La contractualisation des droits fondamentaux [Résumé de thèse]
La contractualisation des droits fondamentaux
Par Ruth Dijoux
Thèse soutenue à l’Université de la Réunion, le 10 décembre 2010 devant un jury composé des Professeurs Jean-Pierre Marguenaud (Rapporteur), Emmanuel Putman (Rapporteur), Thierry Revet, Pascal Puig, Mathieu Maisonneuve, Jean-Baptiste Seube (Directeur).
Les droits fondamentaux sont incontournables. Pendant longtemps rattachés au droit public ils bouleversent aujourd’hui le droit privé français et notamment le droit des contrats. Manifestation des rapports entre personnes privées, le contrat connaît une véritable transformation. Cette transformation du contrat se fait essentiellement au regard du renouvellement des sources internes par des sources supranationales et notamment par la Convention européenne des droits de l’homme. L’effet horizontal de la Convention européenne, consacré par le juge français, participe en effet à la diffusion de la norme jusque dans les relations interindividuelles.
Pour certains auteurs (J. Verdier, « Relations de travail et droits fondamentaux, une jurisprudence en éveil », Mélanges offerts à Pierre Drai, Le juge entre deux millénaires, Dalloz, Paris, 2000, p. 653 et s.), la présence des droits fondamentaux dans le contrat apparait comme un phénomène favorable aux contractants faibles. Ainsi, le caractère inégalitaire que peut présenter la relation contractuelle requerrait une protection spécifique des droits fondamentaux. Pour d’autres auteurs (B. Moutel, L’effet horizontal de la Convention européenne des droits de l’homme en droit privé. Essai sur la diffusion de la CEDH dans les rapports entre personnes privées, Thèse, 2006.), l’effet horizontal de la CEDH encouragerait un devoir de solidarité à la charge de chacun et ce jusque dans la relation contractuelle.
Pourtant, l’avènement de ces droits en matière contractuelle présente un tout autre intérêt. En effet, il est possible de voir dans le contrat un instrument de disposition des droits fondamentaux, le contractant bénéficiant d’un droit de renoncer à ses droits. Le choix a alors été fait de se concentrer sur cet aspect de l’influence des droits fondamentaux sur le contrat. A une étude d’ensemble du phénomène de fondamentalisation du droit des contrats, il a été préféré une étude ciblée d’un aspect encore très peu exploré de cette influence.
L’affirmation d’une contractualisation des droits fondamentaux a nécessité plusieurs étapes de démonstration. Dans un premier temps, il était indispensable d’en présenter les justifications tant théoriques que pratiques (Partie I). En ce sens, le postulat de l’indisponibilité des droits a été dépassé. Dans une idéologie provocatrice, le droit de contracter sur ses droits consacre l’idée même de fondamentalité du droit. La fondamentalité des droits de l’Homme se caractérise par leur disposition par l’Homme. De manière plus pratique, les admissions jurisprudentielles d’une contractualisation ont été mises en évidence. Tant au niveau européen qu’interne, il est reconnu à la volonté une prérogative particulière. L’admission d’une contractualisation se confirme aisément en matière de droits processuels. Les différentes techniques de règlements amiables de conflits sont clairement perçues comme des voies de renonciation au droit garanti par l’article 6 de la CEDH. Concernant les droits substantiels en revanche, l’admission d’une contractualisation est plus complexe. Elle soulève des difficultés particulièrement au regard des droits dits indérogeables. Mais les réticences peuvent être dépassées. Certaines décisions mettent en évidence une évolution du niveau d’appréciation des atteintes au droit. Elles encouragent l’admission d’une renonciation aux droits substantiels.
Dans un second temps, après avoir reconnu que la contractualisation devait être encadrée, il a fallu répondre à la question de savoir comment valablement contracter. Deux types de conditions de mise en œuvre ont alors été proposés (Partie II). Tout d’abord, il a été rappelé qu’il existe des conditions de mise en œuvre classiques relatives au consentement. La volonté de disposer des droits doit être libre et éclairée, et sa portée limitée. Ensuite, les limites de la contractualisation se manifestent au travers du contrôle de proportionnalité. Les clauses contractuelles portant renonciation à un droit fondamental doivent être interprétées de manière rigoureuse. La restriction portée au droit doit être nécessaire et proportionnée à l’accomplissement du but poursuivi. Bien qu’il soit encore très décrié par la majorité doctrinale privatiste et mal maîtrisé des juridictions judiciaires, le contrôle de proportionnalité constitue un instrument majeur de la contractualisation des droits. Son pragmatisme sert à protéger les droits fondamentaux en conciliant au mieux, au cas par cas, ce qui ne peut être hiérarchisé. Transposé au droit privé, le contrôle de proportionnalité privatisé, se fonde sur une dualité claire, savoir la justification de l’atteinte et la proportionnalité stricto sensu.