L’Union européenne face au coronavirus : une réponse globale pour une crise sanitaire globale
Par Didier Blanc, Université Toulouse I Capitole
L’épidémie de coronavirus atteint l’Union européenne dans son essence même ; comme un espace sans frontières intérieures caractérisé par une vaste mobilité, comme une Union économique et monétaire reposant sur un Pacte de stabilité budgétaire prohibant les déficits publics excessifs et enfin comme un espace de solidarité entre ses États membres. Cette crise sanitaire suscitant une mobilisation sans précédent depuis la fondation des Communautés, puis de l’Union, affecte ainsi le trépied sur lequel elle repose : mobilité, stabilité et solidarité. L’exposition des réponses apportées n’a pas pour ambition d’être analytique, il s’agit plus modestement de donner à voir le panorama qu’offre l’action de l’Union découvrant en cette occasion un vaste arsenal juridique largement méconnu. En contrepartie, l’indulgence du lecteur est par avance sollicitée pour adoucir le grain descriptif de cette contribution.
L’idée centrale développée ici tient dans cette évidence que pour faire face à l’épidémie de coronavirus – une menace globale – l’Union européenne s’attache à poser une réponse globale en s’appuyant sur l’ensemble de ses moyens. A la différence des États membres, elle ne peut agir qu’au regard des attributions fixées par les traités dont ils demeurent les maîtres. En vertu de ce principe d’attribution des compétences de l’Union, une typologie résulte du traité de Lisbonne, elles se répartissent principalement en trois catégories : compétences coordonnées ; partagées ; exclusives.
Au titre de ses compétences coordonnées (santé publique, protection civile) ses moyens d’actions sont par nature limités, l’Union est le lieu de la coordination des politiques nationales (I). Les compétences partagées les plus nombreuses (marché intérieur, politiques publiques internes) font en l’occurrence l’objet d’une adaptation concertée et sans précédent de leur cadre juridique (II). Quant aux compétences exclusives (règles de concurrence, euro, politique commerciale commune), les institutions d’intégration de l’Union européenne (Commission et Banque centrale européenne), font preuve d’une même flexibilité (III). Enfin, deux compétences spécifiques (recherche et aide humanitaire) ajoutent à l’action des États membres (IV).
I. L’action de l’Union européenne au titre de ses compétences coordonnées
A. Compétences de l’Union en matière de santé publique
Les dispositions du traité sur le fonctionnement de l’Union sont sans équivoques concernant la catégorie de compétences à laquelle appartient la santé publique. D’une part l’article 6 TFUE retient que l’Union dispose d’une compétence pour mener des actions pour appuyer, coordonner ou compléter l’action des États membres dans divers domaine dont « la protection et l’amélioration de la santé humaine » tandis que l’article 168 TFUE stipule en particulier que l’action de l’Union « qui complète les politiques nationales, porte sur l’amélioration de la santé publique et la prévention des maladies et des affections humaines et des causes de danger pour la santé physique et mentale. Cette action comprend également la lutte contre les grands fléaux, en favorisant la recherche sur leurs causes, leur transmission et leur prévention ainsi que l’information et l’éducation en matière de santé, ainsi que la surveillance de menaces transfrontières graves sur la santé, l’alerte en cas de telles menaces et la lutte contre celles-ci ».
Tels sont les fondements d’une réponse sanitaire, par nature limitée, à l’épidémie de Covid-19 de l’Union européenne. Les faiblesses des actes est contrebalancée par la rhétorique et l’usage par les institutions de l’Union de leur fonction tribunitienne. A ce titre, la présidente de la Commission, Mme Ursula von der Leyen a fortement déclaré le 25 février « Alors que le nombre de cas continue d’augmenter, la santé publique est notre priorité. Qu’il s’agisse d’améliorer l’état de la préparation en Europe, en Chine ou ailleurs, la communauté internationale doit travailler de concert. L’Europe est là pour jouer un rôle de premier plan». A sa suite, le commissaire européen, M. Janez Lenarčič, commissaire chargé de la gestion des crises et coordinateur européen de la réaction d’urgence et Mme Stella Kyriakides, commissaire à la Santé et à la Sécurité alimentaires annoncent plusieurs actions dont l’envoi « d’une mission conjointe d’experts du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies et de l’Organisation mondiale de santé » les 25 et 26 février. Par ailleurs, pour être éclairée son rôle de coordination, la Commission européenne a mis en place le 17 mars 2020 un groupe consultatif sur la Covid-19, composé d’épidémiologistes et de virologues de différents États membres, dont la mission est d’élaborer des lignes directrices de l’Union relatives à des mesures de gestion des risques coordonnées et fondées sur des données scientifiques. Sans nourrir une confiance absolue dans le performatif, ces quelques exemples attestent de la nécessité pour l’institution incarnant au mieux l’Union d’user de la puissance du verbe, comme masque sans doute de ses faibles compétences dans le domaine sanitaire.
