Le système européen de protection des droits fondamentaux
Thèse dirigée par Claude Blumann, professeur émérite à l’Université Paris II Panthéon Assas et soutenue le 15 novembre 2018 à l’Université Paris II Panthéon Assas devant un jury composé de : Madame Florence BENOÎT-ROHMER (rapporteur), Professeur à l’Université de Strasbourg, Monsieur Romain TINIÈRE (rapporteur), Professeur à l’Université Grenoble-Alpes, Monsieur Fabrice PICOD (suffragant), Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris II), Madame Claire VIAL (suffragant), Professeur à l’Université de Montpellier.
C’est par un regard systémique que sont abordés dans cette thèse les rapports entre les ordres juridiques européens, Union européenne et Conseil de l’Europe, et les ordres juridiques nationaux sur le terrain spécifique de la protection des droits fondamentaux. L’ensemble des interactions a atteint un degré de sophistication tel qu’il est devenu difficile d’organiser leur analyse sur le seul terrain de leurs relations.
L’objectif de l’étude est ainsi de prouver l’existence d’un système européen de protection des droits fondamentaux et ses conséquences. La notion de système, qui désigne un ensemble cohérent, stable et autonome comprenant des règles de fonctionnement, permet de mettre un nom sur ces rapports. Le modèle du système se situe entre la simple confrontation entre des ordres juridiques, qui peut se régler par des règles de conflit, et l’ordre juridique, qui propose un ordonnancement complet. En effet, les rapports entre l’Union européenne et le Conseil de l’Europe, dépassent la simple confrontation mais ne sont pas suffisamment aboutis pour y voir un unique ordre juridique européen. La rencontre entre les deux a donné lieu à la création de certaines règles de conflit comme la présomption de protection équivalente entre les droits fondamentaux, concrétisé par l’arrêt Bosphorus de la Cour européenne des droits de l’homme de 2005 1. Cette présomption est d’ailleurs envisagée comme un élément déclencheur du système, formalisant les interactions entre les ordres juridiques dans un système. Cependant, ces rapports sont encore fluctuants, n’ont pas été fixés par des décisions politiques, et le concept de système offre une certaine flexibilité.
La problématique de la thèse est de déterminer ce qu’apporte la considération systémique des relations entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne. Proposer un regard englobant de ces relations, dans le cadre d’un système, permet un changement de paradigme pour comprendre pourquoi le système existe et comment il fonctionne. Afin de pleinement envisager la dimension du système européen de protection des droits fondamentaux et l’apport de la considération systémique, il est nécessaire de distinguer deux étapes dans le raisonnement suivi. Dans un premier temps, identifier précisément le système en prenant en compte les éventuels obstacles à sa reconnaissance (Partie 1). L’entreprise répond à une double exigence : délimiter le système et le légitimer. Dans un second temps, une fois le cadre du système européen de protection des droits fondamentaux défini, il est possible de s’intéresser à ses effets, tant sur les ordres juridiques nationaux que sur les deux ordres juridiques européens (Partie 2). L’étude des effets permet de dégager les règles faisant fonctionner le système.
Partie 1 : L’identification du système européen de protection des droits fondamentaux
La première partie de la thèse permet de déterminer pourquoi les relations entre les deux ordres juridiques européens peuvent être envisagés dans le cadre d’un système. Même si les ordres juridiques nationaux sont concernés par le système, c’est au niveau des ordres juridiques européens que le basculement est visible.
L’identification du système européen de protection des droits fondamentaux est une première étape utile, qui a pour objectif, d’une part, de démontrer que ce système existe et, d’autre part, d’en distinguer les contours. C’est par le biais de la protection des droits fondamentaux que les deux organisations européennes s’imposent dans le paysage européen. L’émergence du système est visible par la connexion existante entre les deux organisations, sur un niveau institutionnel, juridictionnel ou encore matériel. Les différents acteurs du système se retrouvent ainsi dans une situation innovante et paradoxale : ils font face à des circonstances de fait qui nécessitent de prendre en compte l’existence de l’autre organisation, ce qui les obligent à trouver des solutions. Parmi ces solutions, la présomption de protection équivalente déjà mentionnée, mais aussi la mise en place de clauses de déconnexion dans les conventions du Conseil de l’Europe ou encore le mécanisme de droits correspondants de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Ces instruments permettent une certaine convergence entre les ordres juridiques européens, entraînant la constatation d’un ensemble organisé : le système.
Cependant, avec la démarche d’identification du système européen de protection des droits fondamentaux, s’est révélée l’existence d’obstacles qui pourraient handicaper la vision d’ensemble. En premier lieu, la question de la délimitation du territoire européen pose en réalité celle du champ d’application des droits fondamentaux européens. Dans un second temps, les velléités d’autonomie de chacun des ordres gênent la possibilité d’une cohésion d’ensemble. Cette autonomie, entendue comme l’exigence de s’auto-déterminer, entraîne le rejet de l’autre Europe, spécifiquement du côté de l’Union européenne. C’est en tout cas le message véhiculé par la Cour de justice dans son avis 2/13 2. Néanmoins, ces obstacles peuvent être dépassés. L’assise géographique incertaine peut être affinée au fur et à mesure de décisions prises par les juges. De plus, cette incertitude existe déjà pour chacun des ordres juridiques, voire pour les États. Par conséquent, il s’agit d’un paramètre du système plus que d’un handicap. Ensuite, l’autonomie est un critère pour déterminer qu’il existe un système, aux côtés des critères de pluralité et de stabilité.
