La responsabilité internationale pour violation des droits de l’homme
Thèse soutenue le 3 novembre 2016 à l’Université de Poitiers devant un jury composé de M. YANN KERBRAT Professeur des Universités Université PARIS 1 – PANTHEON SORBONNE Rapporteur du jury; M. PIERRE-FRANÇOIS LAVAL Professeur des Universités Université ORLEANS Rapporteur du jury; M. PHILIPPE LAGRANGE Professeur des Universités Université POITIERS Membre du jury; Mme BERANGERE TAXIL Professeur des Universités Université ANGERS Membre du jury; M. SEBASTIEN TOUZE Professeur des Universités Université PARIS 2 – PANTHEON- ASSAS Membre du jury.
Le mécanisme de la responsabilité occupe une place fondamentale dans tout ordre juridique 1. Il permet en effet d’attacher des conséquences juridiques aux manquements à la règle de droit, pour en assurer et en garantir l’effectivité. En ce sens, la responsabilité est présentée comme « un corollaire nécessaire du droit » 2. En l’occurrence, elle désigne l’obligation de répondre d’un acte, d’un fait, d’une abstention, d’en supporter les charges, d’en assumer le redressement envers autrui 3. Cette définition, qui constitue le dénominateur commun du sens de la responsabilité dans tout ordre juridique, met l’accent sur deux éléments principaux que sont : le fait générateur – défini comme un comportement contraire à la règle de droit – et les conséquences qui en découlent pour l’auteur de ce fait. Aux côtés de cette base irréductible de la responsabilité, il faut noter d’autres paramètres, tout aussi importants, permettant de distinguer chaque régime de responsabilité au sein d’un même ordre juridique ou au sein de plusieurs ordres différents. Doit être retenue à ce titre la qualité des destinataires et bénéficiaires de l’obligation violée, ou plus généralement la nature de cette obligation. En pratique, en fonction de la nature de l’obligation violée, il peut résulter différents régimes de responsabilité revêtant des caractéristiques spécifiques. Ainsi, l’ordre juridique interne connaît la responsabilité contractuelle, délictuelle, pénale, administrative, selon l’obligation primaire en cause.
Ce schéma est-il perceptible en droit international ? Plus précisément, existe-t-il dans l’ordre juridique international un régime de responsabilité différent suivant que l’obligation violée est due à un sujet de droit international (État ou organisation internationale) ou à un individu ?
L’objectif visé dans le cadre de la présente étude est de montrer, à partir d’une analyse comparative des règles de la responsabilité en droit international général et celles de la responsabilité pour violation des droits de l’homme, qu’il existe une spécificité des secondes par rapport aux premières en raison de la nature particulière des obligations relatives aux droits de l’homme (les droits de l’homme ont un caractère objectif qui se manifeste par une absence de réciprocité dans le cadre des engagements conventionnels). Cette particularité suppose une adaptation mais aussi, parfois, un dévoiement des règles classiques de la responsabilité internationale. En d’autres termes, la spécificité de la responsabilité pour violation des droits de l’homme s’entend non seulement de la consécration de véritables lex specialis qui n’ont pas d’équivalents en droit international général 4, mais aussi de l’ajustement des solutions générales à la matière des droits de l’homme 5. Sa conception implique, en l’occurrence, que l’on apprécie l’effet de la matière « droits de l’homme » sur le régime de la responsabilité appliqué à l’État.
Au cours de la réalisation de ces travaux, nous nous sommes confrontés à deux types de difficultés : d’une part, la délimitation du sujet et de l’autre la recherche d’une approche originale pour traiter celui-ci. Sur le premier aspect, il a fallu résoudre la question de la pertinence de l’intégration de la théorie des obligations primaires dans un champ d’analyse comme celui de la responsabilité définie comme « l’ensemble des obligations qui naissent à la charge d’un sujet en raison d’une violation qui lui est imputable » 6. Concernant le second aspect, la difficulté a été de se départir de la présentation classique de la responsabilité internationale pour lui insuffler une approche renouvelée propre à offrir une véritable analyse sous l’angle des droits de l’homme.
À cet égard, nous avons construit l’étude en nous référant à la situation d’un individu victime de la violation de ses droits, qui, presque basiquement, se demande quelles sont les voies de droit que lui offre l’ordre juridique international pour remédier à cette violation. Il s’agit d’une approche que nous avons qualifiée de fonctionnelle, qui se justifie par la volonté de mettre en exergue la spécificité des règles de la responsabilité internationale pour violation des droits de l’homme par rapport aux règles de la responsabilité en droit international général. Cette spécificité est en effet patente au niveau de la mise en œuvre de la responsabilité internationale en raison de la possibilité offerte aux individus en droit international des droits de l’homme de saisir directement les instances juridictionnelles ou quasi-juridictionnelles en charge de leur protection (ce qui lui permet de se passer de « l’écran étatique » encore présent en droit international général à travers le mécanisme de la protection diplomatique) ; ou encore du fait de l’opportunité reconnue à tout État (même non directement touché) de saisir les juridictions internationales en cas de violation des droits de l’homme.
