La renonciation en droit de l’aide sociale. Recherche sur l’effectivité des droits sociaux
Thèse dirigée par Mme Virginie Donier, Professeure à l’Université de Toulon, et Mme Elsa Forey, Professeure à l’Université de Bourgogne Franche-Comté et soutenue le 22 mai 2018 à l’Université de Bourgogne Franche-Comté, devant un jury composé de M. Xavier DUPRÉ DE BOULOIS, Professeur à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne, Président, de M. Michel BORGETTO, Professeur à l’Université Paris II Panthéon-Assas, rapporteur, de Mme Véronique CHAMPEIL-DESPLATS, Professeure à l’Université Paris Nanterre, rapporteure, de M. Yan LAIDIÉ, Professeur à l’Université de Bourgogne Franche-Comté.
Échappe à l’esprit commun que la renonciation puisse intéresser le droit à l’aide sociale, droit lié « à un impératif fort : faire vivre son titulaire » 1. Cette incompréhension transparaît dans la négation, par une partie de la doctrine, de la possibilité de renoncer à un droit à l’aide sociale. Le rejet de la renonciation de la sphère du droit de l’aide sociale pose néanmoins question dans la mesure où elle est un instrument juridique universel d’un point de vue historique et au sein des différentes branches du droit. D’ailleurs, l’étude des décisions de justice et des travaux sur le non-recours menés par les sociologues et les analystes des politiques publiques conduit à constater que certaines personnes abandonnent leurs droits en raison, notamment, de la lourdeur des démarches nécessaires à leur obtention, de la crainte d’être stigmatisées, de leur volonté de percevoir une aide plus avantageuse ou encore de leur refus de se soumettre à certaines conditions d’obtention et de conservation de ces droits. Ainsi est mis en exergue un phénomène d’abandon de droits en matière d’aide sociale qui ouvre la voie à une réflexion en termes de renonciation dont l’intérêt est de permettre d’aborder sous un angle nouveau, non seulement la notion de renonciation, mais encore la problématique, récurrente dans la doctrine juridique, de l’effectivité des droits sociaux.
Tout d’abord, étudier la renonciation en droit de l’aide sociale représente une occasion de se questionner sur la pertinence des différentes théories de la renonciation élaborées depuis le début du XXe siècle et, par conséquent, de participer à l’évolution constante de cette notion dans les différentes branches du droit. L’étude de la renonciation en droit de l’aide sociale s’inscrit dans un mouvement doctrinal revisitant la notion de renonciation dans les différentes branches du droit ˗ droit du travail, droit pénal, droits fondamentaux ˗ et tend également à lui redonner vie au sein du droit public, car en dépit du regain d’intérêt que suscite cette notion à compter des années 1990, la doctrine publiciste est restée à l’écart des réflexions qui lui ont donné un nouveau souffle 2. Ensuite, l’étude de la renonciation en droit de l’aide sociale, constitue une voie nouvelle pour s’intéresser à l’effectivité des droits sociaux puisque les droits énoncés aux dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 sont au fondement de droits individuels à obtention d’une prestation matérielle et, plus précisément, des droits à l’aide sociale. Elle revêt un réel intérêt dans la mesure où, renvoyant à la réalisation d’une norme juridique dans la réalité sociale, elle représente, pour les juristes, un angle peu familier pour appréhender l’effectivité des droits sociaux.
Aussi la recherche entend-elle questionner l’existence et les caractéristiques de la renonciation en droit de l’aide sociale et, ce faisant, lever le voile sur une réalité juridique dont l’existence est trop souvent niée ou admise sans qu’aucune justification théorique et juridique ne soit fournie et dont la forme tout comme le régime juridique sont méconnus. Cela implique, dans un premier temps, de démontrer l’existence de la renonciation en droit de l’aide sociale en écartant les doutes relatifs tant à la possibilité conceptuelle qu’à la possibilité juridique de renoncer en droit de l’aide sociale (Partie I). Puis cela suppose, dans un second temps, d’étudier la mise en œuvre de la renonciation qui, en la matière, est susceptible de revêtir certaines spécificités compte tenu de la vulnérabilité des publics visés et de la particularité des droits concernés (Partie II).
