Excès de pouvoir législatif et excès de pouvoir administratif. Étude comparée de l’office des juges constitutionnel et administratif français
Thèse dirigée par F. Blanco et soutenue publiquement le 27 septembre 2019 devant un Jury également composé de MM. Thierry Di Manno (Professeur à l’Université de Toulon ; Doyen de la Faculté de Droit) et Bertrand Seiller (Professeur à l’Université Paris 2 Panthéon-Assas) (Rapporteurs), François Priet (Président du Jury ; Professeur à l’Université d’Orléans), Mme Noëlle Lenoir (Conseillère d’État honoraire ; Membre honoraire du Conseil constitutionnel) et M. Dominique Rousseau (Professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne ; Président du Tribunal constitutionnel d’Andorre) (Suffragant.e.s).
Par Maxime Charité
Notre thèse de doctorat est une étude comparée de l’office des juges constitutionnel et administratif français intitulée « Excès de pouvoir législatif et excès de pouvoir administratif », par référence à deux études pionnières du Doyen Georges Vedel dans les deux premières livraisons des Cahiers du Conseil constitutionnel dans lesquelles il démontre, dans la première, que « le Conseil constitutionnel, en matière de contrôle de constitutionnalité des lois n’est pas juge d’un recours », puis, dans la seconde, que « dans cette matière, il est juge de l’excès de pouvoir législatif »[1]. Ces études, pour reprendre les mots de leur auteur, ne prétendant pas « à un travail exhaustif »[2], et étant aujourd’hui datées compte tenu des évolutions qu’ont connues tant la structure que la conception des contentieux constitutionnel et administratif français depuis 1997, l’objectif premier et principal poursuivi par notre thèse de doctorat était précisément de les prolonger et de les approfondir. L’originalité de notre démarche a consisté à amplifier et actualiser cette comparaison interne d’objets relevant de deux disciplines différentes dans le cadre plus ambitieux d’une étude doctorale. Cette démarche est critique quant au cadre et à l’objet, recentré autour de l’office des juges dans le contrôle des normes générales, et, plus généralement, en raison de son inscription dans une dimension méthodologique et théorique de nature à garantir sa scientificité.
I – Méthode
Un tel objectif ne pouvait être poursuivi qu’avec méthode et rigueur. C’est la raison pour laquelle nous avons dû, d’une part, préciser le cadre de notre étude comparée, autrement dit les deux termes de notre comparaison. C’est ainsi que l’étude comparée des contentieux constitutionnel et administratif français, sous-titre initial de la thèse, est rapidement devenue une étude comparée du contrôle de constitutionnalité des lois et du recours pour excès de pouvoir. Ce second terme de la comparaison s’est, quant à lui et après deux années de maturation, recroquevillé autour du recours pour excès de pouvoir dirigé contre les actes réglementaires. Si cette idée de resserrement nous est apparue pertinente durant les premiers mois de notre recherche doctorale, le doute a subsisté pendant deux ans. La raison ? La difficulté inhérente à une telle délimitation, qui impliquait, dans notre travail quotidien de jeune chercheur, de trier systématiquement dans la jurisprudence administrative et la doctrine administrativiste, entre ce qui relevait du recours pour excès de pouvoir dirigé contre les actes réglementaires et ce qui n’en relevait pas. Si le plan de la table de jurisprudence élaborée et reproduite en fin d’ouvrage met en évidence cette difficulté, nous avons finalement considéré que l’argument tiré de l’identité matérielle entre la loi et le règlement l’emportait sur elle[3]. C’est ainsi que la présente thèse est une étude de « droit comparé interne »[4] des deux branches principales du contentieux des normes générales français. En France, le contentieux des normes générales se décline aujourd’hui en deux ensembles principaux, le recours pour excès de pouvoir dirigé contre les actes réglementaires et le contrôle de constitutionnalité des lois. Le premier est, d’après les formules combinées des arrêts dits « Dame Lamotte » et « CFDT Finances », « un recours qui est ouvert même sans texte contre tout acte administratif » « qui énonce des règles générales et impersonnelles » « et qui a pour effet d’assurer […] le respect de la légalité »[5]. Le second est, quant à lui, un ensemble de procédures prévues par la Constitution ou par des lois organiques prises sur son fondement et qui ont pour objet de garantir que, selon l’obiter dictum de la décision Loi sur l’évolution de la Nouvelle-Calédonie, « la loi n’exprime la volonté générale que dans le respect de la Constitution »[6]. Partageant un certain nombre de propriétés, ces deux branches principales du contentieux des normes générales français s’analysent non seulement comme des « contentieux objectifs »[7], mais également comme des « contentieux d’annulation »[8]. C’est ainsi qu’afin d’accomplir leur office, entendu comme l’ensemble des pouvoirs et des devoirs attachés à leur fonction juridictionnelle, les juges constitutionnel et administratif français doivent tous les deux, d’abord, établir un rapport de norme à norme, puis, le cas échéant, « annuler » l’acte juridique contraire à une norme juridique qui s’impose à lui.
