La réalisation du droit de la non-discrimination
Thèse dirigée par la Professeure Véronique Champeil-Desplats et soutenue publiquement le 6 juillet 2020 à l’Université Paris Nanterre devant un jury composé des professeurs Gwénaële Calvès (Professeure à l’Université de Cergy-Pontoise), Xavier Dupré de Boulois (Professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne), Stéphanie Hennette-Vauchez (Professeure à l’Université Paris Nanterre), Jérôme Porta (Professeur à l’Université de Bordeaux) et de M. Vincent-Arnaud Chappe (CNRS).
Par Robin Medard Inghilterra, docteur en droit de l’Université Paris Nanterre (Centre de recherches et d’études sur les droits fondamentaux) et chercheur postdoctoral en droit à l’Université libre de Bruxelles (Centre Perelman de philosophie du droit – Centre de droit européen)
Le droit de la non-discrimination s’est considérablement étendu lors des dernières décennies en France et constitue désormais un corpus juridique étoffé. Structuré autour d’une interdiction fondatrice (l’interdiction de la discrimination) et d’un droit subjectif (le droit à la non-discrimination[1]), il fait l’objet d’un enrichissement continu dont témoigne, entre autres, la profusion des caractéristiques protégées[2]. À mesure que croissent les exigences normatives qui lui sont assignées, persiste en contraste un état pragmatique : celui de l’ineffectivité de ses deux principales normes[3]. La crédibilité du droit et la protection des victimes sont alors mises à l’épreuve et invitent à penser, au-delà des incantations, une politique sur mesure de réalisation du droit.
Le droit à la non-discrimination repose tout entier sur l’organisation d’un contrôle juridictionnel de traitements défavorables. Il décharge par conséquent dans une large proportion le processus de réalisation sur la victime. C’est cette dernière qui doit procéder, d’une part, à un acte de qualification juridique de la situation vécue et, d’autre part, à un acte de revendication en vue de la réparation du préjudice subi. La thèse ici présentée a néanmoins pour objet de souligner la diversité des leviers à disposition du législateur qui sont susceptibles d’aider la victime dans sa tâche et de concourir à la réalisation du droit. Avant même que la victime ne se saisisse de l’outil juridique pour contester une expérience discriminatoire, les qualités du droit, son adéquation avec les besoins des acteurs, son intelligibilité ou encore la cohérence des qualifications qu’il fournit sont autant d’éléments qui bâtissent en amont un contexte propice à sa réception, à sa compréhension, à son appropriation et à sa mobilisation (Partie 1). Cette mobilisation du droit peut ensuite déboucher sur une contestation judiciaire de laquelle dépend la reconnaissance de la discrimination et la réparation du préjudice subi. C’est alors la manière dont le droit règle le déclenchement et la conduite de cette contestation judiciaire qui détermine – en partie – la capacité des juridictions à satisfaire une revendication qui se révèle fondée (Partie 2). La réalisation du droit de la non-discrimination, et a fortiori du droit à la non-discrimination, est en définitive largement tributaire de l’action du législateur. Un examen critique de la manière dont ce dernier mobilise ses pouvoirs s’impose au regard du constat récurrent de l’ineffectivité de ce droit. Si l’examen révèle plusieurs écueils, il dévoile par la même occasion des espaces inexploités que le législateur pourrait être amené à explorer.
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La première partie de cette étude se concentre sur les qualités des énoncés qui structurent le droit de la non-discrimination. Il y est soutenu que ces qualités – organiques, formelles, matérielles[4] – contribuent, sans évidemment suffire, à favoriser la réception et la mobilisation du droit par les acteurs. Une analyse détaillée permet de ce point de vue de mettre en lumière les nombreuses carences qui, en l’état, altèrent tant les qualités légistiques (Titre 1) que la cohérence du droit de la non-discrimination (Titre 2).
Le titre 1 se focalise sur les propriétés légistiques du droit de la non-discrimination, à savoir ses procédures d’élaboration (qualités organiques) ainsi que ses formulations sémantiques (qualités formelles)[5]. Les qualités organiques rejaillissent pour partie sur l’adéquation – ou l’inadéquation – du contenu normatif formalisé avec les besoins des acteurs de la lutte contre les discriminations. Les qualités formelles se répercutent, elles, sur l’intelligibilité – ou l’inintelligibilité – de ce contenu et façonnent ses chances d’être convenablement reçu par les sujets de droit.