Pour autant, elles ne sont pas inexistantes, coordination ne vaut pas abstention. Aussi, l’Union s’est-elle dotée d’instruments de coordination tous activés dans le cadre de l’épidémie de Covid-19.
Le premier c’est le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) reposant initialement sur la décision n° 2119/98/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 septembre 1998 instaurant un réseau de surveillance épidémiologique et de contrôle des maladies transmissibles dans la Union. Basé en Suède au nord de Stockholm, il a fait l’objet d’une importante réforme en 2004 à la suite de l’épidémie de SRAS de 2003. C’est ainsi que le règlement (CE) n° 851/2004 du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 lui reconnaît une mission générale de surveillance, de détection et d’évaluation des risques sanitaires provoqués par des maladies transmissibles ou des épidémies que leur origine en soit ou non connue. A ce titre, l’ECDC est responsable de la surveillance épidémiologique des maladies transmissibles et de l’exploitation du système d’alerte précoce et de réaction (SAPR). Il s’agit en pratique d’un réseau informatique confidentiel qui prévoit une procédure de notification d’alerte. Actuellement, ce Centre européen publie chaque jour un état de l’avancée de l’épidémie. Une troisième réforme est intervenue en 2013 consacrant la création d’un Comité de sécurité sanitaire (CSS ou HSC) « composé de représentants des États membres ». Informel, il apparaît en 2001 dans un contexte de craintes nourries par des menaces bioterroristes. Désormais, conformément à la décision n° 1082/2013/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2013 relative aux menaces transfrontières graves sur la santé, il est en particulier compétent pour les « menaces transfrontières graves sur la santé suivantes : a) menaces d’origine biologique » qui peuvent comprendre des maladies transmissibles. Au sens de l’article 3 de cette décision, est une maladie transmissible, « une maladie infectieuse causée par un agent contagieux qui se transmet de personne à personne par contact direct avec une personne infectée ou par un moyen indirect, tel que l’exposition à un vecteur, animal, objet, produit ou environnement, ou l’échange d’un fluide, qui est contaminé par l’agent contagieux ». Depuis le début du déclenchement de l’épidémie, le Comité de sécurité sanitaire (CSS/HSC) en est à sa douzième réunion au 27 mars.
B. Compétences de l’Union en matière de protection civile
Le traité de Lisbonne consacre la coopération dans domaine de la protection civile apparue en 1985. L’article 6 f) TFUE prévoit que la protection civile est une compétence coordonnée de l’Union et 196 TFUE. Dans ces conditions, la Commission mais aussi le Conseil sont habilités à agir. Sur la base de la décision d’exécution (UE) 2018/1993 du Conseil du 11 décembre 2018 concernant le dispositif intégré de l’Union européenne pour une réaction au niveau politique dans les situations de crise le 28 janvier 2020, la présidence croate du Conseil a décidé d’activer le dispositif intégré de l’Union pour une réaction au niveau politique dans les situations de crise (IPCR) en mode « partage de l’information ». L’IPCR est le dispositif de l’Union qui permet d’assurer une coordination au plus haut niveau politique en cas de crises frappant de multiples secteurs. Il associe la présidence, la Commission, le service européen de l’action extérieure (SEAE), les agences compétentes, le cabinet du président du Conseil européen ainsi que des experts des États membres et des organisations internationales concernées. L’échange d’informations dans le cadre de l’IPCR a lieu via une plateforme web spécifique, qui contient les rapports de connaissance et d’analyse intégrées de la situation, les cartes de situation et les contributions des parties prenantes.
