Service public, libertés et approche contemporaine du droit administratif
Par Aurélien Antoine, Professeur à l’Université Jean-Monnet Saint-Étienne / Université de Lyon CERCRID UMR 5137 et Élise Fraysse, Maîtresse de conférences à l’Université Lumière Lyon II, Laboratoire Droits, Contrats et Territoires EA 4573*
La pandémie de Covid-19 a suscité un nombre impressionnant de publications qui révèlent la gravité de la crise. Alors qu’elle n’est toujours pas surmontée au moment où nous écrivons ces lignes, les juristes ont majoritairement produit des études positivistes consistant à réfléchir aux conséquences de l’état d’urgence sanitaire sur tel ou tel champ du droit[1]. Parmi toutes ces analyses, celles qui portent sur le fonctionnement des services publics et le régime des libertés ne manquent pas[2]. Cependant, peu d’entre elles les abordent de conserve et de façon systémique[3]. Plus rares encore sont les articles qui tentent d’expliquer ce que cette crise dit du droit administratif contemporain au-delà de la description normativiste de l’impact de la crise actuelle sur tel ou tel régime juridique[4]. En revenant sur la dialectique du service public et des libertés, l’objectif de cette contribution est de mettre en lumière des évolutions dominantes du droit administratif actuel et d’en produire une critique constructive.
Nul besoin de démonstration savante pour comprendre que le motif principal des décisions des gouvernements de confiner leurs populations fut l’impact de la pandémie sur le fonctionnement d’un service public (celui de la santé). Alors que le service public a souvent été dénoncé comme un vecteur d’atteinte aux libertés, la crise de la Covid-19 a rappelé combien cette vision prééminente nécessite une révision de cette présentation qui fut un temps l’une des controverses les plus célèbres du droit administratif.
En 1985, Pierre Delvolvé écrivait que le service public constituait« une menace pour les libertés publiques ; la notion de service public elle-même comporte cette menace ». Plus encore, le service public aurait justifié « toute extension de l’État et toute restriction des libertés : il ouvre la voie à la servitude »[5]. La diatribe adoptait une tonalité qui n’est pas sans rappeler la petite musique néolibérale diffusée dans les œuvres de Frederich von Hayek, revenu à la mode en occident au milieu des années 1970 alors que les politiques interventionnistes de l’État face aux crises inflationnistes se révélaient inefficaces. Le propos de Pierre Delvolvé suscita des réponses vives d’Évelyne Pisier-Kouchner à la revue Pouvoirs ou de Serge Regourd dans Le Monde diplomatique et la Revue du droit public[6]. Malgré la vivacité de la polémique, la doctrine semble s’en être progressivement désintéressée, à l’exception d’une thèse soutenue en 2009[7] et des références brèves ou éparses dans les ouvrages de droit administratif général ou de libertés fondamentales[8]. La mise à l’écart est parfois totale[9] et se retrouve dans le déclin de grands cours de « service public » dans les facultés de droit. Cette ignorance est paradoxale, car le droit administratif contemporain étant une construction présentée comme intrinsèquement libérale (ce qui est d’ailleurs contestable[10]), le concept de service public qui est l’un des piliers de la discipline devrait, en toute logique, participer à la promotion des libertés publiques[11]. Pourtant, libertés et services publics sont encore pensés sous l’angle de l’incompatibilité.
Dans la lignée des constats de Pierre Delvolvé, le service public est d’abord analysé comme un moyen pour les États de maintenir des privilèges aux groupements qui en ont la charge, au risque de remettre en cause le droit de propriété[12] et d’annihiler la libre concurrence indispensable au fonctionnement du marché. L’Union européenne qui est construite autour de la réalisation d’un marché concurrentiel commun n’ignore certes plus le service public qui, s’il est identifié, devient un fait justificateur d’exemptions à l’application stricte du droit de la concurrence et du droit des aides d’État en particulier. Il n’en demeure pas moins que l’UE est encore loin de consacrer le service public en tant que pilier structurant du droit commun aux 27 États membres. Quoi qu’il en soit de la place du service public en droit de l’Union européenne, il faut convenir que le sujet est éculé. La doctrine publiciste majoritaire paraît désormais persuadée par l’idée d’une conciliation relative qui rend la controverse passablement inutile[13].
La dialectique service public/libertés est aussi source de conflictualité dans les discussions relatives à la laïcité. L’égalité de l’accès au service public et le principe de neutralité qui en découle imposent des obligations à l’usager comme aux agents publics qui sont autant de restrictions à la libre expression de leurs convictions religieuses. La conciliation entre les impératifs collectifs et la protection des intérêts particuliers est ici encore au cœur d’une relation conflictuelle.
Dans l’un et l’autre cas, une approche du service public comme moyen de la préservation des libertés est peu ou pas identifiable. Au-delà même des champs d’études mentionnés, force est d’admettre que le service public n’est pas non plus présenté en tant que vecteur des libertés dans les manuels de droits et libertés fondamentaux, sauf lorsqu’il s’agit de traiter des droits-créances qui ne sont pas, conceptuellement, rattachables à la tradition libérale[14].
En somme, si le couple service public/libertés est un classique des controverses du droit public, il ne l’est (principalement, voire exclusivement) que par sa conflictualité[15]. Le dossier de l’Actualité juridique – Droit administratif consacré au droit administratif et à la Covid-19 en est encore une illustration topique. Jean-Marie Pontier conclut l’un des articles du numéro en se demandant « si l’on peut sacrifier les droits et libertés, même fondamentaux, à la protection de la santé. »[16]
Cette interrogation fort classique ne nécessite sans doute pas de nouveaux développements. En revanche, les motifs qui expliquent le traitement en mode mineur du débat service public/libertés et la promotion de l’idée que le premier puisse être un moyen puissant de préserver les secondes sont des postulats qu’il paraît pertinent d’explorer. En effet, ils peuvent amener une critique de l’évolution contemporaine du droit administratif et une discussion sur ses fondements politiques. Si l’opposition entre le service public et les libertés appartient aux controverses « trop connues pour être étudiées une nouvelle fois »[17], il ne faudrait pas systématiquement s’en détourner. Le traitement par les publicistes (et les administrativistes plus spécialement) de la crise sanitaire a une fois de plus démontré le primat d’une approche techniciste. Quant aux analyses des droits et libertés fondamentaux, elles sont dominées par une démarche positiviste qui revient dans la majeure partie des cas à décrire l’impact de l’état d’urgence sanitaire sur le régime des libertés, sans une corrélation directe avec la théorie des services publics. Il faut y voir une manifestation de ce qu’Olivier Beaud soulignait il y a quelques années : dans la discipline des droits et libertés fondamentaux, « l’accent est mis sur la technique de protection des libertés » (à quelques exceptions près, notamment chez des auteur(e)s comme Véronique Champeil-Desplats[18]). Elle a « pris le pas sur la réflexion portant sur la nature de ces libertés » et leur rattachement à une théorie de l’État[19] qui ne peut s’abstraire, en France, de son lien avec le service public.
Le constat d’une forme de « technicisation » du droit administratif et du droit des libertés, que nous expliciterons dans un premier temps par l’éclipse du débat sur les rapports entre service public et libertés, ne saurait se suffire à lui-même. Il doit être relié à l’évolution même de l’un des principaux objets du droit administratif et de la science administrative qu’est l’appareil d’État. Ce dernier est incontestablement mû par une vision managériale inspirée des théories néolibérales de l’organisation de la société que seule une partie de la doctrine publiciste étudie[20]. Cette évolution structurelle de nature politique se manifeste par la destruction progressive du lien ontologique entre des services publics et l’exercice des libertés que la doctrine administrativiste dominante dénonce finalement peu. S’il est alors possible de caractériser une transformation politique du droit administratif, rien n’empêche d’en opposer une alternative. Dans un troisième temps, il s’agira donc de valoriser une approche solidariste du droit administratif qui s’inspire de l’harmonie des rapports entre services publics et libertés.
I. L’éclipse du rapport ontologique entre service public et libertés : les conséquences d’une technicisation du droit administratif
La désuétude des études sur les rapports entre service public et libertés s’explique par la conjugaison de deux mouvements : l’autonomisation du droit administratif des autres sciences sociales et le primat des études jurisprudentielles. Les origines de cette « manière contemporaine de faire du droit administratif »[21] sont anciennes puisqu’elles qui remontent à l’entre-deux-guerres à la suite de débats déjà nourris entre juristes à l’aube du XXe siècle (le « moment 1900 »[22]).
A. L’effacement de la controverse par l’autonomisation du droit administratif des autres sciences sociales
Le premier mouvement tient au désintérêt progressif pour les disputes d’antan. De façon générale, la doctrine semble se remémorer avec une certaine nostalgie des grandes controverses qui ont traversé la matière, sans pour autant souhaiter s’y attarder à nouveau. Les disputes d’aujourd’hui font pâle figure à côté de celles qui divisaient la doctrine il y a un siècle. Mais il n’y a pas là, à notre sens, une fatalité : si les grandes controverses n’appartiennent qu’au passé, c’est parce que les juristes ont petit à petit refusé, singulièrement à partir des années 1930, d’adopter une appréhension politique de leur discipline. L’une des plus grandes disputes qui sépara la doctrine au début du XXe siècle est relative à la personnalité morale de l’État, les uns la défendant (comme Michoud et Hauriou), les autres la récusant (comme Duguit et Berthélemy). Si chacun a mis autant de cœur à débattre de ce sujet, ce n’est pas au nom de la technique juridique, mais parce que se jouait alors pour eux une certaine conception du monde et de l’État et une vision des libertés. Tous les auteurs de l’époque se sentaient contraints de choisir entre l’un ou l’autre camp. On ne saurait pourtant en conclure que la doctrine ne faisaient pas de droit, tant l’apport de ces juristes à la discipline demeure essentiel. Mais le droit était, à leur sens, une science sociale et politique où l’on retrouve constamment les références à l’État et aux libertés. Les conférences de Duguit à New York traitant de la souveraineté et de la liberté en sont un bel exemple[23].
Cette façon de faire du droit administratif s’étiole aux alentours des années 1930 et, si elle connaît un certain regain à partir des années 1970[24], elle signe déjà le recul des controverses[25]. Le juriste ne doit plus être un intellectuel dans la cité[26] ; il doit « dissocie[r] sa conception du droit de sa conception du monde »[27]. Après Jèze, Marcel Waline poursuit le « tournant empirique »[28] dans la science du droit administratif, lequel se matérialise par le repli du travail des juristes sur la technique juridique : « pour moi, écrit-il, l’étude du droit, telle que je la conçois, ne serait-elle qu’une simple technique, qu’elle aurait déjà ses lettres de noblesse du fait de son utilité évidente »[29]. La technique juridique, ou « technologie juridique »[30] dira Vedel, est nécessaire ; les grandes théories ne le sont pas. Cette idée susciterait sans doute les foudres de la doctrine du début du XXe siècle. Si Hauriou et Duguit, pour ne prendre que leur exemple, ont soutenu de grandes théories, ce n’est pas (que) pour le plaisir de l’esprit, pour la satisfaction intellectuelle que cela procure : c’est parce qu’une approche de l’État y était directement rattachée.
