Le contrôle des prescriptions médicamenteuses en psychiatrie
Paul Véron, maître de conférences en droit privé et sciences criminelles à la Faculté de droit de Nantes, Laboratoire Droit et changement social (UMR 6297)
Entre soins somatiques et soins psychiatriques. Le thème des prescriptions médicamenteuses en psychiatrie peut renvoyer à deux choses distinctes, selon que l’on s’intéresse à des traitements somatiques, visant à traiter autre chose qu’une affection mentale, ou à des traitements proprement psychiatriques (psychotropes). S’il ne faut certes pas séparer trop radicalement soin du corps et soin de l’esprit[1], pour le juriste, la distinction a son utilité, dès lors que les règles applicables à ces deux catégories de soins diffèrent en partie. Ainsi, les dispositifs administratifs d’internement sans consentement, comme les traitements imposés dans le cadre de ces régimes d’exception, ne peuvent être mis en œuvre que pour répondre à des troubles mentaux[2]. A contrario, un problème de santé physique ne peut fonder une hospitalisation complète ou un programme de soins[3]. Il est courant que les patients hospitalisés en psychiatrie, avec ou sans leur consentement, présentent des comorbidités et nécessitent des soins pour des problèmes de santé physique, passagers ou chroniques, appelant une médication[4]. Les antidépresseurs, anxiolytiques ou neuroleptiques peuvent eux-mêmes impliquer la prise d’autres médicaments pour en atténuer les effets secondaires indésirables (troubles gastriques, prise de poids, fièvre…). On sait combien, plus généralement, les soins somatiques en contexte d’hospitalisation psychiatrique posent des difficultés non négligeables : difficulté d’obtenir le consentement et l’observance du patient pour la simple consultation d’un spécialiste, une dialyse, des injections d’insuline, une intervention chirurgicale, une alimentation par perfusion, etc ; difficulté d’accès à des soins adaptés dans un contexte institutionnel où le cloisonnement entre les services de psychiatrie et la médecine du corps demeure important[5]. Les établissements psychiatriques ne disposent pas nécessairement des ressources humaines et matérielles pour traiter les divers problèmes de santé des personnes prises en charge. Inversement, des services de soins de cardiologie, d’urologie ou de gynécologie-obstétrique ne sont pas forcément armés pour recevoir des patients dont les troubles comportementaux peuvent perturber fortement la réalisation des soins. Il existe certes des contre-exemples, à l’image des unités de psychogériatrie ou de psychiatrie du sujet âgé qui tendent, dans un même lieu, à assurer une prise en charge pluridisciplinaire[6]. Les soins somatiques ne sont pourtant pas absents des dispositions relatives à la psychiatrie dans le code de la santé publique. Dans le cadre d’une admission en soins sans consentement, la période d’observation de 72h a notamment pour fonction de permettre un « examen somatique complet »[7] de la personne hospitalisée, en vue notamment de poser ou d’écarter d’éventuels diagnostics différentiels, notamment des affections d’origine neurologique qui seraient à l’origine des troubles comportementaux du malade et ne relèveraient pas ou pas principalement d’une prise en charge en service de psychiatrie. D’autres traitements peuvent être qualifiés de psychiatriques, en ce qu’ils visent à soigner les troubles de l’esprit, à traiter la cause ou les symptômes d’une maladie mentale. Ce sont ces derniers qui retiendront notre attention. Leur développement progressif au cours du 20ème siècle a constitué une avancée majeure pour les malades et marqué l’avènement d’une psychiatrie biomédicale[8]. Sont principalement utilisés, à notre époque, des anxiolytiques, des antidépresseurs, des antipsychotiques aussi appelés « neuroleptiques », des régulateurs de l’humeur ou des hypnotiques (somnifères), administrés par voie orale ou par injection. En droit, ils peuvent être tantôt proposés, tantôt imposés, lorsque le contexte est celui d’une hospitalisation contrainte.
Entre droit commun et droit spécial de l’acte médical. Ces prescriptions médicamenteuses en psychiatrie sont des actes médicaux, qui relèvent tantôt du droit commun, tantôt du droit spécial de l’acte médical. Il convient ici de distinguer selon que l’on est en présence d’un patient pris en charge en régime de soins libres, avec son consentement, ou au contraire sans son consentement, même s’il arrive, en pratique, que ces deux catégories de patients se retrouvent au sein d’un même service. La différence majeure entre ces deux situations juridiques concerne, on le devine, la possibilité d’imposer un soin médicamenteux au patient. En régime de soins libres, c’est en principe le droit commun de l’acte médical qui s’applique. On rappellera sur ce point que le patient en soins psychiatriques libres « dispose des mêmes droits liés à l’exercice des libertés individuelles que ceux qui sont reconnus aux malades soignés pour une autre cause »[9]. En théorie, il ne peut donc y avoir de médication imposée sous ce régime, si ce n’est lorsque l’urgence justifie des soins immédiats dans l’attente d’une décision d’admission sous le régime de la contrainte[10].
En régime de soins sans consentement, il faut distinguer deux situations, selon que la prise en charge du patient a lieu en hospitalisation complète ou dans le cadre d’un programme de soins, la loi du 5 juillet 2011[11] ayant créé cette seconde modalité de prise en charge sous contrainte, ambulatoire, plus légère que la première. Se déroulant « hors les murs » de l’hôpital[12], le programme de soins peut impliquer des interventions à domicile ou des rendez-vous médicaux réguliers, ainsi que l’observance d’un « traitement médicamenteux »[13]. C’est la loi du 27 septembre 2013[14] qui est venue préciser dans quelle mesure des soins peuvent être imposés physiquement au patient admis sous un régime de contrainte. En effet, en l’état de la loi du 5 juillet 2011, les textes encadrant les soins psychiatriques sans consentement ne régissaient que les décisions administratives d’admission ou de maintien sous un régime de soins sans consentement, mais sans prévoir clairement la possibilité pour les psychiatres et soignants de recourir à la contrainte pour les soins eux-mêmes, notamment la médication. Deux lectures pouvaient alors être proposées. Selon la première, l’inclusion était implicite : la possibilité d’imposer un internement pour protéger la santé psychique du malade impliquait en cohérence celle de lui imposer, le cas échéant, les traitements nécessaires à cette fin. Selon la seconde, en l’absence de texte spécial dérogatoire au droit commun, la règle du recueil préalable du consentement pour tout acte médical[15] devait s’appliquer. Cette dernière lecture pouvait être appuyée par au moins deux arguments. D’une part, une atteinte portée à un droit fondamental tel qu’un soin imposé doit être prévue par la loi[16]. D’autre part, ce ne sont pas les mêmes droits ou libertés qui sont en jeu : l’enfermement affecte la liberté individuelle, là où la médication imposée porte atteinte à l’intégrité corporelle, rattachée par la Cour EDH[17] comme par le Conseil d’Etat[18] au droit au respect de la vie privée.
Une ordonnance du tribunal administratif de Rennes, rendue le 18 juin 2012[19] dans le cadre d’une procédure de référé-liberté, a retenu la seconde interprétation. Le juge a notamment estimé que dans le silence, à l’époque, des dispositions du code de la santé publique, sur la question du consentement du malade psychiatrique aux soins, il convenait d’appliquer le droit commun de l’acte médical. En conséquence, la possibilité d’imposer une hospitalisation sans consentement ne dispensait pas de recueillir le consentement du patient aux soins. En l’espèce, la requérante, hospitalisée sans son consentement, s’opposait à l’augmentation de ses doses de neuroleptique (Risperdal) décidée par le médecin psychiatre de l’établissement[20]. La loi du 27 septembre 2013 a discrètement introduit une précision dans le code, selon laquelle « aucune mesure de contrainte ne peut être imposée à un malade pris en charge sans son consentement sous la forme [d’un programme de soins] »[21]. Il faudrait en déduire a contrario que la contrainte physique est possible, sous réserve que celle-ci soit adaptée, nécessaire et proportionnée[22], quand le malade admis sans consentement est en hospitalisation complète[23]. Bien que formulée en termes généraux et peu explicites, cette disposition semble fonder la possibilité pour les soignants d’imposer sur prescription une prise de traitements à un malade « récalcitrant »[24]. Sur la question du consentement, on peut donc identifier un régime spécial de l’acte médical. Pour le reste, les soins médicamenteux obéissent aux règles du droit commun : une prescription de psychotropes doit être justifiée médicalement (intérêt thérapeutique), ne pas faire courir plus de risques que de bénéfices[25], et être conforme aux règles de l’art, elles-mêmes élaborées à l’aune des « données acquises de la science »[26].