Pour être méthodique et rigoureux, nous avons dû, d’autre part, préciser l’objet de notre étude comparée. C’est la lecture de travaux relatifs à la méthode du droit comparé qui nous a convaincue que le principal objectif d’une étude comparée devait être de révéler l’unité ou la dualité de deux objets[9]. D’ailleurs, la question de l’unité ou du manque d’unité des contentieux constitutionnel et administratif méritait, selon nous, d’être tranchée, tant la réponse apportée par la doctrine à cette question était ambivalente. Elle se résumait ainsi : les contentieux constitutionnel et administratif français partagent un certain nombre de propriétés, mais ils se réalisent dans des conditions différentes[10]. Une pareille « réponse de normand » n’était pas intellectuellement satisfaisante et devait être approfondie. Partant, nous nous sommes rendu compte que l’unité et la dualité constituaient certes les objectifs principaux de la comparaison, mais qu’elles en étaient, aussi et surtout, les conditions. C’est ainsi que pour être mis en rapport, les éléments comparés doivent partager une ou plusieurs propriétés communes, sans lesquelles ils ne mériteraient pas d’être comparés. Mais à côté de ces propriétés communes, ils doivent également partager une ou plusieurs différences notables, sans lesquelles la comparaison serait dépourvue d’intérêt. Autrement dit, il existe toujours des éléments d’unité et des éléments de dualité dans la comparaison de deux objets juridiques, de l’unité dans la dualité et de la dualité dans l’unité. Nous en sommes arrivés à la conclusion que le principal objectif d’une étude comparée est moins de démontrer l’unité ou le manque d’unité de deux objets, que de révéler la ligne de démarcation séparant les éléments marqués par la prédominance de l’unité de ceux marqués par la prédominance de la dualité.