À cette époque, le rôle de la doctrine de droit public est perçu différemment d’aujourd’hui : elle est une source du droit aussi importante que la jurisprudence, et peut-être plus essentielle. À l’inverse, l’administrativiste du XXIe siècle se contente souvent d’une certaine manière de décrire un tableau déjà peint, comme si le droit existait en dehors de lui et qu’il ne contribuait plus à le construire[31] (et alors que, pendant des décennies, le droit et la science politique n’étaient pas des disciplines scientifiques strictement séparées). La doctrine souhaite ici évincer toute subjectivité, comme s’il était possible de présenter les normes juridiques telles qu’elles sont, en oubliant alors que le droit est une science sociale et politique. Cette approche prétend mettre à l’écart toute idéologie en faveur d’un droit qui se résumerait à sa valeur positiviste. C’est pourquoi Jean Waline, par exemple, se dispense de l’étude des liens entre libertés et services publics, tant il considère que « le débat est plus idéologique que juridique »[32].
Cette posture explique le reflux des controverses en droit public dès lors qu’elles font une place au politique : parce qu’elles impliquent que plusieurs conceptions s’affrontent sur un sujet dont les ressorts ne sont pas contenus dans la seule technique, les polémiques à portée sociétales affaiblissent l’idée selon laquelle il serait possible de donner une image objective et uniforme du droit en vigueur. De façon générale, et comme le souligne Jacques Caillosse, le repli sur la technique juridique « ne peut donc que réduire l’espace ouvert à la controverse », car si cette dernière « est concevable là où la réflexion critique sur les mises en perspectives est reconnue comme partie intégrante des tâches légitimes du juriste, […] elle est privée de sens là où ces dernières tendent à se réduire à la dogmatique juridique »[33]. Dès lors, souhaiter le retour des affrontements fondamentaux, c’est renouer avec une appréhension politique du droit administratif, sans pour autant nier l’apport considérable du normativisme. Débattre de l’articulation entre service public et libertés suppose ainsi de défendre une certaine conception de l’État et de ses rapports avec la société, tout en veillant à ne pas dissimuler derrière une faible argutie juridique un discours avant tout politicien. Il s’agit en effet de se prononcer sur les liens que doivent entretenir l’État et le marché, c’est-à-dire sur la place que le premier doit laisser au second dans la satisfaction des besoins de la société, mais aussi sur le point nodal de savoir si l’État, à travers les services publics, est le mieux à même de protéger les libertés.
B. La minoration de la controverse par le primat de l’étude de la jurisprudence
Le second mouvement qui explique la désuétude des études sur les rapports entre service public et libertés est parallèle au premier : il réside dans la focalisation du travail doctrinal sur la jurisprudence. Dans la mesure où, comme cela a été souligné précédemment, la jurisprudence ne se saisit du couple service public-libertés que pour les opposer, la doctrine tend à adopter une démarche similaire. Ce mimétisme trouve son origine, là encore, dans les années 1930, qui marquent le début d’une « hypertrophie de la perception contentieuse »[34] en droit administratif. Si ce mouvement est initié par Jèze, il sera accentué avec Marcel Waline, qui restructure son manuel de droit administratif en plaçant l’étude du juge administratif au début de son ouvrage. Le juge administratif devient le premier acteur du droit administratif, et la jurisprudence sa première source. La croyance selon laquelle, sans la jurisprudence et le juge administratif, le droit administratif n’aurait pu atteindre le degré de perfectionnement qui le caractérise, prend de l’ampleur[35]. Depuis lors, le droit administratif apparaît généralement comme étant presque exclusivement (voire originellement) jurisprudentiel. Par suite, l’essentiel de la controverse doctrinale aujourd’hui se limite le plus souvent à la critique des décisions de justice et des régimes juridiques qui en découlent. Ce tropisme a été transmis aux étudiants : ils ont une vision pathologique du droit et se réfèrent quasi exclusivement à la jurisprudence en tant que source du droit – la législation ou la doctrine étant reléguées et même oubliées comme sources essentielles du droit dans leurs exercices universitaires. Paul Amselek résume en une question l’état de la doctrine dans un article critiquant l’école réaliste : « le “juridique” se réduit-il au “judiciaire” ou au “juridictionnel” ? ».[36]
L’emprise jurisprudentielle est évidemment renforcée par le déploiement de la fonction doctrinale du Conseil d’État : alors qu’au tournant du XXe siècle, la doctrine du droit administratif est très majoritairement composée d’universitaires – à l’exception notable d’Édouard Laferrière –, la deuxième moitié du XXe siècle annonce la domination d’une « doctrine organique »[37]. Par une sorte de retour aux origines impériales du droit administratif, où la littérature savante en droit administratif était le travail de conseillers d’État – les Facultés de droit venant de naître –, les analyses se concentrent sur la jurisprudence. Or qui est mieux placé que le juge administratif lui-même pour comprendre sa propre œuvre ? L’hypertrophie contentieuse et jurisprudentielle signe alors le retrait de l’originalité doctrinale des universitaires. En défendant elle-même l’idée selon laquelle elle serait « née sur les genoux de la jurisprudence »[38], la doctrine assume non seulement sa dépendance à l’égard du juge, mais elle est conduite à ignorer un certain nombre de champs d’études qui ne sont pas l’objet de la jurisprudence.
À ce titre, le service public comme réceptacle de l’épanouissement et de la protection des libertés n’est pas saisi par la jurisprudence, suivi en cela par une grande majorité des chercheurs en droit. De façon générale, usée par des décennies de productions scientifiques soulevant plus de doutes que de certitudes, la doctrine publiciste a cessé de vouloir conceptualiser le service public pour s’en remettre à la description de ce qu’en dit le juge. Après les tentatives avortées d’une théorisation partagée, le service public en est aujourd’hui principalement réduit à une notion jurisprudentielle identifiée par des critères et un régime juridiques. Lorsqu’elles sont appréhendées de conserve avec le service public, les libertés sont incluses dans l’étude du régime juridique à partir de la jurisprudence, sans rapport avec une quelconque approche théorique ou institutionnelle. L’évolution du traitement des libertés est rarement mise en relation avec les transformations de la figure de l’État. L’angle jurisprudentiel conduit à considérer le service public et les libertés dans un rapport de conflictualité en les calquant sur l’opposition des parties au litige : l’État, détenteur du « label » du service public, et le citoyen, forcément opprimé ou insatisfait par cette forme d’émanation de la puissance publique.
Il n’y a là qu’un exemple de la déconnexion qui s’est opérée dans le courant du XXe siècle entre le droit administratif tel que nous l’étudions et la vie de l’administration. Il devient dès lors de plus en plus difficile d’expliquer à quoi sert le droit administratif, tant son enseignement « ne saurait valablement parler d’administration, mais du seul système des règles juridiques auxquelles celle-ci est soumise ou se soumet »[39]. La question de savoir si l’administration – et non seulement le droit administratif – est vectrice de libertés est donc passée sous silence.
Un retour rapide aux origines du droit administratif, au XIXe siècle, permet de prendre du recul par rapport à cet état de fait. La construction du droit administratif, décrit en tant que champ d’études scientifique, n’est pas le fruit du hasard : elle répond à cette époque à un véritable besoin. Il s’agit, pour Firmin Laferrière, par exemple, de mieux comprendre « l’administration de son pays »[40]. Or cette évidence est aujourd’hui obstruée par le prisme jurisprudentiel, lequel conduit à conditionner l’existence du droit administratif à la compétence du juge administratif : puisque l’administration se voit parfois soumise au droit privé et à la compétence du juge judiciaire, on minore le fait que le droit administratif, c’est le droit de l’administration. Ce rappel qui confine à la tautologie nous pousse à revaloriser les études institutionnelles et de sciences administratives.
Le risque d’ignorer le droit de l’administration par une focale aveuglante sur la jurisprudence est de tomber dans ce qu’Olivier Beaud dénomme la « déréalisation »[41] du droit administratif : les normes sont analysées « hors-sol », en dehors de leurs implications institutionnelles et théoriques. Ce phénomène provoque en effet un « certain irréalisme du droit administratif au sens d’une coupure de plus en plus forte de ce droit avec la réalité vivante de son environnement »[42]. Sans doute faut-il rappeler à cet égard l’avertissement de Rivero, pour qui « la prise de vue qu’offre, sur la réalité administrative, le seul contentieux, source principale de la réflexion juridique en France, est singulièrement étroite et déformante », et ce dans la mesure où la jurisprudence n’est que le résultat « de cas-limites, de caractère pathologique»[43]. En complétant l’étude jurisprudentielle par l’analyse institutionnelle, en s’intéressant notamment aux relations que peuvent entretenir le(s) service(s) public(s) avec les libertés en dehors de leurs seules implications contentieuses, il est possible de comprendre les transformations structurelles qui animent le droit administratif qui sont elles-mêmes le reflet des évolutions de l’État. Mettant pour une fois de côté l’approche jurisprudentielle, il s’agit de démontrer combien, à partir des rapports entre service public et libertés, le droit administratif (voire le droit public) est désormais marqué de l’empreinte d’une conception néolibérale de l’État et de son administration.
II. L’ignorance du lien ontologique entre service public et libertés : le succès du néolibéralisme porté par l’appareil d’État
L’idée de technicisation accrue du droit administratif paraît directement liée à la rationalisation des savoirs aux fins d’en garantir la plus grande efficacité, en particulier économique. Sans s’inscrire explicitement dans le courant Law and Economics, l’administration, son juge et sa doctrine véhiculent un discours plus ou moins conscient qui fait du droit administratif des origines « l’image d’un corpus périmé et encombrant, inadapté aux valeurs et aux objectifs d’une économie concurrentielle de marché »[44]. Dans ce contexte, le concept du service public en partie porteur de valeurs abstraites, non quantifiables et parfois contradictoires avec la libre concurrence perd de sa substance pour n’être plus qu’une marque qui emporte l’application d’un régime juridique évoluant au gré des besoins de l’économie et des revendications corporatistes ou individualistes. Cette transformation initiée il y a une quarantaine d’années peut être qualifiée de néolibérale. Elle trouve à s’illustrer dans le champ de deux services publics : de la santé et de l’Université.