Partie I. L’existence de la renonciation en droit de l’aide sociale
Avant toute chose doit être résolue la question de savoir s’il est possible de concevoir que la renonciation porte sur les droits à l’aide sociale ainsi que sur ceux énoncés aux dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 qu’ils mettent en œuvre, car l’impossibilité conceptuelle de renoncer est une « impossibilité absolue » 3. La réponse à cette question est étroitement liée à la nature de ces droits. Même si la doctrine a été récalcitrante à reconnaître les prestations d’assistance d’abord, puis les droits sociaux créances constitutionnels et les droits à l’aide sociale ensuite, comme de véritables droits au profit de leurs bénéficiaires, les droits à l’aide sociale, à la différence des droits sociaux créances, peuvent aujourd’hui sans conteste être qualifiés de droits publics subjectifs. Une telle qualification permet d’envisager qu’ils puissent faire l’objet d’une renonciation (Titre I). Parce qu’une renonciation peut être concevable sans pour autant être licite, doit être étudiée la possibilité juridique de renoncer à un droit à l’aide sociale, étude qui conduit à conceptualiser les différentes formes de la renonciation aux droits à l’aide sociale (Titre II).
Titre I. La possibilité de conceptualiser la renonciation aux droits à l’aide sociale
La question de la possibilité conceptuelle de renoncer prime celle de sa licéité, car si la nature de la prérogative l’empêche de faire l’objet d’une renonciation, l’examen de sa licéité est inutile. Or, cette possibilité a longtemps été intrinsèquement rattachée à la notion de droit subjectif stricto sensu comprise comme une prérogative appropriée. Bien que, par la suite, le lien entre les notions de renonciation et de droit subjectif se soit distendu, ce n’est qu’à la fin des années 1990 que la doctrine accepte quasi unanimement de ne pas faire des droits subjectifs stricto sensu le seul objet possible de la renonciation. Ce lien consubstantiel apporte, à n’en pas douter, un éclairage sur la difficulté rencontrée par la doctrine à concevoir la renonciation en droit de l’aide sociale, car, même si avec l’avènement de la IIIe République est consacré le principe d’obligation d’assistance, le législateur ayant refusé d’énoncer expressément un droit à l’assistance, la doctrine majoritaire de l’époque refuse d’y voir la consécration de droits au profit des bénéficiaires de l’assistance. Bien que la doctrine admette aujourd’hui que les grandes lois d’assistance ont effectivement été la source de droits subjectifs au profit de leurs bénéficiaires, transparaissent, à travers l’étude de la construction du droit de l’aide sociale, les raisons pour lesquelles il lui a été si difficile de voir dans les aides mises en place par le législateur des droits au profit des administrés. Il devient alors possible, non seulement, de comprendre son embarras à penser la renonciation en la matière puisque, s’il n’est pas concevable que les bénéficiaires détiennent des droits, il l’est encore moins qu’ils puissent y renoncer, mais aussi de le dépasser puisqueson refus de reconnaître des droits au profit des bénéficiaires de l’assistance est sous-tendu par des motivations de nature essentiellement idéologiques. La question de la possibilité conceptuelle de renoncer en droit de l’aide sociale reste donc ouverte.
