Le droit au défi des identités de genre
Par Olivia Bui-Xuan, Professeure de droit public, CRLD, Université Paris-Saclay (Univ Evry)
Les identités de genre sont au cœur de l’actualité, y compris juridique : en 2020, la France s’est dotée d’une politique publique ambitieuse consacrée aux LGBT+, à travers le Plan national d’actions pour l’égalité des droits, contre la haine et les discriminations anti-LGBT+ pour 2020-2023[1]. Si cette feuille de route a trait tant aux orientations sexuelles qu’aux identités de genre, on se concentrera ici uniquement sur les secondes[2].
La notion même d’identité de genre étant encore faiblement connue du grand public et des juristes, il apparaît nécessaire d’apporter quelques précisions terminologiques[3]. L’identité de genre renvoie au ressenti de genre des individus et donc à la perception interne de leur genre soit, pour le dire vite, le sexe psychologique[4]. On définit donc l’identité de genre comme l’« expérience intime et personnelle du genre vécue par une personne, indépendamment du sexe assigné à la naissance »[5]. Comme l’explique Alexandre Jaunait, « l’identité de genre est originellement une catégorie médicale et psychologique liée à l’intervention clinique de la ‘transsexualité’ par les psychologues et sexologues étasuniens des années 1950 et 1960. Elle désigne une forme de conscience de soi sexuée qui se distingue de la notion de sexe biologique, et la dédouble en même temps dans le domaine de la psyché et de l’identité intérieure »[6].
Juridiquement, la notion d’identité de genre concerne actuellement moins les personnes cisgenres – soit les individus dont le genre ressenti (masculin ou féminin) correspond au genre assigné à la naissance – que les personnes transgenres, anciennement appelés « transexuels », aujourd’hui uniquement « trans » ou « trans’ », soit des personnes dont l’identité de genre ne correspond pas au sexe biologique, et donc au genre, assigné à la naissance. Par exemple, un individu assigné à la naissance au genre masculin en raison de son sexe biologique masculin peut considérer qu’il ne relève pas du genre masculin mais du genre féminin. Cet individu se perçoit comme femme ; ce sera alors une femme trans. Précisons qu’une personne trans n’engage pas forcément de démarches pour une transition physique, sociale ou pour un changement de sexe à l’état civil.
Il convient par ailleurs d’indiquer que si l’on considère la transidentité comme un terme générique désignant une déconnexion entre le genre assigné à la naissance et le genre intimement ressenti, on trouve, parmi les individus trans, les trans binaires, c’est-à-dire ceux qui se perçoivent dans l’autre genre que celui qui leur a été assigné à la naissance (on parle donc de femmes ou d’hommes trans) mais également des trans non binaires – qu’on appelle souvent uniquement les non-binaires[7] – c’est-à-dire les individus qui ne se reconnaissent ni dans le genre féminin, ni dans le genre masculin, autrement dit les « personnes qui ne se reconnaissent pas dans la dualité de genre entre hommes et femmes »[8]. Par certains aspects, au niveau juridique, les revendications des non-binaires peuvent rejoindre celles des personnes intersexuées encore appelées intersexes, soit les « personnes qui naissent avec des variations de développement sexuel, qu’elles soient génétiques, hormonales ou anatomiques, et qui présentent donc des caractéristiques considérées à la fois comme masculines et féminines »[9].
Un dernier point lexical est nécessaire : l’identité de genre ne se confond pas avec l’expression de genre. Alors que l’identité de genre concerne le genre ressenti par l’individu, l’expression de genre est le genre exprimé. Il s’agit de l’« ensemble des caractéristiques visibles pouvant être associées à un genre, qu’il s’agisse du comportement ou de l’apparence physique (vêtements, bijoux, maquillages, coupe de cheveux, etc.) »[10]. On peut, à ce propos, parfois constater un décalage entre identité de genre et expression de genre : par exemple, une personne qui se sent appartenir au genre féminin, mais qui porte une barbe. Cette personne aura une identité de genre féminine mais une expression de genre masculine, ce qui peut être troublant. Dans sa décision du 26 janvier 2017, le Conseil constitutionnel, lui-même, a retenu « le genre auquel s’identifie une personne, qu’il corresponde ou non au sexe indiqué sur les registres de l’état civil ou aux différentes expressions de l’appartenance au sexe masculin ou au sexe féminin »[11].
Le décalage ou l’absence de concordance entre le genre ressenti et le genre assigné à la naissance a toujours existé chez certaines personnes[12]. Dans le vocabulaire médical, c’est ce qu’on appelle la dysphorie de genre ou la non-congruence de genre, lesquelles ne sont plus considérées par l’OMS comme relevant de troubles psychiatriques[13]. Selon les sociétés et les périodes, cette réalité est plus ou moins bien acceptée[14] et plus ou moins visible. En France, elle a pendant longtemps été marginalisée[15].
La notion d’identité de genre a été saisie par le législateur français[16] à partir de 2016 pour réprimer les discriminations et propos haineux à l’égard des personnes transgenres : les deux grands textes en la matière sont la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice au XXIe siècle[17] et la loi du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté[18]. Ces lois ont prohibé les discriminations fondées sur l’identité de genre et en ont fait une circonstance aggravante de certains crimes ou délits.
En 2016, la substitution de l’« identité de genre » à l’« identité sexuelle »[19] – qui avait été introduite dans la législation par la loi n° 2012-954 du 6 août 2012 relative au harcèlement sexuel –, largement encouragée par le Défenseur des droits, a soulevé des réticences chez un certain nombre de parlementaires qui y ont vu une victoire de ce qu’ils appellent la « théorie du genre ». On a récemment pu percevoir de telles réserves lors de l’examen de la proposition de loi interdisant les thérapies de conversion[20] ou au sujet des affiches visant à lutter contre la transphobie, à l’initiative de Santé publique France et de la DILCRAH[21] (dont l’une indique : « Oui, ma petite fille est trans. Face à l’intolérance, à nous de faire la différence ») diffusées en mai 2021[22].
Bien que non consensuelle, la notion d’identité de genre n’est plus aujourd’hui cantonnée à la médecine ou à des sphères militantes : depuis cinq ans, elle se diffuse dans le droit français, notamment pour lutter contre les discriminations, actes et propos haineux à l’encontre des transgenres, comportements que l’on qualifie communément de « transphobes ».
On trouve ainsi désormais cette expression aux articles 132-77, 222-13, 225-1, 226-19, R. 625-7, R. 625-8, R. 625-8-1 du code pénal, aux articles 24, 32, 33, 48 et 48-4 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, mais également aux articles L. 1132-1 et L. 1321-3 du code du travail, à l’article 6 du statut général de la fonction publique (article L. 131-1 du code général de la fonction publique depuis le 1er mars 2022), aux articles L. 332-18 et L. 332-19 du code du sport[23] ou encore à l’article L. 531-15 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile et L. 212-1 du code de la sécurité intérieure[24]. S’agissant des propos haineux, le décret n° 2017-1230 relatif aux provocations, diffamations et injures non publiques présentant un caractère raciste ou discriminatoire, la circulaire du 4 avril 2019 relative à la lutte contre les discriminations, les propos et les comportements haineux et la circulaire du 24 novembre 2020 relative à la lutte contre la haine en ligne intègrent également cette notion. Il est également remarquable de constater qu’elle a été insérée dans le décret n° 2021-1922 du 30 décembre 2021[25], après que le Conseil supérieur de l’audiovisuel a relevé qu’elle ne figurait pas dans la version initiale[26].
De marginale, la question des identités de genre est devenue sociétale, surtout chez les jeunes qui n’hésitent plus à exprimer leurs questionnements sur leur genre. Ainsi, selon une enquête de l’IFOP de novembre 2020, 22 % des 18-30 ans ne se sentent ni homme ni femme[27]. Au-delà des jeunes, dans certains pays, il est aujourd’hui banal de préciser, en entreprise ou sur les réseaux sociaux, le pronom correspondant à son identité de genre (en français « il », « elle » ou « iel »), évolution lexicale entérinée, le 17 novembre dernier, par l’intégration du pronom « iel » dans l’édition en ligne du Robert, ce qui a été critiqué par différentes personnalités, au premier rang desquelles le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer.
Loin du « phénomène de mode » ou de ce que certains ont qualifié d’« épidémie »[28], les questions relatives à l’identité de genre sont aujourd’hui fréquentes[29]. Le droit n’est pas hermétique à de telles évolutions sociétales. Outre les textes précités mentionnant l’identité de genre au titre des motifs de discrimination ou de circonstance aggravante, dans différents secteurs, des textes spécifiques ont été rédigés afin que les administrations et les agents publics soient davantage respectueux de l’identité de genre et préviennent les actes considérés comme transphobes : Recommandations de la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche du 17 avril 2019 pour favoriser l’inclusion des personnes transgenres dans la vie étudiante et dans les établissements d’enseignement supérieur et de recherche, décision-cadre du Défenseur des droits relative au respect de l’identité de genre des personnes transgenres du 18 juin 2020, avis du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) du 25 mai 2021 relatif à la prise en charge des personnes transgenres dans les lieux de privation de liberté, ou encore circulaire du Ministre de l’Éducation nationale du 29 septembre 2021 pour une meilleure prise en compte des questions relatives à l’identité de genre en milieu scolaire, laquelle se réfère par ailleurs au plan gouvernemental d’actions pour l’égalité des droits, contre la haine et les discriminations anti-LGBT+ 2020-2023.
Si cette réalité sociétale qu’est l’identité de genre a récemment été saisie par le droit français, ce n’est pas sans bousculer les catégories juridiques préexistantes. La reconnaissance juridique des identités de genre met ainsi le droit au défi, et ce au moins à double titre.
En premier lieu, dans la mesure où les identités de genre s’appuient sur un ressenti, sur une expérience intime par essence subjective, on peut se demander si le droit peut les entériner (I).
