Vers la consolidation du droit de l’enfermement ? Réflexions autour de la transmission de la QPC n° 2025-1134 (CE, 29 janvier 2025, n°498798)
Le Conseil d’État a récemment transmis au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité dirigée contre les dispositions de l’article 719 du CPP en ce qu’elles écartent les geôles et dépôts des tribunaux du droit de visite dont disposent les parlementaires et les bâtonniers. La présente contribution entend éclairer les enjeux de la décision à venir qui dépassent la question posée au juge constitutionnel.
Par Stéphanie Renard, maître de conférences HDR en droit public et et Éric Péchillon, professeur de droit public – Université Bretagne Sud.
Alors que les constats d’atteintes alarmantes à la dignité et aux droits fondamentaux des personnes privées de liberté se multiplient, touchant tant les personnes incarcérées[1] que celles placées en rétention administrative[2] ou hospitalisées sous contrainte[3], l’occasion est aujourd’hui donnée au Conseil constitutionnel de consolider les bases du droit de l’enfermement[4].
Le 29 janvier 2025[5], le Conseil d’État lui a en effet transmis une question prioritaire de constitutionnalité dirigée contre les dispositions de l’article 719 du CPP en ce qu’elles écartent les geôles et dépôts des tribunaux du droit de visite dont disposent les parlementaires et les bâtonniers. Issue d’un travail universitaire, la présente contribution vise à éclairer les enjeux en présence qui dépassent amplement le cadre précis des locaux d’enfermement des palais de justice.
Le Conseil d’État avait été saisi par le tribunal administratif de Rennes[6] dans le cadre du recours pour excès de pouvoir formé par la bâtonnière du barreau contre le refus de visite des geôles et dépôts du tribunal judiciaire de Rennes opposé à deux de ses délégués par la présidente du tribunal et le procureur de la République.
Cette visite, programmée le 9 avril 2024, était destinée à dresser un constat objectif des conditions matérielles de privation de liberté au sein du tribunal judiciaire de Rennes. Elle participait à la 3e campagne nationale de visite des lieux de privation de liberté lancée le 2 avril 2024 par la Conférence des bâtonniers de France sur le fondement de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire[7]. Le choix de sélectionner spécifiquement ces locaux, qui ont une importance particulière dans l’exercice de la profession, n’était pas anodin ; ils sont en effet particulièrement représentatifs des enjeux contenus par l’octroi du droit de visite aux bâtonniers non seulement pour la sauvegarde de la dignité des personnes et le respect de leurs droits[8], mais aussi pour la protection des avocats eux-mêmes, amenés à les fréquenter dans l’exercice de leur profession[9].
Entrée en vigueur le 1er janvier 2022, la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 a étendu aux bâtonniers et à leur délégué dans leur ressort le droit de visite des lieux d’enfermement prévu à l’article 719 code de procédure pénale au profit des députés, des sénateurs et des représentants au Parlement européen élus en France. La réforme, votée à l’occasion d’un amendement assez peu débattu[10], répondait à une demande forte du Conseil national des barreaux (CNB) réclamant depuis 2018 la possibilité de « contrôler l’état des lieux de privation de liberté afin notamment de s’assurer du respect de la dignité et des droits des personnes privées de liberté »[11]. Conçu comme un complément des visites « déjà effectuées par les parlementaires et de l’activité du Contrôle [sic] général des lieux de privation de liberté »[12], le droit de visite des bâtonniers s’est rapidement imposé comme un outil efficace de garantie de l’État de droit dans les lieux d’enfermement[13]. Il présente en effet l’avantage d’associer un droit d’accès aux lieux d’enfermement à la capacité à ester en justice pour la défense des droits fondamentaux des personnes enfermées. Au-delà de l’alerte et du plaidoyer, il nourrit donc aussi le contentieux, dont le contentieux de l’urgence[14], pour garantir des conditions de réclusion conformes aux exigences constitutionnelles et conventionnelles de préservation de la dignité des personnes[15].
En l’espèce, les délégués de la bâtonnière du barreau de Rennes n’avaient cependant pas pu accéder aux geôles du tribunal judiciaire de la ville qu’ils entendaient visiter, un refus oral leur ayant été opposé à l’entrée du palais de justice. Le 15 avril 2024, un courrier explicatif cosigné de la présidente du tribunal judiciaire de Rennes et du procureur de la République près ce tribunal avait motivé ce refus par l’absence de base légale appuyant la demande de visite. Les geôles et dépôts des tribunaux ne figurant pas parmi les lieux expressément visés par l’article 719 du code de procédure pénale, les deux magistrats estimaient qu’ils ne pouvaient donner lieu à une visite par « les députés, les sénateurs, les représentants au Parlement européen élus en France, les bâtonniers sur leur ressort ou leur délégué spécialement désigné au sein du conseil de l’ordre ».
Le texte législatif dresse effectivement une liste des lieux ouverts aux visites qui comprend « les locaux de garde à vue, les locaux des retenues douanières définies à l’article 323-1 du code des douanes, les lieux de rétention administrative, les zones d’attente, les établissements pénitentiaires et les centres éducatifs fermés mentionnés à l’article L. 113-7 du code de la justice pénale des mineurs ». Les dépôts et geôles des tribunaux, qui, selon les cas[16], servent à la retenue des personnes en vue de leur comparution devant le juge pénal, le juge de l’application des peines, le juge des libertés et de la détention voire le juge civil, ne sont donc pas explicitement visés par la disposition[17]. Pour les magistrats rennais, le choix opéré par le législateur en 2021 de compléter la liste des lieux contrôlables en y ajoutant uniquement les locaux de retenue douanière revenait à exclure tous les autres lieux d’enfermement et, par conséquent, à fermer les portes des tribunaux. Ils s’en tenaient ainsi à une lecture stricte de la disposition, faisant valoir le caractère exhaustif et limitatif de la liste[18].
Déjà contraire à la lecture retenue par le Conseil national des barreaux (CNB) dans son Guide du droit de visite du bâtonnier[19], cette interprétation restrictive se dissocie également de celle adoptée par la majorité des chefs de juridictions qui autorisent assez largement de tels contrôles indépendants[20]. Au demeurant, ces locaux font partie de ceux ouverts aux visites du CGLPL par la loi de 2007[21] ainsi que le prévoit explicitement la circulaire du garde des Sceaux du 18 juin 2018[22]. Ils peuvent donc bien être considérés comme des lieux privatifs de liberté sur lesquels s’exerce un contrôle extérieur destiné à assurer la dignité des personnes recluses.