Un angle mort du contrôle ? Plusieurs raisons justifient d’aborder la question du contrôle des décisions médicamenteuses en psychiatrie. Premièrement, le phénomène est massif. S’il existe certes des approches, des pratiques et des institutions privilégiant les thérapies non médicamenteuse[27], la grande majorité des patients hospitalisés en psychiatrie – a fortiori sans leur consentement – prennent des traitements, généralement utiles pour limiter la dépression ou l’angoisse, éviter une décompensation, parer le risque suicidaire, etc. La question du contrôle se pose avec une acuité particulière pour les patients à qui des soins médicamenteux peuvent être imposés, souvent destinataires en outre des prescriptions les plus lourdes. La deuxième raison tient précisément aux répercussions négatives que peuvent avoir ces derniers sur la personne du patient. Les effets secondaires sont divers et plus ou moins invalidants : somnolence, troubles gastriques, troubles de la libido, prise de poids, hypotension, tachycardie, tremblements, gestes parasites, troubles menstruels, diabète, troubles du métabolisme, troubles de l’attention et de la mémoire, effets dépressogènes, en sont des exemples. Les psychotropes sont donc susceptibles d’affecter sérieusement les droits et libertés de la personne soignée. A y regarder de plus près, l’atteinte n’est pas seulement portée à l’intégrité corporelle : les patients sont parfois assommés par des « cocktails » qui impactent la liberté individuelle – les expressions « contention chimique » ou « camisole chimique » le suggèrent –, et celles de penser, de s’exprimer ou de se déplacer. Troisièmement, si de nombreuses analyses ont été consacrées au contrôle des mesures administratives d’admission ou plus récemment des décisions médicales d’isolement ou de contention physique, la question (du contrôle) des prescriptions médicamenteuses n’a pour l’heure suscité que peu d’attention dans la doctrine juridique française[28] malgré ses enjeux. Cela tient sans doute au silence des textes et la faiblesse du contentieux. Le sujet a été largement éludé par le législateur en 2011 et 2013 à propos du contrôle des mesures administratives d’admission, puis en 2016[29] et 2022[30] à propos du contrôle des décisions médicales d’isolement ou de contention. C’est que lesdites réformes ont d’abord eu pour but une mise en conformité avec les exigences constitutionnelles et européennes relatives au régime légal de certaines mesures privatives de liberté[31]. Le focus a été mis sur la privation de liberté individuelle, sans que soit menée une réflexion globale sur le soin en psychiatrie, ni sur le contrôle de la diversité des formes de contraintes[32].
Pour autant, les contrôles ne sont pas totalement inexistants. Certains découlent de la déontologie des professions. Rappelons notamment que l’infirmier, au contact du patient, n’est pas un exécutant aveugle de la prescription mais est tenu d’alerter le médecin en cas de doute sur la pertinence de celle-ci[33], soit parce qu’il détecte une erreur (de posologie par exemple), soit parce que l’évolution de l’état du patient appelle une réévaluation. Le pharmacien exerce également un contrôle lors de la délivrance du produit et doit refuser celle-ci si l’intérêt du patient le commande[34]. On a pu souligner l’intérêt de lui donner davantage de place dans les prises en charges psychiatriques hospitalières, pour favoriser un usage raisonné du médicament[35]. Malgré leurs prérogatives, les commissions départementales de soins psychiatriques[36] (CDSP) ne semblent exercer de facto qu’un contrôle limité. Chargées d’examiner la situation des patients, elles sont notamment compétentes pour contrôler les programmes de soins[37]. La loi prévoit cependant que « lorsque le programme inclut l’existence d’un traitement médicamenteux, il ne mentionne ni la nature ni le détail de ce traitement, notamment la spécialité, le dosage, la forme galénique, la posologie, la modalité d’administration et la durée »[38]. S’agissant des contrôles juridictionnels, sur lesquels nous nous arrêterons davantage, il faut constater l’existence, en droit positif, de plusieurs formes de contrôles facultatifs (I), tandis qu’en droit prospectif, l’idée d’étendre le système de contrôle obligatoire à bref délai à la médication ne doit être envisagée qu’avec prudence (II).
I. En droit positif : des contrôles facultatifs
L’appréciation de la légalité d’une prescription peut se faire à l’occasion de différents types de saisines contentieuses, le plus souvent lors d’une action en indemnisation[39] (A), tandis que pour un contrôle de l’acte médical à bref délai, la voie du référé devrait être envisagée (B).
A. Le contrôle au long cours dans le cadre d’une action indemnitaire
Le contrôle exercé à l’occasion d’une action indemnitaire intervient généralement à la suite d’une faute reprochée par le patient (ou sa famille) à l’établissement public de santé mentale, à la clinique privée ou au psychiatre libéral ayant assuré sa prise en charge. La responsabilité peut également être engagée en raison d’une faute de l’infirmier dans la mise en œuvre de la prescription. Si le contentieux en la matière est loin d’être abondant, il permet néanmoins d’identifier plusieurs hypothèses.
Premièrement, la faute peut se situer dans la prescription elle-même, non conforme aux règles de l’art, par exemple une vérification insuffisante des dosages ou des traitements en cours exposant le patient à un risque d’interaction médicamenteuse[40], ou le caractère inapproprié d’un médicament augmentant l’effet dépressif chez un patient suicidaire. Deuxièmement, la faute peut intervenir dans la réalisation de l’acte médical, comme c’est le cas de l’infirmier qui ne respecte pas la spécialité ou la posologie indiquées sur l’ordonnance, a fortiori lorsqu’il dispense un médicament en l’absence de toute prescription. Troisièmement, la faute peut concerner la surveillance du patient, l’obligation de surveillance s’appréciant individuellement au regard de l’état du patient et de ses antécédents, avec une intensité accrue lorsque le patient est admis dans un cadre d’hospitalisation sans consentement. On pense aux hypothèses d’une surveillance insuffisante qui ne permettrait pas de déceler à temps une intolérance grave du patient au médicament et/ou d’une réponse inappropriée. Ainsi, la responsabilité d’une clinique psychiatrique a été engagée pour la faute d’un infirmier qui, face à un encombrement broncho-pulmonaire inhabituel chez un jeune patient entré pour une cure de désintoxication, aurait dû intervenir auprès du médecin de garde, qui aurait pu faire le diagnostic d’intolérance aux neuroleptiques et décider de la thérapeutique nécessaire[41]. De même, il a été jugé qu’un patient traité avec un médicament connu pour ses effets secondaires dépressogènes doit faire l’objet d’une surveillance accrue et que le défaut de surveillance comme le défaut d’information du malade sur cet effet indésirable est susceptible d’engager la responsabilité de l’établissement public en cas de suicide[42]. Il arrive également que les médicaments soient l’instrument du suicide. La responsabilité de l’établissement ne pourra être retenue que si une faute de surveillance en lien avec le dommage peut être démontrée. A été écartée la responsabilité d’une clinique psychiatrique pour l’autolyse d’un patient dans sa chambre par absorption de psychotropes que celui-ci s’était procurés lors d’une sortie et qu’il avait dissimulé à son retour[43]. Quatrièmement, la faute médicale peut consister dans un défaut d’information sur un effet secondaire du produit. Ainsi, un psychiatre exerçant à titre libéral au sein d’une clinique privée a été reconnu responsable du décès par fausse route d’un patient dans une sandwicherie proche de l’établissement, à l’occasion d’une sortie. Il était reproché au praticien de ne pas avoir attiré l’attention du patient sur le « risque de diminution du réflexe de déglutition associé au médicament », à l’origine d’une « perte de chance de se soustraire aux conséquences d’une fausse route, notamment en prenant des précautions lorsqu’il s’alimentait »[44]. En revanche, a été écartée la responsabilité d’un groupement hospitalier universitaire tant pour une faute dans la prescription que pour le défaut d’information de la patiente sur le risque d’une importante prise de poids sur une brève période[45].