Parallèlement, la décision du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 relative au mécanisme de protection civile de l’Union instaure un Centre de coordination de la réaction d’urgence de l’Union situé à Bruxelles. Dès le début du déclenchement de l’urgence de santé publique de portée internationale (USPPI) le 30 janvier, le Centre a été mis en alerte 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. En contact permanent avec les États membres, les délégations de l’UE dans la région de Wuhan et l’ambassade de Chine à Bruxelles, il a été mobilisé à la demande de la France dès le 28 janvier 20 pour le rapatriement de ses ressortissants. Trois vols ont permis le rapatriement de Wuhan d’environ 500 ressortissants français avec une participation financière de l’Union à hauteur de 75 % du coût total. A l’heure où l’Europe attend la livraison de matériels de lutte contre l’épidémie, rappelons que certains des vols programmés ont permis au début du mois de février (le 1er) l’envoi de 30 tonnes d’équipements de protection mobilisés par les États membres à destination de la Chine dans le cadre du mécanisme de protection civile de l’UE et fin février, 25 tonnes d’équipements de protection individuelle. A côté de ce soutien logistique, 20 février l’Union a cofinancé à 75% le rapatriement de citoyens de l’UE présents sur le navire de croisière Diamond Princess, amarré dans le port de Yokohama (Japon). Au total, au 25 mars 2020, 25 vols ont permis le rapatriement de 4524 citoyens européens et britanniques, pas seulement en provenance de Chine, mais également d’autres pays tiers (Haïti, Japon, Maroc, Malaisie…).
Toutefois, au fur et à mesure que le virus s’est propagée, le mécanisme européen de protection civile s’est grippé, au point de menacer la solidarité européenne qu’il est censé incarner. Ainsi, des d’équipement médical ont été formulées par l’Italie, le 26 février et l’Espagne, le 16 mars. La Commission a relayé ces demandes de matériel de protection supplémentaire, en particulier des masques médicaux, auprès de tous les États membres, sans grand succès il est vrai ; chaque État membre assurant en priorité la protection de sa population. Toutefois, après l’épidémie de H1N1 en 2009, la décision précitée n° 1082/2013/UE du 17 décembre 2013 a ouvert la voie à un accord relatif à la passation conjointe de marché en vue de l’acquisition de contre-mesures médicales. Ratifié en 2017 par la France, la Commission pu lancer des appels d’offres pour des équipements de protection individuelle les 28 février et 17 mars, elle a aussi lancé un appel d’offres pour d’autres catégories d’équipements de protection individuelle, auquel ont participé 25 États membres. Ces premiers appels d’offres conjoints ont porté leurs fruits puisque dès le 24 mars, des fabricants ont présenté des offres correspondant aux quantités d’articles demandées par 25 États membres participants.
Sans que des considérations sanitaires en soient à l’origine, la décision n° 1313/2013 a fait l’objet d’une révision en mars 2019 afin de renforcer les capacités européennes de protection civile pour faire face aux importants feux de forêt touchant les États membres du sud de l’Union chaque été. A cette fin, est introduit le mécanisme RescUE activé pour la première fois le 19 mars par la Commission européenne. Il a été décidé de créer une réserve stratégique de matériel médical et de masques de protection avec un budget initial alloué par l’Union de 50 millions d’euros dont 40 à la charge du budget général de l’Union. Cette réserve stratégique doit être gérée par le Centre de coordination de la réaction d’urgence. Elle a pour vocation à compléter l’appel d’offre conjoint précédemment lancé par la Commission.
II. L’action de l’Union européenne au titre de ses compétences partagées
Au sens du droit de l’Union, les compétences partagées permettent à l’Union et aux États membres de produire des normes. Pour cette catégorie de compétence, les plus nombreuses matériellement et pour lesquelles le principe de subsidiarité trouve à jouer, l’adaptation législative est spectaculaire. L’épidémie de coronavirus produit un puissant effet de distorsion sur le cadre juridique en vigueur au point que l’image qui s’impose inévitablement est celle des montres molles de Dali.
A. L’adaptation des règles du marché intérieur
Les règles propres au fonctionnement ordinaire du marché intérieur font l’objet de révisions engagées par la Commission au nom de son pouvoir d’initiative juridique. Elles procèdent de la volonté politique exprimée à la suite de la première réunion par téléconférence du Conseil européen tenue le 10 mars.