En second lieu, on peut s’interroger sur le point de savoir si la reconnaissance juridique des identités de genre ne risque pas de mettre en concurrence, d’une part la pluralité des identités de genre entre elles et, d’autre part, les droits des trans avec les droits des femmes (II).
I. Le droit peut-il entériner un ressenti ?
On pourrait formuler la question en termes de droits fondamentaux, en se demandant s’il existe un droit fondamental au respect de l’identité de genre. Cette interrogation comprend plusieurs déclinaisons selon que l’on intègre les identités de genres binaires ou non-binaires : elle pose non seulement la question du droit à l’autodétermination du genre (A) mais encore la question du droit à l’indétermination du genre (B).
A. La question du droit à l’autodétermination du genre
Les personnes transgenres binaires revendiquent un droit à l’autodétermination – parfois appelé droit à l’« autonomination »[30] ou à l’autoidentification – de leur genre. Elles mettent l’accent sur l’« identité de genre autoperçue »[31] et refusent que la détermination de leur genre relève de la sphère médicale, comme cela a longtemps été le cas. En termes d’autonomie de la personne, on comprend qu’il est important, pour ne pas dire essentiel, pour les individus concernés de ne pas dépendre d’une assignation extérieure et de s’émanciper du diagnostic médical. Dans un arrêt de 2003, la CEDH a affirmé que « Bien qu’il n’ait été établi dans aucune affaire antérieure que l’article 8 de la Convention comporte un droit à l’autodétermination en tant que tel, la Cour considère que la notion d’autonomie personnelle reflète un principe important qui sous-tend l’interprétation des garanties de l’article 8 (Pretty c. Royaume-Uni, no 2346/02, § 61, CEDH 2002-III). La dignité et la liberté de l’homme étant de l’essence même de la Convention, le droit à l’épanouissement personnel et à l’intégrité physique et morale des transsexuels est garanti (I. c. Royaume-Uni, § 70, et Christine Goodwin, § 90, précités) »[32] et a évoqué « le droit de la requérante au respect de son droit à l’autodétermination sexuelle considéré comme l’un des aspects de son droit au respect de sa vie privée »[33].
On constate par ailleurs que certains pays reconnaissent un droit à l’autodétermination du genre pour le changement de sexe à l’état civil ou sur la carte d’identité, à partir d’une logique autodéclarative. Tel est le cas de l’Argentine[34], du Danemark, de Malte, de l’Irlande, de la Colombie ou de la Norvège[35].
La Cour interaméricaine des droits de l’Homme se réfère quant à elle expressément à « l’identité de genre auto-perçue » et indique que les procédures de modifications du genre « devraient être fondées uniquement sur le consentement libre et éclairé du demandeur, sans impliquer des exigences telles que des certifications médicales et/ou psychologiques ou autres qui pourraient être déraisonnables ou pathologisantes »[36]. Ce droit à l’autodétermination de son genre peut être conçu comme un « droit à l’identité de genre »[37].
S’agissant des demandes de changement de sexe à l’état civil, le droit français ne reconnaît pas ce droit à l’autodétermination du genre. Il a néanmoins récemment évolué. En effet, jusqu’en 2016, la jurisprudence prévoyait des expertises médicales pour modifier la mention du sexe à l’état civil. Plus précisément, en 1992[38], l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a considéré qu’il fallait autoriser le changement de sexe à l’état civil, seulement « à la suite d’un traitement médicochirurguical, subi dans un but thérapeutique, [lorsque] une personne présentant le syndrome du transsexualisme ne possède plus tous les caractères de son sexe d’origine et a pris une apparence physique la rapprochant de l’autre sexe auquel correspond son comportement social ». Elle ne se fondait donc pas sur un quelconque droit à l’autodétermination mais conditionnait le changement de sexe à l’existence d’une pathologie attestée par un médecin, soit à une « reconnaissance médicale »[39]. En 2012, la première chambre civile de la Cour de cassation[40] a remplacé le traitement médicochirurgical par la notion de « caractère irréversible de la transformation de l’apparence », tout en maintenant l’exigence d’établir « la réalité du syndrome de transsexualisme ». Mais certains juges ont interprété le caractère irréversible comme une exigence de stérilisation. La France a, à ce titre, été condamnée par la CEDH en 2017[41] pour violation de la vie privée.
La loi du 18 novembre 2016 a fait évoluer ces exigences[42] : l’article 61-5 du code civil dispose désormais que « Toute personne majeure ou mineure émancipée qui démontre par une réunion suffisante des faits que la mention relative à son sexe dans l’état civil ne correspond pas à celui dans lequel elle se présente et dans lequel elle est connue peut en obtenir la modification », précisant que « les principaux de ces faits, dont la preuve peut être rapportée par tous moyens, peuvent être :
1° Qu’elle se présente publiquement comme appartenant au sexe revendiqué ;
2° Qu’elle est connue sous le sexe revendiqué de son entourage familial, amical ou professionnel ;
3° Qu’elle a obtenu le changement de son prénom afin qu’il corresponde au sexe revendiqué ; ».
L’article 61-6 du code civil indique quant à lui que « (…) Le demandeur fait état de son consentement libre et éclairé à la modification de la mention relative à son sexe dans les actes de l’état civil et produit tous éléments de preuve au soutien de sa demande.
Le fait de ne pas avoir subi des traitements médicaux, une opération chirurgicale ou une stérilisation ne peut motiver le refus de faire droit à la demande (…) ».
Si la procédure a donc été démédicalisée, la personne souhaitant une modification de la mention du sexe à l’état civil doit néanmoins apporter des éléments extérieurs « objectifs » attestant son identité de genre. Ceux-ci sont fondés sur la manière dont les individus qu’elle côtoie la perçoivent. Comme l’indique Alexandre Jaunait, la loi de 2016 a substitué à l’exigence de « reconnaissance médicale » l’exigence de « reconnaissance sociale »[43]. Les preuves « sociales »[44], qui succèdent – sans se substituer totalement[45] – aux preuves médicales, ne sont pas accueillies par les tribunaux de façon homogène. En l’état actuel du droit, la France exige donc des éléments extérieurs relevant davantage de l’expression de genre que de l’identité de genre et n’entérine pas le seul sentiment de la personne qui sollicite une telle modification. La Défenseure des droits invite à des évolutions en la matière : dans sa décision-cadre, elle « recommande à la ministre de la Justice de mettre en place des procédures de changement de prénom(s) et de la mention du sexe à l’état civil qui soient déclaratoires, accessibles et rapides, par la production auprès des officiers d’état civil d’une attestation sur l’honneur circonstanciée caractérisant un intérêt légitime, afin de garantir les droits fondamentaux et la dignité des personnes transgenres »[46]. Si, pour certains, la loi de 2016 n’est pas allée assez loin, ses conséquences sont pourtant loin d’être anodines : une personne ayant un vagin peut être inscrite comme homme à l’état civil et une personne ayant un pénis peut y être inscrite comme femme, sans prendre de traitements hormonaux.
L’exigence de reconnaissance sociale n’est en revanche pas requise au sein des administrations. En effet des textes récents indiquent qu’il faut autant que possible respecter l’identité de genre auto-perçue.
S’agissant du milieu carcéral, l’Ensemble de règles minima des Nations unies pour le traitement des détenus, dites Règles Nelson Mandela datant de 1955 prévoient l’autodétermination en matière d’identité de genre lors de l’incarcération[47]. En France, en 2019, la Direction générale de la police nationale a adressé à ses services des instructions sur les fouilles et l’hébergement des personnes transgenres appréhendées[48]. La CGLPL regrette que des textes contraignants n’aient pas été rédigés en la matière. Selon elle, « des modifications législatives et réglementaires doivent intervenir dans les plus brefs délais pour tirer toutes les conséquences des changements opérés par la loi du 18 novembre 2016 »[49]. Dans les recommandations émises dans son avis du 25 mai 2021, il est indiqué que « la transidentité se présente comme une autodétermination, qui, à l’issue d’une démarche personnelle, ne s’accompagne pas systématiquement de transformations physiques ou d’une modification d’état-civil. Toute personne transgenre s’identifiant comme une femme est une femme et doit être reconnue comme telle ; toute personne transgenre s’identifiant comme un homme est un homme et doit être reconnu comme tel également ».
S’agissant du milieu scolaire et universitaire, sans évoquer expressément l’« autodétermination de genre », les recommandations du 17 avril 2019 de la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche invitent « l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur et de recherche à faciliter l’utilisation du prénom d’usage sur les documents et pièces internes à l’établissement pour les personnes transgenres, tout au long de leur scolarité ou de leur carrière professionnelle »[50]. De même, la circulaire Blanquer indique que « L’identité de genre est (…) propre à chaque individu et à son ressenti intime » et que « la prise en considération de l’identité de genre revendiquée de la part d’un ou d’une élève ne doit pas être conditionnée à la production d’un certificat ou d’un diagnostic médical ou à l’obligation d’un rendez-vous avec un personnel de santé ». Par suite, « quand l’état civil n’a pas été modifié, si la demande est faite avec l’accord des deux parents de l’élève mineur, il s’agit alors de veiller à ce que le prénom choisi soit utilisé par l’ensemble des membres de la communauté éducative (…) »[51]. Si le texte cherche à ce que l’administration scolaire respecte davantage l’identité de genre des élèves, le changement de prénom et de pronom ne peut cependant être réalisé sans accord des deux parents des mineurs, ce qui ne va pas dans le sens d’un droit effectif à l’autodétermination et est susceptible d’engendrer un certain nombre de difficultés pour les jeunes dont les parents n’acceptent pas leur identité de genre[52].
