Le contrôle des conditions du placement à l’isolement ou sous contention
Par Marc Grimbert, Juge des libertés et de la détention au tribunal judiciaire de Quimper
Si les mesures d’isolement[1] et de contention[2] constituent désormais un point essentiel de la réflexion éthique et juridique en matière de soins sous contrainte, la nouveauté de la prise en compte du caractère particulièrement intense de la privation de liberté inhérente à ces mesures ne peut que contraster avec le silence qui prévalait jusqu’alors. Silence juridique au premier chef. En effet, tant la loi Esquirol du 30 juin 1938 que la loi Evin du 27 juin 1990 ne se sont préoccupées que de créer le cadre juridique des soins sous contrainte, sans aborder ni le contenu des soins, ni leurs modalités, considérés comme relevant du seul domaine des psychiatres[3]. Silence éthique en regard de ce silence légal, en second lieu. Ainsi, l’ANAES relevait en 1998 une absence de traitement par les traités de psychiatrie du principe de l’isolement thérapeutique, tout comme une absence d’enseignement au programme du Diplôme d’Études Supérieures de psychiatrie, des Instituts de Formation en Soins Infirmiers et des Instituts de Formation de Cadres de Santé[4], d’où une pratique qualifiée « d’empirique » avec des formations assurées à l’intérieur des unités par les infirmiers.
Cette insuffisante conceptualisation entraînait logiquement une variabilité entre établissements, voire entre services au sein d’un même établissement, qui ne pouvait être expliquée par une différence entre personnes soignées, mais trouvait sa source dans des facteurs extrinsèques[5]. Aucun suivi ni aucune méthode de collationnement des statistiques n’existait au plan national[6]. La recommandation du Comité de Prévention contre la Torture (CPT), publiée en avril 2012, déplorant cette absence de traçabilité, incitait le législateur à s’emparer de la question et à mettre en œuvre une entrée officielle des mesures d’isolement et de contention, opérée au sein du droit positif par la loi du 26 janvier 2016[7] qui soumettait leur mise en œuvre à une condition de dernier recours, pour une durée limitée et devant être tracée dans un registre dédié, l’établissement de santé étant soumis à une obligation de dresser un rapport annuel. De manière presque concomitante survint le rapport du Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté (CGLPL) qui soulignait une quasi-absence de réflexion sur ce sujet, aboutissant à une totale hétérogénéité tant architecturale qu’éthique entre différents services ; il pointait également l’existence de pratiques dévoyées d’isolement à des fins disciplinaires pour sanctionner des comportements jugés non désirables, certains services ayant été jusqu’à établir des barèmes, tout comme l’utilisation de prescriptions « si besoin » du psychiatre aboutissant à ce que les conditions de recours à l’isolement soient appréciées par l’équipe soignante[8].
Un discret glissement notionnel s’opérait au sein de la loi de 2016, sans toutefois être noté à l’époque par d’autres personnes que les psychiatres et la doctrine, cette loi transformant la notion de « prescription » d’un isolement en celle de « décision d’isolement », ce qui aboutissait à ne plus pouvoir placer une initiative de placement en isolement sous la protection du principe de liberté de prescription du médecin[9] mais à mettre en exergue sa qualification d’acte administratif unilatéral, comme tel susceptible de contestation[10]. Cependant, cette loi n’était pas dotée d’outils à même de pouvoir changer des pratiques qui s’étaient installées dans le temps[11] et sa portée ne fût, au bout du compte, que très limitée, d’autant plus que persistaient des incertitudes quant à l’identité du juge compétent[12], de nature à dissuader d’éventuels plaideurs de saisir les juridictions.
Comme pour l’instauration d’un contrôle systématique de la privation de liberté par l’autorité judiciaire en cas de placement en soins sous contrainte[13], c’est du Conseil Constitutionnel, statuant sur question prioritaire de constitutionnalité, qu’est finalement venu le séisme : par une décision du 19 juin 2020[14], les Sages ont étendu aux mesures d’isolement et de contention le raisonnement qui avait été le leur s’agissant des hospitalisations sans consentement, en exigeant que le maintien d’une mesure d’isolement ou de contention soit soumis au contrôle du juge judiciaire au-delà d’une certaine durée. L’évolution législative postérieure fut chaotique, la première loi, du 14 décembre 2020[15], ayant voulu mettre en place d’un contrôle facultatif en lieu et place du contrôle systématique qui avait été exigé, ce qui a entraîné une seconde censure[16]. La loi du 22 janvier 2022[17] a finalement créé un mécanisme de contrôle conforme aux exigences constitutionnelles. Le régime actuel de ces mesures souffre néanmoins de difficultés notionnelles en lien avec le fait que le contrôle, initialement pensé comme facultatif, a été finalement rendu obligatoire sans réflexion d’ensemble sur ses conséquences en termes de structuration du temps, alors même que le législateur est resté sur le fond fidèle à sa volonté initiale de limitation de la portée du changement. D’où un résultat tirant dans des directions opposées, entre une aporie notionnelle (I), en regard d’un régime juridique pointilleux et peu flexible, engendrant un isolement sur-contrôlé (II).
I. Une aporie notionnelle
Cette aporie touche tant les atteintes à la liberté non couvertes par le contrôle (A) que celles qui y sont assujetties (B)
A. Les atteintes non-contrôlées
Les situations au sein desquelles des mesures d’isolement ou de contention peuvent être mises en œuvre sans que le regard d’un juge n’ait à aucun moment à se porter sont très fréquentes en pratique, leur mise en œuvre courante n’ayant pas encore trouvé de traduction juridique et le code de la santé publique étant muet sur ce point. Diverses situations sont notables : celles des urgences, de la gérontologie et du patient en soins psychiatriques libres, a fortiori en cas de minorité. Ces pratiques perdurent dans un silence textuel presque total, seules des recommandations de bonnes pratiques ou des instructions ministérielles venant selon les cas en fixer un régime juridique, alors même que la liberté d’aller et de venir est un principe à valeur constitutionnelle[18] qui ne saurait en principe être restreint par des textes infra-légaux.