L’attention accordée à titre liminaire à l’influence des acteurs qui élaborent le droit de la non-discrimination dans le chapitre 1 permet une mise en contexte utile à l’étude. Lorsque l’intervention du législateur est considérée, la conception du droit de la non-discrimination ne reflète qu’occasionnellement la prise en compte des besoins des acteurs de la lutte contre les discriminations. Le législateur recherche parfois une finalité autre, par exemple lorsqu’il sanctionne l’efficacité de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité en supprimant l’institution, dont les missions sont intégrées au sein du nouveau Défenseur des droits. Des carences rédactionnelles, comme celles de la loi du 27 mai 2008 qui a transposé les directives communautaires, ou des mesures inadéquates, telles les conditions de déclenchement des actions de groupe prévues par la loi du 18 novembre 2016, sont fréquemment maintenues, délibérément, sans que la consultation d’organismes experts ou la collaboration parlementaire ne soient mises à l’honneur pour améliorer le texte. L’ajout législatif qui enrichit le corpus antidiscriminatoire n’est alors pas pleinement pensé, dans ces cas, pour remédier à l’ineffectivité de l’interdiction de la discrimination ou du droit à la non-discrimination. Sa contribution à la réalisation de ces normes pâtit inévitablement d’un défaut originel. Ces éléments pourraient en partie être compensés par l’intervention d’auteurs spécialisés qui apportent leur expertise au cœur du processus d’élaboration du droit. À l’exception notable du Défenseur des droits lorsqu’il agit en tant qu’organisme de promotion de l’égalité et participe à titre consultatif à l’élaboration du droit, rares sont cependant les acteurs qui disposent d’une expertise, d’une volonté politique affirmée et d’une vision transversale en matière de non-discrimination. L’institutionnalisation de tels organismes en France demeure inaboutie. La tentative visant à instaurer un organisme crédité d’un mandat transversal d’élaboration et de coordination des politiques publiques antidiscriminatoires (Délégation interministérielle à l’égalité républicaine) n’a, par exemple, jamais vu le jour. Au commencement de notre étude, l’analyse des qualités organiques du droit de la non-discrimination contribue ainsi à expliciter les fondements parfois précaires de notre objet.
Partant, il est peu surprenant que les qualités formelles des textes élaborés qui favorisent leur réception et leur compréhension, à l’instar de la clarté, de la précision et de la lisibilité des énoncés qui les composent, ne ressortent pas avec prégnance de l’analyse dans le chapitre 2. Les divergences entre les éléments qui structurent la définition de la discrimination dans les différentes branches du droit, ou encore la variation de ses modalités de prohibition d’un texte à l’autre, aboutissent à un déficit criant de lisibilité. L’imprécision et la complexité de la notion centrale de discrimination ne facilitent pourtant ni la compréhension des normes de comportement énoncées (i.e. interdiction de la discrimination, droit à la non-discrimination) ni le processus de diffusion du droit en réaction à sa méconnaissance. Ces carences rédactionnelles autour de la définition de la discrimination illustrent, cela dit, une tendance plus large. La stratification des dispositions successivement adoptées dans les différentes branches du droit a en effet, plus généralement, débouché sur une dispersion formelle des sources du droit de la non-discrimination et sur une hétérogénéité des régimes de protection que l’on peine souvent à pouvoir justifier. En réaction, le législateur pourrait s’inspirer d’expériences étrangères et s’engager sur la voie de la consolidation des dispositions antidiscriminatoires en prenant pour point d’ancrage la loi du 27 mai 2008 pour favoriser l’accessibilité et l’intelligibilité du droit. Cette entreprise pourrait, entre autres, être l’occasion d’une unification des définitions de la discrimination et, plus largement, d’une rationalisation du corpus dans son ensemble afin d’en faciliter la diffusion, la réception, l’appropriation et la mobilisation par les acteurs.
Le titre 2 de la première partie s’attache ensuite à la cohérence du droit et part du constat que sa mobilisation par les victimes, par leurs conseils ou par les juridictions elles-mêmes, peut dans certains cas être complexifiée en raison d’un agencement normatif incertain. Le maniement du droit de la non-discrimination par les victimes sera par exemple d’autant plus aisé s’il leur fournit des qualifications juridiques opérationnelles, et non incohérentes, pour traduire leurs expériences discriminatoires dans la grammaire du droit. La convocation du droit de la non-discrimination par les juges sera quant à elle facilitée s’il leur offre des fondements juridiques non conflictuels pour statuer.
Le chapitre 3 examine les incohérences du droit de la non-discrimination au niveau de la qualification juridique mobilisée par les requérants et leurs conseils. Cette qualification repose sur l’existence d’un traitement défavorable d’une personne par rapport à une autre, apprécié au regard d’une ou plusieurs caractéristiques protégées. Mais elle ne se borne pas à ces éléments. Pour être juridiquement qualifié de discrimination, encore faut-il que ledit traitement ne puisse être justifié. Les modifications successives apportées par le législateur ont néanmoins érodé la clarté du cadre légal qui régit le processus de justification. À la prohibition de la discrimination directe, en principe injustifiable, se sont ajoutées diverses dispositions qui précisent les justifications exceptionnellement admissibles dans le cadre d’un système fermé. La multiplication de ces justifications débouche désormais sur une profusion normative peu lisible. À la profusion normative s’ajoute l’incohérence en raison de deux phénomènes cumulatifs. D’une part, de nouvelles dispositions ont progressivement introduit un système semi-ouvert de justification des discriminations directes dans l’emploi (i.e. l’exigence professionnelle essentielle et déterminante), puis ouvert[6] en dehors de l’emploi (i.e. l’existence d’un but légitime et de moyens nécessaires et appropriés[7]). De telle sorte que les juridictions disposent en réalité d’une grande latitude pour admettre des justifications non explicitement prévues par le législateur, en confrontation avec le système fermé initial. D’autre part, sur le modèle du droit de l’Union européenne, le régime de justification des discriminations directes diffère en principe de celui des discriminations indirectes qui, elles, peuvent systématiquement être justifiées. Pourtant, la summa divisio directe/indirecte se révèle extrêmement poreuse, faillible[8] et pour partie obsolète[9]. Comme l’ont ponctuellement relevé quelques auteurs, en l’état, la « concurrence normative complexifie le travail d’appropriation et de qualification » pour les requérants, en conséquence de quoi, « faute d’harmonisation, la prolifération normative conduit à une multitude de lectures possibles » et « à des concours de qualifications qui peuvent s’avérer délicats »[10]. Penser en réaction une qualification juridique unifiée et inclusive[11] pourrait permettre, entre autres, une meilleure cohérence et une appréhension facilitée des traitements défavorables qu’entendent contester les victimes de discrimination[12].
