Du droit de l’arbre. Pour une protection fonctionnelle.
Thèse soutenue, le 20 novembre 2020, à l’Université Toulouse I Capitole, sous la direction du Professeur Mathieu Touzeil-Divina et devant un jury composé du Pr. Jacqueline Morand-Deviller (Université Paris I Panthéon-Sorbonne), du Pr. Fanny Tarlet (Rapporteur, Université Montpellier I), du Pr. Anne-Laure Girard (Rapporteur, Université Poitiers), du Pr. Jean-François Giacuzzo (Examinateur, Université Toulouse I), du Pr. Alexandra Bensamoun (Examinatrice, Université Paris-Saclay), et de Mme Florence Burgat (Examinatrice, inrae).
Par Marie Eude, docteure en droit
Les premiers développements du corps de la thèse s’appuient sur un constat : dans le droit comme dans la littérature, il est plus souvent fait mention de la forêt que de l’arbre pris en lui-même. Cet état des choses n’est pas étonnant lorsque l’on pense que le droit est un instrument pour résoudre les problèmes rencontrés par une communauté qui souhaite assurer « un vivre ensemble » harmonieux. La forêt est un enjeu vital qui nécessite la création d’un corps de règles qui assure une conservation de la ressource. Néanmoins l’arbre pris individuellement, lui, n’est pas considéré comme une ressource vitale, et conséquemment le droit ne s’y intéresse que très peu. Les règles principales qui s’attachent à l’arbre pris isolément sont celles du droit des biens, à savoir quelle est la qualification de l’objet vendu, quels sont les droits de l’usufruitier sur un arbre, etc. Aussi, quand bien même arbre et forêt sont intrinsèquement liés, il convient de distinguer ces deux objets car si parler de la forêt permet de parler de l’arbre, la réciproque n’est pas forcément vraie. Il faut pouvoir identifier l’arbre en lui-même pour inclure dans le champ d’analyse les arbres se trouvant en dehors d’une forêt. Aussi, afin de délimiter le champ d’étude de la thèse, il nous faut proposer pour l’arbre et la forêt une définition qui sera notre base de travail pour le reste de la thèse. Tout d’abord, l’arbre est une plante pouvant exister seule mue par un mouvement naturellement vertical ayant une tige nue et non ramifiée dès la base. Ensuite, c’est grâce à la présence d’arbres que l’on peut définir la forêt comme un écosystème complexe dont ils sont l’élément central. Ces deux définitions présentent l’intérêt de pouvoir être mobilisées par les juristes, et notamment les juges, sans avoir besoin de faire appel aux experts botanistes par exemple. La suppression du critère de la possible taille de pousse dans la définition de l’arbre notamment permet de se concentrer sur des critères de détermination directement observables, et ce, même par un néophyte en matière d’arbre. Or, faciliter l’identification des arbres permet également de faciliter l’octroi du régime juridique y étant attaché. Un régime juridique qu’il convient, et c’est à cela que vont s’attacher les chapitres suivants, de repenser afin de le recentrer sur la protection des fonctions écologique et sociale de l’arbre. C’est une logique similaire qui a conduit à l’adoption de la définition proposée pour la forêt. Cette dernière est trop souvent définie comme une étendue plantée d’arbres d’une certaine taille, et cela conduit à la confondre avec une plantation d’arbres qui ne présente pas le même intérêt écologique. En effet, dans ce dernier cas, c’est la fonction économique qui prime et non la fonction écologique propre à la forêt. Chacun de ces deux objets – l’arbre et la forêt – renvoie à des fonctions différentes. Bien que tous deux présentent les trois fonctions sus évoquées, l’arbre présente généralement des fonctions économique (extrinsèques – générateurs d’emplois grâce à la filière bois et d’économies avec la régulation des eaux pluviales – et intrinsèques – bois ressource en matière d’énergie et de construction) et sociale (arbres lieux de mémoire par exemple) plus fortes, alors que la forêt est centrée sur les fonctions économique (bois ressource : ex. de la forêt des Landes) et écologique (services écosystémiques en matière d’eau ou encore puits carbone). Identifier ces fonctions permettra de les protéger de manière plus effective.