Contestant l’interprétation très restrictive de la loi contenue dans la décision administrative du 9 avril et sa motivation écrite du 15 avril, la bâtonnière du barreau de Rennes a formé un recours hiérarchique devant le Garde des Sceaux contre la décision conjointe de la présidente du tribunal judiciaire de Rennes et le procureur de la République près ce tribunal. L’objectif était sans doute d’obtenir une interprétation uniforme de l’article 719 du CPP en faveur de la garantie des droits et de la dignité des personnes retenues dans ces locaux. Elle a parallèlement déposé un recours pour excès de pouvoir devant le tribunal administratif de Rennes avant de l’assortir d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) dirigée contre les dispositions de cet article. Cette QPC donne une nouvelle ampleur au contentieux noué à Rennes. Visant à faire constater l’atteinte portée aux principes d’égalité et de dignité de la personne humaine par l’omission des geôles et dépôts des tribunaux de la liste des lieux ouverts au droit de visite par le législateur, elle ouvre une discussion attendue autour de l’imprécision et les insuffisances du texte codifié à l’article 719 du CPP[23].
Sans s’appesantir sur les motifs de sa conviction, le Conseil d’État a estimé que le « grief tiré de ce que ces dispositions, en tant qu’elles n’incluent pas les lieux de privation de liberté situés dans les tribunaux judiciaires et les cours d’appel, dits geôles et dépôts, dans la liste des lieux de privation de liberté pouvant faire l’objet du droit de visite qu’elles prévoient, portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, et notamment au principe d’égalité devant la loi ainsi qu’à la compétence que le législateur tient de l’article 34 de la Constitution dans des conditions affectant le principe de sauvegarde de la dignité humaine, soulève une question présentant un caractère sérieux » [24].
Pour le moins laconique, ce renvoi est tout aussi important par ce qu’il ne dit pas que par ce qu’il ne dit. Au titre du silence, qui était déjà celui du tribunal administratif de Rennes, se situe la question de la nature juridique de la décision prise par la présidente du tribunal judiciaire et le procureur de la République et, partant, de la compétence de la juridiction administrative pour en connaître. L’absence de discussions à ce sujet permet, au moins implicitement, de confirmer ce dont on se doutait déjà : quel que soit leur auteur, l’ensemble des actes pris dans le cadre du service public qui se rapportent aux modalités de la protection des personnes enfermées contre des conditions de détention contraires au principe de dignité relèvent du droit administratif (I). Le renvoi, qui ne peut être isolé de l’ensemble du contentieux récemment développé en la matière, marque aussi l’intérêt que les acteurs du droit français accordent à la situation des personnes enfermées depuis la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme par l’arrêt JMB c/ France du 30 janvier 2020[25]. Il donne ainsi au Conseil constitutionnel l’opportunité de franchir un pas supplémentaire dans la reconnaissance et la construction d’un droit unifié de l’enfermement (II).
I – Une confirmation de l’unité des actes de gestion administrative de l’enfermement
Cette unité, qui fait de l’administration la principale débitrice des obligations de respect de la dignité de la personne enfermée (B), transparait en filigrane des décisions des juges administratifs qui confirment une solution antérieure (A).
A – Une approche préfigurée par la jurisprudence antérieure
La compétence de la juridiction administrative n’ayant pas soulevé de discussions, la qualification de la décision adoptée par les deux magistrats rennais n’apparait qu’en creux du raisonnement successivement tenu par le tribunal administratif de Rennes et le Conseil d’État. Deux motifs complémentaires plaidaient en faveur de la reconnaissance d’une décision administrative relevant de la compétence des juridictions administratives.
Le premier tient à la nature même du droit de visite organisé par l’article 719 du CPP. Ainsi que l’a relevé la chambre criminelle de la Cour de cassation, ses dispositions investissent les titulaires du droit de visite d’une mission qui, « étant par essence […] d’intérêt général », est une mission de service public[26]. La Cour et le Conseil d’État ont tour à tour eu l’occasion de préciser l’objet d’intérêt général de cette mission : « vérifier que les conditions de détention répondent à l’exigence de respect de la personne humaine » [27] et de sa dignité[28]. Les modalités de son exercice et les décisions prises dans ce cadre se rapportent à une mission de service public administratif.
Le second se rattache à la répartition des compétences juridictionnelles pour le contrôle de l’exécution des mesures privatives de liberté telle qu’elle résulte notamment de la jurisprudence issue de la décision Préfet de la Guyane[29]. En la matière, la compétence du juge judiciaire ne vaut en effet que dans la mesure où elle est prévue par la loi[30] ou que le contrôle exercé par le juge administratif le conduirait à s’immiscer dans le fonctionnement de la justice judiciaire, au mépris de son indépendance. Il en résulte que les actes « relatifs non à l’exercice de la fonction juridictionnelle mais à l’organisation même du service public de la justice » ressortissent à la compétence du juge administratif[31]. Dans une décision relativement récente du 8 février 2021, le tribunal des conflits a clairement rappelé ce critère matériel de partage des compétences[32]. La juridiction judiciaire est toujours « compétente pour connaître des décisions ou mesures qui relèvent du fonctionnement du service public de la justice et dont l’examen se rattache à la fonction juridictionnelle ou conduit à porter une appréciation sur la marche même des services judiciaires ». Il lui revient donc de connaître des litiges se rattachant à une procédure judiciaire déterminée. De même qu’une faute commise à l’occasion d’une retenue judiciaire[33] ou d’une garde à vue[34] ne peut être connue que de l’autorité judiciaire, le contentieux né du suicide d’une personne retenue dans une cellule du dépôt d’un palais de justice relève ainsi de la compétence des tribunaux judiciaires dès lors que, et dans la mesure où, la « mise en rétention » se rattache à une « opération de police judiciaire »[35]. En revanche, lorsque le litige est relatif à l’organisation du service public, y compris celui de la justice judiciaire, « seul le juge administratif a compétence pour en connaître, quel que soit l’objet de cet acte »[36].
Ces principes ont été appliqués avec force par l’assemblée du Conseil d’État dans deux arrêts marquants de 2023. Le premier, en date du 11 octobre 2023, a considéré que la compétence de l’autorité judiciaire pour apprécier la régularité des contrôles d’identité opérés sur le territoire ne fait pas obstacle à la possibilité de « rechercher la responsabilité de l’État devant le juge administratif s’il est soutenu que, par un manquement à ses obligations dans le cadre de ses missions d’organisation du service public judiciaire, il peut être regardé comme ayant contribué directement à la commission de contrôles d’identité irréguliers, notamment en raison de leur caractère discriminatoire »[37]. Le second, du 29 décembre 2023, a suivi un raisonnement identique pour le contrôle des conditions de détention au sein des locaux de police[38]. Si le juge administratif écarte logiquement sa compétence lorsque le litige se rattache à une procédure judiciaire déterminée ou aux missions des officiers de police judiciaire et des autorités judiciaires, il la reconnaît en revanche dès lors que sont en jeu les mesures propres à assurer le respect de la dignité des personnes retenues qu’« il appartient à l’administration de prendre ». De la sorte, le contrôle des « conditions de fonctionnement du service » et des décisions qui s’y rapportent relève bien de la compétence administrative et du droit administratif[39].