Cependant, en l’absence d’une définition unanime de la notion de renonciation, cette question ne peut être traitée que par l’identification d’un critère permettant de déterminer les cas dans lesquels la renonciation est concevable. Que la renonciation soit comprise comme un acte abdicatif, à savoir comme un acte ayant pour seul but et pour seul effet direct l’abandon irrévocable d’une ou plusieurs prérogatives, comme un engagement à ne pas exercer un droit ou à l’exercer dans un sens déterminé, ou encore comme le non-exercice d’un droit, le point commun entre ces différentes conceptions de la notion de renonciation n’est pas un « fait matériel », mais un acte ou un fait juridique : l’abandon d’un droit. Dès lors, pour qu’il puisse être renoncé à un droit, celui-ci doit pouvoir être abandonné. La possibilité conceptuelle de renoncer est ainsi conditionnée par l’objet de la renonciation, par la nature du droit abandonné. Il apparaît alors que si l’objet abstrait de la renonciation ne peut être restreint aux droits subjectifs stricto sensu, cette notion appréhendée plus largement représente un réel intérêt dans la mesure où la libre disposition du droit, élément indispensable pour concevoir la renonciation, est inhérente à cette notion. Les droits à l’aide sociale doivent alors être qualifiés afin de déterminer s’ils peuvent être l’objet d’une renonciation. S’il apparaît que la renonciation aux droits sociaux créances constitutionnels n’est pas envisageable, ce n’est pas le cas des droits à l’aide sociale qui peuvent être qualifiés de droits publics subjectifs et dont la libre disposition est une caractéristique. Dès lors, la renonciation en la matière est concevable en dépit des difficultés à appréhender les ressorts psychologiques d’un tel phénomène.
Rien ne faisant obstacle à la conceptualisation de la renonciation aux droits à l’aide sociale, la recherche doit interroger la possibilité juridique de renoncer.
Titre II. Les différentes formes de renonciation aux droits à l’aide sociale
L’étude des agissements des bénéficiaires de l’aide sociale laisse entrevoir trois manières différentes d’exprimer leur volonté de rejeter un droit à l’aide sociale : le refus d’un droit à une aide sociale acquis par une décision administrative individuelle, le refus d’en faire la demande auprès de l’autorité compétente et l’engagement de ne pas l’exercer. Dans le premier cas, le bénéficiaire manifeste sa volonté d’abandonner un droit acquis à l’aide sociale, tandis que dans les deux derniers cas, il provoque la perte ab initio d’un droit non acquis à l’aide sociale en s’empêchant d’acquérir la situation juridique à laquelle ce droit est rattaché.
La première situation renvoie, dans une certaine mesure, à une conception « traditionnelle », c’est-à-dire abdicative, de la notion de renonciation. Les droits à l’aide sociale, bien qu’étant des droits publics subjectifs avant même que l’administration prenne une décision attribuant une aide à un individu, ne peuvent être l’objet d’une renonciation abdicative tant qu’une telle décision n’est pas intervenue. Cela s’explique par le fait que le bénéfice accordé par la loi, en raison du lien étroit qu’entretient la législation de l’aide sociale avec l’ordre public, ne peut être éteint par la manifestation de volonté de son titulaire qu’à partir du moment où il a fait l’objet d’une appropriation par celui-ci. En effet, l’acquisition d’un droit permet de circonscrire « naturellement » la renonciation et, ainsi, de la rendre licite en limitant ses conséquences sur ces droits d’ordre public. Or, cette appropriation ne résulte pas de la seule qualité de « droit subjectif », mais de l’évolution du droit dans le temps qui permet son acquisition. Une fois le droit acquis, le bénéficiaire d’un droit à l’aide sociale pourra y renoncer, mais la particularité de l’objet de la renonciation influera sur la forme de la renonciation. La renonciation à un droit acquis peut revêtir deux formes différentes. La première, bien que particulière en raison de l’objet sur lequel elle porte, correspond à la volonté réelle du bénéficiaire d’abandonner son droit et se traduit par une demande de retrait ou d’abrogation de la décision ayant permis l’attribution dudit droit. La seconde, en revanche, est une renonciation présumée dans la mesure où la perte du droit découle d’un comportement assimilé par le législateur à une renonciation, indépendamment de la volonté interne du bénéficiaire de l’aide sociale. Le rôle de la volonté abdicative des bénéficiaires de droits à l’aide sociale dans le processus d’extinction de ces droits étant limité, la renonciation à un droit à l’aide sociale revêt un caractère original.