Fort de la différence entre arbre et forêt, il faut pourtant les faire converger en termes de protection. Contrairement à la protection des arbres pris en tant que tels, la protection de la forêt est construite en partie sur le fondement d’une logique fonctionnelle. C’est ce que permet d’illustrer le statut de forêt de protection. Ce dernier naît au xixème siècle dans le but de limiter les pertes humaines et matérielle lors des catastrophes naturelles. La finalité des trois lois portant sur ce statut (1860, 1882 et 1922) est donc avant tout économique. Il faut protéger la forêt en ce qu’elle constitue un rempart contre les conséquences desdites catastrophes. Il faut attendre 1976 pour que des considérations environnementales et sociales soient introduite dans le régime juridique attaché aux forêts de protection. Le classement peut dès lors, en vertu de l’article L. 141-1 du Code forestier, être opéré pour des raisons écologiques ou le bien-être des populations dans les zones périurbaines. Une fois classée, la forêt est protégée par une interdiction de changement d’affectation des sols qui permet la préservation de l’écosystème qu’elle constitue. Malgré cela, force est de constater le manque d’attractivité de ce statut, qui s’efface au profit des parcs nationaux dont l’activité première est la protection de la fonction sociale, et non écologique, de la forêt, et plus généralement de la nature, en dehors des réserves intégrales. Plusieurs solutions peuvent être envisagées pour inverser la tendance, et notamment le levier fiscal au travers des incitations en vue de classer les forêts en forêts de protection. Ce statut de forêt de protection, malgré ces imperfections, constitue un modèle de protection fonctionnelle pour construire celle des arbres. Cependant, il faut repenser le régime juridique des forêts de protection avant de pouvoir en transposer la logique aux arbres. Il permet de protéger les fonctions écologique (lutte contre le réchauffement climatique et la pollution en milieu urbain par exemple) et sociale (avec notamment l’embellissement des villes et l’amélioration du cadre de vie) de l’arbre si tant est que les conséquences écologiques soient transformées en finalité. Il faut donc créer en droit un statut d’ « arbre de protection » accompagné d’une interdiction de coupe qui permettrait d’étendre la protection aux arbres tant en milieu forestier qu’urbain ou rural.
Les arbres ne répondent pas aux mêmes fonctions selon les milieux dans lequel ils sont implantés. Cela nous a conduit à une proposition de systématisation des différentes catégories d’arbres. Si une classification n’est qu’« en définitive réponse à une question, à un problème » 1, celle proposée dans la thèse tente de répondre au problème de la protection fonctionnelle des arbres. C’est ce biais qui guide l’étude du régime juridique des arbres et qui permet de distinguer quatre catégories de règles qui donnent naissance à quatre notions. Les deux premières, celles d’arbre forestier et d’arbre urbain, sont des reconstructions en ce sens que des ébauches de définition préexistent déjà. Les arbres forestiers, définis comme des arbres multifonctionnels situés dans un périmètre forestier et appartenant à un ensemble d’arbres constitué en écosystème, présentent une triple fonction économique, écologique et sociale. La prédominance de ces deux dernières fonctions permet de distinguer l’arbre appartenant à une forêt, véritable arbre forestier, de celui appartenant à un champ d’arbre qui tient plus de l’arbre rural agricole (fonction première économique) que de l’arbre forestier. L’arbre urbain se distingue de l’arbre forestier d’une part du fait de son implantation géographique, mais aussi de sa tendance au monofonctionnalisme. En effet, il peut être défini comme un arbre à tendance monofonctionnelle situé en ville ou à sa périphérie, planté ou conservé du fait d’une décision humaine dans un but social (embellissement des villes, vergers urbains participatifs) ou écologique (lutte contre la hausse des températures et la pollution). La protection de ces derniers arbres est en grande partie organisée par les documents de planification territoriale. Des instruments qu’il convient de repenser afin de faire une place plus grande à la protection fonctionnelle des arbres en privilégiant les documents contraignants comme les PLU plutôt que les chartes. Les deux autres catégories d’arbres, les arbres ruraux et routiers sont quant à elles à construire car il ne préexiste aucune ébauche de définition. Les arbres ruraux sont divisés en deux sous-catégories dont la première, celle des arbres ruraux agricoles, autrement dit des arbres isolés ou en groupes situés en zone agricole et dont l’existence est liée à une décision humaine, exploités pour les divers produits qu’on peut en tirer, est exclue du champ d’analyse de la thèse car la fonction première de ces arbres est économique. La seconde sous-catégorie, celle des arbres ruraux non agricoles correspond aux arbres se situant en zone rurale qui ne font pas forcément partie d’un peuplement. Ils présentent tant une fonction écologique (trames vertes par exemple) que sociale (éléments paysagers) et doivent à ce titre faire l’objet d’une meilleure identification dans les documents d’urbanisme pour pouvoir être protégés. Enfin, les arbres routiers, arbres situés en bordure de route, appartenant à un groupe d’arbres plantés selon une règlementation particulière afin de marquer les routes et chemins doivent faire l’objet, du fait de leurs fonctions écologique (lutte contre la pollution et la hausse des températures) et sociale (tracé des routes, éléments paysagers), d’une politique de protection et de plantation.