Cette ligne de partage, qui certes implique la compétence pleine et entière du juge judiciaire pour connaître des recours individuels relatifs à des conditions de rétention ou de réclusion judiciaires contraires à la dignité de la personne humaine et/ou assurer le contrôle des conditions d’un enfermement particulier[40], fait donc des autorités administratives en charge des services publics gestionnaires de l’exécution des mesures privatives de liberté les principales débitrices des obligations résultant du principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine. De la sorte, dans le cas particulier du tribunal judiciaire de Rennes, la fonction et la destination des cellules, lieux de rétention à la fois administrative et judiciaire, importaient assez peu dès lors que le litige mettait en cause une décision de pure gestion administrative des locaux du tribunal et du service public. Si la décision émanait de deux magistrats, elle ne se rattachait pas aux missions dévolues aux autorités judiciaires, mais à l’organisation matérielle et aux règles de fonctionnement du service public. Relevant de la responsabilité de l’administration, celles-ci doivent notamment répondre aux exigences de respect de la dignité de la personne humaine posées par la Cour européenne des droits de l’homme et le Conseil constitutionnel.
B – L’administration, principale débitrice de la sauvegarde de la dignité des personnes enfermées
La jurisprudence constitutionnelle a tiré du principe de valeur constitutionnelle de sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation un impératif propre à l’enfermement : « toute mesure privative de liberté doit être mise en œuvre dans le respect de la dignité de la personne humaine »[41]. De cette norme de concrétisation, qui a vocation à s’appliquer à toute forme d’enfermement[42], le Conseil constitutionnel a tiré un certain nombre d’obligations positives pesant à la charge de l’ensemble des acteurs de la privation de liberté.
Le législateur, ici mis en cause, figure en première ligne de celles-ci. Il doit en effet assurer « la conciliation entre, d’une part, l’exercice de ces droits et libertés que la Constitution garantit et, d’autre part, l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public ainsi que les finalités qui sont assignées à l’exécution des [mesures] privatives de liberté »[43]. Dans le cadre de cette conciliation, il lui appartient en particulier « de déterminer les conditions et les modalités d’exécution [de ces mesures] dans le respect de la dignité de la personne »[44]. Cette exigence, plusieurs fois rappelée, fonde la question prioritaire de constitutionnalité formée par la bâtonnière du barreau de Rennes, considérant que la liste dressée à l’article 719 du CPP révèle une incompétence négative du législateur.
Le Conseil constitutionnel désigne les autorités d’exécution et d’application de la loi en seconde ligne de ces obligations. Ayant à plusieurs reprises indiqué que l’inapplication ou la mauvaise application des règles législatives protectrices de la dignité ne la rendait pas pour autant inconstitutionnelle, le Conseil constitutionnel a ici insisté sur la responsabilité propre de ces autorités d’exécution. Parmi elles, figure l’autorité judiciaire qui, dans le cadre des enfermements soumis à sa décision ou à son contrôle, est soumise à des obligations de plus en plus fermement définies[45]. Sont aussi visées les autorités administratives, notamment celles en charge de l’organisation et du fonctionnement des services accueillant les personnes privées de liberté. À ce niveau, le Conseil constitutionnel observe une lecture exigeante des responsabilités découlant de l’impératif constitutionnel de sauvegarde de la dignité, en s’adressant tout autant aux autorités administratives qu’à leurs agents et aux intervenants professionnels[46].
Les juridictions administratives se font largement l’écho de ces exigences que relaie par ailleurs la jurisprudence européenne. Prenant appui sur la vulnérabilité commune à l’ensemble des personnes privées de liberté[47], le Conseil d’État fait peser des obligations positives sur l’administration, dont les responsables des locaux d’enfermement en leur qualité de chefs de service qu’il désigne comme les premiers débiteurs de la garantie de la dignité des personnes enfermées et de leurs droits fondamentaux[48]. La position retenue trouve ses origines dans un principe énoncé en 2005 par le juge du référé-liberté du Conseil d’État : « le droit de chacun au respect de sa liberté personnelle […] implique en particulier qu’il ne puisse subir de contraintes excédant celles qu’imposent la sauvegarde de l’ordre public ou le respect des droits d’autrui »[49].
L’objectif de sauvegarde de la dignité des personnes enfermées répond à cet impératif de protection contre les sujétions excédant celles qu’impose nécessairement la privation de liberté[50]. En dépit des obstacles politiques et structurels qui freinent sa pleine effectivité[51], son importance, tant pour les personnes enfermées elles-mêmes que pour la société de droit, a conduit à de remarquables évolutions du contentieux administratif. On les note particulièrement en droit de la responsabilité pénitentiaire où elle a justifié un double assouplissement de la charge de la preuve. Le premier, emblématique, permet au juge de présumer du préjudice moral causé par des conditions de détention indignes[52]. Le second, pragmatique, intéresse la preuve desdites conditions, le juge estimant désormais qu’il revient à l’administration d’apporter des éléments permettant de réfuter les allégations du demandeur dès lors que la description faite par ce dernier est suffisamment crédible et précise pour constituer un commencement de preuve[53]. Rien ne vaut bien évidemment des constats objectifs officiellement établis par un tiers indépendant, tels que ceux dressés par les bâtonniers. Ils sont d’autant plus importants que cette jurisprudence favorable aux victimes ne s’applique pour l’instant qu’en matière pénitentiaire. Dans tous les autres lieux d’enfermement, les difficultés probatoires persistent.
Si elle ne saurait préjuger de la décision à venir du Conseil constitutionnel, la transmission de la QPC n° 2025-1134 par le Conseil d’État s’inscrit dans cette dynamique propice à la protection des droits des personnes enfermées. Débordant le champ pénitentiaire qui l’a vu naître, elle traverse tous les types de claustration pour favoriser l’émergence d’un droit unifié de l’enfermement.
II – Une étape supplémentaire dans l’édification d’un droit unifié de l’enfermement
La construction à l’œuvre du droit de l’enfermement (A) repose sur une approche modernisée de la privation de liberté, entendue comme le maintien en lieu clos (B).
A – L’émergence du droit de l’enfermement
Le droit de l’enfermement englobe l’ensemble des règles juridiques gouvernant les mesures privatives de libertés et les modalités de leur exécution. Il dépasse donc le champ classique des garanties apportées à la liberté individuelle, tel qu’elles résultent de la combinaison de l’article 7 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et de l’article 66 de la Constitution, pour s’étendre à la régulation de l’état d’enfermement (le maintien en lieu clos) dans l’idée que la claustration, qui implique certes une forme de soumission de la personne à l’institution, ne doit pas conduire à son assujettissement et à la négation de ses droits fondamentaux[54].
