La situation personnelle dans la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne
Thèse Présentée et soutenue publiquement le 1er décembre 2023 sous la direction de Madame la Professeure Ségolène BARBOU DES PLACES et devant un jury composé de : M. Loïc AZOULAI, Professeur à Sciences Po Paris et à l’Institut Universitaire Européen de Florence, Mme Ségolène BARBOU DES PLACES, Professeure à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (Directrice de recherche), M. Jean-Yves CARLIER, Professeur à l’Université catholique de Louvain et à l’Université de Liège (Rapporteur), Mme Anastasia ILIOPOULOU-PENOT, Professeur à l’Université Paris Panthéon-Assas (Rapporteur), M. Etienne PATAUT, Professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Par Alexis HUSSER, Maître de conférences en droit public à l’Université de Strasbourg et Membre du CEIE
1- Présentation du sujet, méthodologie et formulation de la thèse
Notre étude se propose d’identifier puis d’analyser un phénomène non exploré par la doctrine mais pourtant très présent : la transformation progressive du raisonnement de la Cour de justice de l’Union européenne, qui donne une place croissante à la situation personnelle des individus.La Cour de justice fait en effet de plus en plus souvent mention de la « situation personnelle » des requérants ou prend en compte, pour construire son raisonnement et sa solution, certains éléments particuliers de leur situation.
Les références du juge à la situation personnelle prennent des formes variées. Ainsi par exemple, la Cour peut juger que « [l]’examen individualisé de la demande [de regroupement familial] devra prendre en compte, de manière équilibrée et raisonnable, l’ensemble des éléments pertinents de la situation personnelle de la sœur du réfugié tels que son âge, son niveau d’éducation, sa situation professionnelle et financière ainsi que son état de santé »1. Dans ce cas, la notion de situation personnelle précède, comme souvent désormais dans la jurisprudence, la référence à une série de circonstances factuelles que le juge national est tenu d’apprécier. Mais dans d’autres affaires, il arrive à la Cour d’imposer un examen similaire au juge interne sans se référer explicitement à la « situation personnelle ». Le juge de l’Union demande plutôt de « tenir compte de l’ensemble des circonstances de l’espèce »2, d’opérer un « examen concret de la situation de chaque intéressé »3 ou un « examen individuel [d]es caractéristiques propres »4 de la personne concernée.
Les formulations fluctuent, ces exemples le montrent, mais un même phénomène est à l’œuvre dans les arrêts préjudiciels de la Cour de justice : l’émergence d’une « pratique » de références à la situation personnelle des individus. La notion de situation personnelle, et d’autres que nous appellerons des « notions voisines », deviennent progressivement des éléments centraux dans le raisonnement du juge et influencent sa manière de résoudre les litiges et d’interpréter le droit. Il y a donc là un phénomène juridique, diffus et foisonnant bien qu’il soit resté inexploré par les études en droit de l’Union. Aussi notre thèse se propose-t-elle de percer le mystère des formules récurrentes et parfois sibyllines de la Cour ; l’enjeu est de comprendre quel est le sens de la pratique de référence à la situation personnelle dans le raisonnement du juge de l’Union européenne.
Le phénomène d’implantation de la situation personnelle dans la jurisprudence de l’Union, dont la transformation du discours du juge5 est un indice, est massif. La simple consultation des données statistiques6 permet de rendre compte de la place prise par la locution dans le vocabulaire du juge de l’Union : la « situation personnelle » figure dans 257 arrêts7 de la seule Cour de justice. Surtout, le recensement de la notion de situation personnelle dans les arrêts de la Cour, montre une évolution croissante que le découpage du temps en décennies rend manifeste8. Les données statistiques permettent de poser le constat d’un usage désormais bien établi de l’expression par la Cour de justice.
Mais analyser la masse d’arrêts dans lesquels la Cour de justice nomme – ou parle de – la situation personnelle ne sert pas seulement à poser un constat : il s’agit aussi de tenter de rendre plus lisible et compréhensible une jurisprudence qui apparaît bien souvent comme une casuistique décousue voire confuse. La jurisprudence est assez opaque notamment parce qu’on y trouve une profusion de termes, notions, concepts, utilisés par la Cour de justice pour décrire, renvoyer, ou examiner la situation personnelle des individus parties aux litiges. Des termes aussi variés que « situation individuelle »9, « situation spécifique »10 ou « situation particulière »11, sont régulièrement employés en substitution de l’expression « situation personnelle ». D’autres notions apparaissent avec constance dans le vocabulaire du juge, qui lui servent à rendre compte d’un aspect spécifique de la situation personnelle. Dans une longue liste, retenons les notions de vulnérabilité12, de dépendance13, de liens sociaux14, de situation médicale15, etc. Si la prise en compte de la situation personnelle est une pratique désormais bien établie, il faut toutefois convenir qu’elle s’exprime avec une variété de termes et parfois même sans que le juge n’utilise la notion de situation personnelle. Le lecteur de la jurisprudence peut donc se perdre dans l’océan de notions utilisées par la Cour de justice pour se référer à la situation personnelle des requérants. Le but de cette thèse est donc de tenter de mettre de l’ordre : une démarche de classification et de typification des situations prises en compte par le juge est nécessaire. L’objet est ainsi de déterminer s’il y a une rigueur et une cohérence dans le raisonnement de la Cour de justice16 ou si l’approche est purement casuistique, à défaut d’être aléatoire. La thèse montre qu’il y a bien un objet que nous désignons comme une « jurisprudence sur la situation personnelle ». Cette dernière, expliquons-nous, mérite analyse car elle est un phénomène qui interroge le pouvoir du juge de l’Union.
Le sujet conduit en effet à explorer le rôle du juge de l’Union dans la fabrication des concepts. Comment le juge manie-t-il les notions et les concepts et comment ce maniement lui permet-il de construire son raisonnement ? La multiplication des références à la situation personnelle, dans les arrêts de la Cour, n’est-elle qu’une simple réception du droit positif ou le signe d’une appropriation, par le juge, d’une notion qu’il contribue à construire et disséminer ? Le juge est-il seulement l’interprète d’un droit de l’Union en mutation, plus réceptif aux considérations relatives à la situation personnelle (son rôle est alors passif) ou joue-t-il un rôle « moteur » dans la transformation du droit de l’UE (son rôle étant alors actif) ? En d’autres termes, la dynamique observée est-elle – seulement – l’œuvre du juge ? Pour répondre à ces questions, la thèse examine attentivement la manière dont la motivation est formée, les mots choisis, l’ordre dans lesquels ils sont employés. Il s’agit de saisir les nuances du raisonnement juridique, d’entrer dans les arcanes du travail interprétatif pour identifier les cas où l’examen de la situation est un élément déterminant (ou non) de la motivation du juge et de comprendre pourquoi.
L’enjeu est important car le phénomène auquel nous assistons n’est pas simplement un changement de mots : c’est la manière dont la Cour définit son rôle et son pouvoir qui est en cause. Ce pouvoir est perceptible quand la Cour fait référence à la « situation personnelle » alors qu’elle interprète une disposition du droit de l’Union qui n’en fait pas mention17. D’autant qu’elle s’arroge le droit d’intégrer des références à la situation personnelle tantôt dans sa motivation18, tantôt dans le dispositif de ses arrêts19. Ainsi avons-nous observé comment ces références permettent au juge d’élaborer sa norme jurisprudentielle20 et analysé quel rôle la Cour de justice joue dans la diffusion de ces références dans les ordres juridiques internes21. En somme, la thèse analyse la liberté d’interprétation de la Cour de justice22 et plus généralement, les moyens et les limites de son pouvoir juridictionnel23. Cela nous a conduit à examiner la place du droit et du fait dans sa jurisprudence24, la distinction entre l’interprétation et l’application du droit25, ou encore le partage des compétences entre le juge national et la Cour de justice dans le mécanisme préjudiciel26.