La cohérence du cadre normatif est encore envisagée dans le chapitre 4 sous un autre angle, celui de la coexistence du droit de la non-discrimination et du principe constitutionnel d’égalité. Une critique doctrinale émergente, qui trouve un certain écho chez les magistrats, tend à affirmer l’aspect conflictuel de la non-discrimination et du principe d’égalité[13]. Or, parce que les dispositions antidiscriminatoires législatives doivent être matériellement conformes au principe d’égalité, il semble particulièrement périlleux, pour le droit de la non-discrimination du moins, d’envisager ces deux entités sous l’angle de la tension, et a fortiori de la contradiction. La clarification de leurs modalités de coexistence – certes complexes – s’apparente sous cet angle à une condition essentielle de la réalisation car d’elle dépend – pour partie – l’acceptation puis l’appropriation du droit de la non-discrimination par ses autorités d’application. L’analyse amorce en conséquence un détour théorique pour démontrer que le droit de la non-discrimination constitue bien un complément juridique technique du principe d’égalité. Elle insiste par ailleurs sur le fait que les grandes mutations de la qualification juridique de discrimination (e.g. directe, indirecte, matérielle, par refus d’aménagement raisonnable) formulent un écho aux exigences évolutives de l’égalité (e.g. abstraite, concrète, matérielle, substantielle, réelle), ce qui atteste d’un destin lié de tout temps des deux notions. Si certaines critiques doctrinales soulèvent des questions fondamentales pour mettre en cause le droit de la non-discrimination, notamment eu égard au rôle des juridictions, aucun argument ne permet de démontrer une opposition substantielle, conflictuelle ou concurrentielle, entre égalité et non-discrimination. L’opposition se pare ainsi des traits du mythe et son emprise au creux de la culture judiciaire, qui freine parfois l’application du droit de la non-discrimination[14], gagnerait à s’estomper pour faciliter l’appropriation de ce dernier par les magistrats.
L’analyse des qualités normatives du droit de la non-discrimination révèle en définitive plusieurs malfaçons (e.g. définitions de la discrimination, modalités de prohibition, qualification juridique, intelligibilité des textes…). Ces malfaçons permettent de mettre en évidence sa dimension inutilement complexe, voire son incohérence. Ces caractéristiques résultent d’une stratification progressive de dispositions qui ont considérablement modifié le corpus du droit de la non-discrimination, sans que le législateur n’accompagne ce processus d’un travail de rationalisation. En ce que le droit de la non-discrimination organise un contrôle prioritaire de certaines inégalités de traitement, sa réalisation est pourtant en grande partie fonction de sa réception, de sa compréhension et de son appropriation par les sujets de droit amenés à déclencher ce contrôle. Considérant que son ineffectivité est régulièrement imputée à une imparfaite connaissance et à une insuffisante mobilisation du droit par les acteurs, que la complexité et l’incohérence ne contribuent pas à renforcer, sa rationalisation – entendue comme simplification et mise en cohérence – s’avère d’autant plus essentielle. Elle constituerait un premier pas visant à promouvoir sa réception sociale et à parfaire son caractère opérationnel en vue de l’action. Car une fois appréhendé par les victimes, c’est bien par l’action que se réalise le droit à la non-discrimination.
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La seconde partie de l’étude se concentre sur les voies d’action susceptibles de revendiquer la cessation du dommage et de déboucher sur la réparation du préjudice subi du fait de la discrimination. Pour que l’entreprise de revendication du droit ne soit pas vaine et illusoire, le législateur peut à cet égard contribuer à « mettre le plaideur en capacité d’agir en justice »[15] à travers plusieurs procédés techniques pour garantir l’accès au juge (Titre 3). Mais cette garantie ne serait rien ou presque si elle ne pouvait s’appuyer ensuite sur l’efficacité des mécanismes de règlement des litiges, desquels dépend également la réalisation du droit par le biais contentieux (Titre 4).
Le titre 3 de l’étude fournit l’occasion d’une analyse critique des modalités d’accès aux juridictions pour les personnes qui estiment avoir subi une discrimination. L’étude s’attache en premier lieu à souligner les limites endogènes des différentes voies d’action et les éventuelles perspectives d’amélioration. Elle considère ensuite l’impact de facteurs exogènes, telles les conditions matérielles des requérants ou leur subordination hiérarchique, sur leur capacité réelle à conduire une contestation judiciaire.