Sa constitution repose sur une perspective renouvelée et élargie de la sûreté, dont le volet libéral classique s’enrichit d’éléments relatifs à la dignité, et une approche unifiée de l’ensemble des régimes privatifs de liberté. On la décèle dans la transposition progressive par le juge administratif de raisonnements « pénitentiaires » à d’autres formes d’enfermement. Il est ainsi admis que la « situation d’entière dépendance vis-à-vis de l’administration » qui donne corps à la « vulnérabilité des détenus »[55] caractérise aussi la situation des personnes placées en garde à vue ou en cellule de dégrisement[56], celle des étrangers soumis à une mesure de rétention administrative[57] ou encore celle des patients placés en chambre d’isolement[58]. En découlent des obligations similaires pesant à la charge des autorités administratives, en particulier le chef de service, pour assurer les droits et libertés fondamentaux des personnes ainsi placées sous leur garde et leur garantir des conditions matérielles de vie conformes au principe de dignité. L’identité des raisonnements suivis, que retracent tout autant leur structuration que le vocabulaire employé, témoigne d’une approche unifiée de l’enfermement que le juge construit au regard exclusif de la situation de l’enfermé, sans considération pour le régime de privation de liberté, sa durée ou le lieu de son exécution.
C’est cette unité d’approche qu’exprime également la jurisprudence récente du Conseil constitutionnel. Assurant, au visa du principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité, que « toute mesure privative de liberté doit être mise en œuvre dans le respect de la dignité », le juge constitutionnel développe une lecture transversale des droits des personnes enfermées et des obligations en résultant pour les acteurs de l’enfermement[59].
Au regard de ce mouvement d’unification, largement incité par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté[60], les différenciations opérées par l’article 719 du CPP font effectivement figure d’anomalies, en ce qu’elles conditionnent l’un des leviers essentiels de la protection des droits et libertés fondamentaux des personnes enfermées à un critère de lieu. De ce point de vue, le caractère sérieux de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la bâtonnière de Rennes ne soulève guère de discussion. Dès lors que le silence du législateur quant au sort des geôles et dépôts des tribunaux conduit à des différenciations territoriales dans l’application de garanties légales, la disposition heurte, sans motif établi, le principe d’égalité devant la loi et le principe de sauvegarde de la dignité humaine que la disposition vise pourtant à garantir. La soustraction de ces lieux à la visite des bâtonniers touche aussi au droit à un recours effectif puisqu’elle prive les personnes concernées d’un moyen utile d’obtenir les constats nécessaires pour que puissent prospérer d’éventuels recours préventifs ou compensatoires contre des conditions de détention indignes.
Il faut relever que ces réflexions, qui ont notamment fondé les arguments tirés de l’incompétence négative du législateur, ne sont pas propres à l’exclusion discutée des locaux de privation de liberté des tribunaux du champ de l’article 719 du CPP. Plaidant en faveur d’une approche transversale et modernisée de l’enfermement, elles valent en effet pour l’ensemble des lieux d’enfermement que la disposition écarte du droit de visite faute de les mentionner expressément.
B – Une approche modernisée de l’enfermement
Au-delà de son objet particulier, la QPC oblige à s’interroger sur la pertinence de l’approche sectorielle de la privation de liberté que privilégie encore le législateur français. De manière assez radicale, la discussion nouée autour de l’inclusion ou de l’exclusion des geôles et dépôts du droit de visite des parlementaires et des bâtonniers met ainsi en cause la délimitation ratione loci opérée par l’article 719 du CPP.
Ce point n’est pas anodin : il oppose deux approches, classique et moderne, de l’enfermement. La première, que dévoile la liste contenue par ces dispositions, fait figure d’approche classique, en ce qu’elle correspond à celle qui était encore privilégiée lors de la création du Contrôleur général des lieux de privation de liberté en 2007[61]. Cette approche s’est construite au gré d’un double mouvement. Le premier correspond au développement progressif des régimes de privation de liberté qui a conduit à la définition de cadres juridiques variés tant dans les processus décisionnels et les motifs de la réclusion que dans leurs modes d’exécution et les lieux de leur réalisation. Le second mouvement est celui de la lutte contre la torture et les traitements inhumains et dégradants qui, au niveau tant des Nations Unies[62] que du Conseil de l’Europe[63], s’est concentrée sur les « lieux de détention » qu’il s’est agi d’identifier et de lister pour permettre le déploiement des dispositifs de surveillance et de contrôle.
Il en a résulté une perspective sectorielle de l’enfermement et la juxtaposition de régimes séparés dont les points de convergence, difficiles à faire émerger, n’apparaissent pas avec évidence. L’accent n’étant pas mis sur le dénominateur commun de ces régimes – le maintien en lieu clos –, les progrès de l’un ne sont pas les progrès de l’autre, les dispositifs prenant tous un caractère particulier[64].
À cet égard, la construction progressive du droit de visite contenu par l’article 719 du CPP révèle une certaine modernité. Si l’on excepte la loi de création du CGLPL, il est en effet le seul texte à clairement associer des enfermements judiciaires et administratifs pour les soumettre à des règles communes. En dépit du classement de la disposition dans le chapitre du code de procédure pénale dédié à l’exécution des peines privatives de liberté, cette association propice à une approche unifiée de l’enfermement est au cœur même du dispositif que le législateur a d’abord consacré au profit des parlementaires (incluant les représentants au Parlement européen élus en France à compter de 2009[65]) pour les autoriser « à visiter à tout moment les locaux de garde à vue, les centres de rétention, les zones d’attente et les établissements pénitentiaires »[66]. Elle transparait également dans l’allongement progressif de la liste des lieux ouverts aux visites des parlementaires puis des bâtonniers. D’abord étendue aux centres éducatifs fermés par un cavalier législatif voté à l’occasion de la loi du 17 avril 2015 portant modernisation du secteur de la presse[67], cette liste a de nouveau été corrigée en 2016 pour englober l’ensemble des lieux de rétention administrative, et non les seuls centres de rétention[68], puis en 2021 d’une part, pour y réintroduire les zones d’attente et les locaux de rétention administrative, temporairement supprimés[69], d’autre part, pour que les locaux de retenue douanière, « oubliés » du législateur, y soient intégrées[70].
Le critère ratione loci du droit de visite a toutefois été maintenu comme un paramètre d’exclusion. Difficilement compréhensible, la restriction a parfois, quoique rarement, résulté d’une volonté affichée. Tel fut le cas pour les établissements de santé accueillant des patients hospitalisés sous contrainte que le législateur de 2021 a écarté du droit de visite des bâtonniers au motif discutable qu’ils « relèvent plutôt des autorités du secteur médical »[71]. Pourtant, ces « lieux de privation de liberté en milieu psychiatrique »[72] peuvent être visités par les parlementaires depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 2013-869 du 27 septembre 2013[73]. Selon les travaux préparatoires, leur ouverture aux visites parlementaires, justifiée par le fait que « ces établissements constituent alors des lieux de privation de liberté »[74], répondait au souhait que « la psychiatrie ne soit pas un espace qui échappe au contrôle démocratique »[75]. Il s’agissait ainsi de les inclure dans le champ du contrôle extérieur déjà exercé dans les établissements pénitentiaires, les locaux de garde à vue, les centres de rétention et les zones d’attente pour que puissent être vérifiées « les conditions d’accueil » et éloigner le risque d’« arbitraire »[76]. En insérant ce droit de visite à l’article L. 3222-4-1 du code de la santé publique, le législateur a malheureusement négligé la modification parallèle du code de procédure pénale[77], ce qui a ultérieurement permis la séparation, très artificielle, des deux dispositifs[78]. Comme l’a noté l’étude d’impact sur le projet de loi de ratification de l’ordonnance n° 2022-478 du 30 mars 2022 portant partie législative du code pénitentiaire[79], les dispositions de l’article 719 du CPP trouvent certes « mal leur place dans une partie du code de procédure pénale consacrée aux procédures d’exécution (livre V), à la détention (titre II) et à l’exécution des peines privatives de liberté (chapitre II) ». Au regard des inconvénients liés à l’éparpillement des textes, on pense toutefois qu’il serait avisé de préserver l’unité du texte et d’insérer ces dispositions au code des relations entre le public et l’administration[80] plutôt que « de les transférer dans les parties législatives des différents codes ayant vocation à traiter de l’organisation et du fonctionnement [des] lieux » d’enfermement[81].