Afin de révéler cette ligne de démarcation, une phrase du Doyen Vedel dans son étude pionnière a fait office de « déclic ». Selon lui, au fur et à mesure du déroulement des étapes du contentieux, « la démarche du Conseil constitutionnel et celle du juge administratif se rapprochent au point de s’identifier »[11]. Cette phrase, combinée à l’influence qu’a eu sur nous la thèse du Professeur Florent Blanco[12], certes circonscrite au recours pour excès de pouvoir, mais dans laquelle les comparaisons avec le contrôle de constitutionnalité sont nombreuses, nous a toujours convaincue que c’était l’opération finale de décision qui était celle qui était exercée avec le plus de ressemblances dans les deux ailes du Palais-Royal. Si convaincu au point même d’avoir envisagé, entre juillet et octobre 2015, de restreindre notre étude comparée autour des seuls pouvoirs de décision des juges constitutionnel et administratif français. Une telle restriction du sujet aurait néanmoins retiré quelque chose d’essentiel à l’étude comparée. Pourtant, le constat de la prédominance de l’unité dans la décision, dans la sanction de l’excès de pouvoir, demeurait extrêmement clair pour nous. Celui de la prédominance de la dualité avant la phase de décision nous est apparu dans la foulée assez logiquement. Ce qui nous a convaincu, c’est le considérant n° 11 de la décision n° 86-218 DC du 18 novembre 1986. Dans cette décision, le Conseil constitutionnel se compare, en quelque sorte, au juge administratif, en estimant, pour l’examen de situations de fait, qu’il « se prononce dans des conditions différentes de celles dans lesquelles la juridiction administrative est appelée à statuer sur la légalité d’un acte administratif »[13]. Dualité dans le contrôle, dans la recherche de l’excès de pouvoir, unité dans la décision, dans la sanction de l’excès de pouvoir. L’objet et le fil directeur de notre démonstration se sont donc fixés simultanément, raison pour laquelle nous avons resserré le sous-titre de notre thèse autour du concept d’office du juge. Celui-ci, qui peut être sommairement défini comme désignant l’ensemble des pouvoirs et des devoirs attachés à la fonction de juge, nous a permis, dans chacune des parties, d’envisager la dualité et l’unité, de manière statique (l’office du juge en tant que fonction), puis de manière dynamique (l’office du juge en tant qu’ensemble de techniques), afin de mieux les faire ressortir.
Dualité dans la recherche de l’excès de pouvoir, unité dans la sanction de l’excès de pouvoir donc. Et alors ? Cette question nous a convaincu que ce simple constat ne pouvait décemment pas suffire sans une explication. Cette explication, c’est dans la théorie des contraintes juridiques que nous l’avons trouvé. La théorie des contraintes juridiques, qui vise à compléter la théorie réaliste de l’interprétation, repose sur le fait que l’indétermination des énoncés est source de liberté pour leur interprète, mais que cette liberté est bornée par des contraintes juridiques pesant sur le juge, situations de fait dans lesquelles « un acteur du droit est conduit à adopter telle solution ou tel comportement plutôt qu’une ou un autre, en raison de la configuration du système juridique qu’il met en place ou dans lequel il opère »[14]. L’importance des contraintes juridiques dans l’office du juge dépend donc de sa liberté, et a fortiori, de l’influence qu’a sur lui le principe d’indétermination textuelle. Or, en ce qui concerne l’office des juges constitutionnel et administratif français, cette influence est radicalement différente dans la phase de contrôle et dans la phase de décision. Dans le contrôle, elle est totale, dans la mesure où le juge doit vérifier si la signification de l’acte contrôlé, qu’il détermine, est compatible avec la signification de l’acte de référence, qu’il détermine également. Pleinement influencé par le principe d’indétermination textuelle dans la recherche de l’excès de pouvoir, l’office du juge est donc ici essentiellement le reflet des contraintes juridiques qui pèsent sur lui. Et ces contraintes juridiques, ces conditions dans lesquelles les deux juges se prononcent sur la régularité d’un acte juridique sont différentes, comme l’a utilement souligné le Conseil constitutionnel dans sa décision de 1986. Cette formule nous a servi de point de départ pour nous interroger sur une typologie des principales contraintes juridiques façonnant l’office des juges constitutionnel et administratif français dans la recherche de l’excès de pouvoir. Nous en avons identifié deux séries : les conditions inhérentes à la hiérarchie des normes et des organes et les conditions procédurales. Dans la décision, une telle influence est, en revanche, réduite à la portion congrue, en ce que le juge se borne à tirer les conséquences nécessaires du rapport qu’il a préalablement établi dans son opération de contrôle, soit pour conserver l’acte juridique non contraire, soit pour « annuler » l’acte juridique contraire à une norme juridique supérieure. Moins influencé par le principe d’indétermination textuelle dans la sanction de l’excès de pouvoir, l’office des juges constitutionnel et administratif français est là moins le reflet des conditions différentes dans lesquels ils se réalisent que des propriétés qu’ils partagent.