Le passage d’une personne ayant besoin de soins psychiatriques dans des services d’urgence avant son orientation en établissement de santé mentale est fréquent. Une étude réalisée par des psychiatres en 2014 évaluait le pourcentage de personnes ayant besoin de soins psychiatriques à environ 20 % des personnes soignées aux urgences. Les cas listés par cette étude illustrent le recours à la contention dans des situations cliniques très variées où des actes auto ou hétéro-agressifs sont à craindre, mais également pour prévenir le risque d’un départ du service d’une personne souffrant d’une alcoolisation massive, l’équipe semblant s’être persuadée qu’elle serait médicalement responsable des actes qui seraient commis par la suite à l’extérieur par la personne, pourtant juridiquement libre d’aller et venir, si elle devait quitter le service dans cet état[19]… La multiplicité des types de situations à gérer associées au caractère particulièrement contraint de la temporalité de l’intervention induit que les services d’urgence sont régulièrement placés devant des choix cornéliens, et ce d’autant qu’aucun texte ne vient encadrer ces pratiques, à la différence des services de gérontologie.
Une recommandation de bonne pratique d’octobre 2000[20] en matière de contention des personnes âgées a en effet dégagé des critères de contention dont les critères présentent des analogies significatives avec ceux qui seront retenus en psychiatrie postérieurement : nécessité d’une prescription médicale et non pas d’une initiative de l’équipe, utilisation restreinte à l’échec d’autres alternatives, interdiction des mesures de convenance ou des mesures punitives, mise en exergue des vertus de l’information de la personne et de ses proches, objectif de développement d’une politique active de réduction des contentions.
Enfin, une mention particulière doit être faite s’agissant de la situation du patient en soins libres au sein d’un service psychiatrique qui présente une crise soudaine. Il résulte de l’article L 3222-5-1 du code de la santé publique que les mesures d’isolement ou de contention ne peuvent concerner que des personnes qui sont placées sous le régime des soins contraints. Or, entre le moment où une personne est factuellement placée en situation de contrainte et celle où la décision juridique d’admission est prise par l’autorité décisionnaire, laquelle peut être selon le cas, soit le directeur d’établissement, soit le représentant de l’État dans le département, soit le maire à titre temporaire, un délai incompressible ne peut que s’écouler, le temps de procéder à l’évaluation médicale de la personne devant être hospitalisée, et, en cas de soins sur décision du directeur d’établissement, de procéder à la recherche d’un tiers qui serait susceptible de réaliser une demande en ce sens. C’est ainsi que, de manière pragmatique, la Cour de Cassation a affirmé qu’un délai de quelques heures est susceptible de séparer l’admission effective de la matérialisation de la décision d’admission[21], seul le prononcé de la décision d’admission étant de nature à entraîner le point de départ des délais légaux[22]. Il s’ensuit que la loi s’oppose clairement à ce que l’isolement précède la décision d’admission, ce qui ne permet pas de répondre à la situation d’une crise soudaine, au sein de l’établissement, d’un patient en soins libres, qui sera très souvent par la force des choses placé à l’isolement avant que ne puisse être matériellement prise la décision d’admission. C’est dès lors en méconnaissance tant de la liberté d’aller et venir que des termes clairs et précis de la loi que le Ministère de la Santé affirme que l’isolement d’un patient en soins libre est possible « pendant quelques heures en attendant la mise en place d’une hospitalisation sans consentement ou la résolution de la situation clinique »[23].
Le patient mineur n’a pas plus été pris en considération que le patient en soins libre. Il résulte en effet des conséquences d’un avis de la Cour de cassation que le mineur n’est pas susceptible de faire l’objet de soins sur demande d’un tiers[24]. Si en théorie, une admission sur le fondement du péril imminent reste possible, il ressort de l’avis de la Cour régulatrice que celle-ci semble préférer, en cas de refus ou d’impossibilité d’identifier le représentant légal, l’intervention du juge des enfants par une décision de placement qui, là encore, ne permet pas l’isolement ni la contention. Seule l’admission du mineur selon le régime des soins sur décision du Représentant de l’État serait donc à même de permettre de l’isoler et le contenir. Toutefois ceux-ci nécessitent que les troubles présentés par le mineur compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte, de façon grave, à l’ordre public, ce qui restreint considérablement le spectre des mineurs pouvant en bénéficier. Ainsi le cas, fréquent en pratique, du mineur dont le représentant légal demande l’hospitalisation et dont les troubles n’entrent pas dans ce champ restreint, n’est pas couvert par le dispositif des isolements et des contentions.
Par ailleurs, si les dispositions de l’article L 3222-5-1 prévoient un contrôle drastique des mesures d’isolement et de contention en service psychiatrique, elles laissent de côté bon nombre de situations intermédiaires, ce qui ne manque pas d’interroger quant à l’incohérence du résultat final. En premier lieu, la contention chimique[25] n’est pas concernée par le champ du contrôle. Cette absence ne peut que signifier, en creux, que le législateur considère qu’il est moins coercitif de se voir imposer un traitement médicamenteux contre son gré que d’être enfermé au sein d’une chambre d’isolement, ce qui, dans l’absolu, n’a rien d’évident. Ce présupposé de moindre coercition ne peut qu’être renforcé par les termes de la Recommandation de bonne pratique de février 2017, laquelle prévoit que le médicament doit être considéré, parmi d’autres solutions, comme une alternative à une mesure d’isolement[26]. De surcroît, la loi du 5 juillet 2011 a créé une forme alternative de prise en charge en ambulatoire dénommée « programme de soins », lequel doit être respecté par la personne concernée, sous peine de donner lieu à une réintégration en hospitalisation complète. Or, les programmes de soins peuvent contenir des prescriptions médicamenteuses, et à cet égard la liberté du psychiatre est presque totale dans la mesure où il est à même de décider de l’évolutivité du traitement médicamenteux. En effet, le programme de soins ne doit mentionner « ni la nature ni le détail de ce traitement, notamment la spécialité, le dosage, la forme galénique, la posologie, la modalité d’administration et la durée »[27]. Aucun contrôle systématique des prescriptions médicamenteuses n’étant prévu, une personne peut-elle saisir un juge pour s’opposer à un tel traitement ? Il est acquis depuis la récente décision du Tribunal des Conflits que seul le juge judiciaire est compétent pour juger de toute action relative, non seulement à la régularité et au bien-fondé d’une mesure d’hospitalisation sous contrainte, mais également aux conséquences qui peuvent en résulter[28] , ce qui semble pouvoir concerner notamment les traitements médicamenteux mis en œuvre à cette occasion. Aux côtés de la contention chimique, toutes les situations de contention mécanique ne semblent pas non plus avoir trouvé grâce aux yeux du législateur. La recommandation de bonne pratique de février 2017, dont le maintien des effets normatifs en droit positif peut aujourd’hui être interrogé[29], se borne à relever qu’un vêtement de contention n’est pas nécessairement une mesure d’urgence et n’est pas nécessairement mis en œuvre dans le cadre d’une mesure d’isolement, sa mise en œuvre devant seule faire l’objet d’une évaluation clinique régulière[30]. Les lois de 2020 et de 2022, sans s’attarder plus avant sur ces mesures, ne prévoient que le contrôle des contentions accessoires à une mesure d’isolement, ce qui, indirectement, tend à exclure du dispositif toute contention qui ne se déroule pas au sein d’un lieu dédié et adapté, à savoir en chambre d’isolement[31]. De même, la chambre du patient fermée à clé ne semble pas entrer dans les prévisions légales dans la mesure où le principe est constitué par le fait que la chambre de la personne doit lui permettre de s’enfermer sans que d’autres personnes que les soignants ne puissent ouvrir la porte[32], ce qui n’offre aucune possibilité pour ces derniers de verrouiller de l’extérieur. Et les prescriptions relatives à la configuration des chambres d’isolement prévoient notamment l’utilisation d’un mobilier adapté à l’état du patient et donc la présence d’un lieu spécifiquement consacré[33], donc hors de la chambre habituelle. Or, les isolements en chambre sont en pratique régulièrement utilisés pour des isolements séquentiels de patients dont il y a lieu de prévenir des déambulations nocturnes, sans que les textes ne suivent la pratique. Leur application rigoureuse conduirait au placement de ces patients dans des chambres d’isolement au détriment de leur intérêt. Les lacunes du dispositif sont donc multiples et elles ne rendent que plus saillantes les exigences pointilleuses applicables aux situations couvertes.