Dans la plupart des cas, les omissions de l’article 719 du CPP résultent surtout d’impensés laissant la voie ouverte à diverses interprétations : tel est le cas des geôles et dépôts des tribunaux mais aussi celui des locaux de retenue pour vérification de situation autres que les locaux de garde à vue ou de retenue administrative[82] ou encore celui des lieux placés sous la double responsabilité du ministre de la Santé et du garde des Sceaux (UMD, UHSA et UHSI) sans compter les locaux utilisés pour des quarantaines et isolements sanitaires.
L’approche classique, porteuse d’incohérences mais aussi d’inégalités dans la protection des droits fondamentaux des personnes privées de liberté, est difficilement compatible avec l’autonomie de la notion de privation de liberté telle qu’elle apparait dans la jurisprudence européenne. La Cour européenne des droits de l’homme fait en effet prévaloir une approche matérielle et concrète de la privation de liberté qu’elle a détachée de sa reconnaissance comme telle par les autorités nationales. Estimant que, « par delà les apparences et le vocabulaire employé », il faut « s’attacher à cerner la réalité »[83], la Cour dissocie donc son appréciation de « la qualification ou l’absence de qualification donnée par un État à une situation de fait »[84], ce qui lui permet de dégager son analyse de celles suivies par les autorités et juridictions nationales[85] et d’assurer la protection des personnes dont la privation de liberté est établie en fait à défaut d’être reconnue en droit et réalisée dans un lieu reconnu comme privatif de liberté[86].
Multiples, les défauts de la perspective classique de l’enfermement expliquent sans doute que se développe aujourd’hui une approche transversale plus moderne de la privation de liberté. Décloisonnée, elle permet d’envisager l’enfermement indépendamment de son régime, de son objectif, de sa durée, du lieu de son exécution et, même, de sa régularité. La privation de liberté se définit alors entièrement au regard de la coercition exercée sur la liberté et l’autonomie des personnes par l’autorité dépositaire de la puissance publique, qu’il s’agisse du juge ou d’une autorité de police, judiciaire ou administrative[87]. C’est à cette perspective unifiée que se rattache la jurisprudence administrative lorsqu’elle envisage les différents types d’enfermement sous un même jour, celui de « l’entière dépendance vis-à-vis de l’administration ». Y fait également écho l’approche retenue par le Conseil constitutionnel visant, sans restriction, « toute mesure privative de liberté ».
Cette perspective moderne de l’enfermement conduit à renverser les schémas de pensée traditionnels qui font de la protection des droits un volet particulier de chaque régime d’enfermement pour envisager les droits humains comme un principe-socle des régimes privatifs de liberté[88]. L’œuvre de (re)construction n’est certes pas évidente. Fondée sur le principe matriciel de sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme de dégradation ou d’asservissement, elle n’en reste pas moins essentielle pour l’égalité et la garantie des droits des personnes enfermées.
[1] V. not. CE, ord., 13 févr. 2025, n° 500243.
[2] Outre les rapports de visite publiés sur le site de la Conférence des bâtonniers (https://www.conferencedesbatonniers.com/fr/travaux-de-la-conference/visite-des-lieux-de-privation-de-liberte), v. not. CGLPL, Recommandations relatives aux centres de rétention administrative de Lyon 2 (Rhône), du Mesnil-Amelot (Seine-et-Marne), de Metz (Moselle) et de Sète (Hérault), JO du 22 juin 2023.
[3] La récente synthèse des rapports de la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) concernant les établissements de santé psychiatrique en France sur la période du 1er octobre 2023 au 24 septembre 2024 réalisée par P.-L. Lalanne-Orliange et Z. Lewkowicz est particulièrement éloquente. Les auteurs l’indiquent d’emblée : « Au travers de ces rapports, la CGLPL met en lumière des atteintes graves aux droits fondamentaux des patient.es hospitalisé.es sans consentement (SSC). Les principaux constats incluent des conditions d’enfermement indignes, un usage abusif de la contention et de l’isolement, un accès au droit défaillant, et des traitements particulièrement préoccupants pour les mineur.es et détenu.es ». P.-L. Lalanne-Orliange et Z. Lewkowicz, « L’enfermement du soin », Actualités Droits-Libertés [en ligne], 14 janvier 2025. URL : http://journals.openedition.org/revdh/21479.
[4] Sur ces bases constitutionnelles, v. S. Renard et E. Péchillon, « L’émergence du droit constitutionnel de l’enfermement », RDLF 2025, chron. 03.
[5] CE 29 janvier 2025, Bâtonnière de l’ordre des avocats du barreau de Rennes, n° 498798. La QPC est enregistrée sous le numéro 2025-1134.
[6] TA Rennes, 7 novembre 2024, n° 2403202.
[7] Art. 18 de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire, JO du 23 décembre 2021, texte n° 2 : « Au premier alinéa de l’article 719 du code de procédure pénale, les mots : « et les sénateurs ainsi que les représentants au Parlement européen élus en France sont autorisés à visiter à tout moment les locaux de garde à vue » sont remplacés par les mots : «, les sénateurs, les représentants au Parlement européen élus en France, les bâtonniers sur leur ressort ou leur délégué spécialement désigné au sein du conseil de l’ordre sont autorisés à visiter à tout moment les locaux de garde à vue, les locaux des retenues douanières définies à l’article 323-1 du code des douanes, les lieux de rétention administrative, les zones d’attente ».
[8] V. not. TA Nîmes, 28 juillet 2023, Ordre des avocats du barreau de Nîmes, n° 230447 (nettoyage renforcé des cellules) ; TA Marseille, 29 janvier 2024, Ordre des avocats du barreau de Marseille, n° 2312204 (fourniture d’un protège matelas, d’un kit d’hygiène, d’eau potable dans récipient approprié et installation d’un système d’appel).