Quoi qu’il en soit, la question du droit à l’autodétermination du genre s’inscrit dans la bicatégorisation des genres : les individus s’autodéterminent hommes ou femmes. Ce faisant, les trans « préserv[ent] le caractère structurant du genre »[53]. Ils et elles reconstruisent ainsi leur genre, quitte parfois – mais pas toujours – à conforter certains stéréotypes de genre que d’autres cherchent à effacer. Le changement de prénom et de pronom constitue à ce titre une étape importante dans leur processus de transition sociale, transition sociale qui ne va pas forcément s’accompagner d’une transition médicale. Le mégenrage, soit la « pratique consistant à se référer au sexe assigné à la personne à sa naissance et à utiliser le champ lexical y afférent, en faisant fi du genre auto-identifié (par exemple, dire ’monsieur’ à une femme transgenre) »[54] est considéré comme une pratique discriminatoire.
Les personnes trans binaires sont donc dans une démarche de reconstruction de leur genre conforme à la bicatégorisation constituée du féminin et du masculin[55].
En parallèle des revendications liées à l’autodétermination du genre, la bicatégorisation des genres est interrogée par les personnes non-binaires qui, elles, ne se reconnaissent pas dans la dualité de genres. Par suite, celles-ci aspirent moins à un droit à l’autodétermination du genre qu’à un droit à l’indétermination du genre.
B. La question du droit à l’indétermination du genre
Comme les individus trans binaires, les personnes non-binaires ne constituent pas une catégorie homogène : il en existe une pluralité qui relèvent de différentes catégories qu’on est ici contraint de simplifier[56]. Certains non-binaires considèrent le genre non pas dans sa binarité mais plus comme un spectre comprenant une gradation allant du féminin au masculin et peuvent par exemple se sentir 70 % femme et 30 % homme ou 50 % femme et 50 % homme. D’autres se reconnaissent plus ou moins dans l’un des genres selon les périodes, ce qu’on appelle la fluidité de genres. D’autres, enfin, nient purement et simplement l’existence des genres qu’ils perçoivent comme une construction sociale et, bien souvent, un vecteur de domination. Convaincus, à l’instar de Judith Butler[57], que le genre possède une dimension performative, ils peuvent se définir comme agenres.
Même si un certain nombre d’entre eux peuvent recourir à une transition sociale (en optant par exemple pour un changement de prénom), voire médicale, ils cherchent moins à reconstruire leur genre, qu’à déconstruire la bicatégorisation traditionnelle des genres : il s’agit de « débinariser le genre » en effaçant la « dichotomie genrée »[58]. Ce faisant, sur différents points, ils sont susceptibles de rejoindre les démarches de certaines personnes intersexes. D’ailleurs si, en France, l’expression « intersexe » ou « intersexuée »[59] désigne les personnes nées avec des variations des caractéristiques sexuées[60], dans certains États, des auteurs utilisent l’expression « intersexe » « dans un sens large, y compris la personne qui ne veut pas être dans la logique binaire mais dans un troisième sexe, celle qui veut être quelque fois dans un sexe et quelque fois dans un autre, ou définitivement sans sexe »[61].
La déconstruction de la binarité des genres et la revendication d’un droit à l’indétermination du genre peuvent se concrétiser juridiquement de plusieurs manières : soit en supprimant purement et simplement la mention du sexe dans les documents d’état civil et dans les documents administratifs, soit en reconnaissant un 3e genre, encore appelé genre ou sexe neutre[62].
En France, en 2015, on a pensé que le sexe neutre allait être reconnu par les tribunaux. Le tribunal de grande instance de Tours avait admis la possibilité pour une personne intersexuée, ne se concevant ni comme homme, ni comme femme, de faire inscrire sur son état civil le caractère « neutre » de son sexe. La Cour d’appel d’Orléans, sur appel du procureur, a néanmoins infirmé ce jugement, estimant que le requérant appartenait au sexe masculin. Dans un arrêt du 4 mai 2017, la Cour de cassation a pour sa part affirmé que « si l’identité sexuelle relève de la sphère protégée par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la dualité des énonciations relatives au sexe dans les actes de l’état civil poursuit un but légitime en ce qu’elle est nécessaire à l’organisation sociale et juridique, dont elle constitue un élément fondateur »[63].
En l’état actuel du droit, la France ne reconnaît donc pas de 3e genre ou genre neutre, à la différence de l’Allemagne, l’Argentine, l’Australie, l’Inde, la Malaisie, la Nouvelle-Zélande, le Népal, ou encore la Suisse[64]. Depuis le 11 avril 2022, les passeports américains peuvent quant à eux comprendre la case « X »[65].
Si elle permet de prendre en considération les personnes intersexes et les non-binaires, la reconnaissance juridique d’un 3e genre est également susceptible d’engendrer certains effets pervers, notamment en termes de stigmatisation. Ainsi, Marie-Xavière Catto rappelle que les propositions de certains juristes et médecins du XIXe siècle de reconnaître un 3e sexe « s’inscrivent dans une logique de prévention de l’inversion »[66]. Par suite, le refus des tribunaux de reconnaître un sexe neutre visait surtout à protéger les personnes intersexes que certains voulaient identifier à travers la catégorie de « sexe douteux », notamment pour interdire à ces individus de contracter un « mariage monstrueux »[67]. Les tribunaux français préféraient permettre aux intersexes de modifier leur sexe sur les documents d’état civil, entérinant en cela la bicatégorisation des genres.
Cependant, sous l’effet des changements de mentalité et de mœurs, d’une part, et des évolutions juridiques – notamment la reconnaissance du mariage entre personnes de même sexe ou l’ouverture de la PMA aux couples de femmes –, d’autre part, la question du maintien de la bicatégorisation juridique des sexes et des genres apparaît en France sous un jour nouveau, d’autant plus que des États, comme l’Espagne ou la Belgique, ont annoncé vouloir légiférer sur la suppression de la mention du sexe sur les cartes d’identité. À ce titre, on peut considérer que la suppression pure et simple de la mention du genre relèverait davantage de l’universalisme[68] et serait moins stigmatisante que la création d’un 3e genre. Se pose alors la question de savoir si le droit peut s’émanciper du genre, voire s’en affranchir. Sur ce point, Danièle Lochak estime que « ce n’est pas parce que les hommes et les femmes existent comme catégories biologiques, sociales ou anthropologiques qu’ils doivent nécessairement exister comme catégories juridiques : la division juridique des sexes ne va pas de soi. Il n’y a donc pas d’obstacle théorique à ce qu’on décide de se passer du sexe comme élément pertinent de l’état civil »[69]. La reconnaissance juridique des non-binaires, aussi récente que résiduelle[70] en droit français, va certainement contribuer à renouveler ce questionnement, jusqu’à présent restreint aux personnes intersexuées, moins nombreuses.
Pour l’heure, en France, cette revendication d’indétermination du genre n’a été réceptionnée dans le droit que très indirectement, à travers les directives relatives au respect du changement de prénom. Par exemple, au vu de la circulaire Blanquer, le changement du prénom d’usage en un prénom mixte devrait être pris en compte par l’administration scolaire et les agents, dès lors que les parents expriment leur accord. On peut en revanche se demander ce qu’il en est de l’emploi du pronom « iel » que le ministre lui-même désapprouve.
Au regard de ces deux mouvements, on observe que les revendications relatives à l’autodétermination du genre, en confortant la bicatégorisation des genres, sont susceptibles d’entrer en tension avec les revendications relatives à l’indétermination du genre. En effet, d’un côté, des personnes contribuent à relayer des stéréotypes de genre quand, de l’autre, des individus cherchent plutôt à les effacer. La plupart des trans (binaires) conservent un référentiel de dualité de genre et « le droit au changement de sexe ne remet (…) nullement en cause l’ordre du genre »[71]. Pour certains d’entre eux, il est même vital de recourir à une transition sociale ou médicale leur permettant d’être considérés comme relevant de l’autre genre que celui qui leur a été assigné à la naissance. Les non-binaires, quant à eux, questionnent la dualité des genres en invisibilisant le genre qui leur a été assigné à la naissance – par exemple par une expression de genre androgyne – et certains intersexes en souhaitant être reconnus comme tels.
À première vue contradictoires, ces aspirations peuvent néanmoins se rejoindre, le droit à l’autodétermination et le droit à l’indétermination du genre relevant tous deux d’un droit à la libre détermination de son genre, comme déclinaison du droit au respect de la vie privée. Dans les deux cas, elles visent à faire primer la subjectivité des individus s’agissant de leur genre sur les principes de l’indisponibilité[72] et de l’immutabilité[73] de l’état des personnes, principes censés lui garantir une certaine permanence aux fins d’identification. Elles relèvent d’une demande de « réappropriations corporelles, biographiques et identitaires »[74] et de « désétatisation du genre », qui ne doit pas forcément être lue comme la victoire du moi tout puissant sur l’objectivité de l’état civil. Ne pourrait-on pas transposer aujourd’hui au genre les propos de Gérard Cornu datant de 2007 selon lesquels « Le sexe d’arrivée est un sexe de conviction, enraciné dans le psychisme, non un sexe d’élection, de convenance, de caprice ou d’emprunt »[75] ?
Sur le plan sociétal, se répand parallèlement la conviction que le genre s’appréhende plus comme un continuum[76] que comme une binarité, avec des individus qui s’identifient à l’un des deux genres, y compris lorsqu’il ne correspond pas à celui qui leur a été assigné à la naissance, et des individus qui se positionnent à l’intersection des genres. Dans son ouvrage Transfuge de sexe, Emmanuel Beaubatie, sociologue spécialiste de la question trans, évoque ainsi un « espace social du genre »[77]. Dans ce contexte, certains se demandent si la mise en avant du ressenti comme élément de l’autonomie de la volonté ne fragilise pas l’édifice sociétal construit sur la binarité des sexes féminin et masculin à partir d’éléments considérés comme « objectifs »[78].