B. Les atteintes contrôlées
L’unique article légal relatif aux mesures d’isolement et de contention énonce leur régime juridique sans prendre la peine de les définir, ce qui tend à renvoyer vers les définitions très précises de la recommandation de bonne pratique[34] dont il n’est pas certain qu’elle soit toujours applicable en droit positif. Il est en effet acquis de longue date que l’entrée en vigueur postérieure de dispositions inconciliables prévues par un texte de valeur supérieure entraîne l’abrogation implicite d’une norme inférieure[35]. Or, la question se pose de savoir si cette solution est également applicable lorsque le législateur, légiférant dans un domaine auquel s’applique une recommandation de bonne pratique, a décidé de n’en reprendre que certaines parties. Un tel texte, qui procède d’un « droit souple », défini par une « une normativité non prescriptive qui oriente le comportement de ses destinataires sans pour autant les contraindre »[36] , doit-il être considéré comme de nature à suppléer le silence du législateur qui n’aurait pas jugé utile de légiférer dans le détail, ou au contraire celui-ci a-t-il souhaité, sans l’exposer explicitement, que les nouvelles dispositions prescriptives soient désormais les seules applicables en la matière ? L’incertitude est réelle et il est souhaitable qu’elle se dissipe rapidement tant ses conséquences en la matière sont importantes.
En effet, la loi se borne à prévoir que les mesures d’isolement et de contention sont des pratiques de dernier recours utilisées pour prévenir un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou pour autrui, ce qui exclut tout isolement de nature disciplinaire et met fin à la pratique, à juste titre décriée, des isolements « si besoin ». Seul le psychiatre est désormais compétent pour décider d’un isolement ou d’une contention, ce qui laisse deux questions en suspens selon que la recommandation de bonne pratique est ou non encore en vigueur, celle des évaluations à distance et des évaluations par l’interne ou l’équipe.
La recommandation autorise en effet spécifiquement le placement à l’isolement sur initiative de l’équipe soignante ou de l’interne, avec une nécessité de confirmation dans l’heure qui suit par un médecin psychiatre. En cas de décision prise par un interne ou par un médecin non psychiatre durant une période de garde, la recommandation va même plus loin et précise que cette confirmation peut se faire par téléphone. Or, ces précisions n’ont pas été reprises par la loi, ce qui jette une incertitude sur la légalité de pratiques pourtant couramment utilisées aujourd’hui du fait de la pénurie de médecins psychiatres dans de nombreux établissements.
Ces évaluations doivent-elles être motivées ? La question peut se poser dans la mesure où la loi est muette sur ce point. Un auteur répond par l’affirmative en se fondant sur les dispositions de l’article L. 211-2 du code des relations entre le public et l’administration aux termes duquel les décisions portant atteinte aux libertés individuelles sont soumises à une exigence de motivation[37]. Il est permis de penser que la condition de dernier recours, qui porte en elle une exigence de subsidiarité, ne peut que conduire à une exigence d’évaluations motivées.
Muette sur la question des modalités des évaluations, la loi est en revanche plus diserte sur leur périodicité, non sans contradictions. En effet elle prévoit qu’une mesure d’isolement est prise pour une durée maximale de douze heures. Elle peut être renouvelée dans la limite d’une durée totale de quarante-huit heures, et fait l’objet de deux évaluations par vingt-quatre heures. La mesure de contention est quant à elle prise dans le cadre d’une mesure d’isolement pour une durée maximale de six heures. Elle peut être renouvelée dans la limite d’une durée totale de vingt-quatre heures, et fait l’objet de deux évaluations par douze heures.
À cet égard, une importante évolution sépare la loi de 2020 de celle de 2022. La première version légale synchronisait en effet les évaluations et les fins des périodes. En d’autres termes, la personne était censée être évaluée à intervalles chronométrés, et ce indépendamment de sa situation effective, le législateur ne s’étant semble-t-il pas interrogé sur l’hypothèse du sommeil du patient. Au-delà de l’impossibilité matérielle pour les établissements de respecter un cadencement aussi millimétré, le dispositif n’était pas compatible avec les contraintes biologiques des personnes concernées, ce qui avait abouti à ce que le Ministère de la Santé soit contraint de créer contra legem au sein de son Instruction un régime dit de « nuit profonde », aux termes duquel le sommeil du patient permettait de différer son évaluation jusqu’au lendemain matin[38]. La loi de 2022 s’est attelée à sortir de l’impasse en prévoyant désormais que les mesures d’isolement doivent faire l’objet de deux évaluations par vingt-quatre heures et les mesures de contention de deux évaluations par douze heures, introduisant une souplesse au sein du dispositif et permettant aux établissements de pouvoir faire cohabiter les nouvelles exigences légales avec leurs propres contraintes temporelles.