Face à la multiplicité des arrêts nommant ou décrivant la situation personnelle des parties au litige, et face à la diversité des termes utilisés pour l’évoquer, une question s’est posée : quels sont et que sont ces éléments de la situation personnelle qui comptent pour le juge de l’Union ? Pour comprendre plus finement notre objet d’étude, il nous a fallu procéder à une classification des termes composant ce que nous avons appelé le « champ lexical de la situation personnelle ». Par là, nous visons l’ensemble des mots qui composent une constellation langagière qui permet de nommer ou décrire la situation personnelle dans un litige donné. La classification est surtout apparue nécessaire pour mettre de l’ordre dans une pratique qui conduit la Cour de justice à scinder la situation personnelle en une variété de composantes.
Une première répartition des termes du champ lexical de la situation personnelle s’est donc imposée autour d’une dichotomie : celle qui oppose le « contenant » et le « contenu » de la situation personnelle. Cela nous permet de souligner la variété des approches de la Cour qui, selon les cas, se contente de faire référence à la situation personnelle du requérant entendue comme catégorie générale, et les affaires où elle fait référence à une série d’éléments concrets spécifiques de la situation du requérant (ses relations familiales, son intégration, sa dépendance, par exemple). Or ces éléments caractéristiques de la situation des individus, que la thèse nomme les « composantes » de la situation personnelle, sont très nombreux dans le raisonnement du juge ; d’où notre volonté d’en proposer une classification. Cela nous a conduit à identifier des composantes générales de la situation personnelle, elles-mêmes composées de sous-composantes.
Si ce travail de classification était indispensable pour rendre compte du caractère composite de la situation personnelle dans la jurisprudence, il ne pouvait suffire à prendre la mesure de la transformation de la jurisprudence à l’œuvre. En effet, cette classification offre une description statique et passe sous silence le phénomène, dynamique, d’implantation des références à la situation personnelle dans la jurisprudence. Nous avons donc voulu dépasser une approche purement descriptive du sujet pour formuler l’hypothèse structurante de notre étude : l’idée selon laquelle il y a, dans la jurisprudence de la Cour de justice, un mouvement, en cours, de conceptualisation de la situation personnelle. Cette hypothèse est fondatrice car elle consiste à poser un regard nouveau sur la situation personnelle telle qu’elle est maniée par le juge de l’Union. La situation personnelle est, sous ce prisme, davantage qu’une notion : elle est un concept en formation.
Exposer le phénomène d’implantation de la situation personnelle en le présentant comme une dynamique de conceptualisation27 nous semble avoir un intérêt didactique. Cela permet de rassembler des arrêts en une « jurisprudence » non pas en raison de l’usage de la notion de situation personnelle, mais en fonction de l’idée directrice que véhicule cette expression dans les arrêts de la Cour de justice. Ensuite, cela permet de mieux appréhender la réalité jurisprudentielle à l’aide d’un « appareil conceptuel »28 encore dissimulé et inexploré. Enfin, notre approche dynamique permet de considérer la situation personnelle comme un « construit » du juge de l’Union. L’hypothèse de la conceptualisation (en cours) de la situation personnelle nous semble donc féconde car elle autorise à voir dans la situation personnelle une forme stable et cohérente29.
Il restait à saisir l’ampleur du phénomène d’implantation de la situation personnelle dans la jurisprudence de l’Union. Au risque de rester purement descriptive, notre recherche devait expliquer et apprécier la portée du phénomène décrit. Autrement dit, au « quoi » et au « comment » doit succéder le « pourquoi ». Il s’agit par conséquent d’expliquer les raisons et les répercussions de l’utilisation des références à la situation personnelle par la Cour de justice. À cette fin, deux approches ont été combinées : l’approche fonctionnelle et l’approche prospective. La première cherche à déceler les fonctions que l’on peut attribuer au concept de situation personnelle dans le raisonnement de la Cour de justice. La seconde vise à mesurer les effets de cette implantation et à proposer des orientations possibles pour la rendre plus légitime, stable et cohérente. Nous avons suivi les deux voies.
En d’autres termes, notre méthode peut être décrite comme constructive car elle ne cherche pas à vérifier ou mettre à l’épreuve un concept déjà existant dans la jurisprudence de l’Union : elle contribue plutôt à découvrir puis à construire un concept pour le moment imperceptible. De même, notre démarche est empirique car elle n’a aucun modèle à confirmer, amender, ou spécifier : elle s’appuie sur l’observation de données brutes que sont les arrêts de la Cour de justice et consiste à repérer des régularités, des lignes de force, susceptibles de donner forme à ce que représente la situation personnelle dans la jurisprudence de la Cour de justice30.
2. Détail de la démonstration
Que signifie la situation personnelle dans la jurisprudence et pour la Cour de justice ? À cette question générale, et formulée de façon très ouverte, la thèse propose une réponse. La thèse montre en effet que le traitement de la situation personnelle par la Cour de justice de l’Union n’est ni accessoire ni accidentel. Il a un sens, un rôle et une portée considérables en droit de l’Union. L’implantation de la situation personnelle dans la jurisprudence de l’Union n’est pas un épiphénomène et doit être prise au sérieux.
La thèse s’efforce donc de rendre compte du travail du juge. La Cour de justice tient compte de la situation personnelle des individus, elle l’apprécie et se l’approprie. Couche par couche, ses arrêts contribuent à lui donner une signification particulière. Nous y voyons même un mouvement, inachevé mais profond, de conceptualisation de la situation personnelle. C’est que le concept de situation personnelle acquiert, progressivement, une dimension fonctionnelle. La lecture des arrêts révèle que parler de la situation personnelle, c’est manier un outil au service d’opérations juridiques nombreuses. C’est pourquoi l’apparition, puis l’implantation de la notion de situation personnelle dans le raisonnement de la Cour de justice, doit être scrutée car elle permet d’analyser le travail interprétatif du juge. Enfin, l’implantation de la situation personnelle produit des effets juridiques qui doivent être identifiés et évalués. La thèse permet donc de comprendre comment l’insertion de quelques mots dans un raisonnement suffit à faire évoluer la protection que le droit de l’UE confère à la personne (humanisation) et comment sont mis en cause certains fondements du droit de l’Union européenne (déstabilisation).
En substance, la thèse montre que, dans la jurisprudence de l’Union, la situation personnelle est bien plus qu’une notion utilisée de manière éparse par la Cour de justice : elle est un concept juridique en formation qui, par ses fonctions et ses effets, tend à humaniser mais aussi à déstabiliser le droit de l’Union européenne.
Pour le démontrer, notre thèse s’articule autour de trois axes qui sont autant de parties. La première partie de la thèse décrit le mouvement d’élaboration progressive du concept de situation personnelle par la Cour de justice (I). La deuxième partie dévoile le rôle du concept de situation personnelle dans le raisonnement juridique de la Cour de justice (II). La troisième partie est consacrée à l’évaluation de la portée de l’implantation de la situation personnelle (III).