Si les revendications d’autodétermination et d’indétermination du genre contribuent à repenser les catégories juridiques, elles soulèvent également des questionnements en termes de concurrence des droits fondamentaux. On peut en effet se poser la question de savoir si la reconnaissance juridique de cette pluralité d’identités de genre ne met pas en péril les dispositifs juridiques en faveur des femmes et de l’égalité femmes / hommes.
II. La reconnaissance juridique de la pluralité des identités de genres altère-t-elle les droits des femmes ?
Les tensions entre féministes et trans ont récemment été réactivées en raison de la visibilité croissante de ces derniers[79]. On peut alors se demander si les droits des femmes sont affectés par la reconnaissance des droits des trans (binaires), d’une part (A), et par la reconnaissance des non-binaires, d’autre part (B).
A. Les droits des femmes affectés par les droits des trans ?
Ce sont surtout les actes ou revendications des trans femmes – que l’on appelle aussi MtF soit « Male to Female » – qui sont perçus par certains comme entrant en collusion avec les revendications et les acquis féministes. Ainsi, au début de l’année 2020, Marguerite Stern, une ex-femen initiatrice d’une campagne de collage d’affiches contre les féminicides, a indiqué sur twitter que le mouvement était accaparé par des militantes trans : « J’observe que les hommes qui veulent être des femmes se mettent soudainement à se maquiller, à porter des robes et des talons. Et je considère que c’est une insulte faite aux femmes que de considérer que ce sont les outils inventés par le patriarcat qui font de nous des femmes. Nous sommes des femmes parce que nous avons des vulves. C’est un fait biologique. »
Ce tweet a divisé les féministes, d’autant plus qu’il aurait pu être rédigé par des conservateurs qui condamnent la notion même de genre. Marguerite Stern a rapidement été qualifiée de « TERF »[80], insulte suprême dans le milieu Queer désignant les féministes opposées à l’autodétermination du genre, que certains n’hésitent pas à qualifier de « transphobes ».
Marguerite Stern ne constitue pas un cas isolé. À l’instar de J. K. Rowling ou de la professeure Kathleen Stock, elle s’inscrit dans un mouvement ancien porté par Janice Raymond, professeure américaine spécialisée dans les études féministes, qui avait publié en 1979 l’ouvrage L’empire transsexuel, dénonçant les trans femmes comme propagatrices de la domination masculine. Pour elles, les femmes trans seraient de « fausses femmes » et sont appréhendées comme des vecteurs de la domination masculine : les femmes trans infiltreraient les mouvements féministes pour les saper de l’intérieur. De même, certaines refusent que les femmes trans pénètrent dans les espaces réservés aux femmes, ce qui soulève des difficultés à l’intérieur même de la communauté LGBTI+.
Les critiques des militantes féministes à l’égard des hommes trans sont moins véhémentes, même si ces derniers peuvent être considérés comme des traîtres car endossant le genre des dominants.
Parallèlement, il existe évidemment des féministes qui défendent les droits des trans et cherchent plutôt à unir les combats des trans et des femmes pour lutter contre le patriarcat.
Sur le terrain militant, ces tensions entre groupes prennent la forme d’une concurrence de revendications qui peuvent susciter des questions juridiques.
Ainsi, sur la question de savoir comment ne pas discriminer les personnes trans dans les prisons, on peut se demander s’il faut affecter les détenues trans femmes dans le quartier des femmes et les détenus trans hommes dans le quartier des hommes, ou s’il faut concevoir des quartiers propres aux trans pour les protéger, quitte à les stigmatiser.
Ces questions sont d’autant plus délicates aujourd’hui que l’on considère qu’aucune opération ou traitement hormonal n’est exigé pour changer de genre. L’avis de la CGLPL recommande alors de respecter autant que possible le souhait des personnes trans, qu’il s’agisse des règles en matière de fouille[81] ou d’affectation. Cela implique donc que les femmes trans, quelle que soit leur expression de genre, puissent demander à être affectées dans un quartier de femmes et que l’administration pénitentiaire respecte cette demande. Si l’on sait que ces femmes sont souvent victimes de violences dans les quartiers d’hommes[82], on peut aussi comprendre que ce n’est pas évident pour les autres femmes détenues et pour les agentes de l’administration pénitentiaire de les accueillir, à moins de repenser la question de la non-mixité dans les établissements pénitentiaires. De prime abord, on pourrait croire que des quartiers spécifiques sont le plus appropriés pour les détenus trans, mais les études en la matière montrent que de tels espaces peuvent s’avérer stigmatisants. La CGLPL indique, pour sa part, que « les personnes transgenres privées de liberté ne doivent pas être isolées au seul motif de leur transidentité »[83].
En ce qui concerne le milieu scolaire, la circulaire Blanquer[84] évoque la question de « l’usage des espaces d’intimité », soit les toilettes, les vestiaires et les dortoirs. Il est intéressant de constater que le texte qualifie les toilettes mixtes de « lieux appropriés ». Si un nombre croissant de personnes considèrent la mixité de ces espaces comme un gage d’inclusivité, la cohabitation dans ces lieux d’hommes et de femmes n’est pas toujours évidente, surtout pour les femmes.
S’agissant de cet aspect, la circulaire évoque plusieurs options : 1° « accès à des toilettes individuelles et à des espaces privés dans les vestiaires et au sein de l’internat », mais c’est le plus souvent matériellement impossible, 2° autorisation à « utiliser les toilettes et vestiaires conformes à [l’] identité de genre » ou à « occuper une chambre dans une partie de l’internat conforme à son identité de genre », 3° « mise en place d’horaires aménagés pour l’utilisation des vestiaires et des salles de bain/douches collectives ». Là encore, si la seconde option semble la plus respectueuse des identités de genre, on peut comprendre que cela puisse inquiéter certaines jeunes filles.
On pourrait également évoquer la question des compétitions sportives. Depuis 2004, si les athlètes femmes trans sont autorisées à concourir aux Jeux Olympiques, ce n’est qu’à des conditions strictes[85] notamment, depuis 2015, un taux de testostérone à ne pas dépasser, pour ne pas rompre l’égalité entre les participantes. Mais, par exemple, la signature par Joe Biden au début de l’année 2021 d’un décret appelant les écoles à inclure les transgenres dans l’équipe sportive de leur choix, indépendamment de leur sexe de naissance, a suscité des controverses[86] tout comme, en France, l’amendement déposé par le député Raphaël Gérard à la proposition de loi visant à démocratiser le sport, interdisant les discriminations à raison de l’identité de genre[87]. Alors que le texte ne régit pas les compétitions sportives, des militantes féministes y ont vu un danger pour le sport féminin[88].
Enfin, s’agissant des dispositifs sexo-spécifiques à destination des femmes, certains peuvent craindre que sur la base de l’autodétermination, des hommes se déclarent femmes et bénéficient de mesures préférentielles lorsque des quotas leur sont réservés[89]. Faudrait-il donc distinguer en la matière le sexe et l’identité de genre, quitte à donner raison aux TERF ? Il semble plutôt préférable de différencier expression de genre et identité de genre, dans la mesure où les dispositifs préférentiels en faveur des femmes visent à lutter contre les discriminations touchant les personnes perçues comme telles.
Une dernière question concerne les politiques publiques à destination des femmes, particulièrement dans le domaine de la santé s’agissant par exemple du dépistage du cancer du sein ou de l’interruption volontaire de grossesse. Un certain nombre de trans – parfois appelés « transactivistes » – cherchent à effacer le mot « femme » de ces politiques publiques dans la mesure où il n’intègre pas les trans hommes ou les non-binaires qui ont des organes féminins et souhaitent le remplacer par « personne dotée d’un utérus (ou d’un vagin) »[90], « personne ayant des menstruations » ou « personne qui accouche ». Si l’on comprend la dimension inclusive des nouvelles appellations qui relèvent d’une « dégénitalisation du genre »[91], on peut aussi considérer qu’elles contribuent à invisibiliser les femmes[92].
Outre le fait que les droits des trans peuvent entrer en tension avec les droits des femmes, la reconnaissance juridique de la non-binarité est également susceptible de susciter des questions.
B. Les droits des femmes affectés par la reconnaissance juridique de la non-binarité ?
Même s’ils peuvent sur différents points les rejoindre, les enjeux posés par la reconnaissance de la non-binarité diffèrent sensiblement des précédents. La principale question soulevée par la non-binarité consiste à se demander s’il est possible de consolider l’égalité entre femmes et hommes si ces catégories sont déconstruites, voire effacées.
Il convient ici de distinguer la reconnaissance d’un 3e genre (ou genre neutre) et la disparition pure et simple de la mention de sexe (et donc de genre) sur les documents d’état civil et pièces d’identité.
Dans le cas de la reconnaissance d’un 3e genre ou d’un genre neutre, les dispositifs juridiques sexo-spécifiques propres aux femmes (lutte contre les violences, parité, nominations équilibrées…) ne sont pas mis en cause. En effet, ce que l’on accorderait aux non-binaires n’ôterait rien aux autres personnes, la reconnaissance du genre neutre n’altérant pas les catégories hommes et femmes.
Autrement dit, dans cette configuration, les femmes – qu’elles soient cis ou trans – pourraient par exemple toujours bénéficier de dispositifs de nominations équilibrées. En matière de mesures préférentielles, on peut néanmoins se demander si, dans une telle configuration, il ne faudrait pas concevoir une politique publique spécifique pour les personnes neutres du point de vue du genre, si l’on considère qu’elles subissent, dans certains domaines, des discriminations[93].