Néanmoins, cet allègement n’a pu se faire qu’en rompant avec l’équilibre théorique du texte, lequel prévoit en son alinéa premier qu’une mesure d’isolement ne peut être mise en œuvre qu’après une évaluation du patient, et les renouvellements des mesures ne peuvent être décidées que selon les mêmes modalités. Il s’en déduit que le nouveau système est contradictoire : tout en continuant à prohiber nominalement les évaluations postérieures à l’échéance, il invite les établissements à y procéder pendant les heures ouvrables et non pas pendant les périodes nocturnes. Mis au défi de concilier ces exigences incompatibles, le Ministère de la Santé a prévu, non sans ingéniosité, que « si l’évaluation est faite avant la durée maximale (…), la décision de renouvellement peut être prise et ne rentrer en vigueur que lorsque la décision précédente prend fin »[39], ce qui ne sauve malheureusement pas la cohérence du dispositif. En effet, ce pouvoir d’évaluation prédictive, qui tend à prêter des pouvoirs divinatoires aux médecins psychiatres, est difficilement conciliable avec la condition de dommage immédiat ou imminent, laquelle devrait en théorie impliquer une réévaluation concomitante à une décision de renouvellement.
De telles contorsions sont nécessaires dans la mesure où il ne peut qu’être regretté que le texte ne raisonne qu’en termes de périodes étanches et non pas de statut juridique, à l’inverse de la logique qui prévaut en matière d’hospitalisation sans consentement de droit commun, où le cadre juridique de la contrainte n’implique pas nécessairement une hospitalisation sous forme complète, la personne pouvant se trouver en programme de soins, c’est-à-dire sous une forme de contrainte allégée pouvant donner lieu sous certaines conditions à une réintégration.
II. L’isolement sur-contrôlé
Le régime applicable au contrôle des mesures d’isolement et de contention peut être qualifié de pointilleux (A), sa complexité ne faisant que contraster avec les incertitudes pesant sur son intérêt (B)
A. Un contrôle pointilleux
Au-delà de la durée maximale du renouvellement, fixée à 48 heures pour un isolement ou 24 heures pour une contention, s’ouvre le régime dit du renouvellement exceptionnel. Le législateur a repris ainsi les termes de la recommandation de bonne pratique qui prévoyait que « les isolements de plus de 48 heures et les contentions mécaniques de plus de 24 heures doivent être exceptionnels »[40]. Or ces délais apparaissent largement décorrélés des réalités de terrain s’agissant des isolements. Si les chiffres sont difficiles à objectiver, il résulte des données fournies en 2014 par l’agence technique de l’information sur l’hospitalisation hospitalière une durée moyenne de quinze jours[41]. Une étude portant sur 61 chambres d’isolements de sept établissements du sud-francilien en 2016 pendant une durée de 73 jours, portant sur 302 mesures, a quant à elle relevé une durée moyenne d’isolement de 10,2 jours, avec une médiane de 7,1 jours[42]. Ainsi, une observation clinique a-t-elle mis en évidence une durée médiane plus de trois fois et demi supérieure au renouvellement dit exceptionnel, ce qui ne peut que faire s’interroger sur le degré de corrélation des exigences légales par rapport aux spécificités du trouble mental. La différence est frappante avec la comparaison des rares données disponibles pour la contention physique, où était relevée une moyenne de 69,5 heures et une médiane de 12 heures[43], soit des exigences textuelles compatibles avec la pratique.
Le renouvellement exceptionnel entraîne une double obligation d’information, vestige du régime juridique de saisine d’office qui avait été conçu par la loi de 2020. L’intervention du juge étant sous la loi ancienne subordonnée à une saisine, d’office ou de la part d’un proche, il était indispensable de leur faire parvenir une information aux fins de pouvoir assurer leur faculté d’introduire l’action en justice. C’est ainsi que le directeur d’établissement doit informer le juge des libertés et de la détention, tandis que le médecin doit informer un proche, dans le respect de la volonté du patient et du secret médical. Ces deux précisions constituent un ajout bienvenu de la loi de 2022, dans la mesure où de manière regrettable, la loi de 2020 n’avait pas expressément prévu la faculté pour le patient de s’opposer à l’information d’un proche. Point d’équilibre cardinal du régime de la loi de 2020, ces deux obligations d’informations apparaissent aujourd’hui largement superfétatoires, à tout le moins sur un plan strictement juridique, sous le régime de la loi de 2022 qui organise une saisine obligatoire du juge par le directeur d’établissement.
La computation de ce seuil de renouvellement exceptionnel se voit affectée par un double effet mémoire. D’une part, la durée des mesures précédentes s’ajoute quand moins de 48 heures séparent deux mesures. D’autre part, le seuil est également atteint quand la somme cumulée des mesures est de 48 heures pour un isolement, ou 24 heures pour une contention, sur les quinze derniers jours. La question se pose de savoir si ces deux règles sont d’application alternative ou cumulative. En d’autres termes, la durée est-elle décomptée si des mesures séparées entre elles par des laps de temps supérieurs à 48 heures existent pendant les quinze jours ? Ou faut-il pour le décompte, additionner uniquement les mesures prises pendant les quinze derniers jours mais séparées les unes les autres de laps de temps inférieurs à 48 heures ? Si la loi ne permet pas de répondre à cette question, le Ministère de la Santé prend parti pour une application alternative en préconisant que soit décomptée la « durée de toutes les mesures non consécutives qui ont été prises, qu’elles soient ou non espacées de plus de 48h, sur une période de quinze jours glissants est cumulée »[44]. Cette position se fonde sur les dispositions du nouvel article R. 3211-31 qui prévoit en son 2° l’ajout des mesures prises de façon non consécutive mais séparées de moins de 48 heures et en son 3° des mesures prises de façon non consécutive, ce dont il se déduirait que les mesures séparées de plus de 48 heures devraient être également computées. L’incohérence est, selon l’auteur de ces lignes, patente : si le seuil de 48 heures n’a pas lieu de s’appliquer aux mesures non consécutives, pourquoi l’article R. 3211-31 2° prend-il la peine de le mentionner ? Une telle solution impliquerait de cantonner le seuil de 48 heures aux calculs afférents aux levées de mesure, et non pas à la computation du régime du renouvellement exceptionnel, ce qui rendrait malavisé le positionnement textuel de ce dernier. L’analyse cumulative semble donc préférable, faute de jurisprudence ayant tranché cette question.