[9] V. not. TA Montreuil, 12 décembre 2023, Ordre des avocats du barreau de Saint Denis, n° 2313300 : AJ Pén. 2024. 105, note S. Renard et E. Péchillon (en plus des mesures destinées à garantir la dignité des personnes en cellule, le TA enjoint de faire déplacer le local « entretien avocat », alors placé dans la « salle des toilettes du commissariat », dans un « bureau adapté et respectueux des droits fondamentaux, notamment de la dignité humaine ».
[10] Amendement n° CL248 du 3 mai 2021 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/amendements/4091/CION_LOIS/CL248.pdf. V. S. Renard et E. Péchillon, « La contribution des bâtonniers à la construction du droit de l’enfermement. Retour sur l’article 719 du code de procédure pénale », Lexbase avocats 2025, n° 354.
[11] Sénat, Rapport n° 834 (2020-2021) du 15 sept. 2021 : https://www.senat.fr/rap/l20-834/l20-83415.html#toc92.
[12] Ibid.
[13] V. S. Renard et E. Péchillon, « La contribution des bâtonniers à la construction du droit de l’enfermement… », op. cit.
[14] Une consultation sommaire du moteur de recherche de l’Open data de la Justice administrative indique que plusieurs dizaines d’actions en référé ont déjà été engagées à l’appui des rapports clôturant la visite de lieux divers : établissements pénitentiaires (v. not. CE, ord., 13 févr. 2025, op. cit.), centres et locaux de rétention administrative (v. par ex. TA Marseille, 28 juill. 2023, n° 2306814 ou TA Lyon, 23 oct. 2024, n° 2410230), cellules de garde-à-vue et/ou de dégrisement (V. par ex. TA Montreuil, 12 déc. 2023, Ordre des avocats au barreau de Seine-Saint-Denis, préc.).
[15] Ce qui n’est pas sans soulever certaines réticences que manifestent « les restrictions croissantes imposées par les autorités » au droit de visite des bâtonniers : résolution du Conseil national des barreaux sur le droit de visite des bâtonniers du 17 mai 2024 [en ligne]. Sur ce point, v. not. S. Renard et E. Péchillon, « La contribution des bâtonniers à la construction du droit de l’enfermement… », op. cit.
[16] La vocation des lieux dépend tout à la fois des situations juridiques et contentieuses et des aménagements des locaux. En l’occurrence, le tribunal judiciaire de Rennes dispose de plusieurs cellules, réparties par blocs et par étages, dont certaines sont utilisées comme lieux de rétention administrative alors que d’autres servent à la détention des personnes déférées à l’issue d’une garde à vue ou d’une retenue dans l’attente de leur comparution devant le juge pénal. Les responsabilités s’entremêlent ici entre compétence du préfet (pour les retenues administratives), compétence du procureur de la République (pour les retenues judiciaires), compétence de l’administration pénitentiaire (pour les personnes incarcérées) sans compter la compétence de la présidente du tribunal.
[17] Alors même qu’ils peuvent servir au « petit dépôt » prévu par l’article 803-3 du CPP.
[18] En cela, ils pouvaient sans doute s’appuyer sur la lecture opérée par le Conseil d’État qui, dans un arrêt du 11 mai 2021, a exclu les zones de transit international du champ d’application de l’article 719 du code de procédure pénale en considérant d’une part, qu’ils relèvent d’un « régime juridique distinct » des zones d’attente, et d’autre part qu’ils ne sont pas « au nombre des lieux privatifs de liberté » : CE, 11 mai 2021, n° 452068.
[19] CNB, Commission Libertés et droits de l’homme, Guide du droit de visite du bâtonnier et ses délégués des lieux de privation de liberté, 2e éd., nov. 2023, p. 13-14.
[20] Il suffit, pour s’en convaincre, de se référer aux rapports publiés à l’issue de telles visites sur le site de la Conférence des bâtonniers : https://www.conferencedesbatonniers.com/fr/travaux-de-la-conference/visite-des-lieux-de-privation-de-liberte.
[21] Loi n° 2007-1545 du 30 octobre 2007 instituant un Contrôleur général des lieux de privation de liberté, JO du 31 octobre 2007, texte n°1. Pour un ex. d’application, v. CGLPL, Rapport de synthèse : Geôles des palais de justice. Juillet 2015-Décembre 2016, 13 p. exposant la visite de quatorze tribunaux : https://www.cglpl.fr/app/uploads/2019/07/Synth%C3%A8se-adress%C3%A9e-au-minist%C3%A8re-de-la-justice-ge%C3%B4les-et-d%C3%A9p%C3%B4ts-de-tribunaux-visit%C3%A9s-entre-juillet-2015-et-d%C3%A9cembre-2016.pdf
[22] Circulaire du cabinet du garde des sceaux n° 2008-17/SG du 18 juin 2008 relative au Contrôleur général des lieux de privation de liberté, NOR : JUSA0818319C, BOMJ du 30 juin, point 2.2.1.3.
[23] Notamment de la part du CNB qui, au-delà de la restriction géographique du droit de visite portée par la liste contenue à l’article 719 du CPP, regrette aussi la possibilité d’interprétations variables de cette disposition qui donnent lieu à des applications contrastées selon les services publics concernés. Tel est le cas pour l’exercice du droit de visite dans les locaux relevant de l’administration pénitentiaire que, par une réserve interprétative de la loi, une note de la DAP du 24 août 2023 (n° JUSK2323136N) a fermé à toute visite faisant intervenir plusieurs délégués du bâtonnier alors que les visites collectives, indispensables dans les grands établissements, sont permises dans les autres lieux d’enfermement. Sur ces questions, v. S. Renard et E. Péchillon, « La contribution des bâtonniers… », op. cit.
[24] CE, 29 janvier 2025, préc., cons. 6.
[25] CEDH, 30 janv. 2020, JMB c/ France, n° 9671/15.
[26] Cass. crim., 5 juin 2018, n° 18-80.085 et Cass. crim. 27 juin 2018, n° 18-80.072, 18-80.080, 18-80.085 et 18-80.086.
[27] Ibid.
[28] CE, ord., 27 mai 2005, n° 280866, Lebon ; CE, ord., 2 juin 2020, n° 440787.
[29] T. confl. 27 nov. 1952, Préfet de la Guyane, n° 01420, Lebon 642 : GAJA, 15e éd., n° 70 ; JCP G 1953, II, 7598, note G. Vedel.
[30] En ce sens, l’attribution au juge judiciaire du contentieux individuel relatif aux mesures de placement en rétention administrative ou aux hospitalisations sous contrainte ne fait pas obstacle à la compétence du juge administratif pour connaître des modalités de leur organisation et des règles se rapportant à leur fonctionnement, l’article 66 de la Constitution limitant le rôle du juge judiciaire à la protection du droit à la sûreté. V. CE 26 juin 2015, n° 381648 ; CAA Marseille, 21 mai 2015, n° 13MA03115 et CAA Nantes, 16 déc. 2022, n° 19NT04325 ; TA Nice, ord., 6 juin 2024, n° 2402995 et TA Nice, ord., 26 juill. 2024, n° 2403207 (pour ce qui concerne l’enfermement psychiatrique) et CE, ord., 21 oct. 2021, Association Avocats pour la défense des étrangers, n° 457179 ; CE, ord., 24 août 2023, M. B… A…, n° 482424 et n° 482421 ; TA Marseille, ord., 28 juill. 2023, n° 2306830 et TA Lyon, 23 oct. 2024, n° 2410230 (s’agissant de la rétention administrative).