L’examen des voies processuelles dans le chapitre 5 insiste sur les conditions de recevabilité de l’action contentieuse et sur certains mécanismes procéduraux. L’action individuelle est à cet égard caractérisée par un potentiel variable selon qu’est envisagée la voie pénale, civile ou administrative. La première s’illustre par un défaut d’opérationnalité qui tend à la reléguer à une perspective subsidiaire, utile à la contestation des cas les plus graves mais qui s’avère peu propice à une massification du contentieux. Les nombreux obstacles à l’émergence des signalements, à l’engagement des poursuites ainsi que la politique judiciaire des parquets ou encore l’appréhension restrictive du phénomène discriminatoire devant les juridictions pénales altèrent en effet leur capacité à offrir une réponse contentieuse pleinement satisfaisante. Ce sont en alternative les actions civiles et administratives, récemment renforcées[16], qui ouvrent largement la voie à une revendication du droit à la non-discrimination. Elles impliquent cependant la perte de plusieurs avantages liés à l’action publique, comme le recours important à l’instruction, la prise en charge du coût de la procédure ou de la preuve qui pèse généralement sur le ministère public et non le requérant. Face à cet écueil, le potentiel des actions civiles et administratives pourrait être renforcé par l’institutionnalisation d’une aide juridique spécialisée. Quant aux voies d’action qui font place à une intervention des tiers en soutien de la victime, leur potentiel demeure pour l’heure limité. Certaines conditions au déclenchement des actions de substitution et des actions de groupe par les associations et les syndicats sont éminemment restrictives. L’action de groupe semble même complexifier plus que faciliter l’accès aux juridictions pour les victimes de discrimination. La libéralisation de l’action pourrait alors être envisagée à différents niveaux afin de favoriser le recours au droit et permettre plus aisément la contestation des actes discriminatoires.
En complément, le chapitre 6 considère que la conduite de l’action peut être affectée par des obstacles de fait qui caractérisent la situation des requérants et face auxquels le législateur « ne saurait se borner à demeurer passif »[17]. Il s’agit de tenir compte des conditions matérielles afin d’éviter, dans la mesure du possible, que celles-ci entravent la capacité d’une victime à solliciter la réparation du préjudice subi. Les faibles perspectives de compensation des carences financières des victimes, les projections d’une longue attente en vue du règlement du conflit et la protection perfectible à l’encontre des représailles constituent autant d’explications au phénomène de non-recours au droit. Ce phénomène contribue in fine à normaliser les violations de l’interdiction de la discrimination ainsi que l’ineffectivité du droit censé en assurer la crédibilité. La viabilité de l’action est alors fonction d’un soutien que le droit positif peut orchestrer. Le concours technique et financier d’une aide juridique spécialisée, à la condition qu’elle soit suffisamment dotée, pourrait, par exemple, être complémentaire à celui de l’aide juridictionnelle, voire à un possible programme de financement des causes types et à un fonds de financement des recours collectifs sur le modèle d’expérimentations étrangères. La protection des requérants pourrait également être favorisée par l’extension du statut de salarié protégé aux travailleurs, publics et privés, engagés au contentieux contre leur employeur afin de garantir le droit d’ester en justice et assurer la contestation d’une pratique ou d’une mesure discriminatoire.
Même lorsque l’accessibilité des juridictions est assurée, la réalisation du droit à la non-discrimination n’est pas pour autant accomplie. Elle exige encore de régler le litige et de satisfaire la contestation lorsque celle-ci est fondée. C’est pourquoi le titre 4 s’intéresse enfin à l’efficacité des mécanismes de résolution des litiges. L’analyse envisage la capacité des procédures à faire émerger les termes du litige et à offrir des outils adéquats afin de permettre son règlement.
Le chapitre 7 questionne à ce titre l’utilité des procédures sui generis applicables en matière de discrimination. Initialement envisagées pour stimuler l’émergence ou la résolution des litiges, leur utilité semble contrastée selon les cas envisagés. Sans agencer les différents modes de résolution des litiges de manière cohérente et complémentaire, le législateur a opté pour la création d’une médiation spécialisée, désarticulée de la voie juridictionnelle, qui présente moins de garanties que les médiations de droit commun et dont les motifs de déclenchement questionnent à certains égards. Quant à la voie contentieuse, empruntée de manière privilégiée ou en dépit d’une tentative préalable de médiation, de nombreux obstacles persistent. Les difficultés probatoires freinent notamment l’émergence du litige malgré l’aménagement salutaire de la charge de la preuve. Le seuil de la preuve à franchir manque de clarté pour les requérants, qui rencontrent surtout une difficulté d’accès aux éléments probants. Ces derniers sont fréquemment détenus – parfois exclusivement – par le mis en cause. La compensation de cette inégalité de position par la sollicitation et la mobilisation des prérogatives d’instruction du juge est loin d’être systématique. La dépendance à l’égard des éléments probants persiste en conséquence et altère le plein potentiel de certains modes de preuve, à l’instar de la preuve statistique. La complexité du maniement de ce dernier mode de preuve répond par ailleurs à la lourdeur de l’organisation des tests de situations, qui peinent à être généralisés. En réaction, quelques ajustements pourraient éventuellement intervenir. L’accès aux éléments probants pourrait être facilité au contentieux par la sollicitation plus fréquente et le prononcé de mesures d’instruction in futurum, voire sur requête. Il le serait encore par la consécration explicite d’une valeur probante au silence que le mis en cause est susceptible d’opposer à ces mesures d’instruction[18]. À défaut de satisfaction du seuil de la preuve par ce biais, il ne devrait pas être attendu du requérant qu’il fasse la démonstration de la réalité de la caractéristique qui lui est prêtée, du caractère exclusif de son influence dans la production du traitement défavorable, ou encore de l’intentionnalité de ce traitement. C’est sur ce point l’appréciation des juridictions qui conditionne l’émergence du litige[19]. Quelques législateurs étrangers ont opportunément choisi d’écarter toute ambiguïté sur ces éléments d’appréciation en adoptant des dispositions expresses qui guident le travail d’interprétation des juridictions[20]. Cette piste pourrait également être explorée en France.