Dès lors que le seuil du renouvellement exceptionnel est dépassé de vingt-quatre heures, le directeur d’établissement doit saisir le juge des libertés et de la détention. Il doit être noté que le demandeur est identique tant pour les mesures de soins sur décision du directeur d’établissement que pour les mesures de soins sur décision du représentant de l’État, alors même que, dans cette dernière hypothèse, le directeur d’établissement n’est pas l’autorité compétente pour prendre les décisions administratives afférentes à l’hospitalisation ! Le juge des libertés et de la détention statue dans un délai de vingt-quatre heures à compter du terme des durées prévues, soit une durée pour un cycle de 96 heures pour un isolement et 72 heures pour une contention. Ce délai-heure est interrompu par chaque levée de l’isolement du patient, qui reporte d’autant les délais pour saisir et pour statuer, contraignant souvent en pratique à opérer des calculs fastidieux.
Ce régime se complexifie encore avec l’intégration du délai-jour, qui vient succéder au délai-heure en matière d’isolement, tout en obéissant à des règles de computation symétriquement inverses. En effet, en cas de maintien de la mesure d’isolement au terme du premier cycle de 96 heures, un nouveau cycle de 96 heures démarre à compter du placement initial en isolement. Toutefois, à compter du troisième cycle les cycles sont de sept jours à compter de la dernière décision du juge. En d’autres termes, la première décision de maintien n’a pas d’incidence temporelle s’agissant de délais fixes. Les suivantes interrompent le délai de sept jours. En effet, en cas de délai-jour, les cycles se calculent de décision à décision, ce dont il s’infère que la levée de l’isolement n’a pas pour effet de rallonger les délais dès lors que l’isolement est repris moins de quarante-huit heures après une levée. Si le législateur a entendu par ce délai-jour simplifier la tâche des praticiens, on peut se demander dans quelle mesure cet objectif a été réellement atteint, puisque l’un des effets inattendus de cette notion est qu’elle semble contraindre le directeur d’établissement à saisir le juge au sixième jour après sa précédente décision lorsque l’isolement a été levé plus de cinq jours après celle-ci[45]. La question connexe qui se pose est celle du sort de l’isolement levé au moment où le juge statue, dans la mesure où il ne peut pas être certain que cette dernière ait épuisé ses effets juridiques. En effet, toute reprise dans un délai antérieur à 48 heures de la levée aboutissant à l’adjonction des périodes déjà écoulées, les seuils légaux de saisine peuvent se trouver atteints dès la reprise.
Dans ce cas, le juge doit-il apprécier l’existence de l’isolement au moment de sa saisine ou au moment où il statue ? La Cour de cassation a retenu la seconde branche de l’alternative[46]. Elle adopte par ailleurs une position rigoureuse en considérant que le litige est devenu sans objet faute d’actualité de l’intérêt à agir, dans la mesure où le juge doit uniquement déterminer si les conditions de maintien en isolement sont toujours réunies. On peut rapprocher cette situation de celle du défaut d’intérêt à agir pour préjudice déjà réparé, laquelle rend l’action irrecevable[47]. Mais le cas de figure est-il vraiment le même dès lors que le législateur a justement posé une continuité entre l’isolement nouveau et ceux intervenus depuis moins de quarante-huit heures ? Par ailleurs, l’adjonction de ces périodes antérieures semble devoir, après une décision ayant déclaré une saisine sans objet, donner lieu à une nouvelle saisine, sans pour autant que la loi ne prévoie explicitement ce cas de figure, ce qui ne met pas à l’abri les acteurs contre un risque de devoir organiser des audiences nocturnes, le reliquat d’heures subsistant après un premier isolement expirant en dehors des heures ouvrables. La rigidité du dispositif peut là encore sembler excessive, et ce d’autant que l’ensemble des délais expirent en heures et en minutes.
En effet, s’agissant du délai-jour, les textes souffraient d’un manque de clarté en ce qu’il était permis d’hésiter entre deux méthodes de computation des délais : l’une, identique à celle du code de procédure civile, selon laquelle le délai expire à la vingt-quatrième heure du septième jour suivant la précédente décision ; l’autre, selon laquelle le délai doit être considéré comme expirant en heures et en minutes, dans la mesure où l’article R. 3211-32 du code de la santé publique avait écarté les règles de computation des délais afférentes au code de procédure civile, probablement par inadvertance dans la mesure où seules les règles afférentes aux délais expirant les samedis, dimanches et jours fériés semblent avoir été visées[48]. C’est vers une application rigoureuse de l’esprit de la loi que s’est tournée la Cour régulatrice en affirmant que le délai de sept jours expire sept fois vingt-quatre heures, soit 168 heures, après la précédente décision, à l’heure exacte en heures et minutes[49], solution qui impose aux établissements, tenus de saisir le juge vingt-quatre heures avant le terme, de vérifier manuellement au sein de chaque décision à quelle heure cette dernière a été rendue de manière à en déduire son propre délai. Un facteur de complexité supplémentaire se fait jour lorsque le jugement n’est pas horodaté. Il ne semble pas que cette omission puisse affecter sa validité dans la mesure où le code de procédure civile n’exige que la mention de sa date[50], mais pour autant, l’expiration en heures et en minutes devrait commander qu’il soit recherché par tout moyen l’heure à laquelle il a été rendu, et faute de pouvoir la reconstituer, de calculer le délai comme expirant le septième jour à zéro heures à compter du jour de la précédente décision.
Ce contrôle fait l’objet d’une procédure en principe écrite. Si le juge décide de tenir une audience, il s’agira alors d’une décision orale. L’audition du patient est de droit s’il demande à être entendu, excepté si des motifs médicaux font obstacle à celle-ci. Ce n’est que dans ce cas que la représentation est obligatoire. Ainsi, de manière peu cohérente, l’avocat n’est pas obligatoire pour le contrôle des mesures d’isolement alors même qu’il l’est s’agissant de l’hospitalisation qui les fonde…[51]
Au total, l’ensemble de cette législation est donc d’un maniement particulièrement délicat pour les praticiens, ce qui ne manque pas d’interroger sur l’intérêt du contrôle sous sa forme actuelle.
