Le rôle du juge répressif dans les mesures pénales d’enfermement
Thèse soutenue le 10 juillet 2015 à l’Université de Franche-Comté sous la direction de Mme Béatrice LAPEROU-SCHENEIDER, Maître de conférences HDR, devant un jury composé de Mme Evelyne BONIS-GARÇON, Professeur à l’Université Montesquieu-Bordeaux IV (rapporteur), de Mme Jocelyne LEBLOIS-HAPPE, Professeur à l’Université de Strasbourg, de Mme Haritini MATSOPOULOU, Professeur à l’Université Paris XI et de M. Jean PRADEL, Professeur émérite de l’Université de Poitiers (rapporteur). Mention très honorable avec les félicitations du jury et autorisation de publication en l’état.
L’étude combinée du juge répressif et de l’enfermement s’est imposée au regard des évolutions de droit pénal de fond et de forme qui affectent le rôle des acteurs du procès pénal. Le caractère absolu de l’atteinte portée à la liberté d’aller et venir, découlant du recours à une mesure privative de liberté, suppose de s’interroger sur son appréhension et son encadrement par le juge, en sa qualité de gardien de la liberté individuelle au sens de l’article 66 de la Constitution. En l’absence d’approche globale de la question, dont l’intérêt ne cesse d’être affirmé et renouvelé, la présente recherche a pour objectif d’élaborer une théorie générale de l’évolution du rôle du magistrat du siège dans l’enfermement à l’aune de la politique criminelle. Mêlant à la fois droit positif et droit prospectif, sous le prisme régulier du droit comparé, la thèse conduit à repenser la place et les pouvoirs du juge répressif à travers l’étude particulière de la privation de liberté et s’inscrit dans une réflexion plus globale menée sur l’office du juge au XXIème siècle 1.
Au préalable de l’étude, il était nécessaire de délimiter précisément le champ et le contenu de la mesure pénale d’enfermement. Il s’agit de toute privation de liberté ordonnée dans le cadre du « processus pénal », c’est-à-dire depuis la phase de l’enquête jusqu’à la phase post-carcérale incluse. Afin de rendre compte d’une véritable évolution du rôle du juge, plutôt que de se concentrer sur une mission définie de ce dernier, il s’est avéré plus pertinent de se focaliser sur la nature même de l’enfermement. La démonstration se fonde ainsi sur une classification binaire des mesures privatives de liberté, articulée autour du critère de culpabilité. Selon que l’infraction pénale en constitue la source principale ou secondaire, deux types d’enfermement ont pu être dégagés : l’un à vocation punitive, l’autre à vocation préventive. La mesure d’enfermement est alors analysée comme « fondée sur la culpabilité », dès lors qu’elle est justifiée par la commission certaine de l’infraction et qu’elle vise principalement à punir son auteur. En revanche, dès l’instant qu’elle ne répond pas directement à l’infraction mais qu’elle est essentiellement utilisée à titre préventif, pour des besoins de pure procédure pénale ou à des fins de sûreté, la mesure doit être identifiée comme « détachée de la culpabilité ».
Cette classification a abouti à l’identification d’une double évolution du rôle du juge, selon que l’enfermement est « punitif » ou « préventif ». L’étude révèle tout d’abord une mutation de son rôle en présence d’une mesure privative de liberté fondée sur la culpabilité (I). Ensuite, elle met en évidence la construction d’un rôle spécifique dans l’enfermement qui se détache, dans son fondement, de la culpabilité (II).
I – Le rôle du juge répressif dans l’enfermement fondé sur la culpabilité : un rôle en mutation
Cette première évolution s’observe à travers l’analyse de la souveraineté du juge, définie comme la liberté qui lui est effectivement conférée dans le processus d’enfermement ordonné à titre de peine. Expression d’un changement profond de la conception traditionnelle de l’office du juge, elle fait l’objet d’une double mutation.