A. La promotion du néolibéralisme d’État contre le service public
Selon John Williamson, le néolibéralisme[45] se caractérise par le soutien au libre marché concurrentiel, la recherche de la diminution de la dépense publique, et le primat du secteur privé[46]. Cette conception classique n’exclut pas la pertinence de la vision foucaldienne qui souligne l’importance du rôle de l’État dans l’organisation néolibérale de la société et sur le fondement économico-libéral de l’État[47]. Les deux approches se rejoignent sur la place accordée au marché et aux intérêts privés par les politiques publiques qui, à leur tour, adoptent les référents de l’entreprise privée. Le succès partiel de quelques écoles (celles du New Public Management, du Public Choice ou le courant Law and Economics) conduit à promouvoir la rationalité entrepreneuriale dans la gestion de toute activité publique au premier rang desquelles figurent celles du service public[48]. La construction communautaire initialement influencée par les théories ordo-libérales a aussi joué un rôle majeur dans les soupçons nourris à l’encontre des services publics. Ces derniers sont susceptibles de faire bénéficier à des structures publiques ou privées des privilèges qui peuvent, à l’instar du monopole, amener aux abus de pouvoir. L’exploitation étatique ou locale de certaines activités industrielles et commerciales depuis l’affirmation de l’État providence ne manque pas d’exemples de phénomènes de captation des services publics afin de satisfaire des intérêts particuliers[49]. L’argument a souvent été avancé par la classe politique, en particulier en 1986 lors des privatisations. Le secteur privé, soucieux de ses profits et attaché à la logique de l’investissement forcément source de progrès, est érigé comme modèle de vertu face à un secteur public rétif au changement, perclus de charges de fonctionnement inutiles, et mal géré par des dirigeants de société inféodés au pouvoir politique.
Ce constat passablement caricatural, mais porteur politiquement, a garanti le succès des courants de pensée qui promeuvent les libertés économiques en sacrifiant une vision plus subtile de la relation entre service public et libertés. Le droit, et le droit administratif en particulier, est perméable à cette évolution axiologique[50]. La formation des administrateurs et de la jeune garde du Conseil d’État (souvent attirée par les carrières lucratives du secteur privé) en est une illustration[51]. À l’origine de l’une des nombreuses crises du droit administratif largement commentée dans les années 1990 et le début des années 2000[52], le néolibéralisme semble désormais avoir été intégré par la doctrine. Peu de manuels de droit administratif général[53], et manifestement aucune des dernières éditions des ouvrages de droit public de l’économie (de plus en plus transformés en opus de droit public des affaires, glissement lexical ô combien édifiant) n’adopte une démarche critique face à la prégnance du néolibéralisme en droit administratif. Nul ne s’étonne plus de l’utilisation par le juge d’expressions comme « la rentabilité économique et sociale » qui peut être évaluée par des « indicateurs » dans le cadre, notamment, du contrôle du bilan des expropriations[54]. Au-delà d’un renforcement du contrôle de la légalité, le contrôle du bilan permet au juge de s’ériger en un aiguilleur managérial des choix de l’administration qui est d’ores et déjà soumis aux grilles de lecture du management dans la prise de décision. Jacques Caillosse le souligne : « ce que le juge renvoie » à l’administration « c’est une représentation stylisée et codifiée de son propre discours. L’administration et son juge se retrouvent ainsi plus proches, du fait d’une commune rhétorique »[55] et, nous ajoutons, d’une commune formation intellectuelle.
Dès lors que l’on accepte le postulat d’« une dilution du service public dans la réforme de l’État »[56] empreinte de néolibéralisme, il reste à savoir dans quelle mesure cette doctrine a perturbé la dialectique liberté/service public pour la résumer en un conflit qui se résout dans une promotion parfois excessive de la première (dans sa conception néolibérale) sur le second. Deux exemples peuvent être mobilisés. Le premier, inspiré de la crise sanitaire, concerne le service public de la santé. Le second est celui du service public universitaire.
B. Deux cas exemplaires d’une atteinte conjuguée au service public et aux libertés : la santé et l’université
Parmi les services publics qui figurent comme l’un des symboles de l’État providence triomphant en proie à une privatisation constante depuis plusieurs décennies, celui de la santé occupe une place de choix. Au nom des libertés économiques et de la concurrence, le transfert d’un certain nombre d’activités au secteur privé et l’immixtion des méthodes entrepreneuriales sont devenus des impératifs catégoriques. Il en a découlé une remise en cause partielle du droit à la santé, consacré à l’alinéa 11 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. La crise de la Covid-19 a cependant révélé des risques majeurs pour les libertés individuelles et collectives[57].
Les phénomènes de privatisations et d’intégration des techniques managériales privées dans le service public de la santé sont bien connus[58]. Si les auteurs d’ouvrages généraux de droit public de la santé sont assez silencieux sur le sujet[59], les économistes, les historiens de la santé, les sociologues et les politistes s’en sont largement saisis[60]. Leurs conclusions intéressent à plusieurs égards le rapport entre les politiques néolibérales assumées par l’État depuis les années 2000[61] et leurs conséquences sur les libertés.
Dans une étude fouillée, Ilona Delouette et Laura Nirello se sont en particulier penchées sur le phénomène de privatisation de la gestion et de l’exploitation des Établissements d’hébergement pour les personnes âgées dépendantes (EHPAD). Elle explique que, à l’ère de « l’État social investisseur » qui apparaît au début du XXe siècle dans le sillage des idées solidaristes, l’État n’intervient plus que pour « les marchés et la financiarisation »[62]. Ce phénomène joue « activement sur l’espace de liberté laissé aux individus pour qu’ils se conforment d’eux-mêmes aux normes de la concurrence et de la finance. » Ce constat est également valable pour les structures et les personnels qui dispensent les soins auprès de patients. Bien loin de la sphère d’autonomie que prétend instaurer la logique néolibérale, l’État « active de nouvelles normes de gestion à la performance dans le champ menant à une standardisation de l’offre sous la forme de sa médicalisation et à l’incorporation de manières de faire issues du monde privé lucratif. »[63] Or, scientifiquement, rien ne permet d’affirmer que cet alignement sur les standards du secteur privé serait moins attentatoire qu’une gestion publique aux libertés des pourvoyeurs et des usagers, en particulier dans le choix du financement, des thérapeutiques ou des parcours de soins. Par exemple, plusieurs études démontrent que la loi « Hôpital, patients, santé, territoires » (loi HPST)[64] a affaibli les secteurs non lucratif et public du fait du recours aux techniques de gestion entrepreneuriale privée et du primat d’une perception concurrentielle qui, au lieu de proposer une offre variée aux patients, à favoriser sa standardisation[65].
La captation par le secteur privé des activités de santé qui devraient relever d’un réengagement plus global des collectivités publiques ne concerne pas seulement les EHPAD. Elle peut aussi être étendue au secteur pharmaceutique et à la recherche. La crise de la Covid-19 montre à quel point les États sont devenus dépendants de l’initiative privée pour trouver un vaccin qui garantirait la fin des mesures restrictives de libertés[66]. Un rapport sénatorial, remontant à plus de 13 ans, soulignait déjà que « la recherche institutionnelle a du mal à voir aboutir ses programmes » et manque de moyens, ce qui conduit à ce que « la recherche vaccinale en France est peu compétitive face aux autres pays ». Le rapport observe de façon prémonitoire que « si une crise sanitaire nationale (voire internationale) survient, la France aura indubitablement besoin d’avoir les structures adéquates et les personnes pour mener des programmes de recherche. »[67] À ce constat, il faut ajouter la difficile conciliation entre les impératifs du secteur pharmaceutique privé dominés par la recherche du profit (parfois au mépris de la santé publique comme l’ont révélé plusieurs scandales sanitaires comme celui du Médiator) et la forte dimension d’intérêt général qui imprègne les activités de santé[68].
Les historiens de la santé montrent en ce sens une évolution intéressante qui découle d’un autre effet de la gestion économique néolibérale de la vaccination. À l’époque du progressisme républicain, la diffusion d’ouvrages de vulgarisation auprès des écoliers indique que la science vaccinale est un enjeu collectif qui implique l’ensemble des citoyens, mais aussi un partenariat égalitaire entre le public et le privé. Cette acception est remise en cause depuis plusieurs années : la vaccination devient un produit de consommation lié aux modes de vie des individus. Ainsi, « l’épidémiologie contemporaine, dans ses messages de santé » relayés par les autorités publiques à pour effet d’« individualiser le risque en soulignant le rôle des facteurs personnels et du style de vie (exemple du tabac), déplaçant ainsi le fardeau des responsabilités » du collectif vers l’individu « post-moderne »[69]. Anne-Marie Moulin admet alors que « le contrat entre médecin et patient, assimilable à un contrat de droit privé, tend à concurrencer le contrat social implicite entre l’État souverain et le citoyen où le risque individuel s’effaçait derrière le bénéfice collectif. »[70] Il en résulte que « l’idée d’un plan de santé établi anonymement trouve moins aisément preneur, comme celle d’une solidarité face au péril microbien. »
Les exemples mobilisés pourraient être déclinés à l’envi. Ils confirment que l’idéologie néolibérale a contaminé, par le haut, les politiques publiques qui ont accompagné la « managérialisation »[71] et de l’individualisation de la santé au bénéfice des intérêts privés. Finalement, l’affaiblissement de l’intervention d’un État porteur d’une approche collective de la santé publique est sans doute un facteur important des difficultés à gérer la crise liée à la Covid-19 à l’origine, en partie, de restrictions de la liberté d’aller et venir tout à fait inédites dans l’histoire contemporaine. Non sans paradoxe, le néolibéralisme a fini par saper quelques-uns de ses fondements : parce que tout un chacun est réduit à rester chez lui, la libre entreprise et la libre concurrence ne sont plus (pleinement) effectives.