Inversement, il peut arriver qu’un défaut de médication soit reproché, le respect de l’obligation de sécurité impliquant des mesures appropriées pour prévenir un risque grave, notamment de suicide[46]. Certes, en soins libres, la responsabilité du psychiatre ou de l’établissement ne peut être engagée si l’absence d’administration de traitements résulte de l’opposition du patient. Toutefois, si cette opposition est liée à des troubles mentaux et que le patient persiste à se mettre en danger, il pourrait être reproché de n’avoir pas modifié le régime de prise en charge pour permettre les traitements indispensables. Il est à ce propos saisissant de constater combien l’opposition aux traitements médicamenteux est un motif récurrent des admissions en régime de soins sans consentement, que l’on retrouve dans les certificats médicaux et corrélativement dans la motivation des juges validant la poursuite de la mesure dans le cadre du contrôle obligatoire à douze jours ou semestriel[47]. L’inverse n’est pas toujours vrai. L’adhésion (apparente) du malade à la prise de médicaments ne conduit pas nécessairement à la levée de la mesure de contrainte, les psychiatres, suivis par le juge, estimant celle-ci nécessaire pour éviter une inobservance et une rupture thérapeutique[48].
Le jugement statuant sur l’indemnisation intervient a posteriori, bien souvent longtemps après les faits reprochés. En matière de responsabilité médicale et hospitalière, y compris en psychiatrie, le juge désigne quasi-systématiquement un expert pour apprécier si la décision médicale comme sa mise en œuvre, impliquant le cas échéant une surveillance du patient, ont été conformes aux règles de l’art. Le contentieux de l’indemnisation implique certes un contrôle, mais qui n’interfère pas directement sur l’action médicale elle-même. Cette voie ne fournit pas un moyen d’action permettant au patient de contester son traitement et faire obstacle à sa poursuite, ce que devrait au contraire permettre la voie du référé.
B. Le contrôle à bref délai dans le cadre d’un référé
En l’état actuel des textes, même pour des traitements imposés au patient dans un contexte d’hospitalisation sans consentement, le contrôle n’est que facultatif. Il appartient au malade de saisir le juge des référés s’il souhaite contester la décision du prescripteur. Il n’existe pas, en droit français, de dispositif d’autorisation ou de validation du traitement par un juge, contrairement à ce que prévoient d’autres droits nationaux[49]. En effet, en matière de soins sans consentement, la Cour de cassation interprète strictement la compétence du juge des libertés et de la détention[50] : ainsi, l’intervention du législateur[51] a été nécessaire pour étendre le domaine d’intervention du juge de la mainlevée aux décisions médicales d’isolement ou de contention[52]. En toute logique, la même exigence devrait être requise pour étendre le contrôle judiciaire systématique aux prescriptions de médicaments. On ne s’étonnera pas, en conséquence, que le contentieux du référé portant sur les traitements psychotropes demeure quasi-inexistant. A l’exception peut-être de quelques quérulents paranoïaques, les malades psychiatriques, souvent fragilisés, sont généralement peu disposés à défendre leurs droits et prendre l’initiative d’une saisine de la justice. L’identification de l’ordre juridictionnel compétent pour assurer ce contrôle ne relève d’ailleurs pas de l’évidence. Lorsque les traitements contestés sont pratiqués au sein d’un établissement public, comme c’est le cas en matière d’hospitalisation sans consentement, il semblerait cohérent que la compétence revienne au juge administratif, faute d’attribution dérogatoire prévue par le législateur à son homologue judiciaire. La décision médicale est alors, au plan contentieux, assimilée à une décision de l’administration[53]. Pour un contrôle à bref délai, on pense évidemment à la voie du référé-liberté de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, qui suppose de caractériser deux conditions : l’urgence et une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Cette voie procédurale ne semble que très rarement utilisée en psychiatrie alors qu’elle l’est dans d’autres contentieux médicaux, notamment lorsqu’il s’agit de contrôler la légalité d’une décision d’arrêt des traitements[54] ou de la transgression d’un refus de soins[55], ou encore du refus des médecins hospitaliers de mettre en œuvre le traitement demandé par le patient[56] ou ses parents[57]. Le Conseil d’Etat a tout de même été amené à juger, le 16 juillet 2012[58], d’une affaire portant sur la contestation d’un traitement neuroleptique par une patiente admise sans consentement. Aux termes de cet arrêt, il a très explicitement décliné sa compétence pour apprécier la légalité de cette décision médicale : « Considérant (…) que le législateur a entendu donner compétence à l’autorité judiciaire pour apprécier le bien-fondé de toutes les mesures de soins psychiatriques sans consentement, qu’elles portent atteinte à la liberté individuelle ou non ; que l’appréciation de la nécessité des décisions prises par les médecins qui participent à la prise en charge de personnes qui font l’objet de tels soins, pour autant qu’elle relève du contrôle du juge, de même que, le cas échéant, celle de la capacité de ces personnes à y consentir, sont étroitement liées à celle du bien-fondé des mesures elles-mêmes (…) qu’il suit de là que le juge administratif n’est manifestement pas compétent pour connaître du bien-fondé des décisions prises par les médecins qui participent à la prise en charge de patients faisant l’objet d’une mesure d’admission en soins psychiatriques sans leur consentement ». Selon le juge administratif, la décision d’imposer une augmentation des doses de traitements par injections se situe dans la dépendance immédiate de la mesure administrative d’admission (contrôlée par le JLD) de la patiente et ressort donc de la compétence du juge judiciaire. Pourtant, il faut constater que, dans cette même affaire, le premier président de la cour d’appel de Rennes, confirmant une décision du JLD en première instance[59], a lui-même affirmé que « la loi n’a pas donné compétence au juge judiciaire pour apprécier le bien-fondé d’une prescription médicale ou d’une posologie »[60]. Dans le même sens, une autre cour d’appel a jugé qu’ « il ne relève pas des attributions du juge judiciaire de décider de l’unité dans laquelle la personne faisant l’objet de soins psychiatriques dans le cadre d’une hospitalisation sous contrainte doit être placée ou encore de se prononcer sur le traitement médical prescrit par les médecins »[61]. Ces formules laissent penser que c’est la compétence des juridictions judiciaires en général, et non pas seulement, au sein de l’ordre judicaire, celle du juge de la mainlevée (JLD), qui est ici écartée. Nous serions donc, selon toute apparence, face à un conflit négatif de compétences, non clairement résolu à ce jour, qui pourrait à l’avenir justifier l’intervention du Tribunal des conflits, comme ce fût le cas à propos du contrôle de la justification de l’admission ou du maintien d’un patient en unité pour malades difficiles[62]. C’est à cette occasion, rappelons-le, que le juge des conflits a affirmé que « toute action relative à la régularité et au bien-fondé d’une mesure d’admission en soins psychiatriques sans consentement prononcée sous la forme d’une hospitalisation complète et aux conséquences qui peuvent en résulter ressortit à la compétence de la juridiction judiciaire ». Les traitements médicamenteux feraient-ils partie des « conséquences qui peuvent résulter » de la mesure administrative d’admission, désignant l’ordre judiciaire comme compétent pour en connaître la contestation ?