La limitation de la souveraineté du juge dans le recours à la peine d’enfermement – Première manifestation de cette évolution, la souveraineté du juge apparaît limitée dans le recours à la peine privative de liberté. Cette limitation s’exprime à travers une double influence. Loin d’être absolue, l’autonomie du juge se trouve réduite sous l’effet de deux autorités concurrentes : le parquet d’une part, le législateur d’autre part. En premier lieu, cette souveraineté du juge fait l’objet d’une érosion, en raison de l’influence exercée par l’autorité parquetière. Le développement du rôle actif du parquet dans le choix de la réponse pénale, dans le cadre d’une audience simplifiée ou accélérée, entraîne en effet une transformation de l’office du juge. Alors que le premier apprécie l’opportunité du recours à une peine privative de liberté, le second perd au contraire cette maîtrise et voit son office restreint à un rôle d’« approbation » des décisions prises en amont par le parquet. Le juge de jugement se voit ainsi dépossédé de sa fonction traditionnelle de juger. À cet égard, des propositions ont été formulées afin de consolider le rôle du juge et de replacer ce dernier au cœur du processus décisionnel. En second lieu, c’est par un encadrement par la loi de la liberté du juge que se traduit cette limitation. Lors d’une audience pénale ordinaire, le juge reste maître de l’opportunité de recourir ou au contraire de renoncer à la peine d’enfermement mais sa liberté est « bridée » sous l’effet de contraintes posées par le législateur. Ainsi, tout en restant l’acteur principal du prononcé de l’enfermement punitif, le juge sentenciel n’est pas totalement libre dans son appréciation de l’opportunité d’une peine d’enfermement. L’étude a donc mis en exergue une maîtrise encadrée du recours à l’enfermement punitif, qui se manifeste non seulement dans le choix même d’une privation de liberté mais aussi dans la fixation de son quantum. Ceci témoigne du délicat équilibre à maintenir entre la détermination légale de la peine et la marge d’appréciation octroyée au juge.
La consécration de la souveraineté du juge dans l’exécution de la peine d’enfermement – Parallèlement, une évolution inverse consiste à reconnaître pleinement l’intervention du juge dans l’exécution de l’enfermement punitif. Aujourd’hui, l’analyse de la peine privative de liberté ne peut plus être restreinte au seul cadre de son prononcé. Au fil des ans, le juge répressif a acquis une réelle légitimité dans l’exécution ainsi que d’importants pouvoirs en matière d’adaptation de la peine d’enfermement. Dans un premier temps, il a été démontré que l’intégration du juge s’est faite naturellement, compte tenu des évolutions des finalités de la peine. Dès l’instant où l’on considère que la peine ne doit plus être infligée dans la seule perspective de punir mais qu’elle doit également concourir à la réinsertion et l’amendement du condamné, une nouvelle place doit nécessairement être reconnue au juge. Cette intégration doit cependant se concilier avec le principe d’autorité de la chose jugée, conséquence directe qui assortit le caractère définitif de la condamnation pénale. Par extension, admettre que la peine exécutée ne sera pas exactement celle qui a été initialement prononcée pose la question de la légitimité du juge au stade post-sentenciel au regard de l’autorité de la chose jugée attachée à la peine. Pourtant, l’apparente remise en cause d’un tel principe a pu être dépassée par une autre lecture de cette phase de la chaîne pénale, qui consiste en une dissociation des phases décisoire et exécutoire du procès pénal et apporte ainsi une légitimité à l’intervention du juge. Dans un second temps, l’analyse a mis en lumière l’importance de la capacité de ce dernier à déterminer la manière dont la peine d’enfermement sera exécutée, c’est-à-dire à maîtriser son évolution. Ainsi, la souveraineté du juge se traduit par la reconnaissance d’un rôle d’adaptation dans l’exécution de l’enfermement punitif. Cette adaptation s’apprécie différemment selon qu’elle s’exerce au stade du prononcé ou postérieurement à celui-ci. Elle peut tout d’abord s’opérer ab initio, de manière ponctuelle. Le juge de jugement peut alors anticiper les modalités d’accomplissement de la peine privative de liberté, en ayant recours à une modulation de celle-ci ou au contraire en excluant une telle modulation, par le prononcé, notamment, d’une période de sûreté. L’adaptation s’effectue ensuite et surtout au stade post-sentenciel, de manière prépondérante. Figure privilégiée de l’aménagement de la peine d’enfermement, le juge de l’application des peines dispose à cet égard de pouvoirs spécifiques, sur un plan à la fois procédural et substantiel. Il dispose en outre du pouvoir de contrôler la bonne exécution de la mesure d’aménagement et de sanctionner son non-respect par un retour à la privation de liberté. À cet égard, cette faculté s’analyse en un pouvoir d’enfermement a posteriori.