L’inscription de cette comparaison dans le cadre d’une théorie des contraintes juridiques nous permet ainsi de montrer que si, dans la recherche de l’excès de pouvoir, l’office des juges constitutionnel et administratif français est dominé par la dualité, il est, dans la sanction de l’excès de pouvoir, marqué par une profonde unité. En mettant en évidence et en expliquant que l’office des juges constitutionnel et administratif français est dominé par la dualité dans la recherche de l’excès de pouvoir et marqué par une profonde unité dans sa sanction, la présente étude comparée a pour objet principal d’apporter un éclairage nouveau à la question de la comparaison des contentieux constitutionnel et administratif français, notamment par rapport à l’étude pionnière du Doyen Vedel. Car si nous nous inscrivons dans sa lignée en en adoptant l’intitulé ainsi que certaines prémisses, notamment le cadre conceptuel du positivisme classique adopté par ce dernier, nous arrivons à une conclusion résolument différente : celle de la dualité dans le contrôle et de l’unité dans la décision, et non plus celle de la dualité dans la procédure et de l’unité dans le contrôle.
II – Démonstration
Dominé par la dualité dans la recherche de l’excès de pouvoir, l’office des juges constitutionnel et administratif français l’est dans la mesure où, dans cette phase de contrôle, il dépend essentiellement des conditions dans lesquelles ces derniers sont appelés à statuer sur la régularité d’un acte juridique (Partie 1). Totalement influencé par le principe d’indétermination textuelle dans la recherche de l’excès de pouvoir, l’office du juge est donc ici essentiellement le reflet des contraintes juridiques qui pèsent sur lui (Titre 1). Ces contraintes juridiques sont ni plus ni moins que les conditions dans lesquelles les deux juges du Palais-Royal se prononcent sur la régularité d’un acte juridique, et qui sont différentes, comme l’a utilement souligné le Conseil constitutionnel dans sa décision de 1986. Il ressort de leur recherche que les principales contraintes façonnant l’office des juges constitutionnel et administratif français dans le contrôle de l’excès de pouvoir sont les conditions inhérentes à la hiérarchie des normes et des organes et les conditions procédurales (Chapitre 1). Ces conditions différentes ont pour effet de dédoubler l’examen de la régularité des lois et règlements, phénomène entretenu par les différents éléments sur lesquels porte leur contrôle (compétence, forme, procédure, objet, motifs, buts) (Chapitre 2).
Ici, il en résulte une divergence des techniques de contrôle des juges constitutionnel et administratif français, dans leur tendance réduite à se détacher de la dimension abstraite et objective caractérisant traditionnellement les principes de constitutionnalité et de légalité : le rapport de norme à norme (Titre 2). C’est ainsi que le contrôle de légalité des actes réglementaires est logiquement plus approfondi (Chapitre 1). Un tel approfondissement supérieur signifie tant que la technique de contrôle du juge administratif est plus variée, mais également qu’elle est plus dense. Plus variée, la technique de contrôle du juge du règlement l’est dans la mesure où il contrôle certains vices non contrôlés par le juge de la loi. Tel est le cas du vice de forme, de l’erreur de fait et des détournements de pouvoir et de procédure. Plus dense, elle l’est également en ce que, pour les vices contrôlés des deux côtés du Palais-Royal, le contrôle du juge administratif s’opère dans un cadre normatif plus riche que celui du juge constitutionnel. Tel est le cas de l’incompétence positive, de la violation directe de la règle de droit, de l’erreur de droit et de l’erreur dans la qualification juridique des faits. Cependant, cette logique d’un contrôle plus approfondi de l’excès de pouvoir réglementaire est, pour certains vices susceptibles d’affecter la régularité des actes juridiques, renversée par la spécificité du « rapport de constitutionnalité ». En effet, la spécificité de la Constitution du 4 octobre 1958, en tant que règle de procédure déterminant la répartition des matières entre le domaine de la loi et celui du règlement et garantissant le respect des droits et libertés fondamentaux que le législateur doit concilier dans l’accomplissement de sa mission, soit entre eux, soit avec d’autres objectifs d’intérêt général, signifie que celle-ci est dotée d’un certain nombre de propriétés qui ont pour effet de diriger le contrôle de constitutionnalité des lois dans un sens particulier : celui des contrôles des vices de la procédure législative, des incompétences négatives du législateur et de la proportionnalité interne de la loi. C’est ainsi que la divergence des techniques des juges constitutionnel et administratif français dans la recherche de l’excès de pouvoir tend exceptionnellement vers un contrôle plus poussé de l’excès de pouvoir législatif (Chapitre 2).
