaud et Didier Torny dans la seconde moitié des années 1990, le terme « lanceur d’alerte » pénètre peu à peu le monde politique et le langage juridique. Il s’agit d’une personne morale ou physique qui souhaite avertir de l’existence d’un risque encouru par la société. Dans la mesure où elles répondent à cette définition, les agences sanitaires pourraient recevoir ce qualificatif. Cependant, le terme est plus fréquemment utilisé pour désigner des « anonymes » – simples citoyens, travailleurs indépendants ou subordonnés – qui, le deviennent par inadvertance ou volontairement parce que leur conscience scientifique et/ou citoyenne les incite à intervenir.
Le régime de ces alertes citoyennes est obscur, de sorte qu’il convient d’encadrer juridiquement ces pratiques singulières de dénonciation. La récente loi du 16 avril 2013 relative à l’indépendance de l’expertise en matière de santé et d’environnement et à la protection des lanceurs d’alerte ne vide pas l’étude de son contenu. Elle renforce au contraire son intérêt. La réforme marque une évolution fondamentale en la matière en octroyant explicitement un droit d’alerter aux lanceurs d’alerte. Elle a également pour ambition de perfectionner le système d’expertise en créant une Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d’environnement qui a notamment pour mission d’encadrer les pratiques d’expertise et de veiller à la diffusion et au suivi des alertes. Cependant, la place accordée au lanceur d’alerte dans le dispositif de veille et de sécurité sanitaire est relativement mince. Si le législateur lui accorde désormais un droit d’alerter le public à l’article 1 de la loi du 16 avril 2013, ainsi qu’un droit d’alerter son employeur à l’article 8, il ne lui octroie pas directement un droit d’alerter les pouvoirs publics. La loi est d’ailleurs assez explicite sur ce point puisqu’elle énonce tout d’abord que « toute personne physique ou morale a le droit de rendre publique ou de diffuser de bonne foi une information concernant un fait, une donnée, ou une action, dès lors que la méconnaissance de ce fait, de cette donnée ou de cette action lui paraît faire peser un risque grave sur la santé publique ou sur l’environnement », avant de détailler les dispositions relatives à la Commission nationale de la déontologie et des alertes au sein desquelles les citoyens n’ont pas vocation à intervenir. Or, la réforme ne renforce nullement le rôle du citoyen en la matière puisqu’il bénéficiait déjà de ce droit sur le fondement de la liberté d’expression. Seule une analyse des conditions d’expression telles qu’elles sont définies depuis de nombreuses années par la jurisprudence permet d’assurer l’effectivité de ce droit. Pour faire du choix d’alerter une réelle liberté, les individus doivent être en mesure d’apprécier pleinement les conséquences juridiques de leurs alertes. Le sentiment d’insécurité qui paralyse la circulation d’informations d’intérêt général pourra être limité uniquement par la connaissance des contours du discours admissible qui assure aux citoyens, en cas d’action en responsabilité à leur encontre, une issue favorable.
L’enjeu est considérable puisqu’il s’agit de révéler des atteintes à l’intégrité physique des personnes. Il s’agit pour ce faire de reconnaître au lanceur d’alerte un droit individuel d’alerter dont les modalités varient en fonction du destinataire de l’information. Les individus disposent tout d’abord du droit d’alerter le public sur le fondement de la liberté d’expression, qui offre à tous, sous réserve d’abus, la possibilité d’enrichir, par sa connaissance, le débat public. Mais ils peuvent aussi alerter une autorité. Le destinataire est alors une personne capable de mettre un terme à l’atteinte révélée. Ce droit s’exerce dans deux situations distinctes puisque le lanceur d’alerte peut saisir à la fois l’autorité judiciaire et l’autorité hiérarchique au sein de son entreprise. L’alerte auprès de l’autorité judiciaire sera exercée différemment selon que le lanceur d’alerte est ou non titulaire d’un droit à réparation des atteintes qu’il a lui-même subies. Il dispose également du droit de dénoncer les atteintes dont il est simplement témoin auprès du procureur de la République. Lorsque le lanceur d’alerte est un travailleur subordonné, trois voies d’alerte lui sont ouvertes. Il peut alerter le public en respectant des conditions supplémentaires liées à ses obligations professionnelles ou à sa profession, il peut dénoncer les faits auprès du procureur de la République, il peut agir en justice s’il est victime. Dans tous les cas, il peut aussi alerter son employeur des atteintes constatées. Ces voies d’alerte peuvent être exercées cumulativement et leur complémentarité renforce la qualité de la protection accordée à l’intégrité physique des personnes. Néanmoins, l’efficacité d’un tel schéma est largement subordonnée à la protection juridique accordée aux lanceurs d’alerte. Les responsabilités encourues en cas de révélation peuvent décourager les individus de divulguer des informations. En alertant, le lanceur d’alerte sert l’intérêt de la société et cette utilité justifie sa protection au détriment parfois des intérêts d’autrui. La reconnaissance du droit d’alerter permet ainsi aux citoyens de contribuer pleinement à la défense de l’intérêt général.
Sommaire
Première partie : Le droit d’alerter le public
Titre 1 : La liberté d’expression, fondement du droit d’alerter le public
Chapitre 1 : La liberté d’expression au service de l’intérêt général
Chapitre 2 : La liberté d’expression garantie aux lanceurs d’alerte
Titre 2 : La liberté d’expression à l’épreuve du lien de subordination
Chapitre 1 : L’alerte au public du travailleur subordonné
Chapitre 2 : L’alerte au public du travailleur soumis à une obligation spécifique de confidentialité
Seconde partie : Le droit d’alerter une autorité
Titre 1 : L’alerte auprès de l’autorité judiciaire
Chapitre 1 : Dénoncer une atteinte à l’intégrité physique
Chapitre 2 : Demander réparation d’une atteinte à l’intégrité physique
Titre 2 : L’alerte au sein de l’entreprise
Chapitre 1 : La protection de l’intégrité physique du travailleur
Chapitre 2 : La protection de l’intégrité physique d’autrui