B. Un intérêt incertain
L’utilité du contrôle ne semble pas d’une évidence absolue, une telle question se posant au premier chef quant aux suites données aux décisions de levées de mesures qui seraient prises par le juge. Dans ce cas, la loi prévoit qu’il est possible pour un psychiatre de prendre une nouvelle mesure à la suite d’une décision de levée, dans les conditions de droit commun si la levée a eu lieu plus de 48 heures après la reprise, et dans l’hypothèse inverse, en cas d’apparition d’un élément nouveau dans la situation du patient, charge au directeur d’établissement, dans ce cas, de procéder sans délai à une nouvelle information du juge. Toutefois, le non-respect de cette obligation n’est susceptible de donner lieu qu’à une seconde décision de levée, laquelle n’empêchera à son tour pas la mise en place d’une troisième mesure… Au total, les reprises de mesures après mainlevée sont en pratique extrêmement fréquentes, d’où l’impression finale d’un contrôle ayant plus vocation à interpeller les équipes soignantes que doté d’une efficacité juridique stricte, ce qui n’était sans doute pas l’objectif initialement cherché par le Conseil Constitutionnel.
Il est par ailleurs avéré que la réforme n’a pas été accueillie avec beaucoup d’enthousiasme par les praticiens, et que tant certains juges que certains établissements n’ont dans un premier temps pas été épargnés par la tentation de réduire le contrôle à sa portion congrue[52]. Ce malaise ne peut toutefois, selon l’auteur de ces lignes, se réduire à une simple inadéquation des possibilités offertes aux magistrats pour mettre en œuvre un contrôle très complexe à moyens constants. Il doit plus profondément se comprendre au travers d’une hésitation bien plus globale touchant à l’ensemble du contentieux du contrôle des hospitalisations sans consentement. Celui-ci est en effet traversé depuis l’origine par une hésitation lancinante quant aux contours de l’intervention du juge, tiraillée entre deux positions : la première tendant à poser le magistrat en simple relai des décisions du corps médical, au risque de réduire son intervention à une simple vérification formelle dénuée de tout contrôle de proportionnalité, ce qu’un juge résumait à la formule amère « vérifier que les bonnes cases sont cochées »[53] ; la seconde tendant à poser le juge en réel prescripteur de la mesure de soins, au risque symétriquement inverse de le voir sortir de son champ de compétence et de prendre des décisions dans un domaine où il n’est pas formé[54].
En matière de droit commun, cette question commence tout juste à se tarir, non sans résistance de la part des juges du fond. L’arrêt de la Cour de cassation du 27 septembre 2017[55] n’a pas suffi à mettre un terme à la controverse, tant la solution dégagée pouvait se heurter à une vision plus interventionniste par certains juges de leur office, si bien que la Cour régulatrice a été contrainte d’intervenir de manière encore plus nette, en liant l’appréciation par le juge du bien-fondé de la mesure aux seuls éléments médicaux présents au dossier, soit qu’ils lui aient été communiqués, soit qu’ils aient été établis à sa demande, sans pouvoir porter une appréciation d’ordre médical[56]. Or, la nouvelle législation afférente aux isolements et aux contentions, porteuse des mêmes ambiguïtés du fait d’un défaut de conceptualisation, a tendance à majorer l’acuité de cette question, en ce que le contrôle d’une condition de dernier recours, laquelle porte en elle une condition intrinsèque de subsidiarité, ne peut que d’autant moins facilement s’accommoder d’une position de juge-relais. C’est en effet à travers le prisme du moindre mal et de l’épuisement de toute alternative que le juge semble invité à se positionner, suivant en cela les préconisations de la recommandation de bonne pratique elle-même, laquelle liste toute une série de procédés de soins moins coercitifs qui doivent lui être préférés[57]. Dès lors, faute pour tout texte de solliciter du psychiatre qu’il liste, au sein de chacune de ses motivations bi ou pluri-quotidiennes, pour quelle raison chacune de ces alternatives n’a pas pu être mise en place, et faute d’ailleurs de la possibilité matérielle de solliciter de médecins surchargés qu’ils procèdent aussi fréquemment à de telles motivations enrichies, on peut se demander si le régime du contrôle n’entraîne pas logiquement le juge à devenir un prescripteur d’une mesure restrictive de liberté, en lieu et place du médecin psychiatre, ce qui tendrait à aboutir à une désarticulation entre le contrôle des isolements et des contentions avec l’équilibre fragile qui avait été trouvé s’agissant du contrôle de droit commun.
Dans nos sociétés de plus en plus judiciarisées, le juge n’apparaît-il pas, in fine, comme le tenant d’une légitimité symbolique « de rechange » par rapport à celle dont ne bénéficient semble-t-il plus les psychiatres, qui jusqu’alors se trouvaient seuls prescripteurs de telles mesures coercitives sans que, pendant près d’un siècle et demi, ce monopole n’ait été interrogé ? Il est vrai que les controverses internes au milieu psychiatrique sur l’intérêt thérapeutique ou non de telles mesures[58], le constat d’une hétérogénéité d’utilisation desdites mesures qui ne pouvait être expliquée par la seule différence de l’état des patients, l’habitude prise dans certains services d’utiliser des prescriptions « si besoin » qui transféraient la décision à l’équipe soignante, voire l’utilisation de mesures d’isolement à des fins disciplinaires, ont largement contribué à cette remise en cause. Mais il semble que celle-ci revête des contours encore plus larges. L’absence de réflexion sur la place du trouble mental au sein de la société est patente : c’est ainsi, par exemple, que la presse s’est fait l’écho du refus, en amont, de délivrances d’autorisations de sortie pour les patients en SDRE par certaines préfectures pour ne pas contrarier les festivités des jeux olympiques, et ce dans une indifférence quasi-générale[59].
Les psychiatres exposent régulièrement les exigences schizophrènes auxquelles ils sont soumis, entre « protéger l’ordre public et protéger la liberté de ceux qui souffrent psychiquement, en maintenant un espace de tolérance qui respecte la liberté, qui accepte un espace de risque qui est aussi un espace de soin, et qui convient dans une position humaniste de la diversité des fonctionnements ». Dès lors, si « ces mesures graves (..) méritent effectivement d’être constamment réinterrogées et sans doute [les psychiatres ont] été toutes ces dernières années décomplexés par un climat sécuritaire qui [les] mettait trop à l’aise avec les mesures coercitives »[60], il n’en reste pas moins que « l’illusion que tout pourrait s’apaiser par un simple accompagnement soignant compétent ou même des traitements psychotropes qui n’entraîneraient aucun effet indésirable finit par nier les moments de folie des patients accueillis à laquelle [les équipes sont] confrontées »[61]. En somme, si les exigences de la loi nouvelle ont eu pour vertu de contraindre les établissements à devoir réinterroger des pratiques qui étaient auparavant ensevelies sous le poids des habitudes et des cultures de service, il n’en reste pas moins que rien ne contraignait en soi à confier un nécessaire regard extérieur à des juristes plutôt qu’à des professionnels d’autres disciplines, voire à des associations de représentants d’usagers. À tout le moins, le juge n’est pas plus armé qu’un autre pour évaluer cette discipline complexe, et seul l’échevinage de la juridiction semble à même de conférer au contrôle juridictionnel une légitimité qui ne semble que difficilement pouvoir se réduire à la seule science juridique[62].