Certaines affirmations jurisprudentielles pourraient même laisser penser que les juges refuseraient tout contrôle sur certaines décisions médicales ou certains actes médicaux, comme s’il y avait en quelque sorte des espaces de pouvoir médical entièrement discrétionnaire. A propos du contenu d’un programme de soins, une cour d’appel a pu affirmer qu’« il ne relève pas de la compétence du juge judiciaire de déterminer les modalités de prise en charge du patient, qui relèvent du strict pouvoir du médecin »[63]. L’expression « pour autant qu’elle relève du contrôle du juge », employée par le Conseil d’Etat dans la décision précitée du 16 juillet 2012, suggère cette même idée. Est-il toutefois envisageable de soustraire à toute possibilité de contrôle une décision de soins médicamenteux non consentie en psychiatrie ? A l’évidence, la réponse doit être négative : au regard de ses effets sur la personne du patient, une telle décision médicale porte assurément une atteinte grave à une liberté fondamentale. La question de savoir si cette atteinte est « manifestement illégale » doit donc pouvoir être examinée par le juge du référé-liberté, au même titre que la décision de transfuser un patient contre sa volonté, par exemple. L’acte peut être manifestement illégal, notamment, lorsque le traitement psychiatrique a été imposé à un patient en régime de soins libres alors que son consentement était pourtant requis. Il peut l’être également, parce que le traitement, imposé sous forme d’obligation dans le cadre d’un programme de soins ou physiquement dans le cadre d’une hospitalisation complète, est manifestement inapproprié à l’état du patient[64]. Ce dernier point sera probablement moins aisé à établir en pratique, tant la tendance du juge est de rester en retrait lorsqu’il s’agit d’apprécier le bien-fondé d’une thérapeutique. Malgré cette dernière réserve, le fait qu’une décision médicamenteuse intervienne dans un contexte de prise en charge psychiatrique ne doit pas priver le patient de la faculté d’en contester la légalité. Il n’est pas certain, au demeurant, qu’une telle fermeture de l’accès au juge serait compatible avec la jurisprudence de la Cour EDH[65]. Dans un arrêt X. c. Finlande, la Cour de Strasbourg a ainsi conclu à la double violation des articles 5§1 et 8 de la Convention, pour l’internement contraint d’une patiente en établissement psychiatrique et l’administration forcée de médicaments sans garanties légales suffisantes ni possibilité de recours effectif devant un tribunal[66]. Pour les malades hospitalisés sans consentement, l’intervention exigée du juge judiciaire dans les douze jours de l’admission, puis tous les six mois pour vérifier le bien-fondé et la régularité de la mesure, ne saurait constituer un blanc-seing pour soustraire à toute possibilité de contrôle juridictionnel les décisions médicales pouvant intervenir durant la prise en charge. L’objet du contrôle de la mesure administrative d’admission est de vérifier la justification de l’enfermement et non celle des soins thérapeutiques eux-mêmes, même si ces deux aspects de la contrainte ne sont certes pas sans lien. En l’état du droit positif, une saisine du juge administratif des référés par le malade, du moins lorsque celui-ci est pris en charge à l’hôpital public, devrait donc être possible pour faire cesser, le cas échéant, l’illicite. Le juge judiciaire des référés sera en revanche compétent lorsque la prise en charge contestée aura lieu en clinique privée ou en psychiatrie libérale, par hypothèse en régime de soins libres. Rappelons, à ce propos, le dispositif de l’article 16-2 du Code civil, peu mobilisé en pratique malgré son potentiel important, selon lequel le juge peut « prescrire toute mesure propre à empêcher ou à faire cesser une atteinte illicite au corps humain ». Au-delà de cette faculté de saisine par le patient, faudrait-il que le législateur aille plus loin, en instaurant un contrôle obligatoire des soins médicamenteux imposés aux malades ?
II. En droit prospectif : un contrôle obligatoire ?
L’introduction d’un contrôle systématique des décisions médicamenteuses imposées aux patients dans le cadre de soins psychiatriques sans consentement pourrait paraître séduisante, au premier abord, dans la perspective d’un renforcement de la protection des droits et libertés fondamentaux du patient en psychiatrie. Si plusieurs arguments sont susceptibles d’être avancés en faveur d’une telle évolution (A), encore faut-il préciser les conditions dans lesquelles l’intervention du juge pourrait être pertinente (B).
A. Les justifications du contrôle
Une première justification tient aux répercussions des traitements. La médication forcée est susceptible de porter des atteintes aux droits et libertés fondamentaux du malade au même titre que les pratiques d’isolement ou de contention physique. A certains égards, une administration contrainte de médicaments, par injection ou par voie orale, peut même apparaître plus invasive. Certaines situations, en effet, devraient pouvoir être reconnues comme des privations, et non simplement des restrictions, de liberté. Les sédatifs sont couramment utilisés en psychiatrie à des fins de contenance, pour calmer l’agitation des patients. La contention chimique caractérise-t-elle moins une atteinte à la liberté individuelle que la contention physique ? Pour l’heure, cependant, il faut constater que seule la contention mécanique fait l’objet d’un encadrement légal dédié[67]. Quant à la recommandation de bonnes pratiques de la HAS[68] sur le recours à l’isolement ou la contention (mécanique), elle laisse globalement de côté la question de l’usage des substances chimiques et précise même que le médicament doit être considéré, parmi d’autres solutions, comme une alternative à une mesure d’isolement. D’autres législations n’ont pas fait ce choix et traitent sur le même plan l’usage de sangles et l’usage de « substances chimiques » à des fins de contrôle, comme c’est le cas du droit québécois[69], même si certaines voix soulignent les spécificités de la contention chimique, se prononçant en faveur d’un encadrement juridique autonome de cette pratique[70]. La question de savoir à partir de quand et selon quels critères l’usage de la médication doit être qualifié de mesure de contention n’est toutefois pas évidente : est-ce au regard de l’intention du prescripteur ? Du type de médicaments employés ? Des effets produits par ceux-ci ? Contrairement aux sangles, la médication n’est pas « par nature » un outil de contention en psychiatrie. Le qualificatif n’est généralement utilisé que lorsque l’objectif est de calmer une forte agitation du patient.
Deuxièmement, l’enjeu d’un encadrement et d’un contrôle est d’autant plus important que la réduction du recours à l’isolement et à la contention mécanique est susceptible de conduire, par un jeu de vases communicants, à un renforcement des pratiques de sédation[71]. Emmanuelle Bernheim relève en ce sens : « D’un point de vue clinique, le développement de la médication a eu l’effet a priori d’améliorer les standards de soins par la réduction de l’utilisation des contentions physiques (…). Le développement d’une médication jugée de plus en plus sécuritaire tend à confirmer l’usage de la contention chimique comme une mesure de traitement de l’agitation plus acceptable et moins coercitive que l’isolement ou les contentions physiques ou mécaniques »[72]. L’auteure ajoute : « si une volonté affirmée de réduire, voire d’éliminer, le recours à l’isolement et aux contentions est manifeste, (…) il semblerait que l’on ne puisse pas en dire autant pour la contention chimique, considérée comme un moindre mal »[73]. Pour autant, cette meilleure acceptabilité globale n’exclut pas la présence de patients que la médication impacte très lourdement physiquement et/ou psychiquement.