I.1 L’élaboration progressive d’un concept de situation personnelle
Progressivement, la Cour de justice élabore un concept de situation personnelle. Ce travail de conceptualisation prend une première forme : la construction de ce que nous avons appelé un « référentiel du concept de situation personnelle ». La pratique de référence à la situation personnelle prend en effet deux formes que nous avons identifiées. D’abord, le juge fait référence à plusieurs notions juridiques comportant une signification semblable, qui lui permettent de faire référence à la situation personnelle : on recense notamment les termes « situation individuelle », « situation spécifique », « situation particulière » ou « situation (de la personne) ». Ces notions sont substituables parce qu’elles désignent une même réalité. Mais le travail de conceptualisation ne se résume pas à l’usage de la notion de situation personnelle et de ses notions environnantes. La Cour fait aussi référence à ce que nous proposons d’appeler le « contenu » de la situation personnelle, lorsqu’elle mentionne ou décrit une variété d’éléments qui composent la situation personnelle des individus en cause dans le litige dont elle est saisie. Nous avons nommé ces éléments les « composantes » et « sous-composantes » de la situation personnelle ; l’enjeu étant de montrer qu’elles sont innombrables dans la jurisprudence. Ce référentiel incroyablement précis montre la sensibilité du juge européen à la complexité de la situation des personnes qui ne saurait être résumée par la mention d’un élément unique ou principal. Consciente de la difficulté de définir la situation d’une personne mais aussi de l’apprécier, la Cour de justice fait très souvent le choix de l’appréhender par une énumération de caractéristiques de sa situation ; le contenu de la situation personnelle étant alors détaillé et adaptable selon chaque cas d’espèce.
En donnant à voir ce « référentiel de la situation personnelle », progressivement élaboré par le juge, notre thèse tente de rendre plus intelligible une jurisprudence qui est aussi foisonnante que (parfois) désordonnée. L’identification du référentiel permet également de mettre sous projecteur la dynamique à l’œuvre dans la jurisprudence de la Cour de justice. Par empilements successifs, la Cour précise quels éléments peuvent être considérés comme rattachables à la situation personnelle ou au contraire doivent en être exclus. Surtout, la Cour ne cesse d’actualiser le contenu de la situation personnelle : elle l’affine, en ajoutant aux listes précédentes de nouveaux éléments caractéristiques de la situation personnelle31. Les références à la situation personnelle semblent donc vouées à se préciser toujours plus. Ce travail minutieux est mis au service de la conceptualisation de la situation personnelle qu’a entrepris le juge. La tâche n’est pas aisée car il ne s’agit pas seulement de dresser, au hasard des affaires, des listes d’éléments caractéristiques de la situation personnelle. C’est pourquoi dans le même temps, la Cour a entrepris un travail de stabilisation du contenu de la situation personnelle.
L’état des lieux proposé dans notre thèse montre que le travail de conceptualisation initié par la Cour de justice reste inachevé. La Cour de justice identifie (souvent) de manière explicite et (parfois) de manière implicite ces éléments caractéristiques de la situation des personnes qui doivent être pris en compte pour l’attribution ou le refus d’un droit, et que nous avons appelé les « composantes » de la situation personnelle. Grâce à la répétition de formulations claires et cohérentes, une grande partie du contenu de la situation personnelle est aujourd’hui stabilisé. En revanche, s’agissant des éléments propres à l’identité de la personne, le tableau est plus impressionniste. Ainsi par exemple, alors que de façon inattendue la Cour a qualifié la transsexualité d’élément de la situation personnelle, le doute demeure pour d’autres éléments relevant de l’identité civile (nom, nationalité), sexuelle et religieuse de la personne.
Les flottements conceptuels, les divergences de conceptions entre les domaines juridiques, ou encore la retenue du juge, sont autant de signes que le concept de situation personnelle est en phase de construction. Il est donc prématuré d’en proposer une définition stable, cohérente et systématique. Le travail d’élaboration conceptuelle du juge est d’autant plus incertain qu’il se fait en interaction avec le travail conceptuel du législateur.
Pour ces raisons, il est sans doute plus prudent de parler d’élaboration progressive, plutôt que de formation, d’un concept de situation personnelle. Certes, des indicateurs forts de la formation d’un concept existent : la construction par le juge d’un référentiel de la situation personnelle, le regroupement d’éléments constitutifs autour d’une idée portée par le terme situation personnelle, un mode d’énonciation propre et la stabilisation de composantes qui donnent sens à cette notion de situation personnelle. Ces avancées sont considérables. Toutefois, la thèse le montre, la jurisprudence n’est pas exempte de flottements et le processus de stabilisation des composantes de la situation personnelle reste inachevé. Il n’en reste pas moins qu’une dynamique est à l’œuvre et que, dans les raisonnements et solutions de la Cour de justice, les références à la situation personnelle abondent. La tendance est même à l’accroissement de ces références, ce qui laisse espérer que le travail de conceptualisation, en s’approfondissant, offrira progressivement une vision plus claire du concept de situation personnelle.
En somme, pour l’heure, la situation personnelle doit être considérée comme un concept juridique en puissance. Là se trouve une différence importante avec les notions qu’utilisent le juge de l’Union. En théorie du droit on le sait, la notion et le concept sont fréquemment distingués. Le concept dispose le plus souvent d’une « portée technique » assez précise et prend la forme d’un « instrument technique » ou d’un « outil mobilisé par le juge » qui lui donne une signification positive et pratique32. Cette caractéristique, qui marque la fabrique d’un concept juridique, est incontestablement présente dans la jurisprudence de l’Union. Le concept de situation personnelle a un « rôle » très important dans le raisonnement du juge de l’Union et dans la confection de sa jurisprudence.
II.2. Le rôle du concept de situation personnelle
Les multiples apparitions du concept de situation personnelle et de ses composantes, dans le raisonnement juridique de la CJUE, ne sont ni anodines ni purement décoratives. Elles permettent au juge d’accomplir certaines tâches précises et opérations importantes dans son travail interprétatif. Les références à la situation personnelle sont d’abord le marqueur d’un effort de motivation plus aboutie et manifestent la volonté du juge d’apporter une justification toujours plus appropriée et ajustée aux faits de la cause. L’utilisation du concept de situation personnelle permet d’accueillir un ensemble de faits pertinents pour statuer sur l’affaire pendante ; plutôt que de les ignorer et de délivrer une interprétation trop abstraite du droit, la Cour se montre pragmatique et soucieuse d’une bonne application du droit de l’Union européenne.
Le rôle du concept de situation personnelle est devenu central. De multiples opérations juridiques en dépendent : celles de rattacher la personne au droit, de catégoriser le droit de l’Union, ou de répartir et moduler les compétences juridictionnelles. L’usage grandissant du concept de situation personnelle s’explique et se mesure donc à l’aune de sa richesse opératoire.
L’opération de rattachement est double. Elle s’applique, d’une part, au stade de l’applicabilité du droit de l’Union lorsque la Cour s’appuie sur l’examen de la situation personnelle pour relier l’individu à l’ordre juridique de l’Union et, d’autre part, au stade de l’application du droit de l’Union, quand la Cour se fonde sur l’analyse de la situation personnelle pour relier l’individu à un État membre compétent pour traiter sa situation conformément du droit de l’UE.
Ensuite, à l’image des catégories juridiques, entendues comme des « instruments de distributions des droits »33, l’usage du concept de situation personnelle vient aussi moduler l’application du droit de l’Union européenne. Dit autrement, certaines affaires montrent que l’application du droit de l’UE ne s’effectue pas à partir de critères catégoriels mais se module en fonction de certains éléments de la situation personnelle34.
Par ailleurs, le recours au concept de situation personnelle offre une grande liberté à la Cour de justice dans le cadre du renvoi préjudiciel. D’une part, il permet à la Cour de justice de moduler sa propre compétence, en repoussant les limites de sa compétence préjudicielle et vient interroger la pertinence de la frontière théorique séparant l’interprétation de l’application du droit propre à ce mécanisme. D’autre part, l’importance plus ou moins grande accordée aux composantes de la situation personnelle a un impact sur la discrétion laissée aux autorités chargées d’appliquer le droit de l’Union. Ces deux types d’opérations permises par l’usage du concept de situation personnelle lui donnent un rôle de « pivot » de la répartition des compétences entre juges et de « curseur » de l’étendue de la marge d’appréciation laissée aux autorités nationales, en ce compris les juges nationaux.