Au-delà des questions procédurales, la résolution du litige repose encore sur la mobilisation par les juges de leurs prérogatives d’interprétation et de sanction, examinées dans le chapitre 8. À cet égard, l’émergence du litige est parfois gênée par l’hésitation du juge lorsqu’il fait face à des situations qui présentent des signes de marginalité. L’exclusion peut frapper certains types nouveaux de discrimination qui peinent à être systématiquement saisis (e.g. discrimination par association, multiple, notamment intersectionnelle). Les protections antidiscriminatoires semblent alors en deçà des protections conférées dans d’autres ordres juridiques en raison d’une audace contenue lors de l’interprétation des énoncés. Cette pusillanimité peut encore se manifester par l’interprétation restrictive des motifs (e.g. situations couvertes au titre de la protection du handicap). Certains législateurs étrangers sont explicitement intervenus pour soutenir l’appréhension audacieuse des nouveaux types de discrimination[21]. Il en va de même lorsqu’il s’agit de favoriser les interprétations constructives et extensives des motifs de discrimination par la précision, à titre indicatif, des situations couvertes par telle ou telle caractéristique[22]. Opportunément, la lettre des lois de consolidation sécurise de la sorte l’amplification des protections antidiscriminatoires. Lorsque ces obstacles parviennent à être dépassés, la résolution du litige peut finalement être – non plus freinée mais – relativisée au stade de la sanction, en raison d’une réparation limitée du préjudice matériel, d’un aménagement limité des relations contractuelles, ou encore d’une évaluation plutôt faible – et en certains points peu rigoureuse – du préjudice moral. L’efficacité de la sanction dans sa dimension classique de réparation du préjudice pourrait alors être parfaite par un recours plus fréquent à l’aménagement des relations contractuelles, à la modification du contrat, à son exécution forcée ou à sa conclusion encadrée. La réparation par équivalent pourrait, elle, s’appuyer sur une réévaluation du préjudice subi, par exemple en réaction à la conception en l’état restrictive de la perte de chance et de la perte de revenus. Une dimension plus proactive de la sanction, fondée sur l’injonction (e.g. mesures de redressement systémique), pourrait même être considérée en complément bien qu’elle gagnerait à s’appuyer sur une habilitation franche. Là aussi, le plein déploiement des pouvoirs des juges pourrait être stimulé par l’intervention du législateur.
L’analyse permet en résumé d’insister sur de multiples difficultés techniques susceptibles de freiner ou obstruer la satisfaction des victimes qui optent pour la revendication du droit à la non-discrimination. Du déclenchement de l’action à la sanction de la pratique ou de la mesure discriminatoire, la quête de réalisation du droit dépend des conditions juridiques qui l’encadrent, qu’il s’agisse au demeurant des règles de procédure applicables ou de la mise en œuvre des pouvoirs des juridictions. Les qualités du droit peuvent, de ce point de vue, être envisagées en tant que facteurs qui expliquent – partiellement[23] – l’ineffectivité du droit de la non-discrimination. L’inadéquation des mécanismes de revendication du droit, leur manque d’efficacité ou encore l’absence de conception de certains outils face aux pierres d’achoppement rencontrées par les requérants jouent un rôle dans la difficulté constatée à obtenir satisfaction face à une violation de l’interdiction de la discrimination. De nouveaux ajustements du traitement contentieux pourraient ainsi être justifiés pour favoriser le déclenchement et la conduite de l’action autant que l’émergence et la résolution du litige.
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Comme évoqué précédemment, la fonction du droit de la non-discrimination conduit à décharger considérablement le processus de réalisation sur la victime. C’est cette dernière qui doit procéder, d’une part, à un acte de qualification juridique de la situation vécue et, d’autre part, à un acte de mobilisation de la norme en vue de la réparation. Le droit n’est toutefois pas étranger à ce processus. Il assoit son emprise en amont et en aval. Les autorités normatives sont ainsi susceptibles de servir la réalisation, d’abord en soignant la conception de l’outil placé entre les mains des acteurs, puis en perfectionnant les modalités juridiques de traitement de l’action.
Peut-on néanmoins objecter que l’optique de réalisation du droit par le droit serait vaine considérant que les discriminations sont « [indissociables] de la logique du fonctionnement social et qu’on ne saurait prétendre [les] éradiquer par la seule force du droit »[24] ? L’objection serait sans doute fondée si la démarche était conçue comme suffisante. Or, l’ambition de cette étude est nécessairement limitée, restreinte à ce que peut le droit. Le point de vue juridique, ici adopté, n’est donc qu’accessoire au point de vue sociologique qui le complète pour penser la réalisation[25]. En tant qu’outil[26], l’utilité du droit de la non-discrimination est fonction de celui qui s’en saisit, de la finalité qu’il lui assigne et de la manière dont il le manie. Toujours est-il que les dispositions qui composent ce droit possèdent des qualités qui leur sont propres, et que la finalité qu’on leur assigne ou le maniement que l’on souhaite en faire peuvent être plus ou moins bien servis par les propriétés qui les structurent. Si l’outil sert mal sa fonction, nous soutenons qu’une analyse de ses qualités peut contribuer à avancer des pistes explicatives partielles à cet échec. De manière prosaïque, cette étude se borne sous cet angle à renouveler le constat de Roscoe Pound et de Huck Finn qui considèrent que, pour piocher, il est préférable d’utiliser une pioche[27]. En d’autres termes, face à des politiques publiques qui « sont impuissantes à venir à bout de discriminations », « en dépit de leur ambition croissante »[28], nous souhaitons insister sur le fait que, avant d’acter un éventuel constat d’échec, il serait possible de questionner l’adéquation de l’outil par lequel le droit contribue au combat[29] contre les discriminations.