Il semblerait que les droits des femmes pâtissent davantage de la suppression des catégories homme / femme car un tel effacement ne permettrait plus de concevoir des mesures sexo-spécifiques[94]. On peut néanmoins considérer qu’il est possible de dissocier le droit civil du droit de la lutte contre les discriminations. Ainsi, on pourrait ne plus mentionner le sexe sur les documents officiels mais le genre pourrait être réintroduit dans le cadre de politiques d’égalité entre les genres, sur la base de l’autodéclaration. Une telle option peut présenter un certain nombre d’avantages – notamment le fait que les personnes ne soient plus au quotidien identifiés en fonction d’un genre –, tout en préservant des dispositifs sexo-spécifiques. Cette solution peut cependant apparaître insatisfaisante aux yeux de ceux qui revendiquent un droit à l’indétermination du genre et la fin de la bicatégorisation du droit en fonction des genres masculin et féminin.
Surtout, l’effacement des catégories homme / femme contribuerait à invisibiliser les femmes que les dispositifs de lutte contre les discriminations ont précisément cherché à rendre davantage visibles, y compris sur le terrain de la langue, comme c’est le cas de la féminisation des fonctions ou de l’écriture inclusive. Le paradigme de la non-binarité conduit ainsi à un paradoxe : en effet, on peut aujourd’hui hésiter à désigner une personne par « Monsieur » ou « Madame » car celle-ci est peut-être non-binaire ou son expression de genre ne correspond pas à son identité de genre. Ainsi, alors qu’au début des années 2010, le « bonjour à toutes et à tous » apparaissait inclusif, il peut aujourd’hui être perçu comme discriminatoire vis-à-vis des non-binaires qui, non désignés expressément peuvent se sentir déconsidérés, voire exclus. Dans une perspective respectueuse des identités de genre, il serait alors préférable de dire ou d’écrire « bonjour » tout court ou « bonjour tout le monde », ce qui semble néanmoins moins conforme aux règles de politesse. Ce point peut paraître anecdotique et éloigné du droit. Toutefois la suppression des titres de civilité est aujourd’hui recommandée en Ontario[95]. S’agissant du droit français, le point 13 de la circulaire n° 2019-134 du 25 septembre 2019 de la ministre de l’enseignement supérieur[96] indique que « À la seule demande des intéressés, et dans le cadre du plan de lutte contre les discriminations envers les personnes LGBT, les mentions ’Madame/Monsieur’, qui figurent aujourd’hui dans les modèles de diplômes sont supprimées des diplômes délivrés par les établissements. »
Au regard de ces récentes évolutions juridiques, au vu également des projets de loi déposés en 2021 en Espagne ou en Belgique, on peut être certain que les identités de genre n’ont pas terminé de déconstruire le droit, en vue de construire de nouveaux droits fondamentaux.
Si certains estiment que la prise en compte juridique des identités de genre contribue à diviser les individus, on peut également considérer qu’il est possible de concilier les droits des personnes relevant d’identités de genre différentes, soit les hommes et les femmes cis, les hommes et le femmes trans, les individus non-binaires et les personnes intersexuées, en distinguant plusieurs registres.
S’agissant de l’état civil, on pourrait ajouter la mention « neutre » ou « autre », aux mentions « féminin » et « masculin », tout en assouplissant les conditions de rectification. Parallèlement, à l’instar d’autres États, il serait possible de supprimer la mention du sexe sur la carte d’identité[97] et les titres de civilité dans les relations administration / administrés ou entreprise / clients. Des données genrées statistiques – sur la base desquelles des mesures spécifiques comme des quotas[98] pourraient être mises en place – seraient néanmoins toujours recueillies, mais sur la base de l’autodéclaration et en prévoyant non pas 2 « cases »[99] mais 4 : « femme », « homme », « neutre » et « ne se prononce pas ». Ce type de combinaison – qui mériterait d’être confronté à d’autres alternatives[100] – permettrait d’articuler droits des femmes, droits des trans et droits des non-binaires et ainsi de repenser le système de genre, jusqu’à présent exclusivement conçu comme « cis-tème »[101].
[1] https://www.gouvernement.fr/plan-national-d-actions-pour-l-egalite-contre-la-haine-et-les-discriminations-anti-lgbt-2020-2023; https://www.dilcrah.fr/plan-national-dactions-pour-legalite-contre-la-haine-et-les-discriminations-anti-lgbt-2020-2023/
Un « Programme d’actions gouvernemental contre les violences et les discriminations commises à raison de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre » figure également en annexe de la circulaire de la Garde des Sceaux du 23 juillet 2013 portant sur la réponse pénale aux violences et discriminations commises à raison de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre.
[2] On peut se demander s’il est pertinent d’englober dans la même politique publique les orientations sexuelles et les identités de genre. Si des actions communes peuvent être plus efficaces, une dissociation des problématiques liées aux unes et aux autres permettrait de ne pas confondre les deux notions et d’affirmer la singularité des questions qu’elles sont susceptibles de générer.
[3] Les définitions apportées sont essentiellement issues du Plan national d’actions pour l’égalité des droits, contre la haine et les discriminations anti-LGBT+ pour 2020-2023 et du glossaire de l’avis du 25 mai 2021 relatif à la prise en charge des personnes transgenres dans les lieux de privation de liberté du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL).
[4] La CNCDH définit l’identité de genre comme l’« identité psychosociale », CNCDH, Avis sur l’identité de genre et sur le changement de la mention de sexe à l’état civil, 27 juin 2013. Marie Duru-Bellat met en avant « la double face du genre, à la fois rapport social et ’caractéristique de genre’ censées s’agréger au sein des personnes hommes ou femmes. (…) Si opposer femmes et hommes est nécessaire pour examiner ce que recouvre le genre – et aussi, évidemment, pour mobiliser sur cette base, cela ne revient en aucun cas à postuler l’existence de deux groupes homogènes et figés, a fortiori essentialisés. », Marie Duru-Bellat, La tyrannie du genre, Les Presses de SciencesPo, 2021, pp. 15-16.
[5] CGLPL, Avis du 25 mai 2021, op. cit., glossaire.
[6] Alexandre Jaunait, « Genèses du droit de l’identité de genre. Approche des configurations sociojuridiques », Droit et société, 2020/2, n° 105, p. 431.
[7] Certains non-binaires ne se définissent cependant pas comme « trans », d’autant plus que le terme est souvent appréhendé de façon restrictive, conforme à la dualité de genres.
[8] CGLPL, avis du 25 mai 2021, op. cit., glossaire.
[9] Ibid. Pour une analyse historique de l’appréhension juridique des personnes porteuses d’« ambiguïtés sexuées », v. Julie Mazaleigue-Labaste, « Entre la nature et le droit. Une histoire du ’vrai sexe’ (XVIIe–XXIe siècle) », in Marie-Xavière Catto et Julie Mazaleigue-Labaste (dir.), La bicatégorisation de sexe entre droit, normes sociales et sciences biomédicales, Mare & Martin, 2021, pp. 23-45. Des témoignages de personnes intersexes sont réunis in Julien Picquart, Ni homme ni femme. Enquête sur l’intersexuation, La Musardine, 2009. V. également le 4e chapitre « Intersexes : 50 nuances de genres » de Serge Hefez, Transitions. Réinventer le genre, Calmann Lévy, 2021, pp. 93 sq.
[10] CGLPL, avis du 25 mai 2021, op. cit., glossaire.
[11] CC, décision n° 2016-745 DC du 26 janvier 2017 relative à la loi relative à l’égalité et à la citoyenneté, souligné par nous.
[12] Pour une histoire trans de l’époque médiévale, v. Clovis Maillet, Les genres fluides. De Jeanne d’Arc aux saintes trans, Arkhé, 2020.
[13] « La CIM [Classification Internationale des Maladies] 11 adoptée en 2019 pour une application en janvier 2022 abandonne la notion de ’trans-sexualisme’ et dépsychiatrise ’l’incongruence de genre’. Cette dernière est transférée du chapitre des affections psychiatriques, vers celui de la santé sexuelle. », Hervé Picard, Simon Jutant, Rapport relatif à la santé et aux parcours de soins des personnes trans remis au ministre des Affaires sociales et de la Santé, janvier 2022, p. 17.
[14] Françoise Douaire-Marsaudon évoque notamment les berdaches en Amérique du Nord, les Hijras en Inde, les vierges jurées dans les Balkans, les chamanes inuit et les « hommes-à-la-manière-des-femmes » en Polynésie, Françoise Douaire-Marsaudon, « La crise des catégorisations relatives à l’identité sexuée. L’exemple du troisième sexe », in Irène Théry et Pascale Bonnemère (dir.), Ce que le genre fait aux personnes, Éditions de l’EHESS, 2008, pp. 277-296.
[15] À l’exception des Mahu à Tahiti, à distinguer des Rae Rae. V. Philipe Lacombe, « Les identités sexuées et ’le troisième sexe’ à Tahiti », Cahiers du Genre, n° 45, 2008, pp. 177-197.
[16] L’avis de la CNCDH sur l’identité de genre et sur le changement de la mention de sexe à l’état civil du 27 juin 2013 indique que « L’identité de genre a été introduite en tant que définition précise par un collège d’experts en droit international de tous les continents, pour l’ONU en 2007, dans les principes de Jogjakarta. Ceux-ci sont repris dans le rapport du haut-commissaire aux droits de l’homme des Nations-unies en novembre 2011. (…) La notion d’identité de genre est en outre présente au sein du système des droits de l’homme du Conseil de l’Europe. Ainsi, en 2009, le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Thomas Hammarberg, a publié un document thématique intitulé Droits de l’homme et identité de genre, dans lequel il formule douze recommandations aux États membres, appelant à respecter les droits humains et les personnes transsexuelles et transgenres ».
[17] Loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice au XXIe siècle.
[18] Loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté.
[19] Une telle substitution était préconisée dans la proposition de loi visant à protéger l’identité de genre, enregistrée à la présidence du Sénat le 11 décembre 2013.