La fonction propre du concept de situation personnelle dépasse ainsi le cadre de l’activité jurisprudentielle de la Cour de justice. Ses incidences sur la délimitation des compétences entre juges européen et national, par exemple, montrent que l’utilisation du concept s’adresse inéluctablement aux autorités nationales. Ce concept est donc aussi source d’exigences juridiques que la Cour de justice s’impose à elle-même et impose aux autorités nationales chargées d’appliquer le droit de l’Union européenne.
« Prendre en compte » la situation personnelle est le terme général qui contient une pluralité d’exigences adressées aux autorités nationales chargées d’appliquer leur droit en conformité avec le droit de l’Union. Quand la Cour dit aux autorités nationales de tenir compte de la situation personnelle du requérant, elle leur demande de respecter des exigences aussi variées que l’individualisation35, la contextualisation36 ou l’assouplissement37 de l’application de la règle nationale. Ces diverses demandes expriment une double exigence : l’obligation de prendre « conscience » des éléments caractérisant la situation personnelle et l’obligation de « mesure » destinée à évaluer plus concrètement et plus justement la situation des individus visés par les mesures nationales. Sans aucun doute, les exigences de conscience et de mesure sont complémentaires dans le raisonnement du juge : accorder une attention soutenue à l’individualité et à la particularité d’une situation implique une application pondérée et mesurée de la règle. Mais elles sont de nature différente : la première obligation requiert des autorités nationales un certain comportement, une mise en alerte permanente pour apprécier les conditions individuelles et sociales des personnes ; la seconde a une dimension plus technique, exigeant une évaluation souple pour garantir une application juste et mesurée de la règle nationale. Ces obligations, portent donc aussi bien sur la façon d’examiner une situation européenne, que sur la manière de concevoir le droit national, de l’appliquer et d’apprécier sa conformité au droit européen.
Il est donc utile d’adopter le point de vue des États car il permet de comprendre ce que fait la Cour, et ce qu’elle exige des autorités nationales, quand elle se sert du concept de situation personnelle. Le concept de situation personnelle est devenu un instrument cardinal dans la surveillance et l’encadrement de la mise en œuvre effective du droit de l’Union européenne par les États membres. La situation personnelle est donc en phase de devenir un concept juridique dont le rôle et les fonctions peuvent être identifiés dans le raisonnement du juge de l’Union.
En somme, le « rôle » du concept de situation personnelle est pluriel et sa place dans le raisonnement de la Cour de justice varie au gré des fonctions que la Cour veut lui faire jouer. Cela étant, la généralisation du recours aux éléments de la situation personnelle n’a pas seulement une conséquence technique sur les opérations du juge de l’Union et des autorités étatiques. Une perspective « macro-juridique » fait apparaître qu’elle produit des effets juridiques considérables sur la jurisprudence, et plus largement, sur le droit de l’Union européenne.
II.3. Les effets de l’implantation de la situation personnelle dans la jurisprudence de l’Union
La thèse ne pouvait se contenter d’identifier l’émergence d’une pratique et de comprendre les motivations du juge. Il fallait aussi analyser les effets et comprendre la portée du phénomène décrit. Tel est l’objet de la troisième partie de la thèse.
Elle montre que la présence désormais massive des références à la situation personnelle, dans la jurisprudence de l’Union, produit un incontestable effet de protection de la personne. D’abord, l’examen concret de la situation de la personne garantit une protection des droits fondamentaux plus effective. On le remarque spécifiquement pour le droit à l’égalité de traitement mais aussi, plus largement, pour une série d’autres droits fondamentaux de la personne consacrés en droit de l’Union38. L’analyse du juge, toujours plus attentive à la situation personnelle, assure une protection de plus en plus proche des intérêts des personnes. Lors de son contrôle de la violation des droits fondamentaux des individus, la Cour de justice s’emploie à tenir compte de leur situation personnelle afin d’attester l’existence d’une atteinte ou de vérifier le risque d’une telle atteinte.
Mais une lecture « existentielle » de ce même contentieux révèle aussi que la Cour de justice utilise le concept de situation personnelle à des fins de reconnaissance, de protection, et parfois même de promotion, de diverses formes d’existence de la personne. En cela, l’implantation de la situation personnelle de l’individu dans la jurisprudence de l’Union n’est pas une simple évolution sémantique ou technique : elle a surtout pour effet d’incarner et d’humaniser le droit de l’UE. Elle contribue à redéfinir le sujet du droit de l’UE, non plus comme l’individu abstrait ou fonctionnel des origines de la construction européenne, mais comme une personne de chair, réalisée par son existence en tant qu’être humain et social. D’un point de vue plus existentiel, donc, la prise en compte de la situation personnelle par la Cour de justice nous renseigne sur les diverses formes d’existence de la personne que le droit de l’Union reconnaît et valorise. Centrée sur la personne, l’examen de la situation personnelle permet au juge de tenir compte d’une diversité d’éléments caractéristiques d’une vie humaine, incarnée et psychique. Mais la situation de la personne prise en compte par la Cour est aussi, bien souvent, une situation sociale qui met en scène l’individu dans son environnement social. L’accent mis sur les interactions sociales de l’individu nous invite même à voir dans la jurisprudence la volonté de promouvoir certaines formes d’existence sociales. En somme, l’implantation de la situation personnelle contribue à la protection et à la reconnaissance de l’individu placé dans le giron du droit de l’Union
L’apport de cette jurisprudence a le mérite de compenser, bien souvent, l’abstraction et l’imprécision du droit positif de l’Union européenne. Tout en étant tenue par la lettre et l’esprit du droit de l’Union, la Cour de justice trouve les moyens de composer avec des situations humaines ontologiquement complexes. Elle adapte, relativise, humanise, un droit qui, appliqué mécaniquement, aboutirait à des résultats inéquitables et injustifiés. En clair, elle raisonne en termes d’équité. Mais il en résulte une jurisprudence parfois difficile à décrypter, fluctuante et qui donne une impression de casuistique. En injectant dans son raisonnement, de manière parfois décousue, d’innombrables considérations relatives à la réalité des personnes, la Cour accepte que la cohérence de sa jurisprudence soit troublée et que sa prévisibilité et son uniformité soient affectés. En d’autres termes, l’effet protecteur qui résulte de l’implantation de la situation personnelle dans la jurisprudence de l’Union s’accompagne d’un effet perturbateur pour le droit de l’Union.
La Cour de justice se trouve en quelque sorte à la croisée des chemins. Elle doit poursuivre son travail de conceptualisation de la situation personnelle sous peine de réduire sa jurisprudence à une simple casuistique. Deux choix s’offrent à elle : suivre la voie d’une casuistique excessive dont les risques de perturbation pour le droit de l’Union sont avérés (celui de l’imprévisibilité de la jurisprudence auquel s’ajoutent divers risques qui menacent l’autorité du droit de l’Union) ou parvenir à rendre compatible son approche par cas avec les impératifs de sécurité et d’uniformité du droit. Cela demande de porter une réflexion sur les moyens qui permettraient de stabiliser et de systématiser sa jurisprudence. Ces remèdes sont en germes dans la jurisprudence. Plusieurs techniques sont esquissées dans notre thèse et connues du juge de l’Union : l’intensification du recours aux présomptions lors de l’examen de la situation personnelle ; la reconnaissance d’un droit subjectif à faire valoir sa situation personnelle ; l’hypothèse de l’interprétation autonome de la notion de « situation personnelle » ; ou l’établissement plus systématique de listes d’éléments de la situation personnelle à examiner. Il reste donc à la Cour de justice à se les approprier et à adopter une approche pédagogique.