Marqué par une profonde unité dans la sanction de l’excès de pouvoir, l’office des juges constitutionnel et administratif français l’est en ce que, dans cette phase de décision, il dépend davantage de leurs propriétés communes (Partie 2). Moins influencé par le principe d’indétermination textuelle dans la sanction de l’excès de pouvoir, l’office des juges constitutionnel et administratif français est là moins le reflet des conditions différentes dans lesquels ils se réalisent que des propriétés qu’ils partagent (Titre 1). Ces propriétés partagées sont, d’une part, celles des pouvoirs de décision du Conseil constitutionnel et du juge administratif, binaires et négatifs, dont la nature est illustrée par la formule utilisée par le Doyen Vedel un jour en plein délibéré au Conseil constitutionnel, selon laquelle ce dernier, à l’instar du juge de l’excès de pouvoir, « a le droit à la gomme, pas au crayon »[15] (Chapitre 1). Elles sont, d’autre part, celles des actes juridiques de portée générale sur lesquels portent ces pouvoirs ; la participation de leurs auteurs à l’exercice de la souveraineté justifiant la nature desdits pouvoirs, nature par ailleurs inadaptée à la généralité matérielle de ces mêmes actes (Chapitre 2).
Là, il en découle une convergence des techniques décisionnelles des juges constitutionnels et administratif français, dans leur tendance réelle à se détacher de l’alternative « conservation/annulation » de l’acte pour tendre vers des techniques plus raffinées et « positives », c’est-à-dire qui influent sur le contenu de la norme qui règle la situation à l’avenir[16] ; à délaisser la gomme au profit du crayon pour reprendre la métaphore du Doyen Vedel (Titre 2). C’est ainsi que, saisi d’un recours dirigé contre un acte juridique de portée générale, il existe de nombreuses possibilités pour le juge, après avoir vérifié sa régularité, non seulement de manipuler l’objet (la convergence étant dans ce cas-ci absolue (Chapitre 1)) mais également de déterminer les effets (la convergence étant dans cette hypothèse-là simplement relative (Chapitre 2)) de la sanction qu’il prononce. Il lui revient, tout d’abord, soit de décider de sa conservation totale, soit de prononcer son annulation, totale ou partielle, sous réserve de dissociabilité (annulations partielles). Dans les deux cas, il lui revient, ensuite, de subordonner sa décision à l’interprétation des dispositions de l’acte, dans la mesure où celle-ci est nécessaire à l’appréciation de sa régularité (décisions interprétatives). Il lui revient également tant de fixer la date de prise d’effet de sa décision, que de prévoir le maintien ou la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l’intervention de cette décision (décisions de modulation des effets dans le temps). Il lui revient, enfin, le cas échéant, d’indiquer, voire de prescrire à l’autorité compétente une mesure d’exécution de la chose jugée (décisions « pédagogiques »).