[20] Loi n° 2022-92 du 31 janvier 2022 interdisant les pratiques visant à modifier l’orientation sexuelle ou l’identité de genre d’une personne.
[21] https://www.santepubliquefrance.fr/presse/2021/nouvelle-campagne-contre-les-discriminations-et-violences-subies-par-les-personnes-lgbt-face-a-l-intolerance-a-nous-de-faire-la-difference
[22] À Versailles notamment, des élus et associations ont demandé le retrait de ces affiches : Pour eux, « cette campagne, sous couvert d’appel à la tolérance, expose aux yeux de tous, et en particulier des enfants, des situations sexuelles et familiales qui n’ont pas à être promues ni encouragées. », https://actu.fr/ile-de-france/versailles_78646/yvelines-a-versailles-la-campagne-d-affiches-contre-l-homophobie-ne-passe-pas-pour-tout-le-monde_42211366.html
[23] Ainsi qu’aux articles L. 100-1 et L. 332-7 du code du sport depuis la loi n° 2022-296 du 2 mars 2022 visant à démocratiser le sport en France.
[24] La loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République permet la dissolution des associations ou groupements de fait « qui, soit provoquent ou contribuent par leurs agissements à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine, de leur sexe, de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre (….), soit propagent des idées ou théories tendant à justifier ou encourager cette discrimination, cette haine ou cette violence » (art. L. 212-1 6° du code de la sécurité intérieure). L’engagement n° 4 portant sur l’égalité et la non-discrimination du contrat d’engagement républicain que doivent désormais signer les associations ou fondations subventionnées indique par ailleurs que l’association « s’engage, dans son fonctionnement interne comme dans ses rapports avec les tiers, à ne pas opérer de différences de traitement fondées sur le sexe, l’orientation sexuelle, l’identité de genre (…) », Décret n° 2021-1947 du 31 décembre 2021.
[25] Décret n° 2021-1922 du 30 décembre 2021 pris pour l’application de l’article 60 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication et fixant les principes généraux applicables aux communications commerciales audiovisuelles fournies sur les plateformes de partage de vidéos.
[26] « par souci de cohérence et de renforcement de la protection des utilisateurs de plateformes de partage de vidéos, le Conseil suggère d’ajouter le motif de discrimination fondée sur l’identité de genre à ceux énoncés par l’article 6 du projet de décret comme étant interdits dans les communications commerciales audiovisuelles », Avis n° 2021-21 du 1er décembre 2021 du Conseil supérieur de l’audiovisuel sur le projet de décret pris pour l’application de l’article 60 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication et fixant les principes généraux applicables aux communications commerciales audiovisuelles fournies sur les plateformes de partages de vidéos.
[27] Documentaire Zone interdite, M6 10 janvier 2021, Le Monde, 10 janvier 2021.
[28] Sur le plateau de l’émission « Quotidien », le 10 mars 2021, Élisabeth Roudinesco, auteure de Soi-même comme un roi, essai sur les dérives identitaires, Seuil, 2021, a évoqué « une épidémie de transgenres ». Dans cet ouvrage, elle pointe les dérives de la « théorie queer et des queer studies », comme le business de certaines cliniques accueillant les personnes souhaitant effectuer leur transition ou le fait d’administrer des traitements hormonaux à des enfants prépubères, pp. 62 sq. Pour comprendre la rhétorique de la « contamination LGBT », étroitement liée à sa pathologisation, v. Bruno Perreau, Qui a peur de la théorie Queer ?, Les Presses de SciencesPo, 2018, notamment pp. 258 sq.
[29] Le psychiatre et psychanalyste Serge Hefez constate « une transformation profonde de la vision ancestrale ancrée sur la naturalité de la ’différence des sexes’, une transition qui nous concerne tous. », Serge Hefez, op. cit., p. 21.
[30] Martha I. Rosenberg, « Le pouvoir de l’autonomination. Sur la loi argentive d’identité de genre », Cliniques méditerranéennes, 2017/1, n° 95, pp. 123-132.
[31] Ibid., p. 123.
[32] CEDH, 19 septembre 2003, Van Kück v. Germany, req. n° 35968/97, § 69.
[33] Ibid., § 78.
[34] Sur la loi argentine n° 26743/2012 du 23 mai 2012 relative à l’identité de genre (et les décrets n° 1007/2012 et 903/15), v. Aida Kemelmajer de Carlucci, « Le droit au changement d’identité de genre en Argentine », in Daniel Borrillo et Félicien Lemaire (dir.), Les discriminations fondées sur le sexe, l’orientation sexuelle et l’identité de genre, L’Harmattan, « Logiques juridiques », 2020, pp. 116 sq. Cette législation permet de changer la mention du sexe sur la carte d’identité, sur la base d’une seule déclaration écrite et par le biais de la voie administrative.
[35] Cité in Alexandre Jaunait, op. cit., p. 435. V. également Benjamin Moron-Puech, « Regards comparatistes sur la mention du sexe à l’état civil pour les personnes transgenres et intersexuées », in Jérôme Courduriès, Christine Dourlens, Laurence Hérault (dir.), État civil et transidentité. Anatomie d’une relation singulière, PUP, 2021, pp. 211 sq.
[36] Opinion consultative OC-24/17 du 24 novembre 2017, cité in Aida Kemelmajer de Carlucci, op. cit., p. 119.
[37] Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, résolution 2048, « La discrimination à l’encontre des personnes transgenres en Europe », 22 avril 2015, art. 5. Dans son Rapport sur la situation des droits fondamentaux dans l’Union européenne publié en 2018, le Parlement européen « prie instamment tous les États membres d’adopter des mesures pour faire respecter et défendre de manière similaire les droits à l’identité de genre, à l’expression du genre, à l’intégrité physique et à l’autodétermination ».
[38] Cass. Ass. Plén., 11 décembre 1992, n° 91-11900 et n° 91-12373.
[39] Alexandre Jaunait, op. cit., p. 445.
[40] Cass. civ. 1ère, 7 juin 2012, n° 10-26.947 et n° 11-22.490.
[41] CEDH, 6 avril 2017, A. P., Nicot et Garçon c./ France, n° 79885/12, 52471/13 et 52596/13.
[42] Pour une analyse de la genèse et des acteurs de la réforme, v. Sun Hee Yoon, « Le changement d’état civil des personnes transidentitaires en France. Récit d’une réforme », in Jérôme Courduriès, Christine Dourlens, Laurence Hérault (dir.), État civil et transidentité. Anatomie d’une relation singulière, op. cit., 2021, pp. 107 sq.
[43] Alexandre Jaunait, op. cit., p. 445. Il évoque « la tension intrinsèque entre une procédure visant à reconnaître une identité décrite et caractérisée par la subjectivité du ressenti individuel d’une part, et la catégorisation des sujets encadrée par un dispositif judiciaire d’autre part. », p. 444.
[44] Jérôme Courduriès indique que « c’est ce qu’on appelle la fama, c’est-à-dire tout à la fois la voix publique, le ouï-dire, la renommée et la réputation. » Il constate que « la mention de sexe à l’état civil est devenue en réalité dans ces situations une mention de genre. », Jérôme Courduriès, « Les juges et les trans. Vers une approche relationnelle du genre dans les tribunaux français », in Jérôme Courduriès, Christine Dourlens, Laurence Hérault (dir.), État civil et transidentité. Anatomie d’une relation singulière, op. cit., p. 159.
[45] Christine Dourlens, « Les médecins et le sexe de l’état civil. La coopération entre le droit et la médecine en question ? », in Jérôme Courduriès, Christine Dourlens, Laurence Hérault (dir.), État civil et transidentité. Anatomie d’une relation singulière, Ibid., pp. 163 sq.
[46] Défenseur des droits, décision-cadre relative au respect de l’identité de genre des personnes transgenres du 18 juin 2020.
[47] En vertu du 3e principe de Yogyakarta (dénué de portée normative), « L’orientation sexuelle et l’identité de genre définies par chacun personnellement font partie intégrante de sa personnalité et sont l’un des aspects les plus fondamentaux de l’autodétermination, de la dignité et de la liberté. », Principes sur l’application de la législation internationale des droits humains en matière d’orientation sexuelle et d’identité de genre, 2007, http://yogyakartaprinciples.org/wp-content/uploads/2016/08/principles_fr.pdf
[48] Télégramme DGPN/CAB/N° 2019-289D du 24 janvier 2019 relatif à l’accueil et à la prise en charge des personnes LGBT au sein des services de police, cité in CGLPL, Avis du 25 mai 2021, op. cit.
[49] CGLPL, Ibid.
[50] Recommandations de la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche du 17 avril 2019 pour favoriser l’inclusion des personnes transgenres dans la vie étudiante et dans les établissements d’enseignement supérieur et de recherche. Ainsi, un nombre croissant d’universités mettent-elles à disposition des étudiants un formulaire de demande d’utilisation d’un prénom usuel (ou d’usage), autre que celui ou ceux inscrits sur l’état civil, v. par ex. https://u-paris.fr/demander-lutilisation-de-son-prenom-dusage/
[51] Circulaire du Ministre de l’Éducation nationale du 29 septembre 2021 pour une meilleure prise en compte des questions relatives à l’identité de genre en milieu scolaire, souligné par nous.