Le service public de la santé n’est pas le seul concerné par une évolution néolibérale soutenue par l’État. Celui de l’Université, moins médiatisé, est tout aussi éloquent, notamment lorsque l’on s’attarde sur deux dispositifs législatifs de la période récente. Le premier acte fut la « loi Pécresse »[72]. Le second est le projet de loi de programmation pour la recherche[73]. Les publications d’enseignants-chercheurs à l’encontre de ces deux œuvres législatives sont pléthoriques pour qu’il ne soit pas nécessaire de les présenter dans les détails. L’atteinte aux libertés universitaires par le triomphe de l’« université fonctionnelle »[74] a été magistralement démontrée par Olivier Beaud[75]. Dans un article à la revue Commentaires, il explique que le « réformisme institutionnel a eu pour effet, au cours des trente dernières années, de réduire drastiquement le temps libre de l’universitaire pour le transformer en un homme-Protée censé savoir et devoir tout faire : du secrétariat administratif au management d’équipe, en passant par l’enseignement, sans oublier, éventuellement, la recherche réduite de plus en plus à la portion congrue et à partir de laquelle pourtant il est évalué »[76]. Au niveau local, « le réformisme institutionnel » se traduit par une marche forcée vers la fusion des universités à la suite d’évaluations dirigées par des jurys internationaux épaulés par des conseils privés spécialisés dans l’audit, la communication ou l’évaluation[77]. Ce management se fait au profit d’une recentralisation des pouvoirs et des contrôles à l’échelon de la présidence des universités. Bien qu’Olivier Beaud ne fasse pas expressément référence à l’influence néolibérale sur l’administration de l’État et sur les établissements universitaires devenus « autonomes », c’est bien de cela qu’il s’agit. Ce sont elles qui ont pour effet de restreindre le temps indispensable à la recherche et à la préparation des enseignements. Autrement dit, les tâches quantitatives imposées aux enseignants-chercheurs pour satisfaire les processus de normalisation et d’évaluation inspirés de l’entreprise annihilent l’exercice des libertés ontologiquement lié à la mission du service public de l’enseignement supérieur et de la recherche. Cette lame de fond qui sape des libertés essentielles à la qualité d’un service public n’a pourtant jamais entraîné de sanction de la part de juges qui s’érigent en gardiens des libertés, que l’on songe seulement à la jurisprudence du Conseil constitutionnel de 2010 relative à la « loi Pécresse »[78].
Le « mépris » à l’égard des libertés et du service public universitaires (dont la gestion des flux estudiantins a bien failli s’accommoder du tirage au sort[79]) a connu une forme de paroxysme avec la loi de programmation de la recherche. Ce texte vise à imposer la logique anglo-saxonne néolibérale de gestion des études supérieures aux universités françaises[80]. À l’instar de ce que le service public de la santé connaît depuis plusieurs décennies, il s’agit d’étendre encore les impératifs de performance, d’évaluation, et de gouvernance managériale. La promotion des procédures d’appel à projets au détriment des financements récurrents des laboratoires a pour finalité de placer systématiquement les laboratoires en concurrence. Ces moyens de financement compétitifs favorisent, de surcroît, une standardisation des démarches scientifiques, ce qui est peu compatible avec le libre choix des méthodes de recherche. Il en résulte aussi un recul du soutien à la recherche fondamentale et aux sciences sociales dont l’abstraction ne permet pas une valorisation économique immédiate[81] et une évaluation aisée d’une performance appréhendée selon les grilles de lecture entrepreneuriale[82].
Finalement, le cas de l’université est sans nul doute celui qui contribue le mieux à comprendre le lien consubstantiel entre la marchandisation d’un service public et la réduction de l’exercice de libertés. A contrario, cela signifie que leur restauration et leur préservation passent par une promotion du service public moins matérialiste et plus collective. Les publicistes ont un rôle essentiel à jouer dans cette tâche. L’harmonie de la relation services publics/libertés implique de remettre au premier plan les bases solidaristes du droit administratif que Léon Duguit avait si bien expliquée en prenant l’exemple de l’éducation qui a longtemps opposé les libéraux classiques aux solidaristes : « En France tout au moins, les défenseurs intransigeants de la conception individualiste ont, jusqu’en 1881, combattu l’obligation de l’enseignement au nom de la liberté. C’est au contraire au nom de la liberté, mais de la liberté conçue comme un devoir, que les lois de tous les pays établissement aujourd’hui l’instruction obligatoire. »[83] La conviction exprimée par Pierre Delvolvé dans les premiers paragraphes de son article de 1985 n’est plus une provocation à la controverse doctrinale. Elle est devenue une réalité prégnante de notre droit administratif.
III. L’harmonie de la relation entre services publics et libertés : revaloriser les bases solidaristes du droit administratif
Selon Benoît Plessix, « le marché est devenu le principe, l’intervention publique l’exception (…). Sans doute, comme tout dogme, celui-ci passera de mode et sera remplacé par un autre. » Après avoir soutenu que c’est bien ce « dogme (…) qui dicte sa loi »[84], il nous importe de montrer qu’il peut effectivement « passer de mode ». Pour le juriste, il ne s’agit plus simplement de prendre acte du primat du néolibéralisme qui structure désormais des pans entiers du droit administratif. Il devient indispensable de poser une question qui reprend un propos déjà ancien de Jacques Caillosse : « dans un temps où l’efficacité fonctionne comme une idéologie », ne doit-on pas faire en sorte que le « droit administratif puisse nous rappeler à d’autres valeurs ? »[85]. Pour cela, il convient sans doute de « sortir d’une torpeur positiviste »[86]. Dans cette entreprise, une espèce de retour aux « idéaux perdus »[87] s’avère nécessaire afin de restaurer les fondements solidaristes du droit administratif qui peuvent être utilement mobilisés pour repenser l’articulation entre les libertés individuelles ou personnelles et les libertés collectives, via le service public[88].
A. Le solidarisme dans la construction originelle du droit administratif
Dès sa formalisation sous la IIIe République, le solidarisme a rapidement trouvé un écho dans le champ du droit administratif. À l’époque, il fait figure de troisième voie entre deux courants idéologiques en tous points opposés que sont l’individualisme et le socialisme. L’individualisme, principalement promu par les économistes – regroupés autour de la très libérale École de Paris[89] –, implique un État « modeste »[90] vécu comme un mal nécessaire qui, tout au plus, accompagne l’initiative individuelle qui demeure le seul facteur de progrès. À l’inverse, le socialisme non marxiste, défendu notamment par les premiers sociologues[91], fait la part belle à l’État. Parce qu’il est le moteur du progrès social et économique, il convient de ne poser aucune limite à son intervention. Dans ce contexte, le solidarisme se présente comme une doctrine du « juste-milieu », parfois qualifiée de « tranquillisante »[92]. Elle part de l’idée selon laquelle l’individu ne peut naître et vivre qu’en société – déniant par-là les postulats méthodologiques de l’individualisme. Or, « l’homme vivant dans la société, et ne pouvant vivre sans elle, est à toute heure un débiteur envers elle. Là est le fondement de ses devoirs, la charge de sa liberté »[93], écrit Léon Bourgeois dans son manifeste Solidarité. Naît alors une sorte d’interdépendance sociale, laquelle doit être garantie par l’État, et non initiée par lui – ce qui exclut l’omnipotence étatique et la dérive socialiste.
Si le solidarisme semble, de prime abord, circonscrit au contexte de la IIIe République, les bases intellectuelles sur lesquelles il repose s’avèrent quant à elles plus pérennes. Le solidarisme recèle en effet une certaine façon de penser l’État et les libertés : il ne s’agit pas de les concevoir dans un rapport de confrontation ou de conciliation, mais en harmonie. À ce titre, les mots d’Émile Durkheim sont éclairants : « la vérité, écrit-il en 1916, c’est que l’État a été bien plutôt le libérateur de l’individu. C’est l’État qui, à mesure qu’il a pris de la force, a affranchi l’individu des groupes particuliers et locaux qui tendaient à l’absorber : famille, cité, corporation, etc. »[94] En d’autres termes, l’État ne doit pas être conçu comme l’oppresseur des libertés, mais comme leur protecteur ; l’État vient libérer l’individu de ses chaînes. Cette idée a traversé le XXe siècle. Hauriou la fait sienne lorsqu’il considère que l’État permet de mettre les libertés « à l’abri des intempéries, des contradictions et des surprises »[95]. Il y a là les marques de ce que Lucien Jaume a appelé le « libéral-étatisme »[96], c’est-à-dire un libéralisme par l’État, et non contre l’État. Ce libéralisme, qui s’oppose à un libéralisme de type individualiste, constitue la base intellectuelle du droit administratif originel. Il peut être conçu comme le pendant du solidarisme, lequel emprunte au libéralisme le désir de liberté (de chacun) et à l’étatisme celui de l’égalité (de tous).
De ce fait, la naissance du droit administratif en tant que véritable discipline, au tournant du XXe siècle, ne peut être comprise en dehors de ses bases solidaristes : elles ont permis de dépasser l’affrontement stérile entre État et individu en mettant au jour le rôle de l’État dans la réalisation de la « solidarité sociale »[97], chez Duguit, ou du « communisme juridique »[98], chez Hauriou – pour ne prendre l’exemple que des plus éminents auteurs de l’époque. Quel que soit le terme choisi et le chemin pour y parvenir[99], ces deux auteurs s’entendront alors sur l’importance du « service public » : par le service public, expression de la solidarité sociale, l’État rend les hommes égaux et libres. Loin d’être un instrument d’oppression de l’individu aux mains de l’État, le service public vient donc libérer les individus, notamment de l’emprise des puissances privées, car l’on ne peut être libre tant que l’on n’est pas égaux. Cette démarche paraît des plus pertinentes à l’heure actuelle et pourrait porter un véritable projet « néo-solidariste » du droit administratif en s’appuyant sur le lien ontologique qui unit les libertés et le service public. Ce projet prend acte que « l’individu naît en société », « s’épanouit » au travers « des ressources intellectuelles et matérielles que celle-ci met à sa disposition » et que, « interdépendants et solidaires, les hommes sont porteurs d’une dette les uns envers les autres, ainsi qu’envers les générations qui les ont précédés et envers celles qui leur succéderont »[100]. Le droit joue un rôle fondamental comme relais de cette réalité contemporaine. La crise environnementale, celle de la Codiv-19, le vieillissement de la population, l’accélération des inégalités au sein des sociétés occidentales, et enfin les replis identitaires sont autant de phénomènes qui prouvent que la solution néolibérale individualiste promue en partie par le droit positif n’est plus viable.
B. L’actualité d’un « néo-solidarisme » fondé sur le service public et les libertés
Le droit administratif (voire le droit public dans son ensemble) doit renouer avec ses fondements solidaristes afin de redonner, au-delà des pétitions de principe, une place plus concrète aux principes de solidarité[101] et de fraternité véhiculés par le service public dans un rapport harmonieux avec l’exercice des libertés. Cette proposition s’inscrit dans la lignée d’études réalisées par plusieurs collègues (encore minoritaires) qui se sont déjà saisis de la question des liens entre solidarité et libertés par le recours au concept de « communs ». En revanche, il ne s’agit pas de privilégier systématiquement l’État dans cet effort doctrinal de réconciliation du service public et des libertés via la promotion d’une solidarité qui doit redevenir « politique » plus que « technique »[102].
