Hot Assemblée
Par le Pr Duthout de Montcru
Le Palais-Royal fut jusqu’au XIXe siècle un haut lieu de la prostitution parisienne 1. Par un déterminisme fatal, le conseil d’Etat affronte depuis lors maints litiges sentant le stupre et la fornication : contentieux des arrêtés anti-prostitution ou anti-sex-shops, des publications licencieuses, de la fiscalité des films inconvenants et de leur classification (définie par des experts héroïques après d’éreintantes séances de visionnage dans les sofas de la commission compétente) ou du harcèlement sexuel au sein de la fonction publique, illustrent et renouvellent en permanence le vieux thème de la moralité administrative.
Tout cela est connu des amateurs et n’appelle donc pas de développements particuliers, beaucoup ayant été écrit sur un sujet qui turlupine les auteurs (V., pour des ouvrages à spectre large, mais allant au fond des choses, M. Touzeil-Divina, dir. : Droit[s] au[x] sexe[s] : L’Epitoge, 2017. – F. Caballero : Droit du sexe : LGDJ, 2010. – Et, naturellement, J.-P. Branlard : Le sexe et l’état des personnes. Aspects historique, sociologique et juridique : LGDJ, 1993). Quant à une relecture freudienne des Grands arrêts de la jurisprudence administrative, volume dont les dessous n’émoustilleront qu’un public d’étudiants en bois vert (sensible aux promesses trompeuses d’arrêts surfaits : Lamotte, Casanova, etc.), ce serait un projet ambitieux, dépassant le cadre modeste du présent billet.
On voudrait simplement témoigner notre admiration sincère aux chroniqueurs du conseil d’Etat qui sévissent ces temps-ci dans les colonnes habituellement austères de L’Actualité juridique – Droit administratif, en mobilisant des références plus coutumières chez « Les Grosses Têtes » de RTL. Calembours et contrepets sans grâce ni finesse, que refuserait l’Album de la Comtesse (voire l’Almanach Vermot), se succèdent au long de commentaires d’arrêt graissant les doigts, qui seront bientôt distribués sous emballage plastique : « À l’école du vice » [l’ENA rencontrant l’X ? Les Mines de Paris ?), « Béziers tant que ça dure » (délicieux. Quelle fulgurance !), « Le choix dans la date » (inventivité, légèreté : l’esprit français) 2 ; et l’on a dû en manquer, pour cause d’éblouissement. Osons humblement quelques suggestions de la même veine à cet impayable duo – les Laurel et Hardy du contentieux administratif – afin d’assurer leurs arrières, si l’inspiration venait d’aventure à tarir : du soft (Ce coup-ci, c’est Lebon !) au plus hard (Inflation normative et goût des codes ; Le QI de la conseillère ; Section [très] spéciale).
Cette sexualisation inédite du discours (la doctrine organique n’ayant jamais autant mérité l’adjectif) pose évidemment question(s). Elle donne d’abord une idée édifiante de la psyché de certaines jeunes pousses du conseil d’Etat en ce premier quart du XXIe siècle, membres pleins d’une sève bouillonnante qui caressent l’espoir de se dresser au pupitre où (hélas) on ment parfois debout face à des avocates déçues. Un autre problème est de savoir à quoi jouent au juste les bad boys du centre de recherches et de diffusion juridiques (lequel, du train ou plutôt de l’arrière-train où ils déraillent, devrait être promptement rebaptisé « centre de docu[l]mentation »).
La revendication ostensible d’une folle liberté de ton permet d’afficher une image rajeunie de l’institution (cool, en mode lacets défaits et braguette ouverte), quitte à ce que les rebelles du 1er arrondissement s’oublient un peu, comme on risque d’ailleurs de les oublier. Mais lâcher des saillies – en plomb massif – de (grand) corps de garde n’est pas seulement une affaire de potaches pratiquant l’humour régressif ; il s’agit aussi, à l’occasion, de mettre en scène une diversion bouffonne visant à mieux faire passer de (petites) vilenies. Une récente chronique sous l’arrêt Association des Américains accidentels (CE, 19 juillet 2019, n° 424216) l’a parfaitement montré 3. La contrepèterie hors d’âge placardée en devanture infligeait aux yeux affligés du lecteur un leurre à l’élégance de cache-sexe. Derrière se déroulait un spectacle encore moins affriolant : celui de l’assemblée du contentieux du conseil d’Etat s’inclinant devant l’application extraterritoriale du droit des États-Unis 4.
Notes:
- Par ex., C. Plumauzille : Le « marché aux putains » : économies sexuelles et dynamiques spatiales du Palais-Royal dans le Paris révolutionnaire (Genre, sexualité & société n° 10, 2013). ↩
- AJDA 2019, pp. 515, 1750 et 1987. ↩
- AJDA 2019, pp. 1986 s. ↩
- Pour une étude éclairante, V. antérieurement R. Bismuth : L’extraterritorialité du FATCA et le problème des « Américains Accidentels » (JDI 2017, vol. 144, n° 4, pp. 1197-1261). ↩
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