Troisièmement et au-delà de la seule « contention chimique », plusieurs études soulignent des phénomènes courants de « surprescription » en psychiatrie[74], dans les dosages comme dans les durées des traitements. Comme pour les mises à l’isolement ou en contention, des phénomènes d’inertie sont observés, des prescriptions étant prolongées par principe sans que la justification de leur maintien ne soit toujours interrogée. Il y a à cela, semble-t-il, des raisons profondes. D’une part, il faut rappeler qu’à certaines exceptions légales près, la prescription est un pouvoir du monopole du médecin, symbole emblématique de la décision et de l’action médicales. La prescription médicamenteuse joue donc un rôle important dans l’identité et la légitimité de la psychiatrie comme spécialité médicale. D’autre part, la formation des psychiatres laisse peu de place à la « déprescription » des psychotropes[75], c’est-à-dire aux conditions dans lesquelles les arrêter ou les diminuer, d’autant que la représentation encore forte des pathologies mentales comme maladies chroniques incurables (ce qu’elles ne sont pas toujours) invitent à prolonger des traitements au très long cours, avec l’idée que la stabilisation observée ne pourrait se poursuivre sans ces derniers. Le rapport bénéfices/inconvénients[76] des médicaments n’est alors pas suffisamment réévalué. Ajoutons que les études sur les médicaments comportent assez peu de données permettant de valider l’efficacité et la tolérance de traitements au long cours, et moins encore sur les conditions dans lesquelles mettre fin efficacement aux thérapeutiques. Ainsi, la science médicale contemporaine, conçue comme médecine fondée sur des preuves (evidence based medicine) « éclaire l’initiation des médicaments, moins leur maintien, exceptionnellement leur arrêt »[77]. Dans ce contexte, si l’on admet que la présence d’un contrôle juridictionnel peut jouer un rôle régulateur des pratiques en psychiatrie, en particulier des excès ou des abus, ou limiter les phénomènes d’inertie, il ne semble pas illégitime d’envisager un renforcement du contrôle des prescriptions. Reste à préciser dans quelles conditions ce contrôle pourrait intervenir efficacement.
B. Les conditions du contrôle
L’expérience des multiples difficultés suscitées par le dispositif de contrôle obligatoire des mesures d’isolement-contention mis en place au cours de l’année 2022, incite à la prudence. Outre que ce dispositif, d’une grande complexité[78], est particulièrement chronophage pour les magistrats comme pour les établissements de santé accueillant des patients, il montre qu’il n’est pas aisé d’instaurer un contrôle à bref délai de telles décisions médicales qui soit efficace[79]. Etendre la compétence du juge judiciaire au contrôle de la médication ne doit donc être envisagé qu’avec circonspection. Si le législateur devait s’orienter dans une telle voie, le régime mis en place ne pourrait en tous cas être utilement calé sur celui de l’article L. 3222-5-1 du code de la santé publique, pour plusieurs raisons.
S’agissant des conditions de fond, tout d’abord, l’isolement et la contention mécanique – cette dernière étant en pratique très souvent accompagnée d’une sédation médicamenteuse – sont conçus par la loi comme devant être utilisés en « dernier recours » et « à titre exceptionnel », en l’absence d’alternative pour prévenir un « danger immédiat ou imminent »[80]. Ils sont envisagés comme des pis-aller, des pratiques problématiques en soi. Il semble difficile d’envisager la même condition pour la médication, serait-elle contrainte, qui est bien souvent conçue comme un premier recours, contre l’angoisse, la dépression, les bouffées délirantes, l’auto ou l’hétéro-agressivité. En effet, le médicament est d’abord pensé et perçu par les différents acteurs comme une thérapeutique là où la chambre d’isolement et les sangles sont largement conçues et perçues comme des outils sécuritaires. Certes, on pourrait limiter l’exigence de « dernier recours » aux seules pratiques qualifiables de contention chimique, mais il faudrait alors qu’une recommandation prenne le soin de préciser quelles médications relèvent de cette catégorie, avec la difficulté que le contenu des prescriptions (dosages) comme la sensibilité aux médicaments, notamment en raison d’un phénomène d’accoutumance, sont variables d’un patient à l’autre. La loi devrait en outre préciser si la contention chimique doit être préférée à l’isolement et/ou à la contention mécanique ou si, au contraire, il n’existe pas de hiérarchie entre ces mesures.
S’agissant du seuil d’intervention du juge judiciaire, ensuite, pour l’isolement ou la contention, c’est la durée de la mesure – au-delà de 48h pour la contention, ou de 72h pour l’isolement – qui déclenche l’obligation pour le directeur de l’établissement accueillant le malade de saisir le juge[81]. Ces conditions de délai seraient à l’évidence peu adaptées au cas des prescriptions, les effets dans le temps des différents traitements étant hétérogènes et variés. S’ajoute la dimension du nombre. Presque tous les patients hospitalisés en psychiatrie prennent des médicaments. Même dans le seul cadre des soins psychiatriques sans consentement, il semble difficilement envisageable et peu pertinent de faire intervenir le juge pour chaque prescription, initiale, renouvelée ou modifiée. La présence d’un contrôle apparaît surtout importante pour les patients sujets à des traitements lourds avec des effets indésirables importants, ce qui dépasse au demeurant le cadre des seules contentions chimiques.
Dans ce contexte, sans renoncer à un renforcement du contrôle de la médication, une alternative à un système de contrôle systématique pourrait être privilégiée. Elle consisterait à confier au juge judiciaire chargé de statuer sur la poursuite de la mesure de soins sans consentement, la compétence pour connaître également d’une contestation relative aux traitements. La légalité de la médication ne serait examinée que dans l’hypothèse où le patient, assisté de son avocat, la contesterait, soit à l’occasion du contrôle obligatoire de la mesure de soins sans consentement, qu’il s’agisse du contrôle initial à douze jours ou du contrôle semestriel, soit lors d’une saisine facultative, à l’initiative du patient. Ainsi, l’audience devant le juge serait une occasion pour ce dernier d’exprimer lui-même et/ou par l’intermédiaire de son conseil, les difficultés suscitées par les traitements et ses souhaits quant à leur adaptation. Si ces difficultés lui apparaissent sérieuses, le magistrat pourrait alors solliciter le médecin prescripteur pour voir dans quelle mesure une adaptation du traitement lui parait possible, et recueillir le cas échéant l’avis d’un médecin tiers extérieur à la prise en charge[82], rendu après examen du patient[83]. Dans l’hypothèse où ce dernier avis conclurait à l’opportunité d’une modification du traitement, le juge pourrait alors demander au médecin prescripteur de réexaminer celui-ci[84]. L’usage du pouvoir de mainlevée ne devrait être utilisé que très exceptionnellement, en cas de refus de réexamen par le psychiatre ou de maintien d’un traitement manifestement inadapté. Pour éviter une rupture thérapeutique, préjudiciable au patient, cette mainlevée devrait être différée le temps nécessaire à l’adaptation du traitement[85]. L’idée d’un tel dispositif serait de donner la possibilité au patient de mettre en débat la question de l’adaptation de ses traitements médicamenteux, au-delà de la seule négociation qui peut avoir lieu dans le cadre du colloque singulier (ou pluriel) avec le prescripteur et les infirmiers au cours de son (long) séjour. Si certes, l’opposition aux traitements accompagne souvent des hypothèses de déni de la maladie, les souffrances physiques ou psychiques comme l’impact sur la liberté que peut incidemment impliquer la médication (contrainte) méritent que le droit y prête davantage attention. Le code de la santé publique pourrait opportunément intégrer un nouvel article L. 3222-5-2 prévoyant, outre les conditions d’intervention du juge, une obligation de réévaluation régulière de la prescription de médicament. Ce même article prévoirait également que la contention chimique ne peut être mise en œuvre que conformément aux prévisions d’une recommandation de bonnes pratiques dédiée, élaborée par la HAS. La question de l’interdiction de l’usage des prescriptions anticipées ou « si besoin » pour les soins imposés au patient, mériterait également d’être posée[86]. Il s’agirait donc d’un régime moins « procédural » et a priori plus léger que celui actuellement applicable à l’isolement-contention, notamment en ce qu’il n’instaurerait aucune obligation supplémentaire pour le directeur d’établissement de saisir le juge au-delà d’une certaine durée, évitant l’écueil d’un système de délais (trop) complexe et d’application difficile, pour les hôpitaux comme pour les juges[87].
