La libre communication : liberté fonctionnelle nécessitant une reconnaissance constitutionnelle d’un droit à la déconnexion numérique
Thèse soutenue le 1er décembre 2020 à l’université de Toulon devant un jury composé de Madame BAUDREZ Maryse (Professeur des universités, Université de Toulon), Monsieur SANTOLINI Thierry (Maître de conférences, Université de Toulon), Madame TÜRK Pauline (Professeur des universités, Université Côte d’Azur, rapporteur), Monsieur PASSAGLIA Paolo (Professeur des universités, Université de Pise, rapporteur) et Monsieur BARDIN Michaël (Maître de conférences, Avignon Université)
La période de confinement causée par la pandémie de Covid-19 et l’obligation de « distanciation sociale » n’ont pas conduit à la « déconnexion sociale ». L’état d’urgence sanitaire a mis en exergue l’importance de l’accès à internet et des communications numériques en cas de crise. L’accès à internet a permis à la population d’être informée immédiatement sur les évolutions de la situation à travers la consultation des médias qui utilisent préférentiellement ou exclusivement internet et des réseaux sociaux. Il a permis aux personnes malades ou à mobilité réduite d’être parfois le seul lien avec le monde extérieur. Ainsi on a assisté à l’émergence généralisée au sein des différentes couches de la population de l’utilisation du e-learning, du télétravail, du streaming, du smart working, etc. Les communications numériques ont encore plus qu’en période normale, permis l’accessibilité aux cours pour de nombreux étudiants de tout âge, le suivi par les enseignants et parfois même la réalisation du contrôle continu et des examens. Ce droit à l’accès à internet s’est démontré véritablement essentiel. Protéger le libre accès à internet et le renforcer est essentiel car on continue à découvrir son importance et ses nouvelles fonctionnalités. Avec internet on est confrontés à des questions très techniques, où les mutations de la société appellent des choix politiques et juridiques quasi immédiats 1.
La « fondamentalisation », la consécration constitutionnelle, la garantie au niveau européen ou international de nouveaux droits émergents à l’ère numérique sont des sujets majeurs pour les constitutionnalistes au XXIème siècle. La liberté constitutionnelle d’expression et de communication des opinions a plusieurs fonctions fondamentales dans la vie en société. Cette liberté peut être qualifiée de fonctionnelle, dans le sens qu’elle permet la réalisation de nombreux autres droits et libertés. Internet a une importance significative à l’heure actuelle : on constate que les communications numériques permettent la valorisation du rôle du citoyen dans la démocratie. La démocratie numérique se prête difficilement à une théorisation, en tant que modèle distinct des notions juridiques de démocratie directe ou représentative. Elle se résume, pour l’instant, à un ensemble de démarches qui valorisent le rôle du e-citoyen, appelé à être plus actif dans la construction du projet commun, dans la gestion des affaires publiques, en se saisissant de nouveaux moyens qui lui sont proposés. Dans la dimension numérique, le citoyen a des compétences nouvelles à acquérir et un rôle nouveau à jouer. Le citoyen est appelé à s’informer et à faire circuler l’information ; il est invité à avoir un avis et à le donner, à participer au débat et à être force de proposition afin de contribuer concrètement à la réalisation de certaines politiques. On a vu que parmi les grands risques qui incombent sur l’utilisation d’internet, la manipulation par les autorités de la libre communication est une des plus importantes. On estime qu’aujourd’hui le plus grand rempart contre ces agissements serait la protection constitutionnelle des droits fondamentaux dérivant du numérique et d’internet. Ces manipulations des communications et des informations existent dans de nombreux États. Dans ces cas, on a constaté l’utilisation par les citoyens-internautes d’un nouveau type d’internet, le dark web qui leur permet de naviguer de façon anonyme et cryptée afin d’éviter toute répercussion liée aux espionnages privés ou publics.