Si chaque corps de règles propres constitue une catégorie juridique, alors force est de constater l’existence d’une cinquième catégorie d’arbre. Cette dernière, qui correspond aux arbres classés, transcende les quatre premières en ce sens que, tant l’arbre forestier, qu’urbain, rural ou routier peuvent faire l’objet d’un classement et recevoir en plus de leur premier régime de protection une protection supplémentaire. Les arbres classés sont protégés pour leurs fonctions écologique (maintien des équilibres biologique notamment du fait de leur rôle en matière d’habitat, lutte contre le réchauffement climatique, etc.) et sociale (lieux de loisirs, élément paysager important, etc.), et ce, qu’ils soient en groupe (EBC et ENS) ou seuls (monument naturel et label « arbres remarquables »). Mais le pouvoir discrétionnaire de l’administration (ou de l’association a.r.b.r.e.s dans le cas du label « arbres remarquables ») en matière de classement impacte négativement l’effectivité de la protection. Dès lors des propositions pour pallier ce problème ont été faites. D’une part, il convient de réduire ce pouvoir discrétionnaire en étendant l’obligation de classement en EBC des communes littorales aux communes de manière générale, et d’autre part, de s’inspirer de modèles plus contraignants (en transformant par exemple les procédures d’inscription en procédure de classement ou encore en s’inspirant de droits étrangers comme le droit belge concernant le label « arbres remarquables »). Ce n’est, à notre sens, qu’à ces conditions que la protection des fonctions écologique et sociale sera assurée et que les objectifs fixés en introduction pourront être atteints. L’arbre peut également faire l’objet d’une protection incidente. Dès lors, ce n’est pas sa fonction sociale qui est protégée, mais celle d’un bâtiment ou site, mais ses fonctions écologique et sociale s’en trouvent protégées par ricochet. Cette protection globale prévue par le Code du patrimoine au titre des abords (art. L. 621-30 du Code du patrimoine) présente l’avantage d’être originale mais n’en est pas moins ineffective du fait du pouvoir discrétionnaire de l’autorité compétente dans la détermination du périmètre de protection notamment et d’octroi des autorisations de coupes et d’abattages. Cette dernière n’étant pas sans rappeler les théories de l’extension de la domanialité publique. Nous proposons donc une transposition de ces théories propres au droit des biens au droit du patrimoine afin de proposer une logique renouvelée de protection des fonctions écologique et sociale de l’arbre.
A la lumière de notre première partie un constat s’impose : la multitude des outils de protection qui pousse notamment à une indifférence au dommage écologique. Cette multitude est source de confusion et ne permet pas de garantir un niveau de protection élevé pour les fonctions sociale et environnementale de l’arbre. Il convient de recentrer la protection de l’arbre sur ces deux fonctions grâce à l’identification d’un régime juridique unifié.
Tout d’abord la recherche d’une qualification protectrice pour les fonctions écologique et sociale de l’arbre nous a poussé à étudier deux pistes : celle de chose et celle de bien. Si la première (catégorie divisée en deux sous catégories : res nullius – art. 713 du Code civil – et res communes – art. 714 du Code civil) est inappropriée, le second, tout au contraire, est forcément objet de propriété. Face à l’absence de sanction en cas de non-respect des règles de protection ainsi que l’absence d’intérêt à protéger un bien dont on ne serait pas propriétaire (Aristote), c’est la qualification de bien que nous avons retenue. Mais cette dernière, centrée sur la fonction économique doit être précisée afin de rendre compte des fonctions écologique – bien nature – et sociale – bien culturel – de l’arbre. Le choix de l’adjectif nature plutôt que celui d’environnement ou d’écologique s’explique du fait du caractère trop large du premier (qui pousse à inclure des éléments non naturels) et du fait que le second renvoie à une science bien précise (étude des interactions entre les êtres vivants et leur milieu, alors que l’adjectif nature permet de recentrer la notion sur les éléments naturels dont l’arbre fait partie. Cette double qualification (bien nature, bien culturel) permet d’unifier le régime de protection de ces deux fonctions de l’arbre en remplaçant les statuts de protection étudiés au chapitre précédant (EBC, ENS, monument naturels, arbres remarquables). Reste ensuite à déterminer si l’arbre est un bien immeuble ou meuble. Il est les deux à la fois en fonction de son état : vivant il est généralement un immeuble par nature, et mort il est en principe un meuble par nature. Si la qualification d’immeuble n’emporte pas de conséquence quant à la protection des fonctions écologique et sociale de l’arbre, celle de meuble permet de mettre en évidence la difficile conciliation entre ces deux fonctions. Si historiquement la fonction sociale du bois mort appelle à autoriser son ramassage, actuellement sa fonction écologique amène à le limiter fortement afin de maintenir des habitats propres à favoriser la biodiversité. Une fois la qualification de l’arbre fixée : il s’agit d’un bien immeuble (vivant) ou meuble (mort), culturel (fonction sociale) ou nature (fonction écologique), il convient de se pencher sur la question de savoir quel type de propriété est le plus à même de protéger ces fonctions. Autrement dit, quel type de propriété doit être exercé sur ces biens. Et notons que cette qualification permet d’exclure les arbres dont la fonction économique prime afin de permettre l’exploitation de la ressource en bois, condition nécessaire à la réalisation des objectifs fixés par le législateur.