***
Les prescriptions médicamenteuses constituent aujourd’hui, dans une large mesure, un angle mort du contrôle de la psychiatrie. Cette situation apparaît en décalage avec les enjeux et problèmes éthiques et juridiques posés par la médication, a fortiori dans des situations où celle-ci peut être imposée au malade, hospitalisé sans son consentement. Dans ce contexte, renforcer les possibilités de contrôle sur les soins médicamenteux, en permettant au malade de soulever cette question devant le juge judiciaire, notamment à l’occasion des différentes instances de contrôle obligatoire, serait une voie envisageable. Comme pour l’isolement-contention, on peut espérer que la présence d’un dispositif de contrôle joue un rôle régulateur[88], en limitant le risque d’une banalisation des soins forcés, au sein d’un hôpital psychiatrique sous-doté où le recours à la contrainte physique ou chimique est bien souvent lié aux difficultés des conditions de travail[89].
Un système de contrôle, aussi perfectionné soit-il, ne saurait toutefois constituer le principal levier pour contribuer à faire évoluer la culture de la psychiatrie vers un usage plus raisonné de la médication (contrainte). Outre l’attribution au secteur de ressources suffisantes pour sortir d’un dysfonctionnement structurel, la sensibilisation et la formation des professionnels aux pratiques de déprescription et à la prévention des crises, comme le développement des recherches sur les alternatives à la contrainte[90] et les thérapies non médicamenteuses, ont probablement leur rôle à jouer. Certaines expériences nationales ou étrangères vont en ce sens[91]. Elles inspirent l’idée qu’une autre psychiatrie est possible.
[1] A. Anastasi, « Psychiatrie et soins somatiques », L’information psychiatrique, 2021/6, vol. 97, p. 465.
[2] CSP, art. L. 3212-1 et s. ; art. L. 3213-1 et s.
[3] Toutefois, en droit commun, d’autres exceptions au recueil du consentement existent : les soins nécessaires ou urgents peuvent – et même doivent en cas de péril – être délivrés au patient hors d’état d’exprimer sa volonté (C. civ. art. 16-3, al. 2 ; C. pén. art. 223-6) et l’urgence vitale peut même, selon la jurisprudence administrative, justifier la transgression d’un refus de soins, pourvu que les actes pratiqués soient strictement nécessaires pour sauver la vie du patient et ne tombent pas, en outre, dans l’obstination déraisonnable (CE, ord. réf. 20 mai 2022, n° 463713 ; JCP G 2023, doctr. 261, n° 9, obs. C. Byk ; AJDA 2022, p. 1693, note X. Bioy).
[4] D. Saravane, L. Fond-Harmant, « La santé pour tous : soins somatiques et troubles psychiatriques », Santé publique, 2022/5, vol. 34, p. 609.
[5] C. Bornes, « La médecine de liaison en psychiatrie, pour une synergie des compétences au bénéfice des patients », Santé Publique, 2022/5, vol. 34, p. 653.
[6] V., le dossier « Psychiatrie du sujet âgé : enjeux cliniques et institutionnels », L’information psychiatrique, 2010/1, vol. 86.
[7] CSP, art. L. 3211-2-2 al. 2.
[8] J.-N. Missa, « La psychopharmacologie et la naissance de la psychiatrie biologique », Les Cahiers du Centre Georges Canguilhem, 2008/1, n° 2, p. 131.
[9] CSP, art. L. 3211-2.
[10] V., Cass., avis, 11 juill. 2016, n° 16008 : admettant que l’hospitalisation contrainte du malade puisse avoir lieu le temps strictement nécessaire à l’élaboration de la décision d’admission.
[11] Loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge : JO 6 juill. 2011, p. 11705 ; JCP G 2013, doctr. 157, note M. Vialettes et M. Grosset ; JCP G 2011, act. 847, obs. A. Mirkovic.
[12] D. Moreau, A. Marques, « Programmes de soins : quand la contrainte se déploie hors des murs de l’hôpital », L’information psychiatrique, 2020/3, vol. 96, p. 177.
[13] CSP, art. R. 3211-1, II.
[14] Loi n° 2013-869 du 27 sept. 2013 visant à modifier certaines dispositions issues de la loi du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge ; RDSS 2014. P. 133 comm. S. Théron.
[15] CSP, art. 1111-4 ; C. civ. art. 16-3 al. 2.
[16] Par ex., à propos des vaccinations obligatoires : CEDH, 8 avril 2021, Vavricka et autres c. Rép. Tchèque, n° 47621/13 ; JCP G 2021, 444, note F. Sudre ; Gaz. Pal. 2021, n° 25, p. 27 obs. J. Andriantsimbazovina ; CEDH, 15 mars 2012, Solomakhin c/ Ukraine, n° 24429/03.
[17] Pour des transfusions sanguines pratiquées contre le refus de la patiente : CEDH, 17 sept. 2024, Pindo Mulla c. Espagne, n° 15541/20, JCP G 2024, n° 1330, note P. Véron.
[18] Par ex. : CE, 6 août 2019, n° 419242, cons. 5 : « Le droit à l’intégrité physique fait partie du droit au respect de la vie privée (…). Une vaccination obligatoire constitue une ingérence dans ce droit, qui peut être admise si elle remplit les conditions du paragraphe 2 de l’article 8 et, notamment, si elle est justifiée par des considérations de santé publique et proportionnée à l’objectif poursuivi ».
[19] TA Rennes, 18 juin 2012, Mme A c. CHS Guillaume Régnier, nº 1202373.
[20] Le Conseil d’Etat n’a cependant pas suivi ce raisonnement. V. infra, note n° 58.
[21] CSP, art. L. 3211-2-1.
[22] CSP, art. L. 3211-3 : « Lorsqu’une personne atteinte de troubles mentaux fait l’objet de soins psychiatriques [sans consentement] (…), les restrictions à l’exercice de ses libertés individuelles doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées à son état mental et à la mise en œuvre du traitement requis ».
[23] La contrainte existe aussi dans le programme de soins, mais elle pèse sur la volonté du patient, non sur son corps : on n’impose pas physiquement des soins, mais le malade doit respecter le programme ; s’il ne prend pas ses traitements ou n’honore pas ses rendez-vous médicaux, il s’expose à une (ré)hospitalisation ; M. Couturier, « Les paradoxes de la contrainte et du consentement dans les programmes de soins en psychiatrie », Rhizome, 2014, n° 53, p. 5.
[24] En pratique, psychiatres et infirmiers recherchent autant que possible l’adhésion des malades, dans ce qu’il est convenu d’appeler « l’alliance thérapeutique ». L’usage de la contrainte peut aller d’une forte incitation à prendre ses cachets jusqu’à des injections forcées, notamment en présence d’une crise.
[25] CSP, art. L. 1110-5.
[26] CSP, art. R. 4127-32.
[27] D. Szekely, M. Polosan, « Les thérapeutiques non médicamenteuses en psychiatrie », Annales médico-psychologiques, 2010, n° 7, vol. 168, p. 546.
[28] Toutefois, É. Péchillon, « Légalité d’un dosage médicamenteux : le Conseil d’État renvoie au juge judiciaire le soin de contrôler les conséquences d’une mesure de police », JCP A, nº 23, 3 juin 2013, chron. nº 2168 ; pour une étude québécoise : E. Bernheim, « La médication psychiatrique comme contention : entre autonomie et protection, quelle place pour un cadre juridique ? », Santé mentale au Québec, 2010, n° 2, vol. 35, p. 162.
[29] Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, art. 72.
[30] Loi n° 2022-46 du 22 janvier 2022 renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire et modifiant le Code de la santé publique, art. 17 ; JCP G, 2022, n° 10, p. 496, comm. P. Véron.
[31] V., dans le présent dossier, la contribution d’Éric Péchillon, « L’extension progressive des objets du contrôle de la psychiatrie », RDLF 2025 chron. n°12
[32] S. Renard, É. Péchillon, « D’une loi mal pensée ne pouvait naître qu’un droit f(l)ou », RGDM, n°85, 2022, p. 15.
[33] CSP, art. R. 4312-42.
[34] CSP, art. R. 4235-61.
[35] T. Tartour, D. Moreau, Nouguez, C. Lancelevée, « Déployer la pharmacie clinique en psychiatrie », Santé mentale, octobre 2024, n° 291, p. 54.