La première piste est de repenser les modalités de financement du service public[103]. La progressivité devrait dominer, alors que les impositions, taxations ou autres droits perçus par les autorités publiques s’orientent depuis plusieurs années vers une logique inverse (en particulier en ce qui concerne l’impôt sur le revenu et les droits de succession)[104]. Nombre d’établissements publics, au premier rang desquels figurent les universités, perçoivent des droits qui ne tiennent pas compte du revenu fiscal de référence (dont le calcul peut aussi être discuté), sauf dans le cadre d’exemptions qui sont victimes d’effets de seuil les rendant assez inefficaces dans la réduction réelle des inégalités. Si une modularité progressive peut être coûteuse, elle paraît plus juste[105]. La progressivité est une garantie de justice et de la solidarité entre des citoyens qui doivent partager la valeur du libre consentement à l’impôt, fondement même du parlementarisme et de la démocratie libérale occidentale[106].
La progressivité, outil du libre consentement à l’impôt, doit être complétée par une gestion collaborative du service public entre l’organisateur et les usagers. Elle est de nature à relativiser le primat du consumérisme d’un usager transformé en client. La conclusion de Gilles Dumont dans son article sur l’actualité du principe de gratuité est à cet égard riche d’enseignements : « en prenant les communs “comme grille de lecture ou plus justement comme clé de réinterprétation possible des institutions classiques”[107], il serait possible de retrouver le lien originel liant gratuité, don et service public ». Pour cela, il convient de ne plus voir « dans le paiement par l’usager la contrepartie pécuniaire d’une prestation de service économique, mais une forme de participation du citoyen à l’action administrative, supposant de “reconnaître aux usagers-bénéficiaires du service la capacité de promouvoir, par leur propre coopération, l’utilité collective dont ils vont bénéficier” »[108]. (étrange de reprendre les notes de la citation ?) D’un autre côté, la gestion collaborative est un vecteur de responsabilisation de l’usager qui doit accepter des conditions tarifaires imposées par la nature spécifique de certains services publics. Par exemple, la distribution de ressources rares ou à fort impact environnemental ne peut faire l’économie d’une taxation forte (tout en intégrant le principe de progressivité mentionné plus haut)[109].
Il serait en outre possible de réfléchir aux modalités de participation des usagers au-delà de la seule question du financement. Plusieurs exemples étrangers mais aussi l’esprit de certaines législations françaises comme la loi du 17 juillet 2001qui a créé les sociétés coopératives d’intérêt collectif[110] montrent que certains services publics peuvent être gérés de façon collaborative entre les agents publics et les usagers, comme les crèches et les écoles, indépendamment du statut public ou privé de l’organisme gestionnaire. Il en résulte une responsabilisation des bénéficiaires du service qui, en contrepartie, jouissent d’une autonomie plus grande dans l’administration de la structure. Plusieurs doctrines contemporaines soutiennent cette alliance entre la solidarité, la responsabilité et les libertés[111]. Elle favorise l’émancipation des individus par la participation collective à l’organisation de la société, ce qui justifie ne plus s’en remettre systématiquement à l’État qui demeure une « figure de l’extériorité sociale »[112], tout comme le marché. Dans le même esprit, la reconnaissance jurisprudentielle d’une mission de service public dévolue à une personne publique sans acte d’habilitation exprès ou sans que soit forcément identifié l’exercice de prérogatives de puissance publique, toutes deux des manifestations classiques de la souveraineté de l’État dans le champ des services publics[113], rappelle que le service public peut naître de la libre initiative privée et peut prospérer dans un rapport souple avec les autorités publiques.
En partant de la gestion collaborative, il est alors envisageable « de trouver une structure de gouvernance entre le public et le privé qui ne se comporte pas comme un “propriétaire” de l’intérêt général ». Thomas Perroud soutient en ce sens un développement plus fort de structures coopératives, « des community land trusts (organismes fonciers solidaires) ou community benefits agreements (accords sur les avantages pour la collectivité). »[114] De l’usager-consommateur, il faudrait évoluer vers « l’usager-citoyen »[115] plus à même de comprendre les responsabilités collectives qui sont les siennes, pendant naturel des libertés. Plutôt que d’attendre des crises graves qui les annihilent, l’usager-citoyen serait mieux placé pour apprécier l’importance des services publics au bien-être collectif s’il se mobilise plus régulièrement et plus concrètement dans la gouvernance de certains services publics[116].
Le prisme des « communs » conduit en outre à réévaluer la relation à la propriété individuelle qui, dans la doctrine libérale classique issue de Locke, en fait la condition première de l’exercice concret des libertés. Sans remettre totalement en cause ce postulat, il est possible, là encore, de le relativiser en considérant que « toute activité et toute propriété ont en partie une origine sociale »[117]. À cet égard, le droit de la propriété publique – codifié à droit constant à partir des grandes distinctions du droit civil des biens (acquisition, gestion, cession) – semble tourner de plus en plus le dos à la propriété sociale au profit des objectifs de valorisation économique et financière[118], de circulation et d’exploitation privative du domaine public, notamment dans le cadre d’opération de concession de missions de service public. Benoît Plessix le rappelle : « mettre l’accent sur la propriété, c’est favoriser une logique patrimoniale fondée sur une marchandisation et surtout une meilleure valorisation économique de biens perçus comme sources de revenus pour les personnes publiques »[119]. Le solidarisme pourrait pourtant retrouver du souffle en se fondant sur le droit positif. Nous évoquerons une piste : celle de l’alinéa 9 du Préambule de 1946. Le sens de la disposition a fait l’objet d’exégèses nombreuses sur lesquelles il est inutile de revenir pour acter le fait que les juges constitutionnels et administratifs ont annihilé la norme constitutionnelle[120] alors que, parallèlement, ils n’ont cessé de décliner le droit de propriété privée en libertés personnelles (aux premiers rangs desquels figurent la liberté d’entreprendre et la liberté contractuelle, largement exploitées par les entreprises dans le cadre de la question prioritaire de constitutionnalité[121]). Non seulement il est temps de redonner son lustre à l’alinéa 9, mais il nous paraît crédible d’en révéler les potentialités contemporaines, de la même façon que le juge constitutionnel a pu accroître la portée du droit de propriété. Plusieurs auteurs ont soutenu que l’alinéa 9 pouvait pertinemment intégrer les infrastructures essentielles qui ne sauraient sortir du giron public de par leur nature et les risques de déséquilibres concurrentiels en cas d’appropriation privée[122]. Toutefois, quand bien même cette approche légitime l’érection des services publics des facilités essentielles à l’exercice des libertés économiques, elle doit être complétée. Parce qu’elle est une forme de « socialisation » de ce qui est non rentable, la gestion publique des infrastructures essentielles doit donner lieu à des redevances ou à des droits d’accès dont la détermination doit être transparente et préservée des conflits d’intérêts. En outre, le cadre institutionnel de cette gestion doit être revisité dans la mesure où la propriété publique n’est pas la garantie d’une meilleure exploitation et d’une non-immixtion des intérêts privés[123]. Rien n’empêche de concevoir le terme « collectivité » de l’alinéa 9 au-delà de la propriété d’une personne publique à l’aune de ce que nous avons précédemment présenté sur le fondement de l’intérêt collaboratif.
La conception large du terme « collectivité » n’interdit pas, toutefois, de conserver l’esprit originel de l’alinéa 9, en particulier pour préserver certaines activités économiques indispensables à la population, mais trop dépendantes de l’initiative privée. La contraction du secteur public n’est pas irréversible[124]. Les défis collectifs que posent le réchauffement climatique et la multiplication des épidémies pourraient conduire à un renouveau du secteur public pour accroître les capacités nationales de recherche et d’innovation (parfois peu lucratives pour le secteur privé dans un premier temps) ou produire des biens de « première nécessité sanitaire » afin de prévenir les pénuries de certains produits de santé. L’objectif serait de ne pas dépendre entièrement des commandes aux entreprises privées en ces périodes sensibles ainsi que la crise de la Covid-19 l’a dramatiquement révélé. Il conviendrait sans doute de changer de paradigme pour mettre fin à la gestion en flux tendu de quelques produits par la constitution de stocks que pourrait fort bien assurer une personne publique. Jamais ce type de solution n’a été sérieusement envisagée, le gouvernement ayant manifestement privilégié les mesures de « l’État pompier » dans la gestion de l’épidémie[125]. Déjà, en 2008, l’Exécutif avait fait ce choix en venant au secours de certaines banques par des participations massives et temporaires à leur capital, sans réelle contrepartie. Par cette action conjoncturelle, l’État n’investit pas de façon stratégique les secteurs en première ligne dans des circonstances qui révèlent pourtant des défauts structurels de secteurs économiques à forte dimension d’intérêt général.
Enfin, la relecture du Préambule de 1946 pourrait être complétée par une appréhension originale de la liberté contractuelle « afin que les parties prenantes puissent élaborer la forme institutionnelle la mieux à même de refléter la diversité des intérêts que portent les services publics. »[126] Les conditions de formation des contrats de concession de service public pourraient intégrer cette préoccupation. Loin de n’être qu’un vecteur de valeurs principalement économiques et libérales, la liberté contractuelle peut former le terreau d’une « nouvelle devise contractuelle » dans laquelle la « solidarité » et la « fraternité » occuperait une place notable[127]. Nous pouvons reprendre à notre compte cette présentation de Denis Mazeaud relative au solidarisme contractuel en droit privé : « la théorie solidariste s’efforce alors de proposer la mise en place de concepts qui constituent autant de contre-pouvoirs grâce auxquels la loi contractuelle conservera un vernis démocratique et ne sera pas le creuset d’un pouvoir arbitraire. »[128] Ne serait-il pas possible, en partant de cette conviction, de repenser les modalités de formation et d’exécution du contrat quand un service public est en jeu ? Ne serait-ce pas un moyen de reconsidérer la place du citoyen, du contribuable, de l’usager et des tiers aux différents stades de la vie d’un contrat essentiel à la collectivité ?
Bien d’autres champs du droit administratif et du droit public pourraient être investis au-delà du service public et des libertés. Notre réflexion n’a pour but que de suggérer de modestes pistes et d’en débattre dans la lignée des grandes controverses qui ont longtemps animé et fait vivre la matière. C’est aussi, dans un contexte de crise violente qui remet incontestablement en cause nos modes de vie en commun, le moyen de replacer le juriste dans la cité et le débat public dont il est souvent écarté à force d’apparaître comme un simple technicien de la norme[129].
*Les auteurs remercient Anne-Sophie Chambost, Thomas Perroud et Sébastien Saunier pour leurs remarques et leur relecture.
[1] Voir, en droit administratif, « Covid-19, Les leçons d’une crise », AJDA 2020, p. 1691 et s.