Tout d’abord, dans une communication du 16 mars, relative aux restrictions temporaires sur les voyages non essentiels vers l’Union, la Commission réduit la libre circulation des personnes aux frontières extérieures pour une durée de 30 jours, prorogeable. Par ailleurs, la plupart des États membres ont fait jouer la clause de sauvegarde prévue à l’article 25 du « Code frontières Schengen » (CFS) adopté le 15 mars 2006 et révisé en 2016. Il prévoit la « réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures », par exemple « en cas de menace pour l’ordre public ou la sécurité intérieure », un État membre peut « exceptionnellement » réintroduire le contrôle à ses frontières intérieures. La durée en est limitée à un maximum de trente jours ou pour la durée prévisible de la menace grave si elle est supérieure à trente jours. Le premiers État membre à avoir notifié à la Commission son activation est l’Autriche le 11 mars, des Etats frontaliers de la France l’ont également fait (l’Allemagne le 16 mars, suivie de l’Espagne le 17 mars).
Ensuite, s’agissant de la libre circulation des marchandises, la Commission a pris le 23 mars des orientations pratiques pour garantir la continuité de la circulation des marchandises sur tout le territoire de l’Union au moyen notamment de voies réservées aux transports routiers. Suivies de la publication lendemain d’une communication sur la mise en œuvre des voies réservées prévues par les lignes directrices relatives aux mesures de gestion des frontières visant à protéger la santé publique et à garantir la disponibilité des biens et des services essentiels.
Enfin, l’arsenal juridique relevant du marché de la santé et singulièrement de la liberté de circulation des médicaments et de leur mise sur le marché est de nature à répondre aux circonstances exceptionnelles nées de cette crise sanitaire. En particulier l’article 2, 2 du règlement (CE) n° 507/2006 de la Commission du 29 mars 2006 relatif à l’autorisation de mise sur le marché conditionnelle de médicaments à usage humain relevant du règlement (CE) permet des autorisations de mise sur le marché conditionnelle (AMM conditionnelle) pour des médicaments destinés à être utilisés dans des situations d’urgence en réponse à des menaces pour la santé publique dûment reconnues soit par l’OMS soit par l’Union.
B. L’adaptation des politiques publiques internes de l’Union
Les politiques publiques de l’Union se trouvent également affectées par cette épidémie, la réaction de la Commission prend ici la forme d’un paquet législatif Covid-19 du 13 mars, contemporain d’une communication de la Commission relative à une réponse économique concertée. En premier lieu, en matière de transports, la Commission a déposé une proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (CEE) nº 95/93 fixant des règles communes en ce qui concerne l’attribution des créneaux horaires dans les aéroports. En substance, l’annulation de vols sera sans incidence sur maintien des créneaux déjà attribués. Plus tard, le 18 mars la Commission précisait par des orientations interprétatives les droits des passagers notamment dans le secteur aérien. Dernièrement, le 26 mars, elle a publié une communication visant au soutien du transport aérien par vols cargo.
Mais l’essentiel n’est pas là, devenue la première politique publique d’investissement de l’Union, la politique de cohésion fait l’objet d’aménagement au terme de la proposition de règlement modifiant les règles des Fonds structurels. Baptisée «Initiative d’investissement en réaction au coronavirus», cette proposition de règlement est assortie d’un montant de 37 milliards d’euros. S’il s’agit de venir en aide en priorité aux PME et aux systèmes de santé, les fonds alloués proviennent pour l’essentiel d’une nouvelle allocation des ressources dans le cadre de la fin de la période actuelle de programmation financière 2014-2020.
III. L’action de l’Union européenne au titre de ses compétences exclusives
Pour cette catégorie de compétences, « l’Union peut légiférer et adopter des actes juridiquement contraignants, les États membres ne pouvant le faire par eux-mêmes que s’ils sont habilités par l’Union, ou pour mettre en œuvre les actes de l’Union » selon l’article 2 TFUE. Sont concernés à l’article 3 TFUE « b) l’établissement des règles de concurrence nécessaires au fonctionnement du marché intérieur ; c) la politique monétaire pour les États membres dont la monnaie est l’euro (…) e) la politique commerciale commune. Pour l’ensemble de ces compétences, un terme s’impose : flexibilité.
