Le droit à un environnement sain en droit de la Convention européenne des droits de l’homme
Thèse soutenue publiquement le 16 novembre 2018 à l’Université de Nantes devant un jury composé de : Jean-Pierre Beurier (Professeur émérite de l’Université de Nantes, Président), M. Jean-Pierre Marguénaud (Professeur à l’Université de Limoges, Rapporteur), Mme Agnès Michelot (Maître de conférences HDR à l’Université de La Rochelle et présidente de la SFDE, Rapporteur), Mme Mary Sancy (Professeur honoraire associée à l’Université de Nantes, Examinateur), Mme Françoise Tulkens (Professeur émérite de l’Université de Louvain et ancienne juge à la Cour européenne des droits de l’homme, Examinateur), Éric Mondielli (Professeur à l’Université de Nantes, Directeur de thèse).
(A paraître à la LGDJ dans la collection « Droit de l’environnement et de l’urbanisme » sous le titre Le droit à un environnement sain et la Convention européenne des droits de l’homme)
Le texte de la Convention européenne des droits de l’homme (ci-après, CEDH) ne mentionne pas le droit à un environnement sain, ce qui est tout-à-fait compréhensible au regard d’un traité international rédigé à une époque où la prise de conscience des problèmes environnementaux faisait encore défaut. Cette situation n’a pourtant pas empêché les organes de la Convention (d’abord la Commission européenne des droits de l’homme puis la Cour européenne des droits de l’homme) d’ériger de façon prétorienne, et par touches successives, un système de protection permettant de corriger cette lacune du texte conventionnel.
Déployant une interprétation essentiellement dynamique et évolutive de la Convention, le juge européen s’est employé, à partir du début des années 1980, à faire progressivement entrer la question de l’environnement et celle de sa protection au sein du corpus conventionnel. Reposant sur l’analyse d’une jurisprudence comprenant environ 250 décisions (arrêts, décisions sur la recevabilité, rapports de la Commission. . .) relatives à la protection de l’environnement, la recherche a pour objet de proposer une identification précise du corpus jurisprudentiel consacré à la protection du droit à un environnement sain, ce afin de pouvoir en proposer une grille de lecture claire quant à l’objet du droit protégé par le juge, à la norme dégagée par ce dernier aux fins de sa protection et, enfin, au régime de sa mise en œuvre.
Ce travail de clarification, qui nécessite de systématiser la pratique du juge afin de bien comprendre la logique d’ensemble qui anime notre objet de recherche, a donc pour principale ambition de dégager les lignes de force d’une jurisprudence qui, au regard du droit à un environnement sain, est souvent hésitante et empreinte de retenue.
D’emblée, la jurisprudence européenne rendue en matière environnementale est apparue traversée de deux dynamiques distinctes : l’une, envisageant l’environnement et sa protection au titre de l’exception d’intérêt général, les inscrits comme une limite à la protection des droits garantis par la Convention ; l’autre, faisant apparaître l’environnement comme une condition d’exercice des droits de l’homme, les inscrits au contraire dans un rapport de complémentarité et non plus d’opposition avec les droits conventionnels. Imputable à la profonde ambiguïté de la notion d’environnement, cette ambivalence de la protection de l’environnement dans la jurisprudence européenne apparaît cependant à bien des égards problématique puisque le sujet de la thèse implique bel et bien l’hypothèse d’une protection de l’environnement effectivement prise en charge par le juge européen au titre de la protection des droits conventionnels.