Ainsi, l’identification du système repose principalement sur la connexion établie entre les deux ordres juridiques européens. Une fois le système européen de protection des droits fondamentaux identifié, il est possible de se concentrer sur les effets de celui-ci qui se révèlent au niveau des ordres juridiques nationaux et européens.
Partie 2 : Les effets du système européen de protection des droits fondamentaux sur les différents ordres juridiques
La seconde partie cherche à déterminer l’intérêt d’évoquer un système pour analyser les rapports entre les organisations européennes et les ordres juridiques nationaux. L’analyse porte sur les conséquences de la lecture systémique sur les ordres juridiques envisagés. Ainsi, La seconde partie s’intéresse aux effets du système d’abord sur au niveau national puis au niveau européen.
Au niveau national c’est le juge interne qui est au cœur de l’étude puisque c’est à lui que revient de faire fonctionner le système en pratique. En tant que juge de droit commun des deux ordres juridiques européens, il doit choisir la norme applicable, avec l’aide des parties, et ses décisions peuvent entraîner la responsabilité de son État devant l’un ou l’autre des ordres juridiques européens. Il s’agit alors de dégager des règles de fonctionnement, utiles aux juges nationaux, qui permettraient de réguler les différentes interactions entre les ordres juridiques.
Ces règles de fonctionnement, qui sont les principes de subsidiarité, de proportionnalité et de sécurité juridique, sont des notions encadrant le travail des juges, qui occupent d’ailleurs un rôle central au sein du système. Ainsi, la cohérence du système est assurée par le principe de subsidiarité qui sert à désigner le niveau le plus pertinent pour assurer la protection des droits fondamentaux. La deuxième règle est le principe de proportionnalité, qui est utile pour les juges européens afin de mesurer l’intensité de la protection qui doit être assurée, quel que soit le niveau désigné en amont. En effet, le test de proportionnalité intervient dans les cas de limitation des droits fondamentaux afin de déterminer quel est le degré d’atteinte justifiable.
Au niveau des ordres juridiques européens, le principe de sécurité juridique, surtout envisagé dans ses concrétisations juridictionnelles, a pour objectif d’assurer une certaine stabilité au système, qui peut lui faire initialement défaut justement en raison de son aspect fluctuant. La thèse s’intéresse ainsi à l’idée d’autorité de la chose jugée pour les décisions des deux juges européens, Cour de justice et Cour européenne des droits de l’homme, et à leur réception par les ordres juridiques nationaux.
Enfin, le concept de droit constitutionnel européen est abordé car l’idée de système européen de protection des droits fondamentaux peut renouveler la façon d’aborder cette question. En effet, les deux ordres juridiques européens présentent certaines carences pour prétendre individuellement à la qualification constitutionnelle mais la réunion des deux peut ouvrir d’autres horizons, notamment avec des nouveaux éléments comme le concept de confiance mutuelle abordé en tant que paramètre commun aux deux ordres juridiques européens.
Conclusion
En définitive, il paraît possible de distinguer trois niveaux de normes. Au premier niveau, se situent les règles de conflit qui s’inscrivent dans l’organisation d’un espace (présomption de protection équivalente, clauses de déconnexion ou encore mécanisme des droits correspondants). Au deuxième niveau, il y a les principes qui régissent le système européen de protection des droits fondamentaux, c’est-à-dire les principes de subsidiarité, de proportionnalité et de sécurité juridique. Enfin, au dernier niveau, se trouvent les instruments qui permettraient de réaliser un ordre juridique européen et une meilleure harmonisation. Il s’agit notamment de la mise en place éventuelle de notions européennes communes, des notions autonomes dégagées par chacun des juges qui se rejoindraient substantiellement, ainsi que des obligations positives similaires. Ces dernières permettraient de faire peser sur les États du système européen de protection des droits fondamentaux les mêmes types d’obligations en matière de respect des droits fondamentaux.
Notes:
- Cour EDH, Gde chbr., 30 juin 2005, Bosphorus Hava Yollari Turizm Ve ticaret anonim sirketi c/ Irlande, req. n° 45036/98. ↩
- CJUE, Ass. plén., 18 décembre 2014, avis 2/13, Projet d’accord sur l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ECLI:EU:C:2014:2454. ↩
Document intéressent
Tous mes remerciements à Mme Tanio Racho pour cette belle contribution sur le système européen de protection des droits fondamentaux. D’ailleurs elle suscite une réflexion sur le système africain de protection des droits fondamentaux au regard de la bifurcation des différents normes communautaires qui dénote une difficulté dans la mise en œuvre à l’echelle continentale comparée au système européen.