Flexibilité en premier lieu en matière d’aides d’État selon les annonces contenues dans la communication de la Commission du 13 mars 2020. Y figure l’encadrement temporaire des mesures d’aide d’État visant à soutenir l’économie dans ce contexte épidémique. Sont principalement autorisées les aides en direction des PME et du secteur médical. Chaque jour où presque les États membres demandent à faire jouer cette flexibilité au regard des plans de soutien nationaux élaborés (la France le 21 mars, l’Italie le 25 mars etc.).
Flexibilité en deuxième lieu au regard des règles gouvernant l’Union économique et monétaire (UEM, voir l’intervention de Régis Chemain) dont le volet monétaire est exclusif de la compétence étatique pour les Etats de la zone euro. Après quelques atermoiements, la Banque centrale européenne (BCE) a annoncé le 18 mars une enveloppe de 750 milliards d’euros destinée au rachat des dettes publiques et privées (120 milliards étaient prévus une semaine avant). Est simplement évoqué et débattu le rachat sans limite, des obligations émises par les États dans le cadre programme OMT (« Outright Monetary Transactions »).
Parallèlement, les ministres des finances de la zone euro – formant l’Eurogroupe – ont abordé à nouveau le 25 mars la question de la mise en œuvre du Mécanisme européen de stabilité (MES), créé en 2012 en réponse à la crise de dettes souveraines pour aider les États rencontrant des problèmes de financement. Doté d’une capacité de prêts de 410 milliards d’euros, le MES offre une garantie de prêt pour permettre à ses bénéficiaires étatiques de maintenir les taux d’intérêt associés à leurs emprunts à des niveaux soutenables. En échange, les États concernés – comme ce fut le cas surtout pour la Grèce – doivent mettre en œuvre des réformes structurelles. Dans la situation actuelle, s’il peut octroyer des prêts à certains pays touchés de plein fouet par l’épidémie, comme l’Italie ou l’Espagne, il est difficilement concevable qu’ils soient assortis telles réformes. Par ailleurs, la Banque européenne d’investissement (BEI) qui a joué un rôle dans la relance opérée au début des années 2010 sera plus aisée à solliciter. Un plan permettant de mobiliser jusqu’à 40 milliards d’euros de financements a été annoncé. En revanche, à l’imitation du MES, la création d’obligations européennes « corona bonds » destinées à financer les États membres et les économies nationales une fois le spectre du coronavirus écarté est du registre des propositions divisant pour l’heure profondément les États membres. Ces « corona bonds » risquent d’être à l’Union, ce qu’est le permis de tuer à James Bond, à savoir un privilège coûteux et dangereux pour l’existence même de son titulaire.
Bien que le cadre juridique de référence ne soit pas celui de la compétence exclusive de l’Union mais celui de la coordination des politiques économiques des États membres, le Pacte de stabilité et de croissance (PSC) est en étroite relation avec l’euro et la politique monétaire. Le 4 mars les ministre des finances de l’Union prévoyaient une aggravation des déficits prévisibles et évoquaient une nécessaire flexibilité du PSC. Dans cet esprit et après la deuxième réunion à distance du Conseil européen du 17 mars, la Commission a présenté le 20 mars 2020 au Conseil une communication sur l’activation de la clause dérogatoire générale du PSC. Cette clause dérogatoire permet aux États membres de prendre les mesures budgétaires appropriées pour faire face à une situation de crise quelle qu’en soit l’origine, dans le respect des procédures préventive et corrective du PSC. Plus précisément, s’agissant du volet préventif, l’article 5, 1, et l’article 9, 1, du règlement (CE) nº1466/97 disposent : « en période de grave récession économique affectant la zone euro ou l’ensemble de l’Union, les États membres peuvent être autorisés à s’écarter temporairement de la trajectoire d’ajustement en vue de la réalisation de l’objectif budgétaire à moyen terme […], à condition de ne pas mettre en péril la viabilité budgétaire à moyen terme ». S’agissant du volet correctif, l’article 3, 5, et l’article 5, 2, du règlement (CE) nº1467/97 prévoient qu’en cas de grave récession économique dans la zone euro ou dans l’ensemble de l’Union, le Conseil peut également décider, sur recommandation de la Commission, d’adopter une trajectoire budgétaire révisée. Le Conseil a décidé d’activer cette clause le 23 mars.