L’espoir est que la pratique casuistique de la Cour de justice, due semble-t-il au « déficit in abstracto »39 du droit européen de la personne, puisse s’accompagner d’« abstractions suffisantes pour constituer un système »40 ; c’est-à-dire que la Cour parvienne à une conceptualisation plus avancée de la situation personnelle. Par un effort de systématisation de l’examen de la situation personnelle, on verrait naître une « méthode générale de solution des cas d’espèces », une casuistique « qui concilie à la fois l’exigence d’un respect des caractéristiques pertinentes de l’espèce et celle de la prévisibilité de sa solution en droit »41. En d’autres termes, la casuistique découlant de l’examen – variable – de la situation personnelle n’est pas par principe contraire aux exigences de sécurité et d’uniformité du droit. Mais pour garantir un traitement raisonnable et prévisible des cas, la Cour devra établir des formules générales et des principes guidant son application du concept de situation personnelle. À cette condition, la casuistique de la Cour sera pleinement utile à la connaissance et à la compréhension du droit européen des personnes42. Et le concept de situation personnelle pourra suivre son cours en continuant d’alimenter la réflexion doctrinale sur l’humanisation du discours juridique de l’Union européenne.
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La prise en considération de la situation personnelle par le juge de l’Union européenne est d’abord une dynamique. L’« élaboration progressive » d’un concept, l’ « implantation », le « développement » d’un champ lexical, l’« affinement », le « déploiement » ou la « stabilisation » des éléments constitutifs de la situation personnelle sont autant d’expressions qui ont jalonné notre étude. Elles ont servi à montrer que la situation personnelle est, pour la Cour de justice, un concept en phase de consolidation. Couche par couche, se forme dans la jurisprudence un réseau de références qui « gravitent » autour de la notion de situation personnelle et informent son sens, sa fonction et sa portée. La dynamique n’est certes pas linéaire mais elle est profonde. Elle se manifeste dans des grandes lignes jurisprudentielles qui accordent un espace toujours plus important à l’analyse des faits personnels et sociaux issus du litige pendant. Une logique graduelle s’installe, qui fait apparaître progressivement de nouveaux groupes de composantes et de sous-composantes de la situation personnelle dont les autorités nationales, et le juge, tiennent compte.
L’identification d’un véritable « champ notionnel » de la situation personnelle permet de conclure qu’une première étape est franchie : la Cour de justice a choisi d’inscrire son travail interprétatif dans un réseau de références. L’utilisation des termes renvoyant à la situation personnelle, leur ré-utilisation, puis l’apparition d’autres termes plus spécifiques, montre que la stabilisation d’un concept est en cours. La situation personnelle est davantage qu’une notion juridique : elle est une représentation intellectuelle, une idée véhiculée par d’autres mots, une enveloppe dont les composantes s’articulent et s’ordonnent selon une logique propre, qui vise à prendre en compte la complexité de la vie humaine et sociale des personnes. En d’autres termes, la dynamique observée dans la jurisprudence de l’Union dépeint l’émergence d’un nouveau concept de situation personnelle que le juge manie comme un instrument de captation juridique de la complexité des situations personnelles. On le mesure par la grande variété des notions utilisées par la Cour pour décrire et tenir compte de la réalité individuelle et sociale des personnes.
La généralisation du recours au concept de situation personnelle déborde du cadre technique de l’interprétation du droit et de la protection juridique des individus. Son implantation dans la jurisprudence va de pair avec le choix d’une approche holistique de la personne. L’effet n’est donc pas uniquement juridique : il est aussi social. La prise en compte de la situation personnelle par le juge de l’Union conduit à mettre l’attention sur l’existence de l’individu, bénéficiaire du droit de l’Union, dans la diversité de sa condition. La jurisprudence de l’Union réalise un travail de reconnaissance, de protection et, dans une certaine mesure, de promotion de l’existence tant humaine (corporelle et psychique) que sociale (émancipation, autonomie, vulnérabilité) de l’individu. On peut y voir la volonté d’humaniser un droit dont les dérives fonctionnelles et marchandes ont été maintes fois décriées43. Cette approche existentielle et sociologique permet de considérer que le droit de l’Union n’est pas seulement d’essence économique. L’individu concret, résolument détaché de sa qualité d’agent économique au service du marché intérieur, voit son existence prise en compte dans sa complexité et sa diversité. Certes, le droit de l’Union n’a jamais véritablement occulté les considérations humaines et sociales qui caractérisent l’existence de ses sujets mais il tend toujours plus à s’imprégner de ces considérations. Cette tendance participe d’un double mouvement : celui de la marche incessante vers l’approfondissement d’un droit européen des personnes et celui de la transformation de la jurisprudence de la Cour de justice en une « jurisprudence du quotidien »44 préoccupée davantage par l’application du droit européen dans des cas concrets et individuels que par l’établissement de grands principes généraux.
L’œuvre de la Cour de justice, même (et surtout) dans le cadre du renvoi préjudiciel, ne se caractérise plus uniquement par son activité de jurisdictio. La Cour ne se contente plus de dévoiler le sens et la portée de la lettre du droit de l’Union : elle est surtout garante de son application dans une espèce donnée. Elle dit le droit mais aide aussi, de façon très active, à trancher le litige. Cette transformation de sa fonction de juger se révèle et s’accentue à mesure que la Cour de justice tire des circonstances particulières du litige des éléments pour interpréter le droit de l’Union. L’examen toujours plus habituel et minutieux de la situation personnelle des individus est même un indicateur d’une jurisprudence à portée juridictionnelle. Or, nous l’avons vu, cela s’accompagne de risques qui amoindrissent la portée jurisprudentielle des arrêts de la Cour de justice de l’Union.
Pragmatique plus que rationnelle, la jurisprudence de la Cour de justice sur les personnes s’apparente à une démarche que l’on pourrait rattacher à l’ « incrementalisme ». Cette technique de décision qui mise en œuvre par les juridictions américaines consiste à opérer « dans chaque cas, la meilleure adaptation possible du droit au problème concret, et cela au prix du minimum de changement »45. Une telle démarche, nous dit F. Ost, se caractérise par une « grande attention … portée aux éléments de fait, matériel et psychologique »46 et se préoccupe de la finalité de la norme. La méthode du juge de l’Union qui allie pragmatisme et téléologisme, correspond bien à cette description. Certains y verront peut-être le signe de la « déformalisation du raisonnement judiciaire »47 d’une Cour de justice qui raisonne principalement en termes d’effectivité du droit. La Cour de justice cherche en effet à s’inspirer, prendre en compte, et donc saisir la situation personnelle de l’individu pour bâtir une solution la mieux à même de garantir ses droits subjectifs conformément aux objectifs visés par la norme européenne.
On ne peut ignorer que l’implantation des considérations relatives à la situation personnelle dans la jurisprudence de la Cour de justice prend place dans un mouvement de fond de « subjectivisation »48 du droit de l’Union. Ce mouvement évoque, pour reprendre les termes d’E. Pataut, une « transformation sociale profonde » se traduisant par « [l]a possibilité de plus en plus large offerte aux individus d’opposer leurs droits aux États »49. Le succès du renvoi préjudiciel y est pour quelque chose : « [t]he situation implicated in the Preliminary Reference always posits an individual vindicating a personal, private interest against the national public good »50. La montée en puissance de la prise en compte de la situation personnelle renforce encore le poids de l’individu dans la procédure judiciaire.