À partir de ce constat, il s’est établi que seule une partie des questions relatives à la protection de l’environnement présente dans la jurisprudence de la Cour est réellement assurée par cette dernière au titre de la Convention. Ainsi, la protection de l’environnement appréhendée par le juge européen au titre de l’exception d’intérêt général se rapporte davantage à un droit de l’État qu’à un droit de l’homme. La valeur accordée à l’environnement par la Cour dans cette hypothèse n’est rien d’autre qu’une « réserve axiologique » 1 qui joue au profit de l’État défendeur qui est autorisé à porter atteinte aux droits garantis par la Convention au nom de la mise en œuvre de politiques écologiques internes définissant l’environnement comme une totalité à dimension éco-centrée. En revanche, la deuxième voie d’entrée de l’environnement dans la jurisprudence européenne semble bien inscrire sa protection dans la dynamique de la protection des droits garantis par la Convention. La Cour reconnaît à ce titre que des atteintes environnementales peuvent altérer leurs conditions d’exercice. Dans ce dernier schéma, où protection de l’environnement et protection des droits de l’homme coïncident, la conception de l’environnement n’est cependant plus la même que dans l’hypothèse précédente, puisqu’il acquiert ici une dimension anthropocentrée correspondant à la définition qu’en a donné J. Rivero dans sa célèbre préface à la thèse de F. Caballero (Essai sur la notion juridique de nuisance, LGDJ, 1981) : « Il n’y a d’environnement qu’en fonction d’un environné, et l’environné, c’est l’homme ».
Bien que n’étant pas structurante dans la majorité des discours du droit positif et de la doctrine, cette distinction essentielle constitue pourtant le préalable nécessaire et indispensable à une identification précise et rigoureuse du corpus jurisprudentiel dédié à la protection d’un droit à un environnement sain par la Cour européenne des droits de l’homme. Malgré une jurisprudence très casuistique et profondément travaillée par la complexité de la matière environnementale, la première partie de la démonstration, empruntant une méthode essentiellement inductive, parvient à matérialiser l’existence d’un « droit à un environnement sain » dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
Poursuivant un objet précis, ce droit doit s’analyser comme un droit « à la protection » d’un environnement sain, lequel n’intéresse pas la protection de la nature, mais la sécurité de l’homme dans son milieu de vie (protection de la qualité et du cadre de vie des populations humaines face aux agressions environnementales — pollutions en tous genres, risques environnementaux — résultant principalement des activités humaines ; objet auquel on peut adjoindre la protection de la propriété privée lorsqu’elle est affectée par de telles agressions).
Axée sur un noyau dur composé essentiellement de l’intégrité physique et de la qualité de vie dont la santé est un déterminant essentiel, sa protection emprunte le canal exclusif des obligations positives. Ces dernières sont déduites d’un certain nombre de droits conventionnels substantiels et procéduraux. Leur découverte, ainsi que l’enrichissement de leur contenu par l’apport de sources extérieures à la Convention, met en exergue une production normative assez singulière reposant sur plusieurs fondements conventionnels et au contenu relativement baroque. La norme environnementale qui s’en dégage révèle paradoxalement une certaine unité : basée sur la prévention des atteintes environnementales susceptibles d’affecter la jouissance des droits garantis par la Convention, cette norme prétorienne impose aux États la mise en place d’un cadre normatif général qui convoque en droit interne les relais principaux de la police administrative et du droit pénal et dont le champ d’application relève pour l’essentiel des activités industrielles dangereuses. Ce cadre normatif général se trouve en outre complété par certaines garanties procédurales qui, de l’obligation d’information à l’accès à la justice, confèrent aux individus des droits subjectifs permettant d’en contrôler et d’en faire sanctionner le non-respect. S’inscrivant dans une logique éminemment libérale, l’ensemble du dispositif promeut un ordre public environnemental dont l’objet est de permettre un exercice stabilisé de la liberté d’exercer certaines activités dangereuses pour l’environnement en la conciliant préventivement avec les droits et libertés protégés par la Convention.
La seconde partie de la démonstration est quant à elle consacrée à la mise en œuvre de ce droit à la protection d’un environnement sain par le juge européen. Elle révèle un véritable hiatus entre cette promotion prétorienne du droit à un environnement sain et son effectivité dans le corpus conventionnel. Les constats de violation de la Convention s’avèrent rares. La sanction du droit n’intervient qu’en raison de circonstances exceptionnelles, tenant essentiellement à la gravité des atteintes environnementales et à l’irrégularité de situations évaluées uniquement au regard du droit interne. L’impression qui domine est, schématiquement, que le principe d’effectivité animerait la production normative, mais ne gouvernerait plus ensuite l’application de la norme européenne protectrice par le juge européen. Deux séries d’obstacles à la réalisation de la protection conventionnelle du droit à un environnement sain sont ainsi mis en évidence.
