Contrat et droits fondamentaux [Résumé de thèse]
Contrat et droits fondamentaux
Par Lucien Maurin
Thèse, Aix-Marseille Paul Cézanne, 9 décembre 2011, dir. E. Putman
La progression des arguments fondés sur le respect des droits fondamentaux semble attester de leur emprise actuelle sur la matière contractuelle, sur le contrat privé. Cette emprise s’apprécie tant au niveau de la norme contractuelle que de l’opération contractuelle. Dans le cadre de notre étude, nous adoptons en effet une conception dualiste du contrat. Ce dernier constitue certes l’habillage juridique d’une opération économique mais il est aussi un acte juridique doté d’une force normative. Cette norme peut être le siège de conflits de droits fondamentaux. Preuve en est faite avec les jurisprudences constitutionnelle et européennes, lato sensu (CrEDH, CJUE…). Mais elle peut aussi être le vecteur d’interactions de droits fondamentaux. A ce stade, l’étude de la liberté contractuelle peut trouver sa place au sein de l’emprise des droits fondamentaux sur le contrat. A première vue, celle-ci paraît illustrer le phénomène inverse d’influence du contrat sur les droits fondamentaux car elle justifie, légitime des clauses aménageant ces droits. Cela dit, le simple fait que les jurisprudences constitutionnelle et de l’Union européenne consacrent sa valeur normative supérieure a une influence décisive sur le droit des contrats. Outre la norme contractuelle, l’opération contractuelle subit l’influence des droits fondamentaux. Tant sa formation que son exécution sont concernées. Au stade de la formation, le choix du cocontractant n’est pas libre, un droit fondamental au contrat émerge dans certains secteurs (emploi, banque, assurance) et tend à se généraliser. Le contrat semble valable non parce que les parties l’ont librement accepté, mais parce qu’il respecte les droits fondamentaux. L’atteinte serait en quelque sorte « présumée ». Au stade de l’exécution, les droits fondamentaux sont mis au service de l’opération contractuelle. Leur rôle n’est pas perturbateur car ce qui est vraiment fondamental, c’est le contrat. Ainsi, l’invocation d’un droit fondamental n’est pas de nature à faire naitre en cours d’exécution une obligation supplémentaire non prévue originairement tout comme elle ne peut avoir pour effet de rendre licite la violation d’obligation contractuelle. L’excuse de « fondamentalité » n’a pas lieu d’être retenue. Néanmoins les droits fondamentaux jouent un rôle essentiel dans la phase d’exécution : protection des parties dans l’exécution forcée (ex : insaisissabilité de certaines sommes…), protection des parties par la processualisation du contrat et protection des parties dans la rupture.
Cette emprise des droits fondamentaux n’annonce pas pour autant le requiem du contrat. Si le contrat supporte les droits fondamentaux, il peut aussi les porter. L’affirmation dogmatique du caractère absolu ou d’ordre public d’un droit fondamental ne suffit pas à empêcher un contrat d’y porter certaines atteintes si elles ne vident pas le droit de sa substance, si elles sont justifiées et si elles sont proportionnées par rapport au but à atteindre. Qui plus est, la sanction de l’atteinte contractuelle portée au droit fondamental ne se résume pas forcément à la nullité de l’acte. On peut établir une typologie des sanctions : annulation totale de la restriction contractuelle, correction de l’acte violateur, mise en conformité avec le droit violé, suspension des effets nocifs de l’acte, gestion des suites de l’acte violateur. D’une manière plus positive, le contrat peut promouvoir les droits fondamentaux. Il s’agit d’une démarche volontaire. Si les parties y ont recours, sans y être juridiquement obligé c’est parce qu’elles y ont un intérêt, principalement économique. L’importance des droits fondamentaux ne peut permettre de laisser ineffectif un tel engagement. Les modes de régulation juridique semblent limités (responsabilité civile, pénale, techniques de droit de la consommation) m iq, l’encadrement de cette pratique peut emprunter d’autres voies (rapports socialement responsable, certification, audits de suivi…).
Si l’étude des interactions entre le contrat et les droits fondamentaux s’inscrit dans une logique normative, justifiant à elle seule le phénomène d’emprise des droits fondamentaux sur le contrat, elle s’inscrit aussi, et peut être surtout dans une logique argumentative, nécessitant le détour par l’étude de l’influence du contrat sur les droits fondamentaux. Bien loin d’être opposées, ces deux logiques, normative et argumentative, sont complémentaires…
Crédits photo : Dave Di Biase, stock.xchng
Une recension de cette thèse par M. Mekki, in RTDCiv 2012, n°2, p. 404.