Aussi, dans l’organisation de la réflexion, nous avons analysé dans un premier temps l’invocation de la responsabilité pour violation des droits de l’homme. Cette partie a été l’occasion de montrer, d’une part, l’influence des droits de l’homme sur les modes traditionnels d’invocation de la responsabilité internationale, à savoir la protection diplomatique et le contentieux interétatique empreint de subjectivité et de bilatéralisme. La lecture renouvelée sous le prisme des droits de l’homme de ces mécanismes permet, par exemple, de voir en la protection diplomatique un véritable instrument de protection de ces droits et non seulement un mécanisme de protection des droits de l’État. De même, le contentieux interétatique subjectif se voit transformé en un véritable recours objectif où aucun intérêt individuel, résultant notamment de la violation par un État des droits de l’homme en la personne de ses ressortissants, n’est à démontrer dans la mise en œuvre de la responsabilité. D’autre part, il était question de mettre en exergue la possibilité désormais reconnue à l’individu lésé de faire valoir ses droits devant un organe international en invoquant la responsabilité de l’État auteur de la violation. Il s’agit d’un schéma qui tranche radicalement avec celui de la responsabilité en droit international général, ce domaine ne prévoyant aucune voie de recours directement ouverte aux particuliers victimes.
Dans un second temps, nous avons abordé le contenu de l’invocation de la responsabilité pour violation des droits de l’homme. Ce stade du raisonnement a été l’occasion de montrer que si l’individu ou les États invoquent la responsabilité de l’État auteur de la violation des droits de l’homme, c’est pour faire constater cette violation par les organes de contrôle. Autrement dit, suite à l’invocation de la responsabilité internationale, la tâche reviendra aux juridictions internationales saisies d’établir le fait générateur de la responsabilité. Celui-ci regroupe deux éléments, à savoir la violation d’une obligation internationale et l’imputabilité de cette violation à un sujet de droit international.
L’établissement de la violation suppose que soient déterminées avec précision les obligations qui s’imposent aux sujets de droit international. Ces obligations permettent de qualifier les comportements des sujets en cause au regard de ce qui est exigé par le droit et de constater par voie de conséquence leur violation en cas de contrariété entre les premiers et le second. L’identification de la violation dépend ainsi de la nature des obligations mises à la charge de l’État, en l’occurrence les obligations relatives aux droits de l’homme. L’établissement de l’imputabilité de la violation, comme pour l’autre élément du fait générateur de la responsabilité, se fait également à travers le prisme des droits de l’homme. Plus précisément, l’imputation de la violation est établie à l’aune du critère d’applicabilité des droits de l’homme, soit la notion de juridiction figurant dans les principaux instruments de protection des droits de l’homme. Au regard de ce critère, c’est le pouvoir (légitime ou non) exercé par l’État sur les particuliers qui permet de lui attribuer les faits répréhensibles.
Une fois le fait générateur établi, l’État responsable de la violation se voit imposer d’autres obligations, qui peuvent être qualifiées de secondaires. Il s’agit par exemple de l’obligation de cesser le fait illicite lorsque celui-ci revêt un caractère continu, de réparer le préjudice, ou de fournir les garanties de non-répétition de l’illicite.
Par ailleurs, et conformément à la méthode comparative retenue dans le cadre de cette étude, l’analyse du contenu de l’invocation de la responsabilité pour violation des droits de l’homme a permis de remarquer que les organes de contrôle en matière des droits de l’homme s’inspirent des règles de la responsabilité en droit international général et l’adaptent à la matière des droits de l’homme. C’est ainsi, par exemple, que la Cour européenne des droits de l’homme a toujours martelé que « les principes qui sous-tendent la Convention [européenne des droits de l’homme] ne peuvent s’interpréter et s’appliquer dans le vide », et a affirmé qu’il lui revenait de « prendre en compte toute règle pertinente du droit international lorsqu’elle se prononce sur des différends concernant sa compétence et, par conséquent, déterminer la responsabilité des États conformément aux principes du droit international régissant la matière […] » 7. Ce constat implique donc de relativiser la spécificité du régime de la responsabilité pour violation des droits de l’homme.
Aux termes de nos recherches, nous sommes parvenus aux conclusions suivantes :
Les règles de la responsabilité pour violation des droits de l’homme présentent une spécificité en raison de la place accordée à l’individu dans ce mécanisme et de la volonté de faire de la protection des droits de l’homme un sujet de préoccupation de la Communauté internationale. Toutefois, il ne serait question de prétendre à l’autonomie du droit international des droits de l’homme par rapport au droit international général. En effet, les règles régissant la responsabilité en droit international général constituent l’une des sources d’interprétation de celles de la responsabilité pour violation des droits de l’homme, pour ce qui est notamment du contenu de l’invocation de la responsabilité.
Notes:
- Dupuy(Pierre-Marie), « Responsabilité internationale des États », RCADI, 1984‑V, p. 21 : « La responsabilité constitue l’épicentre d’un système juridique». ↩
- CIJ, 5 février 1970, Barcelona Traction, Rec., 1970, p. 36. ↩
- Basdevant(Jules) (préf.), Dictionnaire de la terminologie du droit international, Paris, Sirey, 1960, p. 423. ↩
- Cohen-Jonathan(Gérard), « Conclusions générales », in SFDI, La protection des droits de l’homme et l’évolution du droit international, Colloque de Strasbourg, Paris, Pedone, 1998, p. 307‑341, p. 321‑326. ↩
- Hennebel(Ludovic),Tigroudja(Hélène), Traité de droit international des droits de l’homme, Paris, Pedone, 2016, 1706 pages, p. 673. ↩
- Decencière-Férrandière (André), La responsabilité internationale à raison des dommages subis par les étrangers, Paris, Rousseau, 1925, p. 11. ↩
- CrEDH, 12 décembre 2001, Bankovic et autres c/ Belgique et 16 autres États, Req., n° 52207/99, § 57. ↩
J’aimerais conculter ce travail dans le cadre de mon travail de recherche que je suis en train de réaliser en Haïti.
Vous remerciant d’avance pour cet article, je puis vous assurer qu’il m’aidera pour mener à bien mes recherches sur le sujet. Cordialement.