[36] V., dans le présent dossier, la contribution de Karine Sferlazzo, « Le contrôle exercé par les commissions départementales des soins psychiatriques », RDLF 2025 chron. n°10
[37] CSP, art. L. 3223-1, 3°, a).
[38] CSP, art. R. 3211-1, III.
[39] Plus rarement dans le cadre d’une poursuite disciplinaire. V., CE 7 mai 2014, n° 359076, D. 2014. 1787, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire : responsabilité d’une médecin psychiatre recherchée pour la prescription d’un antidépresseur à une adolescente de seize ans avec l’accord de la mère mais sans information ni autorisation du père.
[40] Civ., 1ère, 23 novembre 2022, 21-16.313, rejetant le pourvoi contre CA Grenoble, 2 mars 2021, n° 19/02948 : responsabilité in solidum du psychiatre et du cardiologue, à hauteur de 70% pour le premier et de 30% pour le second, pour le dommage grave lié à une intoxication au lithium du patient bipolaire, conséquence d’un surdosage. Il est reproché au psychiatre d’avoir reconduit la prescription de lithium de 4 comprimés par jour sans qu’aucune vérification du dosage dans le sang n’ait été réalisée alors que le patient présentait, lors du dernier rendez-vous, des symptômes de tremblements, des sensations de malaise, des troubles digestifs et des vomissements. L’augmentation de la posologie supposait une surveillance étroite que n’a pas suffisamment assuré le praticien, tandis que le cardiologue a prescrit un traitement également à base de lithium sans vérifier les traitements psychiatriques en cours.
[41] CA Lyon, 29 juin 2000, Juris-Data n° 2000-124104.
[42] CAA Marseille, 8 janv. 2009, CH Montperrin, n° 07MA01679.
[43] Civ. 1ère, 29 mai 2013, n° 12-21.194, D. 2013, p. 1819 obs. P. Véron ; LPA 2013, n° 138 p. 15, obs. F. Vialla.
[44] CA Paris, 18 juin 2020, n° 18/01370 : les difficultés de déglutition étaient également la conséquence de l’alcoolisme du patient, souffrant de dépression.
[45] CAA Paris, 18 Octobre 2022, n° 21PA01773 : « le neuroleptique prescrit – qui ne l’est pas exclusivement en cas de schizophrénie -, à raison selon l’expert de doses tout à fait modérées, était adapté tant dans sa nature que dans la posologie indiquée, en conséquence de quoi l’état de santé de l’intéressée s’est amélioré à telle enseigne que, lors de la consultation du 9 février 2018, la patiente a demandé au praticien l’augmentation des doses prescrites (…). A supposer la prise subite et importante de poids invoquée établie par une attestation de la mère de l’intéressée ainsi que des photographies, il résulte de l’instruction et est constant que Mme B… pouvait en tout état de cause être informée des caractéristiques et des effets secondaires du traitement administré, quand bien même le médecin prescripteur ne les aurait-il pas évoqués, en lisant la notice fournie par le fabriquant du médicament ».
[46] Pour une hypothèse où la faute dans la prescription, en lien avec le décès par suicide du patient souffrant de schizophrénie et s’étant sectionné une artère humérale, a été écartée : CAA Nancy, 20 février 2014, n° 13NC00942 : « le médicament antipsychotique, prescrit par les praticiens de l’établissement, était adapté à la pathologie et à l’état antérieur de l’intéressé ; que si les requérants soutiennent que le neuroleptique habituellement prescrit à M. A… B…était mieux adapté à son état, les experts précisent que ce médicament, que l’intéressé avait cessé de prendre depuis le mois de février 2003, ne permet pas de diminution immédiate des idées délirantes et ne commence à produire ses effets qu’après plusieurs semaines ; qu’en l’absence de signes cliniques d’angoisses massives ou d’excitation psychomotrice chez le patient, un traitement sédatif à forte dose n’était pas justifié selon les experts, lesquels précisent que les nombreux traitements suivis par M. A…B…pour son insuffisance rénale nécessitaient une prudence particulière dans la prescription de nouveaux médicaments anxiolytiques ou sédatifs ».
[47] Par ex., CA Bordeaux, ord., 29 février 2024, n°24/00775 ; CA Bordeaux, ord., 14 novembre 2014, n° 14/06517 ; CA Nîmes, ord., 7 avril 2022, n° 22/00197 ; CA Versailles, ord., 11 juin 2018, n° 18/03960 ; CA Poitiers, ord., 17 juin 2016, n° 16/00028.
[48] CA Rennes, ord., 11 décembre 2014, n° 14/00419.
[49] M. Couturier, E. Bernheim, « L’internement : regards croisés Suisse, Belgique, France, Québec. Risque et consentement en psychiatrie contrainte », Revue interdisciplinaire d’études juridiques, 2022/1, vol. 88, p. 57.
[50] Rappelons que le JLD a récemment perdu le monopole de ce contrôle, qui est assuré plus largement par un magistrat du siège désigné par le président du tribunal judiciaire ; V., Loi du 20 novembre 2023 d’orientation et de programmation du ministère de la Justice, art. 44 ; Décret n° 2024-570 du 20 juin 2024 « pris pour l’application des articles 38, 44 et 60 de la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 », JO 22 juin 2024, texte n° 22.
[51] Loi n° 2022-46 du 22 janvier 2022, préc.
[52] Sur le refus initial d’une telle extension : Civ., 1ère, 7 novembre 2019, n° 19-18.262, D, 2020, p. 139, note Karine Sferlazzo-Boubli ; RDSS, 2020, p. 355, note Pauline Curier-Roche ; RTD civ., 2020, p. 73, obs. Anne-Marie Leroyer ; JCP G, 2020, 94, obs. G. Raoul-Cormeil ; Droit de la famille, 2020, comm. 18, note Ingrid Maria.
[53] V. Vioujas, « La justiciabilité des décisions médicales devant le juge administratif », JCP A 2014, n° 23, p. 2183.
[54] Par ex., CE, ord. réf., 24 juin 2014, n° 375081, D. 2014, p. 1856, note D. Vigenau, p. 2021, obs. A. Laude, et 2015, p. 755, obs. J.-C. Galloux ; AJDA 2014, pp. 1293, 1669, 1484, chron. A. Bretonneau et J. Lessi, et note D. Truchet ; AJ fam. 2014, p. 396, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RDSS 2014, p. 1101, note D. Thouvenin ; JCP A 2014, n° 26, p. 13, obs. M. Touzeil-Divina ; JCP G 2014, 1392, note F. Vialla ; RDS 2014, n° 61, p. 118, obs. B. Legros ; CE, ord., 24 avr. 2019, n° 428117 ; CE, ord. réf., 8 mars 2017, n° 408146, JurisData n° 2017-003614, JCP G 2017, 382, F. Vialla ; RJPF 2017/5, obs I. Corpart ; JCP A 2017, n° 30, p. 17, note M.-L. Moquet-Anger ; D. 2017, 574 ; Lexbase Hebdo 2017, n° 692, obs. C. Castaing ; CE, ord. réf., 5 janvier 2018, n° 416689, D. 2018. 71, obs. F. Vialla ; RJPF 2018-2/29, obs. I. Corpart ; JCP G 2018, 217, F. Vialla ; D. 2018, p. 765, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; D. 2018, p. 1664, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; AJDA 2018. 578, note X. Bioy ; D. 2018. 71, obs. F. Vialla ; AJ fam. 2018. 117, obs. C. Kurek ; et 68, obs. A. Dionisi-Peyrusse. CE, ord. réf., 28 novembre 2018, n° 424135, AJDA 2019, n° 20, p. 1168.
[55] CE, ord. réf. 20 mai 2022, n° 463713, préc.
[56] CE, ord. réf., 27 juillet 2018, n° 422241.
[57] CE, ord. réf., 26 juillet 2017, n° 412618 ; JCP A, 2018, 2066, chron. O. Le Bot ; AJDA 2017, p. 1887, note G. Godinet ; JCP A 2017, p. 2007, note M.-L. Moquet-Angers.