Internet peut aussi être utilisé pour nuire gravement à la société et à la sécurité publique. La menace terroriste actuelle paraît être tellement présente que l’intérêt général et la protection de la sécurité publique semblent devoir primer malgré les traditionnelles garanties relatives notamment au nécessaire respect des textes constitutionnels. La sécurité publique est consubstantielle à l’État, c’est une des raisons premières de l’existence de l’État. Ainsi, certaines données personnelles issues des communications peuvent être utilisées par les services de l’État afin de garantir le maintien de l’ordre public et de la sécurité publique. À l’ère du numérique on assiste à la limitation, par la voie législative, de la liberté de communication numérique. À cause des menaces terroristes, la réaction législative s’est dirigée dans le sens d’une limitation de la liberté de communication numérique en faveur de la protection de la sécurité publique. Face à une problématique aussi importante, en tenant compte des questions liées au terrorisme, le juge constitutionnel est, pour le moment, assez mal « outillé » pour résister à la volonté tenace du législateur de toujours plus durcir la législation nationale. Il lui est difficile de résister à cette logique constante de restriction. Le juge constitutionnel pourrait céder toujours plus de droits et libertés fondamentaux face à des exigences protectrices et sécuritaires. L’encadrement strict de la liberté d’expression et de communication risque de causer un véritable conflit entre le droit national et le droit européen. Il s’agit là d’une vision pessimiste, mais la logique des droits devrait l’emporter sur la logique de surveillance de masse lorsque la France sortira de cette période sombre, qu’on a qualifié de « brouillard » qui est la menace terroriste. La réalité virtuelle ne doit pas dépasser le droit. Le danger serait que face à l’épreuve, se produise un repli sur soi sans garanties constitutionnelles ou que certaines pratiques issues des réformes législatives soient instrumentalisées et détournées de leur objectif principal.
L’essor d’un droit fondamental à la déconnexion d’internet comme prolongement du respect de la dignité humaine. Tout comme le droit à l’accès à internet, le droit à la déconnexion devrait devenir un droit fondamental constitutionnel. On est conscients du fait que ce qui est valable pour un salarié du bâtiment, ne l’est pas pour un cadre travaillant à distance dans le secteur du numérique. Les personnes travaillant avec les communications numériques, digital natives 2 ont un rapport au temps diffèrent, c’est la réactivité, l’immédiateté et la spontanéité qui comptent, et pouvoir se connecter régulièrement est un gage d’effectivité pour eux. Le droit à la déconnexion semble nécessiter d’être traité au cas par cas, par exemple dans une charte ou dans un accord d’entreprise. Il est important de sensibiliser les employés et les employeurs aux risques de la consultation excessive de leurs messageries professionnelles, de la nécessité de se réserver des périodes sans mails, de façon à respecter le droit au repos quotidien et hebdomadaire des salariés 3. Pourtant peut-on obliger les salariés à se déconnecter ? Il ne s’agit pas là de critiquer le recours au numérique dans les échanges professionnels, mais d’éviter les abus. Par conséquent des dérives existent et elles semblent nécessiter la reconnaissance d’un droit à la déconnexion. Malgré les prévisibles contestations et réserves des employeurs, ce droit à la déconnexion devrait être envisageable de façon concrète pour protéger notamment les « cyber salariés ». Cependant contraindre à la déconnexion les salariés pourrait être interprété comme une infantilisation du citoyen. En effet, chacun est maître de son libre arbitre, de plus les récentes lois contre le harcèlement au travail sont déjà présentes dans l’arsenal législatif. Dès lors, la reconnaissance au rang constitutionnel d’un droit à la déconnexion serait une avancée dans la protection des droits et des libertés car elle permettrait d’ouvrir une nouvelle protection au citoyen. Tout comme il existe le droit de se taire, il faudrait instaurer un droit à ne pas être sollicité par les outils numériques. En effet, les exigences professionnelles ou sociétales liées au numérique pourraient encourager le législateur à imposer une obligation à la connexion permanente.
L’extension de la dignité de l’être humain au droit à la déconnexion. Au vu de l’adaptabilité du principe de la dignité de l’être humain et de la jurisprudence protectrice qui en découle, il est logique de se questionner sur la possibilité de son extension au droit à la déconnexion numérique. En effet, l’être humain n’est pas un être numérique, il doit donc bénéficier de temps de repos des activités numériques. Le respect de la dignité de l’être humain pourrait conduire à reconnaître une disposition constitutionnelle relative à la déconnexion du numérique.
Notes:
- Par exemple le risque de tracking, le traçage numérique pourrait modifier notre société post confinement. ↩
- Personnes nées entre la fin des années 1980 et le début des années 1990. ↩
- Bruon Mettling est l’auteur du rapport « Transformation numérique et vie au travail » effectué dans le cadre de la réforme du droit du travail en septembre 2015 au Ministère du travail. ↩
Merci pour vos cours ! Excellent professeur et praticien du droit.