Les suggestions avancées à cette fin dans cette étude n’aspirent qu’à défricher des voies inexplorées ou insuffisamment empruntées. Quant à la démarche globale de la thèse, qui s’attache à une considération des facteurs juridiques de réalisation, pris dans leur ensemble, elle ne peut évidemment suffire à résoudre l’ineffectivité du droit. Tout au plus possède-t-elle pour ambition de formaliser à cette fin un cadre de pensée, partiel, réduit à la sphère d’action des autorités normatives, principalement du législateur. Mais parce que ces autorités demeurent incapables de produire seules l’observance des normes édictées, leur emprise ne saurait excéder la détermination des chances de réalisation du droit.
[1] Ici entendu comme la capacité d’un individu à contester devant les autorités d’application du droit une pratique ou mesure estimée contraire à l’interdiction de la discrimination et, le cas échéant, à obtenir réparation du préjudice subi.
[2] Soulignons ici que les seuls quatre instruments juridiques principaux du droit de la non-discrimination en France (Code du travail, loi Le Pors, Code pénal, loi du 27 mai 2008) consacrent pas moins de trente-neuf motifs de discrimination.
[3] V. ici les baromètres publiés annuellement par l’OIT et le Défenseur des droits ainsi que les eurobaromètres de la Commission européenne.
[4] Nous reprenons ici la distinction opérée in HEUSCHLING, L., « Effectivité, efficacité, efficience et qualité », in FATIN-ROUGE STÉFANINI, M., GAY, L. et VIDAL-NAQUET, A. (dir.), L’efficacité de la norme juridique, Bruxelles, Bruylant, 2012.
[5] Les branches de la légistique concernées sont respectivement la légistique matérielle et la légistique formelle. Sur ce point, v. entre autres, FLÜCKIGER, A., (Re)faire la loi. Traité de légistique à l’ère du droit souple, Berne, Stämpfli Editions, 2019.
[6] Est ici reprise une distinction évoquée par Karine Berthou au sujet de la transposition de l’exigence professionnelle essentielle et déterminante in BERTHOU, K., « Différences de traitement : esquisse des « exigences professionnelles essentielles » après la loi du 27 mai 2008 », Dr. Social, 2009, p. 410 et s.
[7] Art. 2, 3° de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008.
[8] Considérons ici quelques arguments non exhaustifs. La distinction est d’abord affaiblie par la multiplication des motifs de discrimination qui prévaut dans plusieurs ordres juridiques. Ce qui constitue classiquement une discrimination indirecte fondée sur l’orientation sexuelle (e.g. le conditionnement d’une prime à l’obtention du statut d’époux) pourra fort bien être concomitamment qualifié de discrimination directe fondée sur la situation de famille. La distinction est aussi affaiblie par l’existence de listes ouvertes de motifs, comme en droit de la Convention EDH. La reconnaissance du lieu de résidence comme motif analogue (i.e. « autre situation » énoncée à l’article 14) facilitera ainsi la qualification d’une discrimination directe sur ce fondement alors que la même mesure pourrait être qualifiée de discrimination indirecte fondée sur l’origine ethnique en cas de ségrégation territoriale. La porosité de la distinction est encore illustrée lorsque des mesures qui ne prennent pas en compte explicitement un motif de discrimination sont pourtant qualifiées de discriminations directes (CJCE, 1ère ch., 10 mars 2005, Vasiliki Nikoloudi, aff. C-196/02 ; CJCE, Grande ch., 1er avril 2008, Tadao Maruko, aff. C-267/06). Elle l’est toujours lorsque l’on considère que l’application d’une même règle peut déboucher sur diverses qualifications juridiques en fonction de la manière dont elle se concrétise. Un même fait générateur, par exemple un règlement en apparence neutre qui prévoit la rupture du contrat de travail à l’issue d’un certain temps d’absence, engendre dans un cas particulier une discrimination directe, car les absences sont explicitement justifiées par l’état de santé et que la rupture du contrat en application de ce règlement prend en compte cet état. Il peut également, en tant que règlement général, être contesté sous l’angle de la discrimination indirecte fondée sur la grossesse, l’état de santé ou encore la maternité puisqu’il ne prend explicitement en compte aucun motif de discrimination (e.g. CJCE, 30 juin 1998, Mary Brown, aff. C-394/96). V. déjà le scepticisme de Beverley McLachlin in Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 RCS 3, not. § 25 à 28 au sujet de « la complexité et la facticité inutile » de la distinction. Ses considérations débouchèrent sur la relégation de la summa divisio directe/indirecte dans le cadre du contrôle juridictionnel opéré par la Cour suprême du Canada.