La seconde situation s’apparente, quant à elle, à une renonciation à l’exercice d’un droit, conception de la renonciation développée plus récemment dans le domaine des droits fondamentaux. Toutefois, alors que la renonciation dans le domaine des droits fondamentaux s’apparente à un engagement à ne pas exercer un droit, la forme la plus patente d’abandon de droits en matière d’aide sociale est le non-recours, c’est-à-dire leur non-exercice et non un engagement à ne pas les exercer. Aussi la thèse entend-elle mettre en lumière les différentes formes de la renonciation aux droits non acquis à l’aide sociale, à savoir le non-recours à un droit, en raison de l’existence d’une présomption de renonciation, ainsi que l’engagement à ne pas bénéficier d’un droit à l’aide sociale non acquis.
Partie II. La mise en œuvre de la renonciation en droit de l’aide sociale
Les droits sociaux énoncés aux dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 ˗ droits à destination des groupes ou des personnes vulnérables qui requièrent une protection particulière tels que l’enfant, la mère, le travailleur âgé ou tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler ˗ constituant les fondements constitutionnels du droit de l’aide sociale, la vulnérabilité est au cœur de ce droit. À la différence des termes « incapable » ou « assisté » qui renvoient directement à l’idée que le bénéficiaire est pris en charge par la collectivité, celui de vulnérabilité est inséparable de l’autonomie : la personne vulnérable est un être humain dont l’autonomie exige protection. La renonciation étant la forme la plus patente de l’autonomie du sujet, son étude permet de jauger la manière dont le droit de l’aide sociale tient compte de l’autonomie des bénéficiaires et, par conséquent, de leur vulnérabilité. Or, cette recherche laisse entrevoir la difficulté que rencontre le droit de l’aide sociale à promouvoir et protéger l’autonomie des bénéficiaires. L’examen de la mise en œuvre de la renonciation en droit de l’aide sociale révèle le décalage entre la « figure » parfois chimérique de l’usager autonome et celle, concrète et particulièrement prégnante, de l’usager assujetti à l’administration (Titre I). Néanmoins, sans doute parce que l’autonomie dont le bénéficiaire est censé faire usage lors de sa renonciation n’est quelquefois que fiction, la portée de la renonciation est limitée (Titre II).
Titre I. Une mise en œuvre reflétant la figure ambivalente de l’usager
L’étude de la renonciation met en exergue l’ambivalence de la « figure de l’usager » en droit de l’aide sociale. Quoique depuis les années 1980 les dispositifs d’aide sociale soient marqués par la volonté de considérer le bénéficiaire de l’aide sociale comme un être autonome ˗ volonté qui s’est traduite par un mouvement d’individualisation recentrant les dispositifs d’aide sociale sur leurs bénéficiaires ˗ la recherche révèle qu’en matière d’aide sociale l’« administré », assujetti à l’administration, n’est jamais loin de l’usager autonome.
Il ressort de l’étude, d’abord, que la conception de la renonciation comme manifestation de l’autonomie du sujet trouve incontestablement un écho en droit de l’aide sociale : la renonciation y est l’exercice d’une liberté. Non seulement les personnes privées sont pensées comme libres d’exercer leurs droits dans le sens qui leur paraît le plus conforme à leurs intérêts et à leurs désirs 4, y compris en y renonçant, mais encore, la renonciation est utilisée comme un instrument participant au mouvement d’individualisation initié depuis les années 1980 dans le domaine de l’aide sociale. Cette appréhension de la renonciation, et celle du bénéficiaire de l’aide sociale qui en découle, sont confirmées par l’étude du mode de manifestation de la renonciation qui permet de mettre en avant sa liberté de manifester expressément, ou tacitement, sa volonté d’abandonner un droit. Cependant, elles laissent dans le même temps s’esquisser, derrière cette « figure » du bénéficiaire de l’aide sociale autonome et libre de renoncer à ses droits, celle d’un bénéficiaire vulnérable. Bien que ni les pouvoirs publics ni les juges ne remettent en cause la liberté du bénéficiaire de l’aide sociale de renoncer à ses droits ou à leur exercice, tout semble indiquer qu’ils font preuve d’une grande vigilance quant à la manifestation de la renonciation afin qu’elle ne puisse être inférée, à tort, au bénéficiaire en raison d’un comportement ambigu.