[52] À l’inverse, certains juristes se livrent à une analyse critique de la prise en considération des identités de genre des mineurs, voir Aude Mirkovic et Olivia Sarton, « L’établissement scolaire et la demande d’un élève se revendiquant ’trans’ », https://www.village-justice.com/articles/demande-eleve-etre-identifie-par-prenom-choisi-dans-genre-revendique,38566.html , mars 2021, mise à jour 6 septembre 2021. Des auteurs oscillent entre une volonté de protéger les mineurs des incitations à la transition sur les réseaux sociaux et défiance vis-à-vis de ceux-ci, v. les membres de l’Observatoire des discours idéologiques sur l’enfant et l’adolescent – La Petite Sirène. Dans une revue juridique, des psychanalystes membres de cet Observatoire écrivent que « Dans les lycées et collèges de France, il y a au moins un élève qui se déclare transgenre et fait pression pour que sa transition sociale soit actée par l’établissement (…) » « (…) on ne demande pas à un jeune s’il ’consent’ à recevoir un traitement (bloqueur de puberté et hormonothérapie) puisque c’est lui qui le demande. Il apprend sur les réseaux sociaux le modus operandi : menacer de se suicider, dénoncer des parents ’maltraitants’ est très efficace. », Coraline Eliacheff et Céline Masson, « L’enfant-transgenre, une mystification contemporaine ? », Les Cahiers de la justice, 2021/4, pp. 556-557, souligné par nous. Dans sa Charte fondatrice, l’Observatoire « réfute vivement toute accusation de transphobie », https://www.observatoirepetitesirene.org/contact. S’il est essentiel d’informer les mineurs, tous les élèves transgenres ne font pas « pression » pour que leur établissement scolaire acte leur transition sociale. De même, la tribune laisse penser que tous les mineurs transgenres font du chantage pour avoir accès à une transition médicale. Pour informer utilement sur la réalité de « l’embrigadement des jeunes », la communication des statistiques sur la base desquelles travaille cet Observatoire serait bienvenue.
[53] Marie Duru-Bellat, op. cit., pp. 260-261.
[54] CGLPL, Avis du 25 mai 2021, op. cit.
[55] Dans la sphère médicale, le récent rapport d’Hervé Picard et Simon Jutant met l’accent sur l’autodétermination : « L’engagement des parcours doit reposer à l’avenir sur l’autodétermination des personnes et non plus sur l’évaluation psychiatrique d’un trouble de l’identité de genre. », Hervé Picard, Simon Jutant, op. cit., p. 6.
[56] La CNCDH indique que les « queer (…) refusent la caractérisation binaire homme/femme », avis précité.
[57] Judith Butler, Trouble dans le genre. Le féminisme et la subversion de l’identité, La Découverte Poche, [2006], 2021.
[58] Arnaud Alessandrin, Déprivilégier le genre. Faire contre et être (tout) contre le genre, Double ponctuation, 2021, p. 75.
[59] Benjamin Moron-Puech explique que « la langue française utilise deux termes, là où l’anglais n’en utilise qu’un. Cette dualité permet à la langue française de désigner distinctement les personnes intersexuées se reconnaissant dans le mouvement Intersexe (les personnes intersexes), des personnes présentant seulement ces caractéristiques sexuées, indépendamment de leur adhésion au mouvement intersexe (les personnes intersexuées) », Benjamin Moron-Puech, « Remarques langagières et méthodologiques sur le contrôle de conventionnalité à venir dans l’affaire du ’sexe neutre’ (CEDH, Y. c. France, n° 76888/17) », RDLF, 2021, chron. n° 02.
[60] Pour le Conseil d’État, l’intersexuation vise des « situations médicales congénitales caractérisées par un développement atypique du sexe chromosomique (ou génétique), gonadique (c’est-à-dire des glandes sexuelles, testicules ou ovaires) ou anatomique (soit le sexe morphologique visible), Conseil d’État, Étude « Révision de la loi de bioéthique : quelles options pour demain ? », adoptée en Assemblée générale le 28 juin 2018, p. 21.
[61] V. Aida Kemelmajer de Carlucci, « Le droit au changement d’identité de genre en Argentine », op. cit., p. 140, citant l’auteur Argentin Gaston Federico Blasi.
[62] On se réfère ici à la mention. Par suite, « genre neutre » ou « sexe neutre » sont employés comme synonymes. Sur ces aspects, Daniel Borrillo est favorable à la suppression de la mention du sexe sur tous les documents (Daniel Borrillo, « Pour une théorie du droit des personnes et de la famille émancipée du genre », in Nicole Gallus (dir.), Droit des familles, genre et sexualité, éd. Anthemis, 2012, p. 7), Marie-Xavière Catto à la création d’une 3e catégorie de sexe à laquelle les individus intersexes pourraient demander à être rattachée (Marie-Xavière Catto, « Reconnaître un troisième sexe à l’état civil ? », Délibérée, 2018, n° 4, p. 14). Pour Benjamin Moron-Puech, « À la naissance (…) ne pourraient être indiqués que les sexes masculin ou féminin afin d’éviter toute discrimination ; les sexes/genres non binaires seraient pour leur part inscrits ultérieurement, à la majorité de l’enfant, par le biais d’une action rectification – et non en changement – d’état civil », Benjamin Moron-Puech, « Le droit des personnes intersexuées », Socio La nouvelle revue des sciences sociales, 2017, n° 9, § 19.
[63] Cass. 1ère civ., 4 mai 2017, n° 16-17.189. TGI Tours, 2e chambre civ., 20 août 2015, infirmé par CA Orléans, ch. réunies, 22 mars 2016, n° 15/03281. Pour une analyse critique, v. Laurence Brunet et Marie-Xavière Catto, « Homme et femme, la Cour créa ». Note sous Cass. 1ère civ., 4 mai 2017, n° 16-17.189 », in Marie-Xavière Catto et Julie Mazaleigue-Labaste (dir.), La bicatégorisation de sexe entre droit, normes sociales et sciences biomédicales, op. cit., pp. 75-120.
[64] Introduction de Daniel Borrillo et Félicien Lemaire (dir.), Les discriminations fondées sur le sexe, l’orientation sexuelle et l’identité de genre, op. cit., p. 16.
[65] https://www.lemonde.fr/international/article/2022/04/12/etats-unis-le-genre-neutre-desormais-disponible-sur-les-passeports_6121863_3210.html.
[66] Marie-Xavière Catto, « La mention du sexe à l’état civil », in Stéphanie Hennette-Vauchez, Marc Pichard et Diane Roman (dir.), La loi & le genre. Études critiques de droit français, CNRS éditions, 2014, p. 43.
[67] Marie-Xavière Catto, « Reconnaître un 3e sexe à l’état civil ? », op. cit., p. 12.
[68] Telle est par exemple la position de Thierry Hoquet dans sa fiction Sexus nullus, ou l’égalité, Ixe-prime, 2015, v. not. p. 86.
[69] Danièle Lochak, « Combattre pour l’égalité ou lutter contre les discriminations : comment s’écrit le droit », in Daniel Borrillo et Félicien Lemaire (dir.), op. cit., p. 75. Elle indique par ailleurs que « Le paradoxe, c’est que cette revendication surgit au moment même où l’on assiste parallèlement à un mouvement de ‘resexualisation’ des normes juridiques, destiné à donner son plein effet à la lutte contre les discriminations. »
[70] Les non-binaires sont intégrés à la décision-cadre du Défenseur des droits du 18 juin 2020 ou à l’avis du CGLPL du 25 mai 2021.
[71] Stéphanie Hennette-Vauchez, « Droit, identité de genre et orientation sexuelle : une évolution sans subversion », in Charles Bosvieux-Onyekwelu et Véronique Mottier (dir.), Genre, droit et politique, LGDJ, coll. Droit et société, 2022, p. 166.
[72] D’origine jurisprudentielle (Cass. civ. 1ère, 16 décembre 1975, n° 73-10.615), l’indisponibilité de l’état des personnes a été qualifié de « principe essentiel du droit français » (Cass. civ. 1ère, 6 avril 2011, n° 09-17.130, n° 09-66.486, n° 10-19.053). « Ce principe renvoie au fait qu’il n’est pas possible de modifier, de sa propre volonté, ce qui a été établi par le biais de l’acte de naissance, à savoir son statut civil et ce qui le définit. », Laurence Hérault, « ’Le sexe de l’enfant est légitime’. À propos de la mention de sexe à l’état civil et de sa modification », in Jérôme Courduriès, Christine Dourlens, Laurence Hérault (dir.), État civil et transidentité. Anatomie d’une relation singulière, op. cit., p. 39. Il connaît des évolutions, dans le sens d’un assouplissement, v. notamment Bernard Beignier, « L’ordre public et les personnes », in Bernard Beigner et Thierry Revet (dir.), L’ordre public à la fin du XXe siècle, Economica, 1996, p. 13 ; Fanny Vasseur-Lambry, « L’identité, l’état civil et le principe de l’indisponibilité de l’état des personnes », in Valérie Mutelet et Fanny-Vasseur-Lambry (dir.), Qui suis-je ? Dis-moi qui tu es. L’identification des différents aspects juridiques de l’identité, Artois Presses Université, 2015, pp. 61-87.
[73] Laurence Hérault souligne que « si l’action en déclaration est bien irrévocable en tant qu’action, le statut et les attributions qu’elle a institués ne le sont pas, ce qui fait que l’état civil ne saurait être immutable [c’est ce qui a sous doute amené des juristes comme Dominique Fenouillet et François Terré à proposer la notion de ’mutabilité contrôlée’ (Droit civil. Les personnes, Dalloz, coll. « Précis », 2012, 8e éd.)]. », Ibid., p. 42. Marc Pichard constate que « tout, dans l’état des personnes, change ou peut changer : le nom, le prénom, le sexe, l’état ‘conjugal’ (…), la nationalité. (…) Si donc il existe une vocation à la stabilité de l’état des personnes, il n’existe pas de principe d’immutabilité de celui-ci. Pourtant, il existe bien un principe d’immutabilité de l’état mais de l’état civil – en quoi il se distingue de l’état des personnes. L’immutabilité de l’état civil a en effet une signification claire : il n’est pas possible de faire disparaître ou de modifier une mention d’un acte de l’état civil, sauf rectification d’une erreur matérielle – et encore cette rectification, comme toute modification d’un acte authentique, est-elle apparente (…) », Marc Pichard, « La mention du sexe dans les actes de l’état civil », in Ibid., p. 67.