[9] En raison du rapprochement des régime de justification explicité ci-dessus, en droit français du moins.
[10] SERENO, S., Le Défenseur des droits et les discriminations dans l’emploi, Aix-en-Provence, PUAM, 2017, p. 67-68. V. aussi p. 699 (« ce droit apparaît difficilement maniable dès lors que les notions centrales de discrimination et de justification ne sont pas maîtrisées »), p. 121 (« Une telle circonstance rend particulièrement délicate et incertaine l’appropriation des notions qui composent ce droit »), p. 176 ou p. 212 (« Le défaut de maîtrise du dispositif juridique engendre une forme d’instabilité interprétative subie par les sujets de droit »). V. encore pour un questionnement récent MERCAT-BRUNS, M., « Les différentes figures de la discrimination au travail : quelle cohérence ? », RDT, 2020, p. 25 et s. : on observe, [devant] les juridictions françaises et européennes, une certaine reconnaissance de l’interchangeabilité des figures de la discrimination directe et indirecte » ; « l’évolution du droit semble révéler un certain rapprochement dans l’usage des notions de discriminations directe, indirecte ».
[11] Celle-ci pourrait être doublée d’une déclinaison à titre indicatif des types de discrimination (directe, indirecte, par association, intersectionnelle, harcèlement, injonction à la discrimination…) et des justifications légales prévues par le législateur.
[12] Parmi les mérites, cette qualification permet : de recentrer la qualification sur la production d’un effet défavorable, plus que sur les modalités de production, explicites ou masquées, de cet effet ; de favoriser l’appréhension des types complexes de discrimination ; de reléguer la tâche de qualification du type de discrimination à une question de droit qui pèse sur les juridictions et non les requérants.
[13] De nombreux auteurs ont souligné en ce sens qu’une perception conflictuelle de l’égalité et de la non-discrimination, lorsqu’elle affecte le raisonnement des magistrats, est susceptible d’engendrer une réticence problématique à la réalisation des normes antidiscriminatoires au moment de leur application. V. not. HENNETTE-VAUCHEZ, S. et FONDIMARE, E., « Incompatibility between the ‘French Republican Model’ and Anti-Discrimination Law? Deconstructing a Familiar Trope of Narratives of French Law », HAVELKOVÁ, B. et MÖSCHEL, M. (edit.), Anti-Discrimination Law in Civil Law Jurisdictions, Oxford, OUP, 2019, p. 56-75. V. aussi CLUZEL-MÉTAYER, L. et MERCAT-BRUNS, M., Discriminations dans l’emploi. Analyse comparative de la jurisprudence du Conseil d’État et de la Cour de cassation, Paris, La Documentation française, 2011, p. 13-26, et GRÜNDLER, T. et THOUVENIN, J-M. (dir.), La lutte contre les discriminations à l’épreuve de son effectivité, Les obstacles à la reconnaissance juridique des discriminations, Fédération interdisciplinaire de Nanterre en droit, rapport réalisé avec le soutien de la Mission de recherche droit et justice, 2016, p. 79 et 83. V. encore certains entretiens retranscrits in ICARD, P. et LAIDIÉ, Y. (dir.), Le principe de non-discrimination : l’analyse des discours, CREDESPO, Université de Bourgogne, rapport réalisé avec le soutien de la Mission de recherche Droit et Justice, juin 2016.
[14][14] Il suffit de penser à la faible appréhension des discriminations indirectes par le juge administratif et le Conseil constitutionnel.
[15] PORTA, J., « Égalité, discrimination, égalité de traitement. À propos des sens de l’égalité dans le droit de l’égalisation (2e partie) », RDT, 2011, p. 354 et s.
[16] Art. 86 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIème siècle.
[17] Cour EDH, ch., 9 octobre 1979, Airey c. Irlande, req. n° 6289/73, § 25.
[18] En prolongement de CJUE, 2e ch., 19 avril 2012, Galina Meister, aff. C-415/10.
[19] La généralisation d’une appréciation globale et circonstancielle des éléments de preuve participe aussi à cette dynamique.
[20] Par exemple, en Australie, art. 20 du Northern Territory Anti-Discrimination Act : « (3) For discrimination to take place, it is not necessary that: (a) the attribute is the sole or dominant ground for the less favourable treatment; or (b) the person who discriminates regards the treatment as less favourable ». En complément, v. encore art. 8 du Queensland Anti-Discrimination Act ou art. 7, 2) du Victoria Equal Opportunity Act : « Discrimination on the basis of an attribute includes direct and indirect discrimination on the basis of (a) a characteristic that a person with any of the attributes generally has; or (b) a characteristic that is often imputed to a person with any of the attributes; or (c) an attribute that a person is presumed to have, or to have had at any time, by the person discriminating; or (d) an attribute that a person had, even if the person did not have it at the time of the discrimination ».
[21] Par exemple, au Canada, v. art. 9(4) du Newfoundland and Labrador Human Rights Act : « (4) Where this Act protects an individual from discrimination on the basis of a prohibited ground of discrimination, it also protects the individual from discrimination on the basis of (a) 2 or more prohibited grounds of discrimination or the effect of a combination of prohibited grounds; and (b) the individuals association or relationship, whether actual or presumed, with an individual or class of individuals identified by a prohibited ground of discrimination ». V. encore art. 3.1. de la Loi canadienne sur les droits de la personne : « Il est entendu que les actes discriminatoires comprennent les actes fondés sur un ou plusieurs motifs de distinction illicite ou l’effet combiné de plusieurs motifs ». Au Royaume-Uni, v. art. 14, (1) et (3) de l’Equality Act.