[2] Par exemple, Ch. Testard dans « Service public et lutte contre la Covid-19 : physique d’une confrontation », AJDA 2020, p. 1710. Quant aux thèmes des libertés, voir les publications en ligne de la Revue des droits et libertés fondamentales, « Coronavirus et droit » sous la dir. de O. Mamoudy, F. Rolin, S. Slama, 27 mars 2020 (https://i91h9azrmj.preview.infomaniak.website/dossier/colloque-virtuel-droit-et-coronavirus-le-droit-face-aux-circonstances-sanitaires-exceptionnelles/).
[3] Seul Sylvain Niquège a produit une tribune (« Covid-19 et libertés : l’oubli du service public ? », AJDA 2020, p. 1441) qui s’inscrit dans la lignée d’observations que nous avions déjà rapidement formulées dans des contributions relatives à la gestion de la crise (A. Antoine, « La réponse législative du Royaume-Uni à la crise sanitaire », JP Blog, mai 2020 ; et la contribution au colloque « La gestion juridique de la crise du Coronavirus outre-Manche », colloque en ligne « Coronavirus et droit » préc.). Voir aussi la conclusion de l’article de D. Roman à la RDSS « “Liberté, égalité, fraternité” : la devise républicaine à l’épreuve du covid-19 », 2020, p. 926.
[4] Voir, par exemple, J.-M. Pontier, « La crise sanitaire de 2020 et le droit administratif », AJDA 2020, p. 1697.
[5] P. Delvolvé, « Service public et libertés publiques », RFDA 1985, p. 11. La phrase conclut l’article, ce qui lui donne une portée particulière.
[6] P. Delvolvé, op. cit., p. 1 ; É. Pisier, « Service public et libertés publiques », Pouvoirs, 1986, n° 36, p. 143 ; S. Regourd, « L’offensive contre le service public », Le Monde diplomatique, juillet 1986, p. 28 et « Le service public et la doctrine : plaidoyer pour un procès en cours », RDP 1987, p. 5. Voir aussi, dans une perspective plus large de l’évolution du droit administratif, J. Caillosse, « L’administration française doit-elle s’évader du droit administratif pour relever le défi de l’efficience ? », dans Politiques et management public, vol. 7, n° 2, 1989, « Quel projet pour les administrations et les entreprises publiques ? », Actes du Troisième Colloque International – Québec des 3-4 novembre 1988, 2e partie, p. 163.
[7] C. Boyer-Capelle, Le service public et la garantie des droits et libertés, Thèse, Université de Limoges, 2009, 732 p. ; voir la critique de X. Dupré de Boulois, « Chronique des thèses », RFDA 2011, p. 181.
[8] Le manuel de B. Plessix est sans doute celui qui aborde les aspects théoriques du droit administratif de la façon la plus complète (Droit administratif général, Lexis Nexis, 2016, p. 565 et s.) Pour autant, tout en déployant faisant du service un concept fondamental (et la fin essentielle) du droit administratif, l’auteur ne traite pas le couple service public/libertés de façon distincte des autres présentations insistant sur la conflictualité du couple (spéc. p. 575). (voir en droits et libertés fondamentaux, l’ouvrage de S. Hennette-Vauchez et D. Roman souligne bien que « le droit au procès équitable suppose le bon fonctionnement du service public ». Cependant, hormis le fait qu’il s’agit d’un droit et non d’une liberté, les auteures ne dégagent pas de leur remarque une réflexion générale sur le lien potentiellement ontologique entre préservation des libertés et service public (Droits et libertés fondamentaux, Dalloz, coll. Hypercours, 4e éd., 2020, p. 224).
[9] Voir notamment M. Lombard, G. Dumont et J. Sirinelli, Droit administratif, Dalloz, coll. Hypercours, 13e éd., 2019, p. 323 et s.
[10] Voir É. Fraysse, L’État dans la construction doctrinale du droit administratif, Thèse Lyon III, 2019, p. 147 s.
[11] Ce que rappelle d’ailleurs Pierre Delvolvé dans son article précité en s’appuyant logiquement sur les arguments de Duguit (op. cit., p. 2), mais aussi sur des arguments tirés d’illustrations en droit de la fonction publique, en droit des transports ou encore en matière de police (ibid.).
[12] Voir. S. Hennette-Vauchez, D. Roman, op. cit., p. 709.
[13] C’est particulièrement frappant à la lecture de certains ouvrages comme celui de M. Lombard, G. Dumont et J. Sirinelli qui articule largement l’analyse de la notion de service public autour de l’approche en droit de l’Union européenne (op. cit., p. 325). Voir aussi B. Plessix, op. cit., p. 577, pour qui le service universel aurait finalement absorbé complètement l’approche française du service public pour ce qui concerne l’égalité d’accès et la continuité.
[14] Voir par exemple, S. Hennette-Vauchez, D. Roman, op. cit., X. Bioy, op. cit., X. Dupré de Boulois, op. cit. ou R. Cabrillac, Libertés et droits fondamentaux, Dalloz, 26e éd., 2020, 998 p. (l’index de l’ouvrage ne prévoit même pas d’entrée pour l’expression « service public »). Pierre Delvolvé explique de façon limpide que « le propre d’un droit est de permettre de revendiquer d’autrui une prestation ; le propre d’une liberté est de pouvoir s’exercer sans autrui, voire contre lui. », op. cit. , p. 2).
[15] Ce que confirme le contenu des Grands arrêts de la jurisprudence administrative qui, en ce qui concerne le couple libertés/service public, ne recèle que des décisions portant sur leur conciliation (P. Delvolvé, M. Long, P. Weil, G. Braibant, B. Genevois, Dalloz, 22e éd., 2019, 1068 p.).
[16] Op. cit.
[17] B. Plessix, Avant-propos, in AFDA, Les controverses en droit administratif, Dalloz, 2017, coll. Thèmes et commentaires, p. VII. Notons que dans un précédent colloque de l’AFDA consacré au service public, la relation entre le service public et les libertés n’est pas abordées telle quelle parmi les contributions relatives au service public et au droit public (Le service public, Dalloz, 2014, 262 p.).
[18] Voir, notamment, Théorie générale des droits et libertés. Perspective analytique, Dalloz, 2019, 452 p.
[19] O. Beaud, « Remarques introductives sur l’absence d’une théorie des libertés publiques », Jus Politicum, n° 5, 2010.
[20] Sur le droit public et le néolibéralisme, voir l’ouvrage dirigé par F. Bottini, Néolibéralisme et droit public, Mare et Martin, 2017, 435 p. ; T. Perroud, « Essai sur les caractères néolibéraux du droit administratif contemporain », in Culture Société Territoires. Mélanges en l’honneur du Professeur Serge Regourd, Fondation Varenne, 2019, p. 557 et s. ; et J.-F. Calmette, « L’analyse économique dans les contentieux publics », AJDA 2020, p. 925 (spécialement le II.).
[21] L’expression est de Fabrice Melleray, qu’il a employée dans une série d’articles. V. notamment « Marcel Waline et la manière française contemporaine de faire du droit administratif », RFDA, 2014, p. 145 s. ; « Charles Eisenmann et la manière contemporaine de faire du droit administratif », RDP, 2016, p. 375 s.
[22] Voir O. Jouanjan, É. Zoller (dir.), Le « moment 1900 » Critique sociale et critique sociologique du droit en Europe et aux États-Unis, Éd. Panthéon-Assas, 2015, 384 p., spéc. F. Audren, « Le “moment 1900” des doctrines et pratiques juridiques. Le “moment 1900” dans l’histoire de la science juridique française (qui s’attarde notamment sur la difficulté des juristes de s’ouvrir à la pluridisciplinarité).
[23] Souveraineté et liberté ; leçons faites l’université Columbia (New-York) en 1920-1921, La Memoire Du Droit, Bibl. Léon Duguit, rééd. 2002, 4 t.
[24] On pense ici notamment au Mouvement critique du droit et, plus récemment, aux travaux du CURAPP.
[25] Même si elles connaitront un dernier sursaut avec la controverse entre service public et puissance publique, laquelle n’est pas dépourvue de ressorts politiques.
[26] V. J.-L. Halpérin, « Les juristes dans la vie intellectuelle au tournant du XIXe et du XXe siècle », in C. Charle et L. Jeanpierre (dir.), La vie intellectuelle en France. 1. Des lendemains de la Révolution à 1914, Éditions du Seuil, 2016, p. 388 s.
[27] M. Waline, « Défense du positivisme juridique », Archives de philosophie du droit et de sociologie juridique, 1939, p. 91.
[28] P. Gonod et F. Melleray, « Gaston Jèze et le “tournant empirique” du droit administratif », Préface à la réimpression de G. Jèze, Les principes généraux du droit administratif, Tome 3, Dalloz, réimp. 2011, p. V s.
[29] M. Waline, « Défense du positivisme juridique », op. cit., p. 86.
[30] G. Vedel, Droit administratif, Les cours de droit, 1955-1956, p. 20.
[31] É. Fraysse, L’État dans la construction doctrinale du droit administratif, op. cit., p. 602.
[32] J. Waline, Droit administratif, Dalloz, 2020, p. p. 407. Évelyne Pisier écrivait déjà en 1986 que « la plupart des adeptes actuels de la « modernisation », de droite comme de gauche, n’ont-ils pas tendance à considérer que tout travail théorique sur le service public relève à la fois de l’archaïsme et de l’idéologie ? » (op. cit., p. 144).
[33] J. Caillosse, « Quel droit administratif enseigner aujourd’hui ? », La Revue administrative, 2002, n° 329, p. 465.
[34] Ibid., p. 463. v. également J.-J. Bienvenu, « Remarques sur quelques tendances de la doctrine contemporaine en droit administratif », Droits, 1985, n° 1, p. 153 s.
[35] V. G. Vedel, « Le droit administratif peut-il être indéfiniment jurisprudentiel ? », EDCE, 1979-1980, p. 31.
[36] In Mélanges en l’honneur de Michel Lascombe, Dalloz, 2020, p. 4.
[37] Sur ce point, v. C. Jamin et F. Melleray, Droit civil et droit administratif. Dialogue(s) sur un modèle doctrinal, op. cit., 2018, p. 108.
[38] J. Rivero, « Jurisprudence et doctrine dans l’élaboration du droit administratif », EDCE, 1955, p. 23.
[39] J. Caillosse, « Sous le droit administratif, quelle(s) administration(s) ? Réflexions sur l’enseignement actuel du droit administratif », in Mélanges en l’honneur du Professeur Gustave Peiser, PUG, 1995, p. 63.
[40] F. Laferrière, Cours de droit public et administratif, op. cit., 2e éd., 1841, p. VI.