La recherche dévoile ensuite l’existence, en droit de l’aide sociale, d’une renonciation « contrainte » qui prend tantôt la forme d’une renonciation subie, tantôt celle d’une renonciation présumée. L’acceptation des caractéristiques des droits à l’aide sociale et des conditions encadrant leur exercice étant un préalable indispensable à leur bénéfice, celui qui les refuse ou qui se trouve dans l’incapacité de s’y soumettre est obligé d’y renoncer. En ce sens, la renonciation est parfois subie. En outre, parce que certains dispositifs conditionnent le bénéfice des aides sociales au comportement du demandeur qui, s’il adopte un comportement inadéquat, sera présumé y renoncer, la renonciation est parfois présumée. Pour l’une comme pour l’autre de ces renonciations, la perte du droit est la conséquence d’un choix réalisé par le bénéficiaire qui, cependant, est rarement sous-tendu par sa volonté d’abandonner son droit. Dans le cas de la renonciation subie, le bénéficiaire choisit certes de renoncer, non pas parce qu’il ne souhaite pas jouir de ses droits, mais parce qu’il refuse leurs caractéristiques ou les conditions encadrant leur exercice, soit par principe, soit parce qu’elles représentent un obstacle trop « coûteux », matériellement et intellectuellement, à surmonter. Dans le cas de la renonciation présumée, le bénéficiaire ne choisit pas d’abandonner son droit, mais choisit d’adopter un comportement incompatible avec le bénéfice ou la conservation d’un droit à l’aide sociale. Toutes deux comportent donc une part de fiction, car elles sont imposées au bénéficiaire qui, la plupart du temps, n’a pas véritablement souhaité abandonner son droit.
Titre II. Les effets de la renonciation aux droits à l’aide sociale
La recherche s’est intéressée aux effets de la renonciation afin d’apprécier le degré de protection du bénéficiaire de l’aide sociale, car ses conséquences sont assurément une cause de l’aggravation de la situation de pauvreté ou d’exclusion sociale du bénéficiaire, et ce, même lorsqu’elle n’est ni subie ni présumée, mais qu’elle découle d’un véritable choix du bénéficiaire. Pour ce faire, elle a mis en lumière les conséquences de la renonciation sur les prérogatives attachées à un droit ou sur le droit lui-même. Il en ressort que la renonciation à un droit non acquis est toujours lourde de conséquences puisqu’elle se traduit non seulement par une perte définitive des prérogatives non acquises, mais encore par le fait que le bénéficiaire ne dispose d’aucun moyen pour moduler les effets de sa renonciation. En revanche, lorsque le droit est acquis, le renonçant est davantage protégé. D’une part, sa renonciation passant nécessairement par la sortie de vigueur de l’acte lui ayant octroyé le droit qu’il entend abandonner, il est en mesure de moduler les effets de sa renonciation en choisissant de demander l’abrogation de la décision, qui n’aura d’effet que pour l’avenir, plutôt que son retrait qui aura un effet rétroactif. D’autre part, s’il perd ce pouvoir dans le cadre des présomptions de renonciation-sanction puisque les effets de la renonciation présumée sont déterminés par la loi, la perte de son droit, qu’il l’ait provoquée volontairement ou qu’elle lui soit imposée, ne vaudra que pour l’avenir et n’atteindra pas les prérogatives acquises antérieurement au comportement assimilé par la loi à une renonciation du bénéficiaire à son droit.