[1] Un isolement consiste en un « placement du patient à visée de protection, lors d’une phase critique de sa prise en charge thérapeutique, dans un espace dont il ne peut sortir librement et qui est séparé des autres patients. Tout isolement ne peut se faire que dans un lieu dédié et adapté. » (HAS, Recommandation de bonne pratique, isolement et contention en psychiatrie générale, févr. 2017, p. 9)
[2] Une contention consiste en « « l’utilisation de tous moyens, méthodes, matériels ou vêtements empêchant ou limitant les capacités de mobilisation volontaire de tout ou partie du corps dans un but de sécurité pour un patient dont le comportement présente un risque grave pour son intégrité ou celle d’autrui » (HAS, op.cit, p.9)
[3] G. Raoul-Cormeil, La législation labyrinthique régissant l’isolement et la contention du patient (CSP, art. L. 3222-5-1), RGDM, n° 85, 2022, p.55
[4] ANAES, Évaluation des pratiques professionnelles dans les établissements de santé. L’audit clinique appliqué à l’utilisation des chambres d’isolement en psychiatrie, 1998, p. 13.
[5] Comité de Prévention contre la Torture, Rapp. avr 2012, p.71.
[6] AN, Rapp. déc. 2013, p. 35.
[7] Loi n° 2016-41 du 26 janv. 2016 de modernisation de notre système de santé, JCP G, 2016. 145, P. Villeneuve.
[8] CGLPL, Rapp. 2016, Isolement et contention dans les établissements de santé mentale
[9] L’article R 4127-8 alinéa premier du code de la santé publique dispose que « dans les limites fixées par la loi et compte tenu des données acquises de la science, le médecin est libre de ses prescriptions qui seront celles qu’il estime les plus appropriées en la circonstance. »
[10] E. Péchillon, M. David, Décision ou prescription du psychiatre : quelles différences juridiques ?, L’Information psychiatrique 2017 ; 93 (4), 349-50 doi:10.1684/ipe.2017.1633
[11] Ainsi, un comptage statistique opéré fin 2016 a-t-il comptabilisé 17 % de non-conformité aux nouvelles exigences légales : C. Bekhdadi, Les pratiques de la mise en isolement et sous contention en psychiatrie : étude descriptive au regard de la nouvelle réglementation. Médecine humaine et pathologie, 2017, dumas-01958187, p.19
[12] M.Couturier, E.Pechillon, Vulnérabilité et contentieux des soins psychiatriques sans consentement, Droit de la famille n° 5, Mai 2020, dossier 16
[13] Cons. const. 26 nov. 2010, n° 2010-71 QPC, AJDA 2011. 174, note X. Bioy ; ibid. 2010. 2284 ; D. 2011. 1713, obs. V. Bernaud et L. Gay ; ibid. 2565, obs. A. Laude ; RFDA 2011. 951, étude A. Pena ; RDSS 2011. 304, note O. Renaudie ; Constitutions 2011. 108, obs. X. Bioy ; RTD civ. 2011. 101, obs. J. Hauser
[14] Cons. const. 19 juin 2020, n° 2020-844 QPC, AJDA 2020. 1265 ; D. 2020. 1559, note K. Sferlazzo-Boubli ; ibid. 2021. 1308, obs. E. Debaets et N. Jacquinot ; RTD civ. 2020. 853, obs. A.-M. Leroyer ; JCP G 2020, n° 28, p. 1311, obs. É. Péchillon et P. Véron ; Dr. fam. oct. 2020, comm. 139, note L. Mauger-Vielpeau ; RGDM, n° 78, 2021. 35, obs. B. Ramdjee ; C. Hazif-Thomas, P. Pellé, B. Ramdjee, « L’isolement et la contention sans consentement, une réforme légale des soins psychiatriques impulsée par le Conseil constitutionnel », RGDM 2021, n° 78, p. 17-57.
[15] Loi n° 2020-1576 du 14 décembre 2020 de financement de la sécurité sociale pour 2021 : JO du 15 déc. 2020
[16] Cons. const., 4 juin 2021, n° 2021-912/913/914 QPC ; AJDA 2021, p. 1176, obs. E. Maupin ; RDS 2021, p. 662, comm. S. Guigue.
[17] Loi n° 2022-46 du 22 janvier 2022 renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire et modifiant le code de la santé publique : JO du 23 jan. 2022
[18] Cons. const., 12 juill. 1979, n° 79-107 DC.
[19] V. Marciano, A-S. Kieffer, C. Champsaur, É. Baldo, « Contenance et contentions aux urgences : considérations pratiques et éthiques », Pratiques en santé mentale, 2014/4, p. 25.
[20] ANAES, Évaluation des pratiques professionnelles dans les établissements de santé. Limiter les risques de la contention physique de la personne âgée, oct. 2000.
[21] Civ 1re, 11 juillet 2016, n° 16-70.006, Bull. 2016, Avis n° 6.
[22] Civ. 1re, 7 nov. 2019, n° 19-18.262.
[23] Instr. min. n° DGOS/R4/2022/85 du 29 mars 2022 relative au cadre juridique des mesures d’isolement et de contention en psychiatrie et à la politique de réduction du recours aux pratiques d’isolement et de contention, p. 4 al. 2.
[24] Civ. 1re, 18 mai 2022, n° 22-70.003, D. 2022. 1574, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; ibid. 1986, chron. X. Serrier, V. Le Gall, A. Feydeau-Thieffry, L. Duval, E. Buat-Ménard, V. Champ et S. Robin-Raschel ; RDSS 2022. 685, note P. Curier-Roche ; RTD civ. 2022. 589, obs. A.-M. Leroyer ; JCP G 4 juill. 2022, n° 26, note É. Péchillon et S. Renard ; Dr. fam. n° 7-8, juill. 2022, comm. 109, note L. Mauger-Vielpeau ; DP assur., Bull. n° 326, juill. 2022, obs. V. Maleville ; RDS, n° 109, sept. 2022, obs. K. Sferlazzo-Boubli ; RTD civ. 2022. 589, obs. A.-M. Leroyer ; RGDM 2022, n° 84, note V. Vioujas.