L’arbre peut faire l’objet tant d’un droit de propriété privé que d’un droit de propriété public. L’analyse de ces deux régimes de propriété pousse à dresser le constat selon lequel ni l’un ni l’autre ne permet d’assurer la protection des fonctions écologique et sociale de l’arbre. D’une part les limites apportées au caractère absolu du droit de propriété, qu’elles soient personnelles (voisin et personnes publiques) ou matérielles (identification délicate du propriétaire) sont insuffisantes pour garantir la protection des fonctions écologique et sociale de l’arbre. D’autre part, la propriété publique, autrement dit le droit de propriété de l’Etat et des communes accompagnées dans la gestion des forêts par l’ONF, ne semble pas apporter de solution propre à pallier ce problème. En outre, nombre d’arbres, comme les arbres dans les jardins privés, échappent à la propriété publique. Il nous faut repenser la propriété en elle-même à l’aide des enseignements de l’histoire, mais aussi des droits étrangers. Cela nous permet d’envisager deux voies. La première tend à réhabiliter les droits d’usages, présents par exemple jusqu’à la disparition des communaux en France, comme en Suède où le droit d’allemansrätt (droit de cueillette, de ramassage et de résidence temporaire) a été constitutionnalisé. Cela permet de contraindre l’exercice du droit de propriété à la réalisation du Bien commun dans une logique thomiste héritée d’Aristote, et par là même d’assurer une protection des fonctions écologique et sociale de l’arbre par la mise en place par exemple d’une servitude d’utilité publique. Mais cette voie demande de changer notre rapport à la nature (certes dans une moindre mesure que lorsqu’il est question de personnification), et conséquemment n’apparaît comme une solution que sur le long terme. L’allemansrätt par exemple constitue une survivance d’une relation harmonieuse entre l’Homme et la nature en Suède et plus largement en Scandinavie. La seconde voie consiste non pas à déplacer le problème posé par le droit de propriété vers la question de l’usage mais de se concentrer sur la nature même de ce droit. Cela conduit dans un premier temps, à la suite de Duguit, à réhabiliter la fonction sociale de la propriété, autrement dit de conditionner l’exercice du droit de propriété à la destination sociale du bien, avant d’ouvrir cette logique à la fonction, nouvelle, écologique de la propriété. Cette dernière voie permet de garantir la protection des fonctions écologique et sociale de l’arbre grâce à la création d’une police spéciale ou l’élargissement des missions de la police spéciale de l’environnement.