[31] T. confl. 27 nov. 1952, Préfet de la Guyane, n° 01420, préc.
[32] T. confl. 8 févr. 2021, Syndicat des avocats de France c/ garde des Sceaux, ministre de la Justice, n° 4202, Lebon 5 : AJDA 2021. 727, chron. Malverti et Beaufils. V. not. les cons. 4 et 5.
[33] T. confl., 17 déc. 2012, Mme Mérien, n° 3877, Lebon T. 655.
[34] CE 13 juill. 1956, Dame Vve Chêne, Lebon T. 638 : AJDA 1956. II. 404, obs. Pinto ; CE 10 mai 1968, Dame Vve Haffiane Messaoud, n° 51458, Lebon 305 ; T. confl. 22 mars 2004, Stoffel, n° 3390 : AJDA 2004. 1494 ; T. confl. 11 avr. 2022, n° 4243 ; T. confl. 9 mars 2015, Cts Cherra-Reboul, no 3990. V. ég. Cass. crim. 4 juin 2024, F-B, n° 23-83.506 : D. actu., 19 juin 2024, note I. Volson-Derabours.
[35] CAA Paris, 12 avr. 2012, n° 11PA05146.
[36] T. confl. 8 févr. 2021, Syndicat des avocats de France, préc., cons. 5.
[37] CE, ass., 11 oct. 2023, Amnesty international France et autres, n° 454836, Lebon : AJDA 2023. 2105, chron. A. Goin et L. Cadin ; RFDA 2023. 1079, concl. E. de Moustier.
[38] CE 29 déc. 2023, Ligue des droits de l’homme et autres, n° 461605 : D. actu. 15 janv. 2024, obs. T. Scherer ; AJDA 2024. 913, note J. Schmitz.
[39] V. not. TA Montreuil, 12 déc. 2023, Ordre des avocats au barreau de Seine-Saint-Denis, préc.
[40] V. en ce sens, Cons. const. n° 2020-858/859 QPC du 2 oct. 2020 M. Geoffrey F. et autre [Conditions d’incarcération des détenus] ; Cons. const., n° 2023-1064 QPC du 6 octobre 2023, Association des avocats pénalistes [Conditions d’exécution des mesures de garde à vue] ; Cons. const., n° 2024-1090 QPC du 28 mai 2024, M. Mohamed K. [Effectivité du droit de s’alimenter d’un étranger retenu aux fins de vérification de son droit de circulation ou de séjour].
[41] Cons. const., n° 2023-1064 QPC du 6 octobre 2023, préc.
[42] V. not. S. Renard et E. Péchillon, « L’émergence du droit constitutionnel de l’enfermement », op. cit.
[43] Cons. const., n° 2014-393 QPC du 25 avril 2014, M. Angelo R. [Organisation et régime intérieur des établissements pénitentiaires], cons. 7 et 8.
[44] Cons. const., n° 2009-593 DC du 19 novembre 2009, Loi pénitentiaire, cons. 3.
[45] V. S. Renard et E. Péchillon « L’émergence du droit constitutionnel de l’enfermement », op. cit.
[46] V. spéc. Cons. const., n° 2010-71 QPC du 26 novembre 2010, Danièle S. [Hospitalisation sans consentement] : JCP A 2010. 7, note N. Albert ; JCP G 2010. 2288, note C.-A. Dubreuil ; ibid. 2010. 2410, note D. de Béchillon ; LPA 2010, n° 255, p. 5, note C. Castaing ; AJDA 2011. 174, note X. Bioy ; RTD civ. 2011. 101, note J. Hauser ; RDSS 2011. 304, note O. Reneaudie ; RFDC 2011. 298, note A. Pena ; Dr. adm. 2011. 64, note R. Noguellou, cons. 29 : « il appartient aux professionnels de santé ainsi qu’aux autorités administratives et judiciaires de veiller, dans l’accomplissement de leurs missions et dans l’exercice de leurs compétences respectives, à ce que la dignité des personnes hospitalisées sans leur consentement soit respectée en toutes circonstances ».
[47] Celle-ci étant systématiquement mise en lien avec la dépendance dans laquelle ces personnes sont placées vis-à-vis de l’administration.
[48] V. CE, ord., 11 juill. 2007, n° 305595 : D. 2008. 1015, obs. J.-P. Céré, M. Herzog-Evans et É. Péchillon et CE, 17 déc. 2008, n° 305594 : AJDA 2008. 2364, obs. M.-C. de Montecler; AJ pénal 2009. 86, obs. É. Péchillon pour les personnes détenues ; CE, ord., 21 oct. 2021, n° 457179, préc. et CE, ord., 24 août 2023, M. B… A…, n° 482424 et n° 482421 pour les personnes placées en rétention administrative ; CE, ord., 22 nov. 2021, n° 456924 pour les personnes en garde à vue ; CAA Marseille, 21 mai 2015, n° 13MA03115, préc. et CAA Nantes, 16 déc. 2022, n° 19NT04325, préc. pour les patients placés en chambre d’isolement.
[49] CE, ord., 8 sept. 2005, Brunet, n° 284803, Lebon 388 : D. 2006. 124, note X. Bioy ; AJDA 2006. 376, note M. Laujidois ; Gaz. Pal. 2006, J. 1077, note J.-L. Pissaloux.
[50] Comme le Conseil d’État l’indique à l’occasion, les droits fondamentaux des personnes enfermées qui doivent être protégés ne sont pas seulement ceux que les articles 2 et 3 de la Conv. EDH garantissent, mais l’ensemble de ceux qui, à l’instar du droit au recours effectif, du droit d’accès aux soins ou du droit au respect de la vie privée et familiale, doivent être préservés de toute restriction excédant celles qui sont inhérentes à la détention.
[51] Que le Conseil d’État vient de rappeler dans le cadre de référé-liberté : CE, ord., 13 févr. 2025, préc.
[52] CE, 5 juin 2015, n° 370896 et CE, sect., 3 déc. 2018, n° 412010 : AJDA 2018. 279, chron. Faure et Malverti ; D. 2019. 1074, obs. J.-P. Céré, M. Herzog-Evans et É. Péchillon.
[53] CE 21 mars 2022, n° 443986 : RDLF 2022, chron. 24, comm. A. Jennequin.
[54] V. S. Renard, « Penser le droit de l’enfermement », Rev. des droits de l’homme 2025, n° 27 (à paraître).
[55] CE, ord., 11 juill. 2007, n° 305595, préc. et CE, 17 déc. 2008, n° 305594, préc.