Certes, le phénomène décrit dans la thèse s’inscrit dans un contexte politique marqué par l’individualisme51. Il ressort de la jurisprudence étudiée que l’individu doit être valorisé52 : sa situation doit faire l’objet de reconnaissance et de protection par l’État. La prise en compte de sa situation personnelle manifeste le besoin de garantir à l’individu la jouissance de ses droits et la protection de ses intérêts personnels. En ce sens, le mouvement jurisprudentiel analysé peut être considéré comme mettant en oeuvre l’individualisme (au sens de prévalence des droits de l’individu sur les intérêts collectifs) promu par certaines branches du droit de l’Union53.
Mais notre thèse montre aussi que l’individualisme, en droit de l’Union européenne, se pose en des termes spécifiques. Elle rejoint la lecture d’E. Dubout qui estime que « [c]e que l’octroi de droits subjectifs entreprend de déconstruire n’est pas le rattachement de l’individu à l’État, à son marché ou à sa société, mais l’exclusivisme qui y est traditionnellement attaché »54. L’attention accordée à la situation de la personne, dans sa complexité et sa diversité, n’a pas pour visée d’opposer l’individu à l’État mais plutôt d’inscrire son existence dans un cadre pluri-étatique ou transnational. L’enjeu n’est pas de faire mécaniquement prévaloir les intérêts de l’individu ; il est de mieux prendre en compte ses intérêts dans un espace, une temporalité, un milieu juridique autres que ceux de l’État. Cela revient, en somme, à reconnaître à l’individu le droit et la capacité de vivre en Européen. Ainsi, la jurisprudence de la Cour de justice en droit européen des personnes est révélatrice du passage de l’ « individualisme possessif » à une autre forme d’individualisme : « l’individualisme expressif où chacun a à se réaliser »55.
1 CJUE, 12 décembre 2019, TB, aff. C-519/18, point 75.
2 Voir, par ex., CJUE, Gr. Ch., 7 septembre 2022, E. K., aff. C-624/20, points 38 et 39.
3 CJUE, 19 septembre 2013, Brey, aff. C-140/12, point 68
4 CJUE, Gr. Ch., 19 décembre 2013, Koushkaki, aff. C-84/12, point 69.
5 L. Azoulai montre, par exemple, que la Cour de justice semble passer d’une « jurisprudence formulaire » à une « logique de situation » : son discours fondé sur des formules générales et abstraites laisse progressivement place à des énoncés plus concrets portés sur des considérations factuelles et sociales en lien avec la situation personnelle de l’individu. Voir, en ce sens, L. AZOULAI, « L’argument sociologique dans la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne. Entre anti-sociologisme et intuitionnisme », in D. FENOUILLET (dir.) L’argument sociologique en droit, Pluriel et singularité, Paris, Dalloz, 2015, pp. 183-198.
6 Par données statistiques, il faut entendre l’ensemble des données recueillies sur le site de la Cour de justice de l’Union européenne, à savoir https://curia.europa.eu/jcms/jcms/j_6/fr/.
7 Ce recensement date du 11 septembre 2023. À cet effet, nous avons procédé à une recherche par « mots du texte » dans le formulaire de recherche mis à disposition par le site Curia. Les références à la notion de « situation personnelle » figurent aussi bien dans le cadre juridique, le cadre factuel, le raisonnement et le dispositif de l’arrêt de la Cour de justice.
8 De 1960 à 1970, la notion n’a été utilisée que dans quatre arrêts. Puis on observe une progression lente jusqu’aux années 2000 : on recense 10 arrêts qui l’utilisent entre 1970 et 1980 ; 21 arrêts entre 1980 et 1990 et, enfin, 19 arrêts entre 1990 et 2000. C’est dans la période des années 2000-2010 que le nombre d’arrêts devient réellement significatif (49 arrêts) puis, au courant de la décennie suivante, qu’il augmente de manière exponentielle (110 arrêts). Plus de la moitié des arrêts qui font mention du terme situation personnelle se situent dans la dernière décennie.
9 Voir, par ex. : CJUE, Gr. Ch., 2 mars 2010, Rottmann, aff. C-135/08, point 55 ; CJUE, Gr. Ch., 12 mars 2019, Tjebbes e. a., aff. C-221/17, point 40.
10 Voir, par ex. : CJUE, 10 mars 2022, Landkreis Gifhorn, aff. C-519/20, point 37.
11 Voir, par ex. : CJUE, Gr. Ch., 13 septembre 2016, Rendón Marín, aff. C-165/14, point point 64.
12 Voir, par ex. : CJUE, 9 février 2017, M., aff. C-560/14, point 51 ; CJUE, 12 avril 2018, A. et S., aff. C-550/16, point 58 ; CJUE, Gr. Ch., 24 avril 2018, MP, op. cit., point 42 ; CJUE, Gr. Ch., 19 mars 2019, Jawo, aff. C-163/17, point 95 ; CJUE, Gr. Ch., 19 mars 2019, Ibrahim e. a., aff. jointes C-297/17, C-318/17, C-319/17 et C-438/17, point 93.
13 Voir, par ex. : CJUE, 16 janvier 2014, Reyes, aff. C-423/12, point 24.
14 Voir, par ex. : CJUE, Gr. Ch., 23 novembre 2010, Tsakouridis, aff. C-145/09, point 53CJUE, 18 juillet 2013, Prinz et Seeberger, aff. jointes C-523/11 et C-585/11, point 38.
15 Voir, par ex. : CJCE, Gr. Ch., 16 mai 2006, Watts, aff. C-372/04, point 75 ; CJUE, 29 octobre 2020, A., aff. C-243/19, point 29.
16 Sur l’exigence de cohérence comme critère d’évaluation de la qualité du raisonnement de la Cour de justice, voir G. CONWAY, « The Quality of Decision-Making at the Court of Justice of the European Union », in M. BENCZE, G.Y. NG (eds.), How to Measure the Quality of Judicial Reasoning, Cham, Springer International Publishing, 2018, pp. 225-250.
17 Voir, par ex. : CJCE, 28 octobre 1975, Rutili, aff. 36/75, point 29 ; CJCE, Gr. Ch., 22 novembre 2005, Mangold, aff. C-144/04, point 65 ; CJUE, Gr. Ch., 12 avril 2016, Genc, aff. C-561/14, points 61, 65 et 66.
18 Voir par ex. : CJCE, Gr. Ch., 17 février 2009, Elgafaji, aff. C-465/07, point 34 et 39 et CJUE, Gr. Ch., 19 décembre 2013, Koushkaki, aff. C-84/12, point 56 ; CJUE, Gr. Ch., 13 septembre 2016, Rendon Marin, aff. C-165/14, point 86 et CJUE, Gr. Ch., 12 mars 2019, Tjebbes e. a., aff. C-221/17, point 44 et 46.
19 Voir, par ex., CJUE, Gr. Ch., 2 mars 2010, Salahadin Abdulla e. a., aff. jointes C-175/08 à C-179/08.
20 Voir en ce sens J. BOULOUIS, « À propos de la fonction normative de la jurisprudence. Remarques sur l’œuvre juridictionnelle de la Cour de justice des Communautés européennes », in Mélanges offerts à Marcel Waline. Le juge et le droit public, Paris, LGDJ, tome 1, 1974, pp. 149-162 ; L. AZOULAI, « La fabrication de la jurisprudence communautaire », in P. MBONGO et A. VAUCHEZ (dir.), Dans la fabrique du droit européen, Scènes, acteurs et publics de la Cour de justice des Communautés européennes, Bruxelles, Bruylant, 2009, pp. 153-169.