Ensuite, une seconde piste de protection doit être étudiée : la personnification. L’arbre, en tant que composante de l’environnement, peut être personnifié à deux titres : soit de manière incidente (protection globale – arbre composante de la nature), soit de manière directe (protection ciblée – protection de l’arbre en lui-même pensée sur le modèle de la protection de l’eau). Le phénomène de personnification des arbres se retrouve d’abord dans la mythologie. Plusieurs divinités grecques et romaines sont associées à une essence d’arbre en particulier. Divers exemples célèbres peuvent être cités comme Minerve ou Athéna et l’olivier, ou encore Bacchus et la vigne. Pourtant, en droit romain la technique juridique de personnification n’est pas utilisée pour les arbres et se trouve restreinte à la résolution des successions jacentes, et plus tard au Moyen-âge pour représenter les collectivités. Il faut attendre les années 60 pour que technique juridique de personnification et arbre se rencontrent notamment sous la plume de Christopher Stone. Ce dernier propose, afin de protéger les séquoias géants de la Mineral King Valley de leur octroyer la personnalité juridique. L’octroi de la personnalité est conditionné par trois critères : la possibilité d’intenter une action en justice en son nom, l’octroi de réparation pour les dommages à son encontre, et la réparation effectuée à son profit. Un mécanisme de protection proche de celui de la tutelle en droit français. Pour autant, l’existence du préjudice écologique pur permet de répondre aux deux dernières conditions et donc de protéger effectivement les fonctions écologique et sociale de l’arbre sans avoir recours à la personnification. En outre, l’analyse, des concrétisations de la théorie de la personnification nous pousse à dresser un constat : la personnification de la nature et de ses éléments est, d’une part attachée à l’existence d’un contexte culturel particulier, et d’autre part, peu protectrice des fonctions écologique et sociale de l’arbre car trop peu contraignant. En effet, que l’on se penche du côté de l’Amérique latine ou de l’Australie, c’est l’existence d’une cosmologie propre à la culture autochtone qui permet de faire émerger le phénomène de personnification. Cela s’explique notamment par le fait que les frontières entre humain et non humain sont bien plus poreuses que dans la culture occidentale facilitant par là même la personnification de la nature ou de certains de ses éléments. Mais dans tous les cas la personnification s’accompagne d’une protection bien trop générale pour être véritablement effective et n’empêche pas la primauté de la fonction économique (vr. par exemple l’exploitation économique de la rivière Whanganui). L’existence du préjudice écologique pur en droit français permet de garantir un niveau de protection plus élevé. Mais avant de rejeter en bloc la théorie de la personnification, une autre voie doit être étudiée : celle du parallèle avec l’animal.
Si l’octroi de la personnalité juridique à l’arbre du fait de sa qualité de composante de l’environnement, de la Pacha Mama, ne nous apparaît pas comme la voie la plus pertinente à suivre en terme de protection de ses fonctions écologique et sociale dans le cadre du droit français, et plus largement occidental, une conclusion semblable nous paraît inéluctable quant à l’octroi de la personnalité juridique à l’arbre du fait de sa qualité d’être vivant qui invite à un parallèle avec l’animal. Pourtant, l’existence d’une protection fonctionnelle commune de la faune et de la flore (parcs et réserves) centrée sur leurs fonctions écologique et sociale pousse à examiner plus avant le parallèle qui se dessine entre protection de l’arbre et de l’animal. D’autant plus que cette protection commune n’est pas exempte de critique lorsqu’il est question de son effectivité. Cette dernière est impactée négativement d’une part par le caractère discrétionnaire de la décision de création, et d’autre part par l’absence de dispositions contraignantes dans les documents qui permettent de matérialiser la protection (les chartes notamment). Face à ce constat, une première piste pour rendre la protection fonctionnelle de l’arbre plus effective peut être envisagée : rendre les normes contenues dans les documents de protection plus impérative. Cependant, même si une telle modification était apportée, la protection n’en serait pas plus effective du fait du contrôle opéré par le juge via le rapport de compatibilité qui laisse une marge de manœuvre telle que les normes contenues dans les documents de protection peuvent ne pas être appliquées. Dès lors, afin de s’assurer une protection effective, c’est le chemin de la personnification qui doit être étudié. En effet, la doctrine propose d’accorder la personnalité juridique à l’animal du fait de sa qualité d’être vivant, or l’arbre est souvent qualifié comme tel. Aussi il nous a paru pertinent de partir de la doxa pour mener un raisonnement par l’absurde : peut-on identifier arbre et animal et leur appliquer des régimes de protection similaires ? En réalité, la qualité d’être vivant repose sur deux caractéristiques qui font défaut à l’arbre : la mobilité et la sentience. L’arbre n’est pas un être vivant. Le parallèle avec l’animal trouve ici une limite importante qui nous pousse à dire qu’en l’état des connaissances scientifiques la personnification ne nous semble toujours pas être la technique la plus adéquate pour protéger les fonctions écologique et sociale de l’arbre.
Notes:
- Charles Eisenmann, « Quelques problèmes de méthodologie des définitions et des classifications en science juridique », APD, 1966, p.38. ↩
Résumé très intéressant même pour un non juriste mais qui se préoccupe de l’Environnement, de sa protection et de celle de ses éléments constitutifs. La protection du tout ne permet en effet pas toujours la protection des différentes composantes prises séparément, et les atteintes qu’elles subissent, peuvent conduire faire échouer la protection de l’ensemble !