L’indépendance de l’avocat
Thèse dirigée par Joël Moret-Bailly et soutenue publiquement le 21 octobre 2019 à l’Université de Saint-Etienne devant un jury composé de Pierre Berlioz (professeur à l’Université Paris Descartes – rapporteur), Florence G’sell (Professeure à l’Université de Lorraine – rapporteure), Stéphanie Grayot-Dirx (Professeure à l’Université de Bourgogne), Jonas Knetsch (professeur à l’Université de Saint-Etienne) et Joël Moret-Bailly (professeur à l’Université de Saint-Etienne). Thèse ayant obtenue le prix Albert Viala (pour la défense des libertés fondamentales) et de l’Institut de France 2020.
Par Nelly Noto-Jaffeux, enseignante-chercheuse contractuelle en droit privé (LRU) à l’Université Grenoble-Alpes – CRJ / CERCRID
La profession d’avocat évolue. Cependant, à chacune des étapes de ce mouvement, un argument principal, si ce n’est unique, est mobilisé : l’indépendance de l’avocat.
Tel est actuellement le cas dans le cadre du débat relatif à la création du statut de l’avocat en entreprise. Pourtant, avant que le statut de salarié en entreprise ne devienne un « projet », le statut de collaborateur salarié d’un confrère et encore avant lui, celui de simple collaborateur libéral, avaient suscité les mêmes résistances pour, à terme, finir par être organisés par la loi. De la même manière, admettre que les avocats puissent exercer dans une société de capitaux, ou soient amenés à participer à certaines politiques publiques notamment dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, le blanchiment et la fraude fiscale n’a pu se réaliser qu’à la suite de multiples débats tournés, pour l’essentiel, autour de la nécessité de préserver l’indépendance de l’avocat.
L’omniprésence des occurrences discursives que suscite l’indépendance de l’avocat conduit ainsi rapidement à penser que cette notion, sans nul doute centrale, revêt des sens variés. L’argument vaut d’autant plus que le législateur, en déclarant notamment dans l’article 3 de la loi de 1971, que « la profession d’avocat est libérale et indépendante » s’abstient de fournir une définition. L’objectif de cette étude a donc été, non pas simplement de déterminer la fonction et les enjeux que ce principe légal poursuit, mais également de clarifier les raisons pour lesquelles, encore aujourd’hui, les avocats s’identifient individuellement autant qu’ils s’appuient collectivement sur leur indépendance. Cette démarche, qui a supposé d’interroger l’indépendance de l’avocat dans toutes ses dimensions, a permis de rendre compte du rôle de l’indépendance dans la construction de l’avocat et de sa fonction. En définitive, il est apparu que ce principe définit un « modèle fonctionnel » pour le praticien. (Première partie).
Ces dernières décennies, les transformations ayant affecté la profession d’avocat auxquelles s’ajoute le renforcement des contrôles de l’autorité publique ont pourtant modifié ce modèle traditionnel. En l’analysant au prisme des réformes présentes ou à venir, cette étude permet d’identifier les incidences concrètes que ces évolutions ont pu provoquer, provoquent ou risquent de provoquer sur l’indépendance, et ainsi évaluer sa réalité. Devenue un concept à géométrie variable en fonction de paramètres multiples, l’indépendance, bien que constituant toujours le modèle fonctionnel de l’avocat, est aujourd’hui soumise à des défis considérables. En arrière-plan, cette étude se propose ainsi de vérifier si l’objectif poursuivi par l’indépendance de l’avocat est encore assuré. (Deuxième partie).
La première partie de la thèse fournit une définition fonctionnelle de l’indépendance de l’avocat dans l’objectif de procurer une clé de lecture opérationnelle.
Dans sa conception traditionnelle, l’avocat défend l’intérêt de son client devant le juge, ce rôle d’auxiliaire de justice impliquant plus largement la défense des droits de chacun, voire du droit en général. Dans ce contexte, l’avocat a été conduit à garder une certaine distance à l’égard du juge devant lequel il plaide, du pouvoir dont il dénonce les dysfonctionnements et de son client qui ne doit en aucun cas lui dicter sa conduite. Ce dessein sur lequel l’avocat a construit sa fonction constitue l’origine de son indépendance. Or, bien que ces dernières décennies, les activités de l’avocat se soient considérablement étendues et ne se limitent plus à la défense au prétoire, l’indépendance reste modélisée par référence à cette fonction initiale.
Le mécanisme sur lequel l’indépendance de l’avocat repose peut s’exposer comme un « modèle ». Schématiquement, la liberté de moyens, d’action et d’expression est une condition nécessaire à la bonne réalisation de la fonction d’avocat. Elle n’est pourtant qu’utopique si les influences ou contraintes qui l’entourent ne sont pas neutralisées. Si bien que la liberté que requiert l’exercice de la profession suppose une dimension négative matérialisée par l’absence de lien d’autorité. Par conséquent, la liberté, qu’est l’enjeu du modèle, est garantie par des instruments juridiques permettant de neutraliser les influences ou contraintes externes qui sont susceptibles de provenir du juge, de son client, et plus largement des tiers.
Ces deux dimensions, à savoir la liberté et l’absence de lien contraignant constituent l’indépendance de l’avocat comme condition fonctionnelle de l’exercice de la profession d’avocat. L’histoire a pourtant montré que si cette indépendance, et plus particulièrement la liberté qu’elle vise, n’est pas suffisamment encadrée, celle-ci disparaît.
