Le contribuable et l’État. L’impôt et la garantie constitutionnelle de la propriété (Allemagne – France) [Résumé de thèse]
Le contribuable et l’État. L’impôt et la garantie constitutionnelle de la propriété (Allemagne – France)
Par Alexandre Mangiavillano
Thèse Aix-en-Provence, déc. 2011, 670 p. Paris : Dalloz, coll. « Nouvelle bibliothèque de thèses », 2013. Prix Henri Texier de l’Academie des sciences morales et politiques; premier prix ex-æquo du Centre français de droit comparé
Le projet d’une étude juridique consacrée au rapport impôt-propriété part de l’analyse classiquement formulée selon laquelle l’obligation fiscale, en créant une dette pécuniaire à la charge du contribuable, constitue par nature une atteinte à sa propriété, pensée habituellement comme le prolongement de sa liberté. En contre-point de cette analyse, la thèse veut démontrer que devant la Constitution, l’expression du droit de propriété en droit fiscal est subordonnée à la relation particulière qu’entretiennent le contribuable et l’Etat. Autrement dit, la question du rapport juridique impôt-propriété ne peut être posée et résolue sans la rapporter à la relation contribuable-Etat qui la structure et la précède. À cet effet, il a été nécessaire de conduire la démonstration dans une perspective de droit comparé, en privilégiant notamment le système juridique allemand qui, par son importance et sa précocité, a acquis au débat une véritable autorité.
Au travers la question de la garantie de la propriété, la réflexion conduite dans la thèse tend à montrer la singularité de la condition de contribuable au sein du système étatique. La problématique impôt-propriété se présente en effet sous un jour radicalement différent dès lors qu’elle est située hors l’Etat, et que le contribuable n’apparaît d’abord que dans son individualité. C’est que, dans l’Etat, au point de vue constitutionnel, le contribuable n’est pas seulement titulaire de droits qu’il peut faire valoir contre la puissance publique. Il est en même temps enserré dans la société et dans son fonctionnement. Participant le cas échéant à l’exercice du pouvoir, il est le membre d’une communauté sociale politiquement organisée : un citoyen au sens le plus fort. Cette singularité ne se retrouve pas dans le système de protection du Conseil de l’Europe, qui n’est à même de penser le rapport contri-buable-Etat que dans le sens d’une divergence d’intérêts possiblement conciliables, d’une séparation ou d’une extériorité, précisément parce que la Convention euro-péenne n’a pour fonction que de défendre l’individu contre des ingérences publiques illégitimes. L’affaiblissement de la jurisprudence Ferrazzini de 2001 (par ex. arrêt Ravon de 2008), et le rayonnement qui l’accompagne de la patrimonialité du litige fiscal dans le contentieux de l’article 6-1 de la CEDH, ne manquent pas d’interroger la condition contemporaine de contribuable, c’est-à-dire la relation qu’entre-tiennent aujourd’hui, au moyen de l’impôt, l’individu et l’État. Au fond, par l’étude du rapport juridique impôt-propriété, la thèse peut très largement se lire comme une réhabilitation de la citoyenneté fiscale, chère aux hommes de 1789, et de la nécessité de l’impôt, intimement liée à la fonction sociale que les Constitutions as-signent à l’Etat moderne.
La division opérée dans la thèse veut rendre compte non seulement de la liaison des deux questions impôt-propriété et contribuable-Etat, mais également de leur implication réciproque. La première partie de la thèse veut démontrer que la construction du rapport impôt-propriété n’a pu se réaliser, en France comme en Allemagne, que dans la figure du contribuable-citoyen. Sauf à négliger les bases constitutionnelles du droit fiscal, construites autour du consentement parlementaire et de l’intégration dans la communauté sociale, il n’est pas possible de se représenter le contribuable sur le principe d’un individu complètement extérieur à la communauté politique et à la société. L’obligation fiscale ne peut être pensée juridiquement et dans son objet comme une limite à la liberté individuelle.
Toutefois, dans un État de droit, l’inapplicabilité du droit de propriété doit être nécessairement assortie d’une exception dès lors que par ses effets, sortant alors du cadre normal d’un acte de citoyenneté, l’obligation fiscale revêt un caractère « confiscatoire », en ce sens qu’elle oblige le contribuable à céder une partie de ses biens pour l’acquitter. De la même manière, l’existence de la propriété, dont la conservation constitue depuis 1789 l’un des buts de la société politique, conduit à ce que des limites soient portées à son appréhension par le législateur fiscal. Cette problématique n’a jamais concerné, dans la pensée juridique comme dans la jurisprudence constitutionnelle, que principalement l’impôt sur la fortune. Revenant sur ses justifications et sa légitimité, pensées en Allemagne dès 1893 et tout au long du XXe siècle, la thèse tend à démontrer que tout en étant conforme à la Constitution, l’imposition synthétique du capital doit connaître certaines limites. En matière fiscale, l’effacement du droit de propriété ne signifie pas sa suppression, de la même manière que l’appréhension de la propriété ne signifie pas son abolition.
La seconde partie de la thèse, qui lui donne sa dynamique, veut confronter les enseignements dégagés aux controverses juridiques et aux évolutions contemporaines les plus fortes. À partir de l’expérience allemande de ces vingt dernières années, à laquelle le débat juridique français fait largement écho, il s’agit de montrer les implications et le danger qu’il y a à se représenter l’impôt sur le principe d’une limite au droit de propriété. Mais aussi à trop contester la possibilité pour le législateur fiscal d’appréhender la propriété dans sa détention. Cette partie veut révéler la reconstruction à l’œuvre du droit fiscal, fondée sur une promotion d’un individu-contribuable extérieur à la collectivité, indisponible à l’expression de l’État social contemporain. Un contribuable qui finalement, par le biais des droits fondamentaux défensifs dont il est titulaire, ne serait qu’opposé à la puissance publique, que contre l’État. Concrétisée dans la jurisprudence allemande à partir de 1995, présente dans la pensée juridique française, cette promotion n’aboutit pas seulement à une relecture du droit constitutionnel fiscal. Elle y installe une rupture, en négligeant ce fait indépassable que dans l’impôt se joue l’appartenance de l’individu à une communauté sociale politiquement organisée. La thèse, en définitive, se propose d’éclairer cette question stimulante au cœur du droit public : celle des rapports du contribuable et de l’Etat, qui n’est jamais que celle de la signification, des fondements et de la légitimité de l’impôt dans l’Etat démocratique contemporain.