L’examen des effets de la renonciation eu égard, notamment, à la particularité de la situation du bénéficiaire de l’aide sociale et à la nature des droits concernés demeurerait incomplet si n’était pas envisagée la question de son irrévocabilité puisque cette caractéristique traditionnellement associée à la renonciation participe à faire de la renonciation un acte singularisé par la gravité de ses conséquences juridiques. Il résulte de la recherche que, concernant la renonciation à l’exercice d’un droit non acquis, la révocabilité de la renonciation est le principe bien qu’elle soit parfois écartée par le législateur qui lui confère un caractère irrévocable, tandis que, concernant la renonciation à un droit acquis à l’aide sociale, la renonciation est irrévocable, mais pourra pendant un certain temps être retirée par le bénéficiaire.
En définitive, cette recherche, tout en confirmant l’existence d’un phénomène de renonciation en droit de l’aide sociale et en dévoilant ses modalités, a ouvert la voie à une réflexion sur les moyens juridiques susceptibles d’être mis en place afin de renforcer l’effectivité des droits sociaux. Dans la mesure où, en droit de l’aide sociale, la renonciation est souvent le résultat de l’absence de choix du bénéficiaire, elle a mis en lumière la nécessité de dépasser la question de l’information des bénéficiaires de l’aide sociale quant à leurs droits et, par conséquent, celle de l’accès à la connaissance des offres sur lesquelles les pouvoirs publics ont concentré l’essentiel de leurs efforts dans le cadre des démarches initiées depuis quelques années pour lutter contre le non-recours. Ce faisant, elle amène à s’interroger sur la pertinence des offres 5, sur la logique consistant à « assortir la protection sociale de toujours plus d’accompagnement individualisé » 6 qui sous-tend de nombreuses aides sociales, ainsi que sur certaines pratiques administratives accentuant le problème de la capacité différentielle des acteurs sociaux à mobiliser les ressources juridiques 7.
Notes:
- BORGETTO (M.) et LAFORE (R.), Droit de l’aide et de l’action sociales, Issy-les-Moulineaux, LGDJ, coll. Domat droit public, 9e éd., 2015, p. 116. ↩
- Les rares auteurs à s’intéresser à la renonciation en droit public reprennent la définition élaborée par Claude Blumann : SYMCHOWICZ (N.), « Les renonciations de la personne publique à l’application du contrat », AJDA, 1998, p. 770 ; ALHAMA (F.), « Transaction et renonciation à l’exercice du recours pour excès de pouvoir », RFDA, 2017, p. 503 ; COLIN (F.), « La renonciation, moyen d’assouplissement du droit administratif », LPA, 2015, n° 23, p. 6-13. ↩
- CARBONNIER (J.), « Les renonciations au bénéfice de la loi en droit privé. Rapport général », Paris, Dalloz, TAHC, 1963, t. XIII, p. 292. ↩
- FOULQUIER (N.), Les droits publics subjectifs des administrés. Émergence d’un concept en droit administratif français du XIXe au XXe siècle, Paris, Dalloz, coll. Nouvelle bibliothèque de thèses, 2003, p. 338. ↩
- MAZET (P.), « La non demande de droits : prêtons l’oreille à l’inaudible », La Vie des idées (revue en ligne), 2010, http://www.laviedesidees.fr/La-non-demande-de-droits-pretons-l.html ↩
- MAUREL (E.), « Le non-recours aux prestations sociales : les enjeux révélés par le vécu des usagers », RDSS, 2012, p. 628. ↩
- LASCOUMES (P.), « L’analyse sociologique des effets de la norme juridique : de la contrainte à l’interaction », in LAJOIE (A.) et al. (dir.), Théories et émergence du droit : pluralisme, surdétermination et effectivité, Montréal, Thémis, Bruxelles, Bruylant, 1998, p. 158. ↩
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