[25] V., dans le présent dossier : P. Véron, « Le contrôle des prescriptions médicamenteuses en psychiatrie ».
[26] HAS, Recommandation de bonne pratique, isolement et contention en psychiatrie générale, févr. 2017, p. 24
[27] CSP, art. R 3211-1 II., al. 4.
[28] Tribunal des conflits, 3 juillet 2023, C4279.
[29] Cf. infra.
[30] HAS, févr. 2017, op. cit. p. 12
[31] Le CGLPL a relevé la grande diversité terminologique utilisée pour désigner les chambres d’isolement, tour à tour dénommées « chambre d’isolement », « chambre de soins intensifs », « pièce de contention », « chambre d’apaisement », « chambre de quiétude », CGLPL, Rapp. 2016, op. cit., p. 19
[32] CSP, art. D.6124-257 1 °
[33] CSP, art. D.6124-265 2 °
[34] HAS, févr. 2017, op.cit.
[35] CE, ass., 10 janv. 1964, Synd. nat. cadres des bibliothèques : Lebon, p. 17 ; RDP 1964, p. 459, concl. Questiaux ; AJDA 1964, p. 150, chron. Fourré et Puybasset ; S. 1964, jurispr. p. 234, note J.-M. Auby. – CE, 6 juin 1979, n° 6237, min. délégué éco. et fin. c/ Hélou : Lebon, p. 264. – CE, 29 déc. 1989, n° 95739, Dpt Val-de-Marne : Lebon T., p. 475. – CE, avis, 23 avr. 1997, n° 183689 , préfet Manche c/ Sté Nouvelle Entrep. Henry : Lebon, p. 153. – A contrario, CE, 24 juin 2002, n° 227983, min. Défense c/ Wolny : JurisData n° 2002-064053 ; Lebon T., p. 605
[36] Lavergne (B.), « Droit souple », in Dictionnaire des régulations, LexisNexis, 2015
[37] E. Péchillon, M. David, « Décision ou prescription du psychiatre : quelles différences juridiques ? », op. cit
[38] Instr. min. n° DGOS/R4/2021/89 du 29 avril 2021 relative à l’accompagnement des établissements de santé autorisés en psychiatrie pour la mise en œuvre du nouveau cadre relatif aux mesures d’isolement et de contention, p.8
[39] Instr. min. n° DGOS/R4/2022/85 du 29 mars 2022, op.cit., p.5
[40] HAS, op.cit., p.11
[41] CGLPL, 2016, op. cit. p.23
[42] J.-F. Costemale-Lacoste, V. Cerboneschi, C. Trichard, R. de Beaurepaire, F. Villemain, et al. Facteurs prédictifs de la durée d’isolement chez les patients hospitalisés en psychiatrie. Une étude prospective multicentrique au sein du DTRF Paris-Sud. L’Encéphale, 2019, 45, p.107, 10.1016/j.encep.2018.01.005. hal-03486805
[43] V., R. Carré, Contention physique : revue de littérature et étude qualitative du vécu des patients, Thèse médecine, Université Toulouse III, 2014.
[44] Instr. min. n° DGOS/R4/2022/85 du 29 mars 2022, préc. p.7
[45] CA Besançon, 3 novembre 2023, n° RG 23/00073
[46] Cass. 1re civ, avis, 6 mars 2024, n° 24-70.003
[47] Cass. 2e civ., 26 janv. 1994, n° 93-06.009 : JurisData n° 1994-000355 ; Bull. civ., II, 41 ; JCP G 1994, IV, 849, G.Viney : JCP G 1995, I, 3853, n° 18
[48] C. Hélaine, « Isolement en soins psychiatriques sans consentement : comment calculer le délai de sept jours ? », Dalloz actualité, 12 mars 2024
[49] Cass. 1re civ, avis, 6 mars 2024, P-B, n° 23-70.017
[50] CPC, art. 454
[51] V. Tellier-Cayrol, « Pour l’intervention systématique de l’avocat en matière de contrôle des mesures d’isolement et de contention », Gaz. Pal., 26 mars 2024, n° 11 p.12
[52] C. Vaillant, « Le contrôle systématique des mesures d’isolement et de contention : des constats de résistance à la mise en œuvre d’un contrôle effectif », RJA 2023, p. 83
[53] P. Mesnard, M. Grimbert, Réception ou adaptation de la législation sur les soins psychiatriques contraints. Analyse de juges des libertés et de la détention, RGDM, n° 85, 2022. 93
[54] M. Couturier, M. Grimbert, L’office du juge dans le contrôle des soins psychiatriques sans consentement : d’un juge relais à un juge prescripteur ?, RGDM, n° 85, 2022. 29
[55] Cass. 1re civ., 27 sept. 2017, n°16-22.544 ; Droit de la famille n°11, nov. 2017, comm. 232, note I. Maria
[56] Cass. 1ère civ., 8 février 2023, 22-10.852
[57] Intervention verbale ou désescalade ; temps calme ou espace d’apaisement ; entretien avec un soignant ; médicament (HAS, Recommandation de bonne pratique, isolement et contention en psychiatrie générale, févr. 2017, p. 24)
[58] M. de Luca, P. Chenivesse, « Intérêts et vécus de l’isolement thérapeutique dans un service pour adolescents et jeunes adultes », L’information psychiatrique, 2017/10 (Vol. 93), p. 825 ; M. Azoulay, S. Raymond, « La contention physique, un outil de soins ? » L’Information psychiatrique, 2017 ; 93 (10) : 841-5 doi :10.1684/ipe.2017.1723 ; Contra : C. Hazif-Thomas, N. Nabhan Abou, M. Lacambre, « Isolement et contention en psychiatrie : à l’ombre du dogme de la fatalité », Annales Médico-Psychologiques, n° 179 (2021), p. 708
[59] M. Brunet, « Sous-entendus », mails et pressions pour limiter les sorties de patients psy lors du passage de la flamme, Marianne, 19 juin 2024
[60] N. Giloux, « Interroger les mesures coercitives en psychiatrie », L’Information psychiatrique 2018 ; 94 (3) : 195-202
[61] S. Marsella, G. Edy, « Réception ou rejet de la législation sur les soins psychiatriques contraints. Analyse de psychiatres », RGDM n° 85, 2022. 83
[62] M. Couturier, M. Grimbert, op.cit.