La première, d’ordre purement technique, est symptomatique de l’inadéquation d’un raisonnement classique du juge qui limite la prise en charge de la protection de l’environnement au titre de la Convention. Elle est d’abord perceptible au stade de l’appréhension du dommage environnemental par la Cour qui conditionne le plus souvent l’applicabilité du droit conventionnel. S’en tenant souvent à une vision très stricte du lien de causalité, le juge européen s’obstine par exemple à appliquer des règles d’administration de la preuve qui ne sont pas pour faciliter la tâche des requérants.
Ensuite, et dans l’hypothèse où l’atteinte au droit a pu être établie, certaines difficultés se posent au moment de déterminer l’imputabilité de cette atteinte à l’État : l’alternative classique entre une ingérence active ou passive s’avère souvent peu pertinente dans des affaires environnementales généralement marquées par la complexité, ce qui va générer des ambiguïtés au moment de la mise en œuvre du contrôle européen. C’est alors sur le contrôle de proportionnalité exercé par la Cour aux fins de déterminer, le cas échéant, l’existence d’une violation de la Convention que porte le reste de l’examen. D’importants défauts structurels ressortent de l’analyse, laissant prise à de nombreux biais notamment au moment d’établir le juste équilibre entre le droit invoqué par les requérants et l’intérêt de la communauté dans son ensemble. Il en ressort pour l’essentiel que la Cour se refuse à l’exercice d’un strict contrôle de proportionnalité au profit d’un contrôle procédural d’une toute autre nature. Ce constat traduit l’attitude générale de prudence et de retenue qui anime la démarche du juge européen en la matière. Cette attitude se révèle notamment à travers l’exigence d’un seuil de gravité élevé des atteintes, la reconnaissance d’une large marge d’appréciation aux États, ainsi que par le refus de consacrer explicitement un statut de droit autonome au droit à un environnement sain dans le corpus conventionnel, droit qui pour l’heure ne jouit toujours que d’une protection indirecte et dérivée.
C’est alors que, de purement techniques, les obstacles à la réalisation de la protection conventionnelle du droit à un environnement sain révèlent leur nature éminemment politique. L’étude met ainsi en évidence une stratégie jurisprudentielle mettant en scène un juge qui ne se sent pas investi d’une légitimité suffisante pour trancher des affaires qui, souvent très techniques, mettent surtout en cause une liberté économique au fondement des démocraties libérales européennes à l’origine de la Convention. C’est alors que, d’elle-même, la logique de la norme prétorienne précédemment dégagée s’éclaire, de la même manière que ses conditions de mise œuvre : élément modérateur des abus d’une liberté économique située au cœur du paradigme libéral des sociétés démocratiques européennes, le droit à un environnement sain ne pourra guère prétendre dans le cadre de la Convention à une autre ambition que celle de simple exception à la liberté de le détruire.
Notes:
- C. BLANC-FILY ↩
Très intéressant ! Participation artistique au débat. Dessinatrice, j’ai réalisé sur ce sujet une série de dessins aux crayons de couleur évoquant, par une suite d’abeilles mortes, la pollution par les substances chimiques et les pesticides utilisés dans l’agriculture. A découvrir : https://1011-art.blogspot.com/p/vous-etes-ici.html. Mais aussi, en lien direct, une réflexion sur l’utilisation des produits phytosanitaires : https://1011-art.blogspot.com/p/hommage-magritte.html
Droit à un environnement sain ?
Très intéressant, je réfléchis aussi sur le droit à un environnement sain au moyen de la régulation française (non européenne), notamment en ruralité. Y a t’il des normes nationales applicables en France (à travers politiques régionales, départementales, communales /PLU ?) en matière des droits de l’homme et droit à un environnement sain, y compris dans nos campagnes ?
Je suis arrivée au constat, que dans nos campagnes, le droit à un environnement sain est moins à l’ordre du jour que dans les villes. J’en veux pour preuve les détournements du trafic de poids-lourds des centres urbanisés vers les espaces ruraux (nos voies communales deviennent des autoroutes pour le transport de marchandise). Le droit à un environnement sain dans les villes impacte le droit à un environnement sain en campagne. Constat fait à Tourves (83170) de 2013 à 2023. Mme Chenel, en posture de lanceur d’alerte et vigie environnementale, de proximité.