[56] V. not. CE, ord., 22 nov. 2021, n° 456924, préc. ; CE 29 déc. 2023, Ligue des droits de l’homme et autres, n° 461605, préc. ou TA Montreuil, 12 déc. 2023, Ordre des avocats au barreau de Seine-Saint-Denis, préc.
[57] CE, ord., 21 oct. 2021, n° 457179, préc. ; CE, ord., 24 août 2023, n° 482424 et n° 482421, préc.
[58] CAA Marseille, 21 mai 2015, n° 13MA03115, préc. ; CAA Nantes, 16 déc. 2022, n° 19NT04325, préc.
[59] V. S. Renard et E. Péchillon, « L’émergence du droit constitutionnel de l’enfermement », op. cit.
[60] V. en particulier, CGLPL, « Recommandations minimales pour le respect de la dignité et des droits fondamentaux des personnes privées de liberté », JO du 4 juin 2020.
[61] Loi n° 2007-1545 du 30 octobre 2007 préc.
[62] V. not. le Protocole facultatif du 18 décembre 2002 se rapportant à la convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants : https://treaties.un.org/doc/Treaties/2002/12/20021218%2002-38%20AM/Ch_IV_9_bp.pdf
[63] V. la Convention européenne pour la prévention de la torture du 26 novembre 1987 révisée : https://rm.coe.int/16806dbaa6
[64] Ce que marque d’ailleurs l’enseignement universitaire de ces régimes, la garde à vue et la détention étant généralement abordés dans le cadre des enseignements de droit pénal et de procédure pénale, alors que l’hospitalisation sous contrainte, la mise en isolement et la quarantaine relèvent plutôt de ceux de droit de la santé et que le placement en zone d’attente ou rétention administrative est étudié en droit des étrangers.
[65] Art. 95 de la loi n°2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire.
[66] Ancien article 720-1-A du code de procédure pénale dans sa rédaction issue de l’article 129 de la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 relative à la présomption d’innocence.
[67] Art. 18 de la loi n° 2015-433 du 17 avril 2015 portant diverses dispositions tendant à la modernisation du secteur de la presse qui a permis aux journalistes titulaires de la carte d’identité professionnelle d’accompagner les parlementaires exerçant leur droit de visite à l’exclusion des locaux de garde à vue.
[68] Art. 44 de la loi n°2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France, JO du 8 mars.
[69] Cette suppression avait été justifiée par l’existence d’une disposition équivalente du CESEDA avant d’être regrettée. De ces tergiversations, il résulte toutefois que le droit de visite des bâtonniers, qui s’étend bien à ces locaux en vertu de l’article 719 du CPP, n’est nulle part mentionné au CESEDA dont les articles L. 343-5 et L. 744-12 se bornent à évoquer celui des parlementaires, le législateur de 2021 ayant négligé de le mettre à jour (comme celui de 2013 a négligé de mettre à jour l’article 719 du CPP. V. infra).
[70] Ass. nat., 14 mai 2021, amendement n° 711 présenté par M. Bernalicis et alii : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/amendements/4146/AN/711.pdf.
[71] Deux propositions d’amendement avaient pourtant été présentées au Sénat pour étendre le droit de visite des parlementaires et bâtonniers à ces établissements. Faute de soutien du gouvernement et de la commission des lois, elles ont toutefois été rapidement repoussées, la rapporteure de la commission des lois estimant, non sans paradoxe, que les « hôpitaux psychiatriques relèvent plutôt des autorités du secteur médical » et qu’une telle extension du droit de visite des bâtonniers ne serait « pas cohérente avec [leurs] attributions ». Selon elle, « ce serait donc au président de l’Ordre des médecins d’être autorisé, plutôt qu’au bâtonnier » (Sénat, compte-rendu des débats de la commission des lois du 28 sept. 2021 : https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20210927/lois.html#toc2). Sur ce point, v. not. S. Renard et E. Péchillon, « La contribution des bâtonniers à la construction du droit de l’enfermement. Retour sur l’article 719 du CPP », Lexbase avocats, n° 354, 2025.
[72] Ass. nat., XIVe législature (2012-2013), Compte rendu intégral de la deuxième séance du jeudi 25 juillet 2013 : https://www.assemblee-nationale.fr/14/cri/2012-2013-extra/20131031.asp.
[73] Art. L. 3222-4-1 du code de la santé publique dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-869 du 27 septembre 2013 modifiant certaines dispositions issues de la loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge, JO du 29 sept.
[74] V. Sénat, compte-rendu des débats de la séance du 13 sept. 2013 : https://www.senat.fr/seances/s201309/s20130913/s20130913_mono.html#Niv1_SOM2.
[75] Ass. nat., XIVe législature (2012-2013), Compte rendu intégral de la deuxième séance du jeudi 25 juillet 2013, op. cit.
[76] Sénat, compte-rendu des débats de la séance du 13 sept. 2013, op. cit.
[77] Ce qui, en soi, ne peut surprendre, l’éparpillement des textes jouant en faveur de telles omissions.
[78] Tout comme la dissociation temporaire du droit de visite « général » de l’article 719 du CPP et du droit de visite des zones d’attente et des lieux de rétention aurait pu conduire à une autre scission du contrôle extérieur exercé sur les lieux d’enfermement.
[79] Projet de loi du 4 juillet 2022 portant ratification de l’ordonnance n° 2022-478 du 30 mars 2022 portant partie législative du code pénitentiaire et modifiant certaines dispositions d’autres codes (JUSK2212677L).
[80] Puisqu’elles concernent une mission de service public visant au contrôle d’autres services publics : v. supra.
[81] Étude d’impact sur le projet de loi du 4 juillet 2022 précité, p. 9-10.
[82] Les véhicules utilisés à cette fin tout comme les véhicules de transport des détenus sont ainsi exclus, alors qu’ils sont intégrés dans le champ de compétence du CGLPL.
[83] CEDH, 24 juin 1982, Van Droogenbroeck c/ Belgique, n° 7906/77, A/50, § 38.
[84] CEDH, 23 juill. 2013, M.A. c. Chypre, n° 41872/10, § 187.
[85] V. par ex. CEDH, 12 févr. 2009, n° 2512/04, Nolan et K. c/ Russie, § 96 : AJDA 2009. 872, chron. J.-F. Flauss.
[86] CEDH, [GC], 25 juin 1996, n° 19776/92, Consorts Amuur c/ France, § 42 : AJDA 1996. 1005, chron. J.-F. Flauss ; D. 1997. 203, obs. S. Perez ; RFDA 1997. 242, étude H. Labayle ; RSC 1997. 457, obs. R. Koering-Joulin ; JCP 1997, I, 4000, n° 11, chron. F. Sudre. Comp. CE, 11 mai 2021, n° 452068 qui, par principe, exclut ces lieux de ceux qui, désignés comme privatifs de liberté, peuvent faire l’objet d’une visite indépendante.
[87] V. S. Renard, « Penser le droit de l’enfermement », Rev. des droits de l’homme 2025 (à paraître).
[88] Ce que suggèrent déjà les « recommandations minimales » du CGLPL.