21 Voir, par ex., la solution de l’arrêt CJCE, 14 février 1995, Schumacker, aff. C-279/93, largement reprise par les juges nationaux. Véritable décision de principe, cet arrêt vise à corriger la différence de traitement entre une personne résidente et non résidente, lorsqu’elle ne perçoit pas dans son État de résidence « des revenus suffisants pour y être soumis à une imposition permettant de prendre en compte sa situation personnelle et familiale » et qu’elle tire « son revenu totalement ou presque exclusivement de l’activité exercée » dans l’État d’emploi.
22 On ne saurait oublier l’apport des conclusions des avocats généraux auxquelles se réfère habituellement le juge de l’Union. L’influence peut être implicite (Concl. de l’avocat général F. CAPOTORTI présentées le 16 février 1982 sous l’affaire CJCE, 18 mai 1982, Adoui et Cornuaille c/ Etat belge, aff. jointes 115 et 116/81, point 16 ; Concl. de l’avocat général D. RUIZ-JARABO COLOMER présentées le 10 juillet 2003, sous l’affaire CJCE, Ass. pl., 23 mars 2004, Collins, aff. C-138/02, point 75) ou explicite (CJUE, Gr. Ch., 12 avril 2016, Genc, aff. C-561/14, points 65 et 66 ; CJUE, Gr. Ch., 14 novembre 2017, Toufik Lounes, aff. C-165/16, point 58 ; CJUE, Gr. Ch., 17 avril 2018, B. et Vomero, aff. jointes C-316/16 et 424/16, point 73).
23 F.-V. GUIOT, La distinction du fait et du droit par la Cour de justice de l’Union européenne : recherche sur le pouvoir juridictionnel, Bayonne, Institut universitaire Varenne, 2016, 1007 p.
24 Sur ce point, voir R. DECKERS, « Le fait et le droit. Problèmes qu’ils posent. », in Ch. PERELMAN (dir.), Le fait et le droit. Étude de logique juridique, Neuchâtel-Suisse, Griffon, 1961, pp. 7-15 ; F. RIGAUX, « Le pouvoir d’appréciation de la Cour de justice des Communautés européennes à l’égard des faits » in Mélanges en hommage à W. J. Ganshof Van der Meersch, tome 2, Bruxelles, LGDJ-Bruylant, 1972, pp. 365-381 ; L. HUSSON, « Le fait et le droit », in Nouvelles études sur la pensée juridique, Paris, Dalloz, 1974 ; D. LINOTTE, « Le mythe de l’adaptation du droit au fait », D. 1997, chron. 337 s.
25 Sur la porosité de cette démarcation dans les arrêts préjudiciels rendus par la Cour de justice, voir J. PORTA, « La formulation des interprétations par la Cour de justice de l’Union européenne », in A. VAUCHEZ (ed.), The Fabric of European Jurisprudence. An Interdisciplinary Approach, Joint Working Paper, Institut universitaire européen (Florence), Global Governance Series, 2012, pp. 45-52.
26 Sur ce point, voir les contributions dans l’ouvrage collectif E. NEFRAMI (dir.), Renvoi préjudiciel et marge d’appréciation du juge national, Bruxelles, Larcier, 2015, 347 p.
27 Conceptualiser – ou, plus précisément, rendre compte d’une conceptualisation – est une démarche scientifique qui consiste à décrire, classifier puis théoriser. Or, « le véritable commencement de l’activité scientifique consiste (…) dans la description de phénomènes qui sont ensuite rassemblés, ordonnés et insérés dans des relations » (S. FREUD, Métapsychologie, Paris, Folio, 1986, p. 11 cité par G. AÏDAN, La vie psychique, objet du droit, Paris, CNRS Éditions, 2022, p. 51).
28 M. Virally estime que la réalité juridique « ne peut être appréhendée qu’à l’aide d’un appareil conceptuel » (M. VIRALLY, La pensée juridique, Paris, éd. Panthéon-Assas, 2010, p. XX).
29 Sur l’apport des concepts à la cohérence de la jurisprudence, voir D. LECZYKHEIWICZ, « Why do the European Court of Justice Judges Need Legal Concepts ? », ELJ, 2008, vol. 14, pp. 773-786.
30 La prise en compte de la situation personnelle est une action, une opération de la Cour de justice, qui précède toute tentative de définition ou de systématisation doctrinale de la notion. Puisqu’elle ne peut raisonnablement être fondée sur un postulat de base, ni sur une notion dégagée par la doctrine, la méthode retenue est principalement inductive : elle part des données observables dans la jurisprudence de la Cour de justice pour comprendre et expliquer un phénomène plus général.
31 Cet affinement progressif des éléments caractéristiques de la situation personnelle s’illustre bien dans la jurisprudence sur la « situation médicale » des patients en droit de la libre circulation (CJCE, 12 juillet 2001, Smits et Peerbooms, aff. C-157/99 ; CJCE, 13 mai 2003, Müller-Fauré et van Riet, aff. C-385/99 ; CJCE, 23 octobre 2003, Inizan, aff. C-56/01 ; CJCE, Gr. Ch., 16 mai 2006, Watts, aff. C-372/04. ; CJUE, Gr. Ch., 5 octobre 2010, Elchinov, aff. C-173/09 ; CJUE, 9 octobre 2014, Petru, aff. C-268/13) ainsi que dans les arrêts sur la « situation de dépendance » des citoyens de l’Union en bas âge (CJUE, Gr. Ch., 8 mars 2011, Ruiz Zambrano, aff. C-34/09 ; CJUE, Gr. Ch., 10 mai 2017, Chavez-Vilchez e. a., aff. C-133/15 ; CJUE, Gr. Ch., 8 mai 2018, K. A. e.a., aff. C-82/16 ; CJUE, 27 février 2020, Subdelegación del Gobierno en Ciudad Real c/ RH, aff. C-836/18 ; CJUE, Gr. Ch., 7 septembre 2022, E. K., aff. C-624/20 ; CJUE, 22 juin 2023, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid, aff. C-459/20).
32 Sur cette distinction entre concept et notion, voir W. DROSS, « L’identité des concepts juridiques : quelles distinctions entre concept, notion, catégorie, qualification, principe ? », RRJ, Numéro spécial, 2012, p. 2231.
33 A. ILIOPOULOU-PENOT, « Les catégories des travailleurs et des citoyens », in B. BERTRAND (dir.), Les catégories juridiques du droit de l’Union européenne, Bruxelles, Bruylant, 2016, p. 235.
34 Voir, par ex., sur l’application modulée en fonction des critères de l’intégration sociale de la personne : CJUE, 20 juin 2013, Giersch e. a., aff. C-20/12 ; CJUE, 26 février 2015, Martens, aff. C-359/13 ; CJUE, 14 décembre 2016, Braganca Linares Verruga e. a, aff. C-238/15 ; CJUE, Gr. Ch., 17 avril 2018, B. et Vomero, aff. jointes C-316/16 et C-426/16.
35 Quand le juge parle de situation personnelle, il s’intéresse en réalité à la situation particulière et individuelle des personnes. La Cour invite en effet les autorités nationales à appliquer et interpréter la règle nationale d’une façon qui ne soit pas purement abstraite ou générale mais ajustée et individualisée. Le contentieux des mesures d’éloignement prises sur le fondement de l’ordre public est topique. De manière claire, la grande chambre a demandé aux autorités d’un État membre – qui souhaitent refuser l’entrée ou le séjour d’un membre de la famille d’un citoyen européen pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique – que le refus soit « fondé sur un examen individuel du cas d’espèce » (CJCE, Gr. Ch., 25 juillet 2008, Metock e.a., aff. C-127/08, point 74).