III – Conclusions
Dualité dans la recherche de l’excès de pouvoir, unité dans la sanction de l’excès de pouvoir donc. Si l’unification du contentieux des normes générales n’est pas souhaitable, de même que son unité matérielle n’est pas logiquement possible, un rapprochement matériel entre ses deux branches principales l’est, quant à lui, bel et bien. Mais le paradoxe de la comparaison des contentieux constitutionnel et administratif français réside précisément dans le fait que leurs destins sont étroitement liés, mais que jamais ils ne se rejoignent.
Au-delà du constat et de l’explication de l’unité et de la dualité de l’office des juges constitutionnel et administratif français, l’étude comparée a également permis d’interroger la nature du contrôle opéré et de la décision rendue, et avec, de montrer la nature spécifique du contentieux des normes générales et ses mutations. Le contrôle de constitutionnalité des lois et le recours pour excès de pouvoir, même dirigé contre les actes réglementaires, sont classiquement présentés comme des « contrôles abstraits » exercés dans le cadre de « contentieux objectifs » et « d’annulation ». Or, ils tendent à se détacher de ces modèles traditionnels. En effet, le contrôle opéré tend discrètement à s’inscrire dans une dimension plus subjective et/ou concrète, de manière plus forte pour le contrôle de légalité des actes réglementaires, tandis que la décision rendue par le juge tend, quant à elle, réellement à se détacher de l’alternative « conservation/annulation » de l’acte pour tendre vers des techniques plus raffinées qui influent sur le contenu de la norme qui règle la situation à l’avenir, et ce, de manière parallèle dans les deux ailes du Palais-Royal. Sur ce point, le constat de l’unité de l’office des juges du Palais-Royal dans la sanction de l’excès de pouvoir nous a permis de montrer que certaines techniques décisionnelles de même nature étaient plus développées en contentieux administratif qu’en contentieux constitutionnel, ou inversement, et ainsi, de formuler quelques propositions d’amélioration et notamment de rapprochement des solutions en cause. Nous espérons que notre étude comparée de l’office des juges constitutionnel et administratif français ouvre la voie à une réflexion sur le contrôle juridictionnel des normes générales.
[1] G. Vedel, « Excès de pouvoir législatif et excès de pouvoir administratif (I) », C.C.C., 1996, n° 1, pp. 57-63 (p. 59). Voir également, G. Vedel, « Excès de pouvoir administratif et excès de pouvoir législatif (II) », C.C.C., 1997, n° 2, pp. 77-91.
[2] G. Vedel, « Excès de pouvoir législatif et excès de pouvoir administratif (I) », ibid., p. 58.
[3] Argument, notamment, réceptionné par le Tribunal des conflits qui considère que « s’il [le règlement administratif] constitue un acte administratif en raison du caractère des organes dont il émane, il participe également du caractère de l’acte législatif, puisqu’il contient des dispositions d’ordre général et réglementaire » (T.C., 16 juin 1923, Sieur Septfonds c. Cie des chemins de fer du Midi, Rec. p. 498 (p. 500)).
[4] Qui désigne « la comparaison, au sein d’un même ordre juridique national, des règles qui découlent de branches du droit différentes » (P. Bon, « Le droit comparé à l’épreuve de la diversité », in J. Du Bois de Gaudusson (dir.), Le devenir du droit comparé en France, actes de la journée d’études à l’Institut de France du 23 juin 2004 organisée par le Groupement de droit comparé, P.U.A.M., 2005, pp. 145-148 (p. 145)). C’est ainsi que de nombreux travaux doctoraux ont pu comparer, au sein de l’ordre juridique français, des objets qui découlent de branches du droit différentes, voire d’une seule et même branche du droit (voir, notamment et pour des exemples limités à des sources utilisées dans l’étude comparée : C. Debbasch, Procédure administrative contentieuse et procédure civile : étude de droit comparé interne, L.G.D.J., 1962, 467 pp. ; J.-P. Négrin, Contentieux de l’excès de pouvoir et contentieux de pleine juridiction : de la dualité ou de l’unité du contentieux administratif français, P.U.A.M., 1976, 208 pp. ; X. Philippe, Le contrôle de proportionnalité dans les jurisprudences constitutionnelle et administrative françaises, Economica-P.U.A.M., 1990, 541 pp. ; D. Bailleul, L’efficacité comparée des recours pour excès de pouvoir et de plein contentieux objectif en droit public français, L.G.D.J., 2002, 428 pp. ; X. Dupré de Boulois, Le pouvoir de décision unilatérale : étude de droit comparé interne, L.G.D.J., 2006, 444 pp.).