[22] Par exemple, art. 4 du Victoria Equal Opportunity Act (e.g. « disability means: (a) total or partial loss of a bodily function; or (b) the presence in the body of organisms that may cause disease; or (c) total or partial loss of a part of the body; or (d) malfunction of a part of the body, including – (i) a mental or psychological disease or disorder; (ii) a condition or disorder that results in a person learning more slowly than people who do not have that condition or disorder; or (e) malformation or disfigurement of a part of the body – and includes a disability that may exist in the future (including because of a genetic predisposition to that disability) and, to avoid doubt, behaviour that is a symptom or manifestation of a disability ») et à l’art. 4 du Nortehrn Territory Anti-Discrimination Act, entre autres.
[23] Une multitude d’autres facteurs, de nature sociologique, psychologique, éthique, religieuse, économique, politique, etc. participent également au processus de réalisation et sont susceptibles d’expliquer pour partie l’ineffectivité du droit.
[24] CHEVALLIER, J., « Lutte contre les discriminations et Etat-providence », in BORRILLO, D. (dir.), Lutter contre les discriminations, Paris, La Découverte, 2003, p. 53-54.
[25] CHAPPE, V-A., L’égalité au travail : justice et mobilisation contre les discriminations, Paris, Presses des Mines, 2019, 210 p. V. pour une version plus détaillée quoique précédente CHAPPE, V-A., L’égalité en procès : sociologie politique du recours au droit contre les discriminations au travail, thèse dactylographiée, École normale supérieure de Cachan, 2013, 737 p. Not. p. 40-49 : l’auteur, qui inscrit sa démarche dans la sociologie du droit de la non-discrimination, concentre son analyse sur les usages sociaux du droit, qu’ils soient individuels (e.g. victimes) ou collectifs (e.g. organismes militants et institutionnels), pour « analyser […] leurs conditions, leurs contraintes, les tensions qu’ils suscitent, les possibilités qu’ils offrent » (p. 41) et pour interroger « les conditions d’efficacité du droit comme instrument d’une politique de lutte contre les discriminations » (p. 44). Pour une illustration de la démarche appliquée à un cas récent et particulièrement médiatique, v. aussi CHAPPE, V-A. et KEYHANI, N., « La fabrique d’un collectif judiciaire. La mobilisation des cheminots marocains contre les discriminations à la SNCF », Revue française de science politique, vol. 68, 2018/1, not. p. 15-29.
[26] Cette conception implique de voir le droit comme une « ressource ». Sur ce point, v. COMMAILLE, J., À quoi nous sert le droit ?, Paris, Gallimard, 2015, p. 65-78. Jacques Commaille évoque notamment cette conception d’un « droit ressource », « conçu d’abord en fonction des attentes, des représentations et des pratiques de ceux qui l’utilisent ou s’y soumettent » (p. 75) et qui peut conduire à « une rationalisation ou [une] adaptation rationnelle du droit aux évolutions du social » (p. 19).
[27] « When Tom Sawyer and Huck Finn had determined to rescue Jim by digging under the cabin where he was confined, it seemed to the uninformed lay mind of Huck Finn that some old picks the boys had found were the proper implements to use. But Tom knew better. From reading he knew what was the right course in such cases, and he called for case-knives. « It don’t make no difference, » said Tom, « how foolish it is, it’s the right way and it’s the regular way. And there ain’t no other way that ever I heard of, and I’ve read all the books that gives any information about these things. They always dig out with a caseknife. » So, in deference to the books and the proprieties, the boys set to work with case-knives. But after they had dug till nearly midnight and they were tired and their hands were blistered, and they had made little progress, a light came to Tom’s legal mind. He dropped his knife and, turning to Huck, said firmly, « Gimme a case-knife. » Let Huck tell the rest: « He had his own by him, but I handed him mine. He flung it down and says, ‘Gimme a case-knife.’ I didn’t know just what to do but then I thought. I scratched around amongst the old tools and got a pickaxe and give it to him, and he took it and went to work and never said a word […] ». Tom had made over again one of the earliest discoveries of the law. When tradition prescribed case-knives for tasks for which pickaxes were better adapted, it seemed better to our forefathers, after a little vain struggle with case-knives, to adhere to principle but use the pickaxe. They granted that law ought not to change. Changes in law were full of danger. But, on the other hand, it was highly inconvenient to use case-knives ». C’est en ces termes que Roscoe Pound débutait son article « Law in Books and Law in Action », American Law Review, vol. 44, n° 1, 1910, p. 10.
[28] CHEVALLIER, J., « Lutte contre les discriminations et Etat-providence », op. cit., p. 53-54.
[29] Idem, p. 40 : ce « combat » du droit correspond selon Jacques Chevallier à une « conception active (il ne s’agit plus de poser un principe mais de lutter pour sa réalisation), en utilisant le vecteur juridique (le droit n’étant plus seulement un terrain d’application mais un moyen de réalisation de l’exigence de non-discrimination) ».