II – Le rôle du juge répressif dans l’enfermement détaché de la culpabilité : un rôle en construction
À côté du phénomène de mutation précédemment évoqué, l’autre pan de l’évolution se caractérise par la construction progressive d’un rôle spécifique dans l’enfermement d’essence préventive. Cette spécificité s’entend d’un rôle véritablement « garantiste » des libertés individuelles. Si le juge remplit déjà cette fonction lorsqu’il intervient dans le cadre de l’enfermement « punitif », celle-ci prend une coloration particulière lorsque la mesure d’enfermement n’est pas directement fondée sur la culpabilité de la personne. Dès l’instant que l’enfermement est prononcé avant toute déclaration de culpabilité ou encore essentiellement justifié par la dangerosité de la personne, l’intervention du juge est d’autant plus nécessaire que le lien avec l’infraction pénale est distendu.
Un rôle en quête d’équilibre dans l’enfermement procédural – En premier lieu, la démarche consiste à mettre en lumière l’impérieuse conciliation entre le respect de la présomption d’innocence et les nécessités de la privation de liberté pour des raisons de pure procédure pénale. Au stade pré-sentenciel, deux mesures d’enfermement cohabitent : la garde à vue et la détention provisoire. Elles ont toutes deux en commun d’être fondées sur la probabilité plus ou moins élevée de la commission d’une infraction pénale, autrement dit, reposent sur une culpabilité supposée ou de fait. L’analyse démontre que le rôle du juge, dans ces deux mesures, est en quête d’équilibre. Tout d’abord, l’étude fait apparaître un rôle insuffisant du juge dans le contrôle de la garde à vue. Acteur secondaire du contrôle a posteriori de la privation de liberté d’origine policière, le magistrat du siège se contente actuellement d’un rôle ponctuel, tandis que le magistrat du parquet y occupe une place centrale. Pourtant, la légitimité de ce dernier est discutée. Au sens européen du terme, le magistrat du siège s’impose en effet comme la seule véritable autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle. L’idée serait ainsi de renforcer et repenser le rôle du juge sur le principe d’un habeas corpus, en l’intégrant totalement dans le processus de contrôle de la mesure privative de liberté. Partant, une harmonisation du contrôle du juge sur les mesures d’enquête coercitives est vivement souhaitable. Ensuite, l’étude révèle un rôle en constante consolidation dans le contentieux de la détention provisoire, à travers la recherche permanente d’un équilibre entre le principe de liberté et le recours à la détention comme ultima ratio. L’évolution du regard juridictionnel porté sur la mesure ainsi que l’étendue des pouvoirs décisionnels du juge en la matière en témoignent. L’apparition d’un juge des libertés et de la détention avec la loi du 15 juin 2000 2, la perspective de l’instauration d’une collégialité de l’instruction ou encore d’un juge de l’enquête et des libertés, sont autant de signes qui marquent la volonté du législateur de renforcer la garantie judiciaire entourant cette mesure privative de liberté.