[74] Arnaud Alessandrin, op. cit., p. 72.
[75] « Le transexuel n’agit pas, il ’est agi’, il subit et c’est précisément pourquoi, dans la logique de cette vision, le transsexualisme échappe au principe de l’indisponibilité de l’état des personnes. Le principe existe, mais il est sauf. Il n’est pas offensé. », Gérard Cornu, Droit civil. Introduction au droit, Montchrestien, 2007, 13e édition, p. 262, cité in Laurence Hérault, Ibid., p. 43.
[76] Vincent Guillot propose, quant à lui, de remplacer l’idée de continuum par l’expression « archipel du genre », un ensemble d’îles accompagnées elles-mêmes d’îlots et n’ayant pas obligatoirement des caractéristiques toutes semblables, Vincent Guillot, « Intersexes : ne pas avoir le droit de dire ce que l’on ne nous a pas dit que nous étions », Nouvelles Questions féministes, 2008, vol. 27, n° 1, p. 45.
[77] Emmanuel Beaubatie, Transfuge de sexe. Passer les frontières du genre, La Découverte, 2021, p. 17.
[78] V. par ex. Jean Hauser, « Un sexe évolutif ? Du transsexualisme, du trans-genre et des prénoms », RTDCiv, 2010, n° 4, p. 57. Celui-ci craint que « chaque matin, il conviendra de décider ce que nous sommes, hors de toute référence à ce que la nature nous a donné, dans l’ivresse finale de l’individualisme absolu. »
[79] Emmanuel Beaubatie, « Des trans’ chez les féministes. Retour critique sur cinquante ans de controverses », La Revue du Crieur, 2020/2, n° 16, pp. 140-147.
[80] Trans-exclusionary radical feminist, Féministe radicale excluant les trans.
[81] « dès l’arrivée dans un lieu de privation de liberté, les personnes transgenres doivent être invitées à exprimer leur préférence quant au genre des agents par lesquels elles seront fouillées au travers d’un entretien systématique et formalisé, dont le compte-rendu doit leur être notifié. Leurs souhaits, sur lesquels elles doivent pouvoir revenir à tout moment, doivent être respectés. », CGLPL, Avis du 25 mai 2021, op. cit.
[82] Rozenn Le Carboulec, « Le calvaire des femmes transgenres en prison », in Arnaud Alessandrin (dir.), Actualité des trans studies, Éditions des archives contemporaines, 2019, pp. 59 sq. L’auteure indique que le ministère de la justice estime que le nombre de personnes transgenres détenues en France varie de 15 à 30 suivant les années.
[83] CGLPL, Avis du 25 mai 2021, op. cit.
[84] Circulaire du Ministre de l’Éducation nationale du 29 septembre 2021, op. cit.
[85] En vertu des normes du Comité International Olympique (CIO) ratifiées en 2004, pour prendre part aux compétitions de leur genre, les athlètes trans devaient changer chirurgicalement de sexe, après avoir suivi deux ans de traitements hormonaux. L’obligation de changer de sexe par voie chirurgicale a été supprimée en 2015 et la durée du traitement hormonal a été réduite à un an. Le CIO a alors mis en place des tests de testostérone obligatoires pour les femmes trans et celles présentant un fort taux d’hormones masculines. Le taux de testostérone ne devait pas dépasser les 10 nanomoles par litre de sang. En 2018, la Fédération internationale d’athlétisme (FIA) et, en 2020, l’Union cycliste internationale ont baissé ce taux à 5 nanomoles, ce qui contribue à limiter la participation des femmes trans aux compétitions de femmes. L’athlète sud-africaine Caster Semenya présentant de l’hyperandrogénie, considérée par la FIA comme de « genre suspect » a été sommée de suivre un traitement hormonal pour faire baisser son taux de testostérone. À la suite de son refus, elle n’a pas été autorisée à participer à certaines courses. Elle a saisi la CEDH en février 2021. Sur l’histoire des « tests de féminité », appelés également « contrôles de genre », instaurés à partir de 1966 et l’évolution de leur critère (anatomique, chromosomique (1966-1991 : test du corpuscule de Barr (recherche du 2e X), 1992-2000 : test PCR/SRY (recherche du chromosome Y), puis hormonal), v. Anaïs Bohuon, Catégorie « dames ». Le test de féminité dans les compétitions sportives. Une histoire classée X ?, éditions iXe, 2012. Dans la préface de cet ouvrage, Elsa Dorlin évoque « une police du genre », p. 14.
[86] https://www.marianne.net/societe/transgenres-dans-les-competitions-sportives-la-nouvelle-querelle-des-militantes-feministes
[87] Loi n° 2022-296 du 2 mars 2022 visant à démocratiser le sport en France. L’article L. 100-1 du code du sport dispose désormais que « (…) La loi favorise un égal accès aux activités physiques et sportives, sans discrimination fondée sur le sexe, l’identité de genre, l’orientation sexuelle, l’âge, le handicap, l’appartenance, vraie ou supposée, à une nation ou à une ethnie, la religion, la langue, la condition sociale, les opinions politiques ou philosophiques ou tout autre statut ». Le délit consistant à introduire, porter ou exhiber dans un enceinte sportive, lors du déroulement ou de la retransmission en public d’une manifestation sportive des insignes, signes ou symboles rappelant une idéologie raciste ou xénophobe est par ailleurs élargi aux insignes, signes ou symboles « incitant à la haine ou à la discrimination à l’encontre de personnes à raison de leur origine, de leur orientation sexuelle ou identité de genre, de leur sexe ou de leur appartenance, réelle ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ».
[88] Dans le secteur sportif, la question des trans femmes ou des intersexes est souvent assimilée à celle du dopage, toutes deux étant considérées comme une forme de « fraude » ou de « tricherie », v. Anaïs Bohon, op. cit., p. 56. C’est également le constat établi par Paul B. Preciado à la lecture de la notice du Testogel, Paul B. Preciado, Testo junkie. Sexe, drogue et biopolitique, Grasset, « Points », [2008], 2021, pp. 60-61.
[89] On retrouve la crainte du mensonge qui rejoint la rhétorique de la fraude et de la tricherie. V. par exemple les propos de Claude Habib qui parle au sujet des trans de « négationnisme antibiologique » et indique « si l’on accepte le principe de l’identité autodéclarative, se pose le problème du mensonge. », échange avec Camille Froidevaux-Metterie, Philosophie Magazine, décembre 2021, n° 155, pp. 31-35.
[90] Les réactions ont été vives après l’annonce dans le numéro du 25 septembre 2021 de le revue médicale The Lancet d’un dossier consacré au mouvement contre la honte des règles en ces termes : « Historiquement l’anatomie et la physiologie des corps avec un vagin ont été négligées ». Les protestations ont été telles que les éditeurs se sont excusés.
[91] ou d’une « lecture du genre dissociée de l’anatomie », Arnaud Alessandrin, op. cit., p. 72.
[92] Pour les journalistes de The Economist publié le 25 novembre 2021, « ces tentatives présentent un vrai relent de misogynie. Il n’y a pas de campagne pour l’abandon du mot ’homme’ au profit de ’possesseur de prostate’, ’éjaculateur’ ou ’corps doté de testicules’. », article reproduit dans le numéro hors-série du Courrier international de février-mars 2022, pp. 22-23.
[93] Les discriminations à l’encontre des personnes non-binaires sont désignées par l’expression « enbyphobie » (NBphobie).
[94] Telle n’est cependant pas la position de Thierry Hoquet. Le protagoniste de sa fiction, Riveneuve, part du postulat que le fait de ne plus mentionner le sexe des enfants à la naissance conduirait, en s’extirpant d’un droit binaire, à supprimer les discriminations à l’encontre des femmes, Thierry Hoquet, op. cit., not. p. 14.
[95] https://www.sdc.gov.on.ca/sites/mgcs-onterm/Documents/GenderIdentity/Recommandations.pdf
[96] Modalités d’élaboration et de délivrance des diplômes nationaux et de certains diplômes d’État par les établissements d’enseignement supérieur relevant du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation.
[97] Benjamin Moron-Puech estime préférable « la solution consistant à rendre facultative pour tous l’inscription du sexe/genre sur les titres d’identité », Benjamin Moron-Puech, « Le droit des personnes intersexuées », op. cit., § 37.
[98] Pour Benjamin Moron-Puech, « les règles instaurant une discrimination positive en faveur des femmes (…) devraient être (…) applicables aux personnes intersexuées qui sont autant si ce n’est plus discriminées que les femmes », Ibid., note 26.
[99] V. Mathieu Trachman, Tania Lejbowicz, « Des LGBT, des non-binaires et des cases. Catégorisation statistique et critique des assignations de genre et de sexualité dans une enquête sur les violences », Revue française de sociologie, 2018/4, vol. 59, pp. 677-705. L’enquête pré-électorale du CEVIPOF pour l’élection présidentielle de 2017 donnait la possibilité aux répondants de définir leur identité sexuée comme « homme », « femme » ou « autre » et contenait par ailleurs une question ouverte posée aux personnes choisissant « autre » pour qu’elles explicitent cette identification, v. Réjane Sénac, « Le droit à l’épreuve des dilemmes de l’égalité : de la catégorisation sexuée binaire à l’état civil », in Charles Bosvieux-Onyekwelu et Véronique Mottier (dir.), Genre, droit et politique, op. cit., pp. 185 sq.
[100] Tel sera l’un des objets du colloque « Le(s) droit(s) à l’épreuve de la non-binarité », organisé par le CRLD à l’Université d’Évry le 15 septembre 2022.
[101] Fanny Poirier, « Applications binaires des savoirs et réalité plurielles. Comprendre l’identité de genre par la non-binarité », Recherches en psychanalyse, 2020/1, n° 29, p. 44.