L’impardonnable légèreté du Conseil constitutionnel avec l’impartialité
Par Jérôme Graefe, Juriste environnement et Thomas Perroud, professeur de droit public à l’Université Panthéon-Assas (CERSA), Fellow de la Fondation Humboldt (Experienced Researcher)
S’il ne fallait qu’un exemple du caractère oligarchique de notre régime politique et donc de la fermeture du pouvoir à la société civile, le jeu de chaise musicale qui s’est joué entre le Gouvernement et le Conseil constitutionnel au moment de la décision Association “La Sphinx” du 1er avril 2022 (Décision n° 2022-986 QPC) en serait un parfait exemple. L’association en question, soutenue dans ses prétentions par rien moins que France nature environnement contestait une disposition du Code de l’urbanisme dont l’effet est d’empêcher les associations de contester certaines décisions d’urbanisme relative à l’occupation du sol (un permis de construire par exemple). Était donc contestée une disposition législative hautement symbolique puisque son objet est d’empêcher l’accès à la justice. Elle supprime donc un contre-pouvoir essentiel dans une société démocratique. L’objet n’est pas ici de critiquer le fond, mais l’apparence d’impartialité de deux juges qui ne se sont pas déportés : M. Jacques Mézard et Mme Jacqueline Gourault, ayant tous les deux été ministres de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales en charge directe de ces sujets.
En effet, l’article du Code de l’urbanisme en discussion devant le Conseil constitutionnel avait été modifié par le projet de loi ELAN déposé le 4 avril puis promulgué le 27 novembre 2018. M. Jacques Mézard alors ministre avait vanté “l’ambition du projet de loi ELAN” en s’attaquant aux recours, réitérant explicitement sa position en faveur du texte pour lutter contre les recours abusifs devant l’Assemblée nationale, le 3 octobre 2018. Quant à Mme Jacqueline Gourault succédant à Jacques Mézard le 16 octobre 2018 à ce poste, elle aussi soulignait par communiqué en date du 27 novembre 2018, les bienfaits des “solutions concrètes” de la loi ELAN en visant aussi explicitement les mesures contre les recours soit-disant abusifs. Mais au-delà, la ministre s’est aussi chargée de la mise en œuvre du texte en prenant une circulaire le 21 décembre 2018 de présentation des dispositions d’application immédiates de la loi ELAN…
Deux ministres directement impliqués dans la politique de fermeture de la justice aux revendications de la société civile se retrouvent comme “sages” à juger de la constitutionnalité des dispositions législatives qu’ils ont portées. Dès lors, comment pouvaient-ils aborder l’affaire en traitant de manière égalitaire les parties, le Gouvernement et la société civile, sans opinion préconçue, sans préjugement ?
Cependant, contre toute attente, le règlement intérieur du Conseil blanchit tout simplement ce type de soupçon de partialité : “Le seul fait qu’un membre du Conseil constitutionnel a participé à l’élaboration de la disposition législative faisant l’objet de la question de constitutionnalité ne constitue pas en lui-même une cause de récusation.” La conséquence est simple : pour les sages, nul besoin de se déporter. Le justiciable se trouve privé de la possibilité de récuser, alors même que l’impartialité de la juridiction n’est pas garantie… Comment le Conseil peut-il estimer que le fait d’avoir été impliqué dans l’élaboration d’une loi n’entache pas l’impartialité d’un juge ? Cette disposition n’est rien moins qu’une disposition scélérate.
Comble d’iniquité, dans l’affaire qui nous occupe, il était impossible de demander la récusation de Mme Jacqueline Gourault. La demande doit en effet être “enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel avant la date fixée pour la réception des premières observations.” Or, Jacqueline Gourault fut nommée le 1er mars, postérieurement à la réception des premières observations…
Nous le disions au début, cette impardonnable légèreté du Conseil constitutionnel avec l’impartialité illustre la clôture du pouvoir à la société civile et aux exigences fondamentales de la justice. Quelle juridiction constitutionnelle digne de ce nom laisserait passer de tels manquements à l’impartialité !