En dernier lieu, la politique commerciale commune est naturellement concernée dès lors que l’épidémie emporte d’importantes conséquences sur les échanges commerciaux entre l’Union et les pays tiers. Des mesures de politique commerciale pour favoriser la lutte contre le Covid-19 ont ainsi été prises par la Commission. Elle a d’abord insisté sur la nécessité de filtrer les investissements étrangers en vue d’acquérir des capacités de production dans le domaine médical ou visant des établissements de recherche participant par exemple au développement de vaccins. Ensuite, elle a également adopté le 14 mars un règlement d’exécution soumettant l’exportation de certains produits à la présentation d’une autorisation d’exportation. Sans surprise figurent parmi les produits mentionnés les équipements de protection bucco-nasale, les gants ou encore les écrans faciaux. Enfin, le 16 mars est paru un avis prenant en considération les incidences du Covid-19 sur les enquêtes en matière de défense commerciale (mesures antidumping et antisubventions) relevant de la PCC.
Enfin, deux compétences de l’Union n’entrent dans aucune catégorie préexistante, il s’agit en l’occurrence de la recherche (du développement technologique et de l’espace) et de l’aide humanitaire.
IV- L’action de l’Union européenne au titre de ses compétences additionnelles
Les compétences concernées ont en commun de ne pas avoir pour effet d’empêcher les États membres d’exercer leur compétence. En d’autres termes, l’action de l’Union vient s’ajouter à celles des États membres, elle ne saurait en aucun cas y retrancher. Au titre de la recherche, dès le 31 janvier 2020 la Commission a décidé d’allouer 10 millions de dollars à la recherche à la suite du déclenchement de l’épidémie dans le cadre du programme-cadre de recherche Horizon 2020 (2014-2020), qui regroupe pour la première fois dans un seul programme, les programmes de recherche et d’innovation européens. Puis, le 24 février en vue de prévenir et de confiner le virus (belle réussite en termes de confinement), la Commission a annoncé un nouveau paquet d’aide de 232 millions d’euros. Une partie des fonds doit être immédiatement allouée tandis que 114 millions d’euros sont destinés à l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 100 millions d’euros sont prévus pour la recherche urgente liée au diagnostic, au traitement et à la prévention, dont 90 millions d’euros investis dans le cadre de l’Initiative pour les Médicaments Innovants, fruit d’un partenariat entre l’Union et l’industrie pharmaceutique.
La seconde, l’aide humanitaire témoigne dans le cas qui nous intéresse ici de l’expression juridique de la solidarité européenne. En 2002 à la suite de violentes inondations en Allemagne et Autriche a été créé un Fonds de solidarité de l’Union européenne. Limitée aux catastrophes naturelles, sa compétence est étendue par une proposition de la Commission publiée le 13 mars aux catastrophes majeures dues à des dangers biologiques. Précision utile, ce Fonds peut venir en aide aux pays candidats à l’adhésion à l’Union européenne.
En conclusion, et sans préjudice d’une intenable prétention à l’exhaustivité tant chaque jour charrie son lot d’initiatives, d’annonces et de décisions émanant des institutions, agences et organes de l’Union, il est indéniable que quels que soient les reproches que l’on puisse adresser à ses actions, elles ressortent d’une approche globale et concertée comme la chronologie l’atteste. Mais au-delà et avec moult précautions – cette épidémie ayant pour effet de transformer en vanités les vérités d’hier, et à recouvrir les mensonges et approximations du manteau rapiécé de l’urgence, cette crise sanitaire ouvre une crise économique et sociale révélatrice des vices et des vertus de l’Union. Née de la guerre, l’aspiration à l’unité européenne qu’elle incarne à sa façon sur un plan institutionnel et juridique, ressortira probablement renforcée de cette « guerre » sanitaire. Probablement encore que ses effets à long terme se traduiront par une union sans cesse plus étroite entre les États de l’Union et leurs peuples ; toute crise globale appelant une réponse globale. Au final, il est à espérer que cette pandémie ait pour effet d’atténuer une certaine sécheresse et rigidité à l’œuvre dans la construction européenne, qu’en un mot elle « humanise » l’Union au moyen d’un nouveau Pacte de solidarité.