La diversité : étude en droit du travail
Thèse soutenue à l’Université de Bordeaux, le 4 décembre 2018, sous la direction de M. le Professeur Christophe Radé. Présidente du jury : Mme la professeure Danièle Lochak. Membre du jury : Madame la Professeur Sophie Robin-Olivier (rapporteure) et Messieurs les Professeurs Patrice Adam (rapporteur) et Gilles Auzero.
Cette thèse est disponible en libre accès sur la plateforme Hal-SHS : https://hal.archives-ouvertes.fr/tel-02279370v1
Réapparue au cours des années 2000, la diversité est, en France, mobilisée dans les discours politiques et managériaux pour tenter d’introduire des mesures positives en faveur des catégories discriminées (liés aux motifs de discrimination et toutes combinaisons de ces motifs, ex. : « femme noire »). Aux États-Unis, à l’inverse, cette notion a été consacrée sur le plan juridique en 1978 et introduite pour sauver les programmes d’affirmative action de plus en plus contestés, tant socialement que juridiquement. L’irruption dans le champ juridique français de la « diversité », au travers des conventions et accords collectifs de travail l’ayant pris pour objet, bouleverse nos conceptions traditionnelles de l’égalité et de l’universalisme.
L’étude du contenu de ces accords collectifs de travail s’est rapidement révélée décevante : les moyens déployés pour diversifier les effectifs des entreprises n’étaient pas à la hauteur des ambitions annoncées dans les préambules des accords. Partant du postulat, formulé par les entreprises elles-mêmes, que la recherche de diversité serait un objectif légitime, la thèse se propose de comprendre ce décalage entre les ambitions des partenaires sociaux et leurs concrétisations et, pour la part imputable aux contraintes juridiques existantes, proposer des solutions permettant de mettre en œuvre plus efficacement un objectif de diversité.
La première partie de cette étude entend démontrer que la reconnaissance de la notion de diversité est difficile à concilier avec le principe de l’universalité des droits et le concept d’égalité formelle qu’il consacre. Le prisme de la diversité permet de discuter ce principe de l’universalité des droits notamment au regard des nombreuses exceptions qu’il comporte et permet également de penser une nouvelle forme d’universalité, plus inclusive. En ce sens, le principe de non-discrimination apparait comme le bras armé de l’universalisme et les motifs qu’il prohibe sont l’expression de la dimension pathologique de la diversité. C’est par eux que le législateur identifie les aspects meurtris de cette dernière. Le rattachement de la diversité à un objectif d’égalité permet de lui donner une assise juridique plus solide, que ne sont en mesure de le faire les objectifs utilitaristes actuellement promus par différents acteurs. Cette approche utilitariste a en effet été relevée et critiquée par les juges américains qui ont eu à statuer, à plusieurs occasions, sur le bien-fondé des politiques de diversité menées dans certains établissements d’enseignement supérieur. Le recul offert par le droit américain justifie le choix de recourir à la notion de diversité sur le fondement de l’égalité complexe et non de la justice utilitariste. La recherche de diversité doit donc être contextuelle, elle est fonction du droit ou du bien rare devant faire l’objet d’une répartition ou d’une sélection. À cet égard, la thèse s’appuie sur la théorie des « sphères de justice » développée par Michael Walzer. Ce dernier estime qu’à chaque bien pour lequel se pose la question de sa juste répartition correspond une forme d’égalité. La détermination de ce que l’ on considère comme juste permet de définir la clé de répartition. Ainsi, pour l’accès au droit de vote, c’est la forme mathématique de l’égalité qui est appliquée à tous les individus de plus de 18 ans. Une personne, un vote. Pour l’accès à l’emploi à l’inverse, le critère de la qualification devient un filtre qui, s’il était écarté, rendrait illégitime toute mesure visant à promouvoir certains profils « manquants ». Cette répartition en « sphère de justice » permet de repérer où la diversité a été malmenée, quelles responsabilités peuvent être engagées et quels correctifs devraient être apportés. Si on constate un manque de diversité dans l’entreprise, cela peut être le résultat d’une discrimination à l’embauche de la part de l’employeur, mais cela peut également correspondre à un manque de candidats qualifiés du fait d’un manque de diversité au sein des formations. Il n’est donc pas possible d’exiger de l’employeur qu’il emploie des personnes non qualifiées (au risque de faire peser sur les profils ainsi recrutés un perpétuel soupçon d’incompétence et donc renforcer certains stéréotypes), mais il est nécessaire de corriger le manque de diversité au sein des formations. La mesure de la diversité dans l’accès à l’ensemble des droits permet de détecter et potentiellement déconstruire les discriminations systémiques.
La seconde partie de cette étude a donc pour objet la mise en œuvre de la diversité en droit du travail en tenant compte des conditions définies précédemment.
Dans un premier temps sont étudiés les dispositifs visant à promouvoir plus de diversité dans les effectifs de travail. Cela consiste notamment à procéder à la détermination des objectifs chiffrés de diversité au sein de la sphère de l’emploi où se confrontent des droits et libertés de même valeur : le droit d’obtenir un emploi et le droit pour l’employeur de choisir ses collaborateurs. De tels objectifs de résultat, et les méthodes de promotion qu’ils permettent, doivent tenir compte de la nécessité pour l’employeur de recruter des personnes compétentes pour exercer l’emploi qu’il propose, sans pour autant laisser à ce dernier une totale discrétion sur le choix de la personne dès lors que ce choix serait fondé de manière directe ou indirecte sur des caractéristiques identitaires. Ce n’est donc pas directement la diversité « française » qu’il conviendra de reproduire au sein des entreprises, mais celle des individus formés pour occuper les emplois proposés.
Dans un second temps, l’étude porte sur la sauvegarde de la diversité ainsi atteinte au sein des effectifs. En effet, si les pratiques de recrutement peuvent être modifiées pour mieux promouvoir la diversité, faut-il encore que les personnes recrutées trouvent leur place au sein des entreprises. Or, un grand nombre de règles de fonctionnement des entreprises laisse entrevoir que le monde du travail est optimisé pour certains profils uniquement. Les personnes aux besoins et aux habitudes de vie différentes ne pourront pas s’intégrer aussi facilement et durablement dans le fonctionnement de l’entreprise que celles pour qui il a été façonné. Il apparait donc que le droit du travail applicable dans l’entreprise, qui a intégré dans son « logiciel » les modes de fonctionnement « classiques » des entreprises, doit être repensé pour être plus inclusif. Il convient dès lors de distinguer selon que les caractéristiques identitaires relèvent de certaines vulnérabilités pouvant affecter la vie des êtres humains (âge, état de santé, handicap, ou à la parentalité) ou selon qu’elles résultent de l’exercice d’une liberté ayant pour effet de marginaliser l’individu. Si les vulnérabilités doivent être systématiquement prises en considération dans l’élaboration des règles communes du droit du travail pour que le travail et l’entreprise soient adaptées à leurs conditions ; il ne peut en être de même en ce qui concerne l’exercice d’une liberté pouvant entrer en conflit avec d’autres libertés. Dans ce cas de figure, le respect de la diversité se traduirait par le traitement identique de toutes les expressions de la liberté, qu’elles soient limitées ou au contraire autorisées dans le cadre de l’entreprise.