[41] O. Beaud, « L’État », in Traité de droit administratif, Tome 1, op. cit., 2011, p. 212.
[42] Ibid.
[43] J. Rivero, « Remarques à propos du pouvoir hiérarchique », AJDA, 1966, p. 135.
[44] J. Caillosse, « Le « poids d’histoire » du droit administratif : une ressource politique d’actualité ? » Rev. fra. de finances publiques, 2020, n° 152, p. 5.
[45] La définition du terme est toujours discutée par les chercheurs en sciences sociales (pour un aperçu complet en lien avec le droit, voir la première note de bas de page de l’article de T. Perroud précité dans les Mélanges Regourd).
[46] Latin American Adjustment: How Much Has Happened?, Institute for International Economics, 1990, 445 p.
[47] Naissance de la biopolitique : cours au Collège de France, 1978-1979, Gallimard/Le Seuil, 2004, 368 p. Pour une approche concrète du lien entre nouvelle forme d’interventionnisme étatique et management néolibéral, voir É Couty, « Les transformations de l’administration hospitalière », RFAP 2020, n° 174, p. 351.
[48] Pour une vision d’ensemble de l’évolution historique de la réglementation économique, voir notre article Histoire de la réglementation économique, in J.-C. Videlin (dir.), La réglementation économique : une persistance, Lexis-Nexis, 2016, p. 11.
[49] Pour un exemple, nous nous contenterons de mentionner le cas du Crédit Lyonnais.
[50] Voir S. Saunier, « Solidarité et services publics », in Solidarité(s) : Perspectives juridiques,Presses de l’Université Toulouse 1 Capitole, 2009, spéc. § 12 et s. ; A. Siffert, Libéralisme et service public, Thèse Université du Havre, 2015, p. 341 et s.
[51] Voir C. Teitgen-Colly, « Déontologie et pantouflage dans la haute fonction publique. L’exemple du Conseil d’Etat », Mélanges en l’honneur de Gérard Marcou, IRJS, 2017 ; P. France, A. Vauchez, Sphère publique, intérêts privés. Enquête sur un grand brouillage, 2017, 200 p. ; et Y. Stefanovitch, Petits arrangements entre amis, Albin Michel, 2020, chapitre 11. Nous recommandons aussi aux lecteurs de visiter le site de l’ENA pour juger de la nature de la formation dispensée aux futurs hauts-fonctionnaires. Voir aussi le documentaire réalisé sur l’ENA par Gérard Cailla, à partir du texte de Pierre Legendre : ENA. Miroir d’une nation.
[52] Le dernier article récent paru dans les deux « grandes » revues des administrativistes évoquant « la crise de droit administratif » est celui de J.-P. Ferreira consacré à cette thématique et à Jean-Marie-Auby. La lecture du matériau bibliographique (et de la conclusion) permet d’apprécier l’éclipse progressive des discussions sur ce sujet dans les cinq dernières années (J.-P. Ferreira, Jean-Marie Auby et la crise du droit administratif, RFDA 2020, p. 567). On lit ainsi dans l’une des chroniques des thèses de la RFDA que « le discours » sur la crise du droit administratif est « aujourd’hui daté » (A.-L. Girard, à propos de la thèse de David Charbonnel, « Une relecture des lois du service public », RFDA 2020, p. 391).
[53] Citons le manuel de Benoît Plessix dans lequel il assume clairement le qualificatif « néolibéral » dans son approche théorique du service public, avec prudence toutefois (p. 575 et s.). Il ne nie pas non plus le rôle du droit de l’UE dans cette évolution, sans lui attribuer pour autant le « pouvoir ravageur » qui lui est parfois conféré (p. 577).
[54] CE, 11 avr. 2018, Fédération Sepanso Aquitaine et autres, n° 401753 ; CE, 22 juin 2016, Sté. SCCV Huit Douze Liberté, n° 388276 ; CE, 15 avr. 2016, Fédération nationale des associations d’usagers des transports, n° 387475, Rec. 144. Cette idée figure dès 1998 dans l’étude du Conseil d’État sur « L’Utilité publique aujourd’hui » qui explique que la décision de déclaration d’utilité publique « est censée consacrer (…) son opportunité, sa légitimité, son bien-fondé, sa rentabilité » (p. 15).
[55] Commentaire sous CE, 28 mai 1971, Ville Nouvelle Est, in Les grands arrêts politiques de la jurisprudence administrative, 2019, p. 394.
[56] Selon le titre de L. Cluzel-Métayer in AFDA, Le service public, op. cit., p. 127.
[57] L’adhésion des décideurs publics aux outils managériaux n’est évidemment pas le seul motif de l’évolution problématique du secteur hospitalier et de la santé en France (voir J. de Kervasdoué, « Les idées d’hier ont façonné les institutions d’aujourd’hui, lesquelles ne résisteront pas à la crise de demain », RFAP 2020, n° 174, p. 509).
[58] Voir, par exemple, P.-A. Juven, F. Pierru, F. Vincent, La casse du siècle. À propos des réformes de l’hôpital public, Raisons d’agir, 2019, 185 p. ; B. Mas, F. Pierru, N. Smolski, Richard Torrielli, L’hôpital en réanimation. Le sacrifice organisé d’un service public emblématique, éditions du Croquant, 2011, 366 p. Voir aussi A. Antoine, « Le régime des autorisations en matière d’établissements de santé et d’équipements hospitaliers », in Actes du Colloque « La santé à l’épreuve de la rareté », Presses Universitaires d’Aix-Marseille et Université de Perpignan, 2013, p. 61.
[59] Voir, par exemple, D. Truchet, B. Apollis, Droit de la santé publique, Dalloz, coll. Mémentos, 10e éd., 2020, 300 p. ; X. Bioy, A. Laude, D. Tabuteau, Droit de la santé, PUF, 4e éd., 2020, 724 p.
[60] Voir, dernièrement, É. Couty, op. cit.
[61] Voir P. Batifoulier, J.-P. Domin, M. Gadreau, « Mutation du patient et construction d’un marché de la santé. L’expérience française », Revue française de socio-économie, 2008, n° 1, p. 27 ; N. Belorgey, L’hôpital sous pression. Enquête sur le « nouveau management public, La Découverte, 2010, 336 p.
[62] I. Delouette, L. Nirello, « Le processus de privatisation du secteur des Établissements d’hébergement pour les personnes âgées dépendantes », Journal de gestion et d’économies médicales, 2016, n° 7, p. 407.
[63] Ibid.
[64] Loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, JO 22 juillet 2009.
[65] É. Couty, « Hôpital public : le grand virage », Les tribunes de la santé, 2013, n° 28, p. 39 ;I. Delouette, L. Nirello, « La régulation publique dans le secteur des Ehpad. Quelles conséquences pour l’avenir des établissements de l’ESS ? », RECMA, 2017, n° 344, p. 58.
[66] Voir, récemment, Q. Ravelli, « Une mine d’or pour les laboratoires », Le Monde diplomatique, avril 2020, p. 20.
[67] P. Blanc, Rapport sur la politique vaccinale de la France, Office parlementaire d’évaluation des politiques de santé, n° 476, session 2006-2007, 28 septembre 2007, p. 14. Voir aussi, dès 2004, les propos tenus par Jean-Louis Beffa dans le numéro 112 de la revue française d’administration publique, p. 697 et s.
[68] Sur ce sujet, voir P. Benkimoun, « Recherche clinique et financement privé : les liaisons dangereuses », Les tribunes de la santé, 2010, n° 28, p. 23.
[69] A.-M. Moulin « Les particularités françaises de l’histoire de la vaccination. La fin d’une exception ? », Revue d’épidémiologie et de Santé publique, 2006, n° 54, p. 84.
[70] Ibid.
[71] Qui passe aussi par le recul des particularités de la fonction publique au profit de la « gestion des ressources humaines » par le contrat (voir A. Taillefait, “La gestion des « ressources humaines”, RFDA 2020, p. 270).
[72] Loi n° 2007-1199 du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités, JO 11 août 2007.
[73] Projet de loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l’enseignement supérieur, déposé par Mme Frédérique Vidal, déposé le 22 juillet 2020 à l’Assemblée nationale.
[74] O. Beaud, « Les libertés universitaires II », 2010, n° 130, p. 470.
[75] O. Beaud, Les libertés universitaires à l’abandon ?, Dalloz, 2010, coll. Les Sens du droit », 346 p.
[76] « Les libertés universitaires I », Commentaires, 2010, n° 129, p. 183 ; « Les libertés universitaires II », op. cit., p. 469.
[77] Voir J. Aust, H. Mazoyer, Ch. Musselin, « Se mettre à l’IDEX ou être mis à l’index », Gouvernement et Action publique, 2018, n° 4, vol. 7, p. 9. Pour un exemple, voir le projet IDEX de l’Université de Lyon présenté en 2016 (et abandonné en 2019 grâce à la résistance des universitaires stéphanois) dont le site recèle des documents permettant de prendre la mesure des processus suivis (https://www.univ-lyon3.fr/idex-lyon-2016-l-excellence-partagee ; et https://idexlyon.universite-lyon.fr/).
[78] À propos de la « loi Pécresse », voir Cons. const., déc. n° 2010-20-21 QPC du 6 août 2010, M. Jean Combacau et autres.
[79] Voir A. Antoine, J.-F. Calmette, « Le tirage au sort : Le “Temps du Mépris” pour l’Université ? », AJDA 2017, p. 1417.
[80] La place de l’université et des universitaires dans les sociétés américaines et britanniques par exemple étant bien plus valorisée qu’en France. Notons que ce fut aussi à l’occasion des débats sur le projet de loi qu’une sénatrice des Républicain, soutenue par le gouvernement, avait déposé un amendement selon lequel « les libertés académiques s’exercent dans le respect des valeurs de la République » (Amendement présentée par Laure Darcos (http://www.senat.fr/enseance/2020-2021/52/Amdt_234.html). La disposition qui portait une atteinte sans précédent aux libertés académiques a finalement été neutralisée en commission mixte paritaire.
[81] Les trois rapports des groupes de travail mobilisés pour l’élaboration de la loi de programmation de la recherche n’octroient qu’une portion congrue aux sciences humaines et sociales. Seul le rapport relatif au financement de la recherche lui consacre une proposition sur seulement un page et demie (A. Petit, S. Retailleau, C. Villani, Financement de la recherche, rapport du 23 septembre 2019, p. 56).
[82] Pour un exemple de l’appropriation de cette logique par les institutions, voir Ph. Adnot, Rapport d’information fait au nom de la commission des finances sur la prise en compte de la performance dans le financement des universités, n° 130, session 2019-2020, 19 novembre 2019, 78 p.