[58] CE, ord. réf., 16 juillet 2012, nº 360793. É. Péchillon, « Le pouvoir médical face au refus de consentement : un savant dosage effectué par le juge des référés », JCP A, nº 40, 8 octobre 2012, chron. nº 2321.
[59] TGI Rennes, ord., 14 septembre 2012, nº 12/04081.
[60] CA Rennes, ord., 28 septembre 2012, nº 12/00228.
[61] CA Limoges ord., 13 septembre 2013, n° 13/00032.
[62] TC, 3 juillet 2023, C4279, Rec. Lebon : RGDM 2023, n° 89, p. 15, note V. Vioujas et p. 31, note P. Véron ; RDS, n° 116, novembre 2023, p. 941, obs. K. Sferlazzo-Boubli.
[63] CA Bordeaux, ord., 3 avril 2013, nº 13/01902.
[64] Par exemple, en cas d’intolérance prolongée à la molécule ou ses excipients, d’aggravation de l’état dépressif, de contre-indication au regard d’une fragilité cardiaque ou rénale, d’une incompatibilité avec un autre traitement, d’un dosage non conforme aux recommandations, etc. Le juge des référés pourra être amené à désigner un médecin expert pour apprécier la justification du traitement, si les éléments médicaux fournis par les parties ne suffisent pas.
[65] En ce sens, M.-J. Redor-Fichot, « L’article 66 de la Constitution, le juge administratif et la protection des droits du malade mental », CRDF, 2014, n° 12, p. 29.
[66] CEDH, 3 juillet 2012, X. c. Finlande, nº 34806/04.
[67] CSP, art. L. 3222-5-1. V., dans le présent dossier, l’étude de M. Grimbert, « Le contrôle du placement à l’isolement ou sous contention », RDLF 2025 chron. n°23.
[68] HAS, Recommandation de bonne pratique, isolement et contention en psychiatrie générale, févr. 2017.
[69] V., Ministère de la santé et des services sociaux du Québec. Contention, isolement et substances chimiques. Cadre de référence pour l’élaboration des protocoles d’application des mesures de contrôle. Edition révisée, 2015.
[70] E. Bernheim, « La médication psychiatrique comme contention : entre autonomie et protection, quelle place pour un cadre juridique ? », art. cit.
[71] V., HAS, Recommandation de bonne pratique, isolement et contention en psychiatrie générale, préc. : « Ces recommandations ne doivent pas induire indirectement un recul de la qualité de la prise en charge des patients et des droits des patients en établissement de santé mentale par un retour à l’utilisation de la camisole chimique et un retour aux unités fermées ».
[72] E. Bernheim, « La médication psychiatrique comme contention : entre autonomie et protection, quelle place pour un cadre juridique ? », art. cit.
[73] Ibid.
[74] V., le dossier « Déprescrire ? », Santé mentale, n° 291, 2024.
[75] F. Berna, P. Queneau, « La déprescription des psychotropes, un vrai sujet ! », Santé mentale, n° 291, 2024, p. 22.
[76] Nous préférons ici l’expression « bénéfices/inconvénients » à celle de « bénéfice/risque » en ce que certains inconvénients des traitements sont en réalité systématiques et non seulement « probables », la notion de risque renvoyant à une simple probabilité de survenance d’un évènement dommageable. En ce sens, les risques ne sont qu’une partie des inconvénients des traitements. V., P. Véron, « Réflexions sur le rapport bénéfice/risque en droit médical », Riséo – Risques, études et observations, 2023, n°1, p. 55. https://www.riseo.cerdacc.uha.fr/wp-content/uploads/2023/06/Riseo-2023-1-PDF-1-1.pdf
[77] F. Berna, P. Queneau, art. cit.
[78] G. Raoul-Cormeil, « La législation labyrinthique régissant l’isolement et la contention du patient (CSP, art. L. 3222-5-1) », RGDM, n° 85, 2022, p. 55.
[79] P. Mesnard, M. Grimbert, « Réception ou adaptation de la législation sur les soins psychiatriques contraints. Analyse de juges des libertés et de la détention », RGDM, n° 85, 2022, p. 93.
[80] CSP, art. L. 3222-5-1, I al. 1er.
[81] CSP, art. L. 3222-5-1, II al. 2.
[82] Bien que peu utilisée, cette faculté est prévue par l’article R. 3211-38 al. 4 du CSP pour le contrôle de l’isolement-contention : « Le juge peut solliciter l’avis d’un autre psychiatre que celui à l’origine de la mesure ».
[83] Une autre option consisterait à confier cette attribution à une instance collégiale, soit nouvelle (commission médicale ad hoc) soit déjà existante (comme la CDSP).
[84] Un tel dispositif ne semble pas incompatible avec la jurisprudence actuelle de la Cour de cassation, qui exige des juges du fond qu’ils apprécient le bien-fondé des décisions sur la base des avis médicaux et leur interdit de substituer leur propre appréciation à celle des psychiatres. V., Civ., 1ère, 15 novembre 2023, n° 23-14.928 : « le juge doit examiner le bien-fondé de [la mesure de réadmission en hospitalisation complète] au regard des certificats et avis médicaux produits, sans pouvoir porter une appréciation d’ordre médical sur le traitement mis en œuvre ni déterminer s’il est le plus approprié à l’état de santé du patient ».
[85] Sur le modèle de ce que prévoit l’article L. 3211-12, III al. 2 du CSP, le juge pouvant différer de 24h la prise d’effet de la mainlevée de la mesure administrative de soins sans consentement, le temps nécessaire à l’élaboration par les psychiatres d’un programme de soins.
[86] Le CGLPL s’est prononcé en faveur d’une interdiction formelle d’y recourir. CGLPL, Isolement et contention dans les établissements de santé mentale, Dalloz, 2016, p. 117 : « Aucune décision de contrainte physique ne peut être prise par anticipation ou avec l’indication « si besoin » ».
[87] M. Grimbert, « L’isolement et la contention à l’épreuve de la pratique », RDSS, 2024, n° 1, p. 94.
[88] P. Véron, « Le contrôle des mesures d’isolement et de contention par le juge des libertés et de la détention : vertus et limites », Revue Justice Actualités, 2023, n°27, p. 77. https://www.enm.justice.fr/api/getFile/sites/default/files/Recherche&doc/2023/RJA/RJA_27.pdf
[89] M. Bellahsen, R. Knaebel, La révolte de la psychiatrie. Les ripostes à la catastrophe gestionnaire, La découverte, 2020.
[90] V., le dossier « Isolement et contention : faire autrement ? », Santé mentale, n° 260, sept. 2021, p. 21 et s. ; et les travaux du collectif PLAID-Care : S. Saetta, M. Coldefy, J.-P. Lanquetin, D. Moreau et alli, « PLAID-Care : une recherche sur le moindre recours à la coerction en France », L’Encéphale, 2023, vol. 49, p. 433.
[91] V., CGLPL, Soins sans consentement et droits fondamentaux, Dalloz, 2020, spéc. p. 152 : « En Norvège, des associations de soignants et de patients ont obtenu la possibilité, traduite réglementairement, d’un soin sans médicament pour les personnes avec « troubles mentaux sévères ». Cette réglementation, qui a permis l’ouverture de la Medic Free Unit installée au sein d’un hôpital psychiatrique classique à Åsgård, a été l’occasion d’ouvrir le débat sur la diversité des modalités de soins et des parcours possibles. (…) Des initiatives françaises sont également intéressantes et prouvent que le cadre institutionnel national n’empêche pas des modes de prise en charge respectueux du patient et de ses objectifs personnels : même en situation d’hospitalisation complète, celui-ci, plus usager que patient, peut cogérer avec l’équipe soignante le déroulement de sa prise en charge. Telle est, depuis des décennies, l’approche de la clinique de La Borde (Loir-et-Cher), mise en place par le docteur Jean Oury ».