[5] C.E., Ass., 17 février 1950, Ministre de l’Agriculture contre dame Lamotte, Rec. p. 110 (p. 111) ; C.E., Ass., 18 mai 2018, Fédération des finances et affaires économiques de la CFDT (CFDT Finances), Rec. p. 187 (p. 188).
[6] C.C., n° 85-197 DC, 23 août 1985, Loi sur l’évolution de la Nouvelle-Calédonie, Rec. p. 70 (p. 76). Sur cet obiter dictum, voir P. Blachèr, Contrôle de constitutionnalité et volonté générale : « la loi votée … n’exprime la volonté générale que dans le respect de la Constitution », P.U.F., 2001, 246 pp.
[7] S. Schmitt, « La nature objective du contentieux constitutionnel des normes : les exemples français et italien », R.F.D.C., 2007, pp. 719-747 (p. 719) ; T. Santolini, Les parties dans le procès constitutionnel, Bruylant, 2010, p. 69.
[8] C. Franck, Les fonctions juridictionnelles du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État dans l’ordre constitutionnel, L.G.D.J., 1974, p. 80 ; A. Viala, Les réserves d’interprétation dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, L.G.D.J., 1999, pp. 3-4.
[9] V.-D. Zlatescu, « Quelques aspects méthodologiques de la comparaison des droits », R.I.D.C., 1983, pp. 559-566 (p. 563). « L’identification des relations » entre les objets comparés (L.-J. Constantinesco, Traité de droit comparé, t. 2, L.G.D.J., 1974, pp. 243-250).
[10] Comme l’illustre la citation du Doyen Favoreu mise en exergue en accroche de la présente étude comparée : « Les concepts et les techniques utilisés en matière de contentieux constitutionnel, doivent certes beaucoup au contentieux administratif, mais on ne peut en déduire une identité nécessaire entre les deux contentieux » (L. Favoreu, « Le droit constitutionnel, droit de la Constitution et constitution du droit », R.F.D.C., 1990, pp. 71-89 (p. 82)).
[11] G. Vedel, « Excès de pouvoir législatif et excès de pouvoir administratif (II) », op.cit., p. 81.
[12] F. Blanco, Pouvoirs du juge et contentieux administratif de la légalité : contribution à l’étude de l’évolution et du renouveau des techniques juridictionnelles dans le contentieux de l’excès de pouvoir, P.U.A.M., 2010, 693 pp.
[13] C.C., n° 86-218 DC, 18 novembre 1986, Loi relative à la délimitation des circonscriptions pour l’élection des députés, Rec. p. 167 (p. 170).
[14] V. Champeil-Desplats, M. Troper, « Proposition pour une théorie des contraintes juridiques », in M. Troper, V. Champeil-Desplats, C. Grzegorczyk (dir.), Théorie des contraintes juridiques, actes d’un colloque organisé les 6 et 7 octobre 2000, Bruylant-L.G.D.J., 2005, pp. 11-23 (p. 12).
[15] G. Vedel, cité par R. Badinter, « Du côté du Conseil constitutionnel », R.F.D.A., 2002, pp. 207-210 (p. 208).
[16] C. Behrendt, Le juge constitutionnel, un législateur-cadre positif : une analyse comparative en droit français, belge et allemand, Bruylant- L.G.D.J., 2006, pp. 436-437.