Ainsi, pour réguler leur situation d’indépendance, les avocats ont été conduits à se doter sur le plan collectif d’un « appareillage institutionnalisé » autonome de l’État, leur Ordre. Plus exactement, l’avocat bénéficiera de l’indépendance que requiert sa fonction uniquement si, en contrepartie, il s’engage auprès de son cercle d’appartenance à respecter les règles déontologiques liées à sa fonction. Cette condition se matérialise lors de la prestation de serment, jour où le candidat intègre officiellement la profession. Par conséquent, en France, l’État concède, garantit et protège la liberté que commande la fonction d’avocat, sous réserve que l’Ordre, dont le rôle est de veiller au respect des principes éthiques et règles pratiques qu’exige cette fonction, contrôle de façon efficace le comportement de ses membres et l’usage qu’ils font de leur indépendance.
Cet ensemble caractérise le modèle que constitue l’indépendance de l’avocat.
Ces dernières décennies, il a pourtant été soumis à de nombreux défis, lesquels perdurent encore à ce jour.
La seconde partie entend identifier les défis auxquels l’indépendance de l’avocat a été et est encore exposée afin d’analyser leurs effets concrets sur le concept modélisé et ainsi évaluer l’efficacité de ce dernier. Le résultat procure une meilleure vision de l’effectivité actuelle de la liberté de l’avocat, cette dernière demeurant l’enjeu de l’indépendance.
Depuis quelques dizaines d’années, les avocats se sont adaptés aux diverses évolutions notamment dues à la montée des logiques économiques, qu’ils ont ainsi intégrées dans leur pratique à l’échelle interne pour s’organiser, et en externe pour répondre à la demande de leur clientèle. Admettre l’exercice en société de capitaux comme collaborateur ou associé, auquel s’ajoutera probablement bientôt celui d’avocat en entreprise, de même que le recours à un intermédiaire privé tel que les « legaltechs » pour développer sa clientèle, repose pourtant sur une segmentation et hiérarchisation de l’indépendance de l’avocat. Plus précisément, ces réformes n’ont pu se réaliser qu’en admettant l’idée que pour permettre à l’avocat d’exercer, il suffisait de lui garantir la dimension intellectuelle et technique de son indépendance. Considérer le volet financier de l’indépendance comme secondaire a pourtant eu des incidences concrètes sur l’architecture du modèle fonctionnel, notamment parce que le rapport à l’argent a été intégré dans les relations professionnelles de l’avocat. Ce phénomène, certainement aussi parce qu’il n’a pas fait l’objet d’une régulation suffisante, a rendu l’indépendance de l’avocat variable en fonction de paramètres multiples qui peuvent être le type de clientèle, le statut, la structure d’exercice, etc. Le modèle actuel de l’indépendance n’est donc plus suffisamment efficace pour assurer de façon systématique une indépendance intellectuelle et technique effective pour chaque avocat et semblable quelle que soit sa situation.
Probablement est-ce aussi l’une des raisons pour laquelle, parallèlement, l’État a décidé de réévaluer sa distance jusque-là admise avec l’avocat, lui permettant en conséquence de renforcer ses contrôles, et notamment administratifs. D’ailleurs, en fonction de l’activité pratiquée par l’avocat, sa profession n’est plus un rempart systématique entre lui et l’État. En outre, selon le type de clientèle, l’avocat est dorénavant contraint de participer à certaines politiques publiques, telle que précisément la lutte contre le terrorisme, le blanchiment, et plus récemment la fraude fiscale. Si bien qu’en définitive, il apparaît que pour l’autorité publique, l’indépendance de l’avocat est désormais subordonnée à l’activité qu’il pratique, et en particulier celle de la défense. Or, les activités judiciaires et juridiques restant, par principe, dans le champ professionnel du même praticien, il subsiste un risque réel que l’indépendance de l’avocat qui a en charge la défense d’un justiciable soit altérée, remettant ainsi en cause le droit à un avocat indépendant.
En conclusion, l’intégration du rapport à l’argent dans les relations professionnelles de l’avocat, de même que l’évolution de ses relations avec les pouvoirs publics constituent aujourd’hui des défis considérables pour l’indépendance de l’avocat. Elle reste pourtant une condition fonctionnelle indissociable du rôle, historiquement premier de l’avocat : défendre son client. Dans ce contexte, cette thèse invite prioritairement à s’interroger sur la fonction sociale de l’avocat dans le système de droit et plus largement dans la société contemporaine. En effet, pour déterminer dans quelle mesure l’indépendance de l’avocat, ou à tout le moins, sa fonction doit être préservée, et ainsi être en mesure d’adapter, voire de repenser son modèle, encore faut-il s’interroger en amont sur la possibilité pour cette profession de préserver son unité, comme sur l’enjeu pour ses membres de conserver ce modèle fonctionnel sur lequel ils se sont construits, à savoir leur indépendance.
Bonjour,
Je souhaiterais savoir si la these est disponible et consultable.
Merci.
Bien à vous.
Antonella di Gregorio
Cher Di Grégorio,
cette thèse est disponible aux éditions PUAM.
https://presses-universitaires.univ-amu.fr/lindependance-lavocat
Dans votre thèse, la place et la participation du justiciable ne semble pas être posé comme élément permettant aussi d’nterroger l’indépendance de l’avocat. L’indépendance peut être utilisée comme outil de soumission du justiciable qui interroge les pratiques. L’exemple des avocats retirant leur mandat à la moindre contrariété lié au questionnement du justiciable devient courant. Attitude toujours sous tendue par le concept d’indépendance.
Ce concept mériterait d’être réfléchi éthiquement car il pose le problème de son utilisation comme justification d’un pouvoir de l’avocat parfois sans limite dans un système judiciaire, par ailleurs, fort peu enclin à interroger ses pratiques en dehors de son propre univers professionnel.
Al Szadkowski