36 Du point de vue des autorités nationales, l’exigence de prendre en compte la situation personnelle signifie se montrer conscientes du contexte transnational et européen dans lequel évoluent les destinataires des règles nationales. L’on sait, par exemple, depuis l’arrêt Garcia Avello que le droit de l’UE ne permet pas de considérer comme un simple national une personne qui a également la nationalité d’un autre État membre. L’unité de mesure pour appliquer le droit national n’est pas le territoire national, mais le « territoire de l’Union » (CJUE, Gr. Ch., 8 mars 2011, Ruiz Zambrano, op. cit., point 44).
37 Cette exigence est tirée de la jurisprudence dans laquelle la Cour demande aux autorités nationales, lorsqu’elles s’apprêtent à adopter une décision, à exécuter ou appliquer une mesure nationale, de faire preuve de toute la souplesse nécessaire à la prise en compte de la situation de la personne visée par cette mesure. On le voit, lorsque la Cour de justice énonce que l’application d’une règle inconditionnelle ou indérogeable est incompatible avec une prise en compte réelle et globale de la situation de la personne. Dans l’arrêt Rendon Marin, par exemple, la Cour constate, et conteste, l’absence de possibilité de prise en compte de la situation personnelle : la règlementation en cause au principal « subordonne de manière automatique, et sans aucune possibilité de dérogation, l’obtention d’un permis de séjour initial à l’absence d’antécédents pénaux » (CJUE, Gr. Ch., 13 septembre 2016, Rendon Marin, aff. C- 165/14, point 63).
38 Une pluralité de droits fondamentaux, tels que le droit au respect de la dignité humaine, l’interdiction des traitements inhumains ou dégradants, la liberté de circulation, ou le droit au respect de la vie privée et familiale, voient leur protection se renforcer dans la jurisprudence de l’Union par l’implantation de considérations afférentes à la situation personnelle des individus. Cette « maximisation » de la protection de la personne s’exprime selon diverses modalités propres à l’emploi du concept de situation personnelle : la vérification de la réalité du risque d’atteinte à un droit fondamental, mais aussi la mise en œuvre d’un mécanisme de protection « par ricochet » ou l’extension de la protection de la vie privée à un droit au respect de la situation personnelle en matière de protection des données à caractère personnel.
39 Expression utilisée par Jean Hauser, qui estime que « c’est l’absence d’accord sur l’abstrait qui justifierait alors que la construction du droit soit abandonnée au concret » (J. HAUSER, « L’abstrait et le concret dans la construction du droit européen des personnes et de la famille » in Les dynamiques du droit européen en début de siècle. Études en l’honneur de Jean-Claude Gautron, Paris, Pedone, 2004, p. 106).
40 Ibid..
41 J.-Cl. K. DUPONT, « Une reviviscence de la casuistique en droit ? Le raisonnement in specie de la Cour européenne des droits de l’homme », in La casuistique classique : genèse, formes, devenir, Saint-Etienne, Publications de l’Université de Saint-Etienne, 2009, pp. 187-219.
42 Sur cette acception de la casuistique juridique (Ibid.).
43 Voir, par ex. : N. SHUIBHNE, « The resilience of EU market citizenship », CML Rev., 2010, pp. 1597-1628 ; A. SOMEK, « Europe : From Emancipation to Empowerment », LSE Europe in Question, Discussion Paper Series, No. 60/2013. ; G. DAVIES, « Internal Market Adjudication and the Quality of life in Europe, EUI Working Paper, 2014/07 ; C. O’BRIEN, « Civis Capitalist Sum : Class as the New Guiding Principle of EU Free Movement Rights », CML Rev., 2016, pp. 937-978 ; J. BARROCHE, « La citoyenneté européenne victime de ses propres contradictions : de la nationalité étatique à la rationalité économique », Jus Politicum, 2018, n°19, pp. 179-227 ; G. DAVIES, « How Citizenship Divides : The New Legal Class of Transnational Europeans », European Papers, vol. 4, n°3, 2019, pp. 675-694
44 Expression empruntée à D. SIMON, « La Cour de justice des Communautés européennes » in Les Juridictions suprêmes, du procès à la règle, Saint-Étienne, Presses universitaires de Saint-Étienne, 1991, p. 148.
45 F. OST, « Juge-pacificateur, juge-arbitre, juge-entraîneur. Trois modèles de justice » in Fonction de juger et pouvoir judiciaire, Bruxelles, FUSL, 1983, p. 60.
46 Ibid..
47 Voir, en ce sens, O. DE SCHUTTER, Fonction de juger et droits fondamentaux. Transformation du contrôle juridictionnel dans les ordres juridiques américain et européens, Bruxelles, Bruylant, 1999, 1164 p ; P.-Y. GAUTIER, « Éloge du syllogisme. Libre propos », JCP G, n°36, 2015, pp. 1494-1497.
48 Voir la thèse de J. RONDU, L’individu, sujet du droit de l’Union européenne, Bruxelles, Bruylant, 2020, 881 p. L’auteure note qu’en droit de l’Union comme en droit administratif, « le processus de subjectivisation se réalise tant par la reconnaissance de droits publics subjectifs aux administrés, que par la prise en compte de la situation subjective de ces derniers » (p. 23). D’où le postulat selon lequel « le droit de l’Union ne s’intéresse … pas qu’à des sujets de droit, mais bien à des individus, portant avec eux leurs situations spécifiques et leurs intérêts propres » (p. 24).
49 E. PATAUT, La nationalité en déclin, op. cit., p. 100.
50 J.H.H. WEILER, « Revisiting Van Gend en Loos : Subjectifying and Objectifying the Individual » in A. TIZZANO, J. KOKOTT et S. PRECHAL (dir.), 50ème anniversaire de l’arrêt Van Gend en Loos, 1963-2013 : actes du colloque, Luxembourg, 13 mai 2013, Luxembourg, Publications Office, 2013, pp. 11-21.
51 Nous faisons ici référence à l’individualisme politique qui se différencie de l’individualisme philosophique, littéraire, économique et juridique. Pour un panorama de ces multiples acceptions de l’individualisme, voir M. WALINE, L’individualisme et le droit, Paris, Dalloz, rééd. 2007, pp. 8 et suiv..
52 On décrit généralement l’« individualisme » comme la « doctrine qui accorde à l’individu une valeur intrinsèquement supérieure à toute autre et ce dans tous les domaines – éthique, politique, économique –, où toujours priment les droits et les responsabilités de ce dernier » (B. VALADE, « INDIVIDUALISME », Encyclopædia Universalis, en ligne, consulté le 4 septembre 2023. URL : https://www-universalis-edu-com.ezpaarse.univ-paris1.fr/encyclopedie/individualisme/). Dans le même sens, voir J.-Y. CARLIER, Autonomie de la volonté et statut personnel, Bruxelles, Bruylant, 1992, p. 19. L’auteur oppose l’individualisme au holisme qui « valorise la totalité sociale et néglige ou subordonne l’individu ».
53 Pour une vision critique de l’individualisme mis en œuvre par les règles de libre circulation et des risques qu’il fait peser sur les intérêts sociaux des États membres, voir G. DAVIES, « Internal Market Adjudication and the Quality of life in Europe », EUI Working Paper, 2014/07.
54 E. DUBOUT, « L’identité individuelle dans l’Union européenne : à la recherche de l’homo europeus », in B. BERTRAND, F. PICOD, S. ROLAND (dir.), L’identité du droit de l’Union européenne, Mélanges en l’honneur de Claude Blumann, Bruxelles, Bruylant, 2015, p. 141.
55 G. NEYRAND, « Identification sociale, personnalisation et processus identitaires », in J. POUSSON-PETIT (dir.), L’identité de la personne humaine. Étude de droit français et de droit comparé, Bruxelles, Bruylant, 2002, p. 101.