Le droit à l’intégrité physique et mentale dans la jurisprudence internationale pénale [Résumé de thèse]
Le droit à l’intégrité physique et mentale dans la jurisprudence internationale pénale
par Nelly Devouèze
Thèse soutenue le 7 décembre 2012 à l’Université Paris Descartes, devant un jury composé des professeurs Hervé ASCENSIO (Rapporteur), Jean-Yves DE CARA, Jean PRADEL (Rapporteur) et Patrick RAMBAUD (Directeur de thèse)
À la frontière du droit international public et du droit pénal, le droit international pénal est né consécutivement à la Seconde guerre mondiale, par la création des Tribunaux militaires internationaux de Nuremberg et de Tokyo (TMI). Il s’est développé à travers les Tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda (TPI) créés par le Conseil de sécurité des Nations Unies, puis s’est institutionnalisé avec l’adoption en 1998 du Statut de Rome créant la Cour pénale internationale (CPI), première juridiction permanente et à vocation universelle.
À la lecture des Statuts des juridictions internationales pénales, exception faite des TMI, l’on constate que le meurtre et les atteintes à l’intégrité physique et mentale sont les seules infractions que l’on retrouve dans la définition de chacun des crimes relevant de la compétence matérielle de ces juridictions – à savoir les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et le crime de génocide. Partant du constat que la prohibition du meurtre vise à protéger le droit à la vie, nous considérons par analogie que l’interdiction de porter atteinte à l’intégrité physique ou mentale tend à protéger le droit à l’intégrité physique et mentale. Mais alors que le meurtre est un crime bien connu en droit interne, l’analyse des systèmes juridiques nationaux révèle l’absence totale d’uniformité dans la définition des atteintes à l’intégrité physique et mentale. Les sources conventionnelles du droit international pénal sont à peine plus éclairantes. Les Statuts des TPI en font un acte sous-jacent constitutif du génocide et de certains crimes de guerre, mais n’en donnent pas de définition. Il en est de même devant la CPI, qui utilise également la notion pour définir les autres actes inhumains constitutifs de crimes contre l’humanité, mais sans en donner de définition, ni dans le Statut, ni dans les Éléments des crimes. Face aux lacunes et à l’abstraction des incriminations conventionnelles, cette thèse entend démontrer comment et dans quelles limites les apports de la jurisprudence internationale pénale dans la définition des atteintes à l’intégrité physique et mentale permettent de protéger le droit à l’intégrité physique et mentale.
L’étude de la jurisprudence internationale pénale fait émerger deux formes complémentaires de protection du droit à l’intégrité physique et mentale, l’une conventionnelle, l’autre incidente. La première repose sur l’incrimination statutaire des atteintes à l’intégrité physique et mentale, comme actes sous-jacents constitutifs du crime de génocide ou de crimes de guerre. La définition prétorienne de ces actes s’inscrit dans la définition des critères généraux de qualification de ces crimes, eux-même précisés par la jurisprudence. La stabilité de la définition du génocide depuis la Convention de 1948 a pour corollaire une qualification uniforme de « l’atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe » constitutive de ce crime. En revanche, l’évolution de la catégorie des crimes de guerre rend complexe la conceptualisation de l’intégrité physique et mentale en la matière. La codification opérée dans le Statut de la CPI devrait simplifier la qualification des atteintes à l’intégrité physique et mentale constitutives de crimes de guerre.
La seconde forme de protection du droit à l’intégrité physique et mentale est incidente, en ce sens qu’elle ne repose pas sur de tels actes sous-jacents. Cette protection émane tout d’abord de la définition des autres actes inhumains, lesquels sont des actes sous-jacents constitutifs de crimes contre l’humanité. La définition de cette catégorie supplétive est élaborée dans la jurisprudence des TPI par référence aux atteintes à l’intégrité physique et mentale, tout en s’inscrivant dans le cadre de la définition prétorienne des critères généraux de qualification des crimes contre l’humanité. La jurisprudence internationale pénale permet ici d’harmoniser la qualification des autres actes inhumains constitutifs de crimes contre l’humanité, au-delà des différences conventionnelles des Statuts des TPI, et dans le sens du Statut de la CPI. La protection incidente de l’intégrité physique et mentale découle également de la qualification de l’élément matériel ou intentionnel de certains actes sous-jacents, sur la base d’une atteinte à l’intégrité physique ou mentale. Il s’agit par exemple de l’élément matériel des persécutions, du viol ou de la torture, et de l’élément intentionnel du meurtre ou de l’extermination. La protection incidente de l’intégrité physique et mentale se constate enfin en dehors de toute incrimination, notamment à travers la protection de l’intégrité physique et mentale des acteurs des conflits (victimes ou personnels humanitaires) et des acteurs des procès (témoins ou accusés).
Qu’elle intervienne en matière de génocide, de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité ou en l’absence de toute incrimination, la jurisprudence relative à la protection de l’intégrité physique et mentale fait émerger des critères communs de qualification, liés principalement à la nature physique ou mentale de l’atteinte, à sa gravité et à ses victimes. Favorable à une protection harmonisée et complète de l’intégrité physique et mentale, il ressort de cette jurisprudence une démarche volontariste des juges internationaux, confirmant la dimension prétorienne du droit à l’intégrité physique et mentale. Au-delà des références à l’intégrité physique et mentale dans les divers instruments conventionnels à l’origine de la compétence des juridictions internationales pénales, c’est la jurisprudence qui fait exister ce droit dans ses multiples dimensions. Le droit à l’intégrité physique et mentale, dont aucune définition concrète n’existait avant la mise en oeuvre du droit international pénal, prend véritablement corps au fil de cette jurisprudence, allant jusqu’à dépasser la nécessité d’une base conventionnelle. La jurisprudence internationale pénale est bien la source privilégiée du droit à l’intégrité physique et mentale, qui a maintenant vocation à évoluer devant la CPI.
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