[83] Souveraineté et liberté ; leçons faites l’université Columbia (New-York) en 1920-1921, op. cit.
[84] B. Plessix, op. cit., p. 579.
[85] « L’administration française doit-elle s’évader du droit administratif pour relever le défi de l’efficience ? », Politiques et management public, 1989, vol. 7, n° 2, p. 182.
[86] P. Lignères, « Nos certitudes et les réalités du monde », DA 2020, n° 4, repère 4.
[87] R. Debray, Contretemps. Éloge des idéaux perdus, Folio, coll. Actuel, 1992, 192 p. Voir A. Supiot, La force d’une idée, suivi de L’idée de justice sociale d’Alfred Fouillée, Les liens qui libèrent, 2019, 112 p.
[88] En ce sens, voir D. Roman, op. cit. et son article « L’État social, entre liberté et solidarité », in M. Hecquard-Théron (dir.), Solidarités(s) : perspective juridique, LGDJ et PU de Toulouse, 2009, p. 209.
[89] V. M. Leter, « Éléments pour une étude de l’École de Paris (1803-1852) », in Ph. Nemo et J. Petitot (dir.), Histoire du libéralisme en Europe, PUF, 2006, p. 429 s.
[90] P. Leroy-Beaulieu, Précis d’économie politique, éd. Ch. Delagrave, 1888, p. 356.
[91] La sociologie est alors assimilée à un « socialisme scientifique ». V. par exemple G. de Greef, La sociologie économique, Alcan, 1904, p. 104.
[92] A.-J. Arnaud, « Une doctrine de l’État tranquillisante : le solidarisme juridique », Archives de philosophie du droit, 1976, vol. 21, p. 131 s.
[93] L. Bourgeois, Solidarité, Armand Colin, 1896, p. 101.
[94] É. Durkheim, « Analyse de l’ouvrage de S. Merlino, Formes et essence du socialisme », Revue philosophique, 1916, p. 439.
[95] M. Hauriou, « Le régime d’État », Revue socialiste, 1904, Tome 39, p. 566.
[96] L. Jaume, L’individu effacé ou le paradoxe du libéralisme français, Fayard, 1997, p. 11.
[97] V. par exemple L. Duguit, L’État, le droit objectif et la loi positive, Fontemoing, 1901, p. 260 s.
[98] M. Hauriou, Principes de droit public, op. cit., 2e éd., 1916, p. 355.
[99] On ne saurait ici nier l’existence de divergences entre Duguit et Hauriou sur cette question. À titre symptomatique, v. la préface à M. Hauriou, Précis de droit administratif et de droit public général, Sirey, 11e éd., 1927.
[100] N. Delalande, « Le solidarisme de Léon Bourgeois, un socialisme libéral ? », La vie des idées.fr, 30 janvier 2008 (https://laviedesidees.fr/Le-solidarisme-de-Leon-Bourgeois.html).
[101] S. Saunier a bien démontré la portée aléatoire et relative de la solidarité dans le droit des services publics contemporain (op. cit.).
[102] Comme le souligne Sébastien Saunier, la promotion du service public à la française a conduit à justifier l’intervention constante et croissante de l’État. Reprenant L. Nizard, il écrit que « à travers le service public que l’État “peut le mieux symboliser cette nouvelle solidarité technique qui se substitue à l’ancienne solidarité politique” et qui pourvoit au bien-être de l’individu (op. cit., § 10).
[103] Sur ce sujet, voir L. Bahougne, Le financement du service public, LGDJ, coll. Bibliothèque de Droit public, 2015, t. 289, 686 p. ; et A. Siffert, « Service public et intervention des personnes publiques dans une Europe libérale », Rev. UE 2012, p. 449.
[104] Les études sont nombreuses à ce sujet (notamment de la part de l’économiste Thomas Piketty). Voir, récemment, J.-P. Dufrègne, Rapport en faveur de la contribution des hauts revenus et des hauts patrimoines à l’effort de solidarité nationale, Assemblée nationale, 10 juin 2020, spéc. p. 12 et s.
[105] Voir Cour des comptes, Les droits d’inscription dans l’enseignement supérieur public, novembre 2018, 206 p.
[106] Sur l’évolution « antidémocratique » du droit administratif contemporain, voir T. Perroud, « Essai sur les caractères néolibéraux du droit administratif contemporain », op. cit., p. 567 et s.
[107] Gilles Dumont cite M. Cornu, « Le bien commun, nouvelle catégorie juridique ? », La revue du Centre Michel de l’Hospital, 2019, n° 19, p. 88.
[108] G. Dumont, « Gratuité et service public : (in)actualité d’un principe », AJDA 2020, p. 980. Voir P. Napoli, « Mission de service public », in M. Cornu, F. Orsi et J. Rochfeld, Dictionnaire des communs, PUF, 2017, p. 1101.
[109] T. Perroud, « Service public et communs : entre nationalisation et privatisation », AOC, 24 juin 2020. Dans le cas des ressources rares, « La demande citoyenne pourrait aller dans le sens d’un prix bas, lequel constitue une incitation à épuiser la ressource ».
[110] Loi n° 2001-624 du 17 juillet 2001. Voir Y.-A. Liénard, « Du service public au service citoyen. Le Scic, un statut adapté à cette ambition », RECMA 2016, n° 340, p. 65. Quant aux exemples étrangers, le statut des public trusts britanniques dans les secteurs culturel et social nous paraît intéressant à méditer.
[111] Un de ses avatars est le « conservatisme rouge » incarné par le think tank ResPublica (P. Blond, Phillip, “Rise of the red Tories”, Prospect, 28 février 2009 ; Radical Republic: How Left and Right Have Broken the System and How We Can Fix It, W. W. Norton & Company, 2012, 288 p.) qui a connu un réel succès, y compris dans les médias de centre gauche (P. Blond, “The true Tory progressives”, The Guardian, 30 mai 2008). L’ancien Premier ministre David Cameron a prétendu s’en inspirer par le projet de Big Society pour justifier des coupes budgétaires de nature thatchérienne. Malgré ce détournement qui a minoré ensuite sa réception publique, le think tank formule nombre de propositions intéressantes pour réconcilier solidarité collective et libertés au-delà des cadres étatiques et néolibéraux.
[112] N. Delalande, op. cit.
[113] CE, 6 avril 2007, Commune d’Aix-en-provence, RFDA, 2007, p. 812 ; et CE, 22 février 2007, Association du personnel relevant des établissements pour inadaptés, JCP A. 2007, p. 2066.
[114] Op. cit. Nous renvoyons à l’article et à celui publié aux Mélanges Regourd pour permettre au lecteur d’apprécier plus en détail ces solutions à la fois anciennes et inspirées de pratiques anglo-saxonnes.
[115] T. Perroud, « Service public et communs : entre nationalisation et privatisation », op. cit.
[116] Cela implique l’enrichissement des lois traditionnelles du service public par des principes plus contemporains que sont l’accès à l’information, la transparence ou la participation. Le droit de l’UE serait, de ce point de vue, d’un utile recours dès lors que les principes du service universel reviendraient à leur conception originelle qui nous vient des États-Unis et qui fait de l’usager (non le prestataire dans le cadre de la réalisation d’un marché où la concurrence est libre et non faussée) le cœur de la gestion du service, au prix de l’acceptation éventuelle d’un monopole (voir M. Tourbe, « Service public versus service universel : une controverse infondée ? », Critique internationale, 2004, n° 24, p. 21).
[117] N. Delalande, op. cit.
[118] L’intérêt financier des personnes publiques ne saurait être exclu a priori. C’est la question de la place croissante et parfois exclusive du « souci » financier dans la détermination des politiques publiques qui pose problème lorsqu’il conduit à ne pas améliorer le fonctionnement du service public, voire le détériore (F. Alhama, L’intérêt financier dans l’action des personnes publiques, Dalloz, 2018, Nouvelle bibl. de thèses, § 23 et § 599).
[119] « Focus sur la propriété publique », dalloz-actu-etudiant.fr, 4 novembre 2020.
[120] Cons. const. déc. n° 86-201 DC, Loi autorisant le gouvernement à prendre diverses mesures d’ordre économique et social, Rec p. 61 ; déc. n° 96-380 DC, Loi relative à l’entreprise nationale France Télécom, Rec. p. 99, CE Sect. 27 sept. 2006, François Bayrou et autre, AJDA 2006, p. 2056 ; avis CE, 14 juin 2018, relatif à la croissance et à la transformation des entreprises, n°° 394.599 et 395.02. Voir G. Marcou, « Que reste-t-il de l’alinéa 9 du Préambule de la Constitution de 1946 ? », AJDA 2007, p. 192 ; G. Quiot, « La révision de l’alinéa 9 du Préambule de la Constitution de 1946 par le Conseil constitutionnel, LPA 2007, n° 48, p. 4 ; et notre thèse Prérogatives de puissance publique et droit de la concurrence, LGDJ, 2009, coll. Bibl. de Droit public, t. 261, § 260 et s.
[121] Voir G. Clamour, P.-Y. Gahdoun (dir.), « QPC et économie », Titre VII, Hors-série Les dix ans de la QPC, octobre 2020, https://www.conseil-constitutionnel.fr/publications/titre-vii/qpc-et-economie.
[122] Voir M. Lombard, « Les limites constitutionnelles à la privatisation des entreprises dont l’activité a le caractère d’un monopole »,in Mélanges en l’honneur de Franck Moderne. « Mouvement du droit public », Dalloz, 2004, p. 684.
[123] Voir A. Antoine, M. Lahouazi, « Privatisation vs Nationalisation : Faut-il choisir son camp ? Réflexions à partir de la comparaison franco-britannique relative à l’exploitation du rail », AJDA 2018, p. 1758.
[124] Voir C. Lequesne-Roth, « Retour sur la crise des “subprimes”. Autopsie d’une déraison d’État », Rev. internationale de droit économique, 2009, t. XXIII/2, p. 219.
[125] Voir le récapitulatif produit par A. Sée dans son article à la Revue des droits et libertés fondamentaux, « Les libertés économiques en période de crise sanitaire : un premier état des lieux », 2020, chron. n° 21.
[126] T. Perroud, op. cit.
[127] D. Mazeaud, « Loyauté, solidarité, fraternité : la nouvelle devise contractuelle ? », Mélanges François Terré, Dalloz, Juris-classeur, PUF, 1999, p. 603.
[128] « Mais qui a peur du solidarisme contractuel ? », Rec. Dalloz 2005, p. 1828.
[129] Sur la place du juriste et de son refus d’apparaître comme un « intellectuel », voir L. Fontaine, Qu’est-ce qu’un grand juriste ?, Essai sur les juristes et la pensée juridique contemporaine, LGDJ, 2012, 196 p.