Un rôle émergent dans l’enfermement-sûreté – En second lieu, c’est par l’émergence d’un rôle original du juge dans l’enfermement fondé sur la dangerosité de la personne que se manifeste également cette idée de construction. Ce rôle dépasse les frontières qui lui sont ordinairement assignées, puisqu’au fondement de la responsabilité pénale classique vient se substituer celui de la dangerosité. Depuis la loi du 25 février 2008 3, le juge pénal peut, désormais, non seulement décider du traitement procédural applicable à l’auteur d’une infraction, déclaré pénalement irresponsable en raison d’un trouble mental, mais aussi prononcer un nouvel enfermement à l’encontre d’un individu ayant déjà exécuté une première condamnation pénale. L’analyse met tout d’abord en évidence le phénomène de judiciarisation de l’enfermement consécutif à une déclaration d’irresponsabilité pénale en cas d’abolition totale du discernement. Longtemps exclu du sort d’une telle catégorie de délinquant, le juge répressif a progressivement été intégré dans le processus de recours puis de contrôle du bien-fondé du maintien de la mesure d’enfermement psychiatrique. L’immixtion du juge se trouve ici parfaitement justifiée en raison de la commission d’une infraction pénale. Dès l’instant que le juge constate la matérialité des faits, sorte de « culpabilité objective », il est pleinement à même d’en tirer les conséquences pénales. Aussi, et alors que l’autorité administrative entre en concurrence avec le juge pénal, une judiciarisation exclusive au profit de ce dernier est préconisée. Ensuite, le rôle joué par le juge répressif au stade post-carcéral témoigne pareillement de l’avènement d’un « droit pénal postmoderne » 4. De manière inédite dans notre droit, le législateur autorise le juge à priver un individu présentant une dangerosité avérée après que celui-ci ait déjà exécuté une peine privative de liberté de nature criminelle. L’intervention du juge dans le mécanisme décisionnel de la rétention de sûreté se singularise par son éclatement. C’est qu’en effet, le législateur a prévu un système dilué, dans lequel plusieurs acteurs interviennent. Dans un premier temps, la juridiction de jugement, en l’espèce la Cour d’assises, remplit une fonction procédurale en ce qu’elle conditionne le prononcé éventuel d’une rétention de sûreté après l’exécution d’une peine de réclusion criminelle. Seule son autorisation préalable peut déclencher la procédure tendant à l’enfermement post-carcéral. Ce n’est qu’à cette condition qu’une autre juridiction pénale, spécialement créée à cette fin, peut alors prononcer la décision finale de rétention de sûreté. L’originalité du mécanisme réside également dans le nécessaire avis d’une commission administrative, qui lie la juridiction pénale. La procédure de placement en rétention de sûreté apparaît ainsi complexifiée. Dans un but de simplification, et tout en maintenant un régime protecteur des libertés, le dispositif décisionnel pourrait être unifié au profit d’un seul juge, notamment en s’inspirant du modèle allemand qui opte pour le juge de la condamnation.
En définitive, il ressort de cette double évolution du rôle du juge que si la mesure d’enfermement est parfois une réponse nécessaire, à titre punitif ou préventif, à une culpabilité directe ou secondaire, elle ne peut toutefois se justifier qu’à la condition que soit pleinement assurée la garantie d’un magistrat du siège. Gardien naturel de la liberté individuelle d’aller et venir, le juge pénal doit accéder à une légitimité totale dans le processus d’enfermement, tout en demeurant « ce peseur d’équilibre, qui doit tantôt réprimer, tantôt protéger et réparer » 5.
Notes:
- V. le rapport de l’Institut des hautes études sur la justice (IHEJ), La prudence et l’autorité. L’office du juge au XXIè siècle, mai 2013 ; le rapport Delmas-Goyon, « Le juge du 21ème siècle ». Un citoyen acteur, une équipe de justice, déc. 2013 ; le rapport Marshall, Les juridictions du XXIe siècle, déc. 2013. ↩
- Loi n° 2000-516 du 15 juin 2000, renforçant la présomption d’innocence et les droits des victimes, J.O. du 16 Juin 2000. p. 9038. ↩
- Loi n° 2008-174 du 25 févr. 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, J.O. du 26 févr., p. 3266 . ↩
- M. Massé, J.-P. Jean, et A. Giudicelli (dir.), Un droit pénal postmoderne ? Mise en perspective des évolutions et ruptures contemporaines, Paris, PUF, 2009. ↩
- F. Chopin, « Vers un nouveau modèle de justice pénale ? », in Sciences pénales et sciences criminologiques, Mélanges offerts à Raymond Gassin, PUAM, 2007, p. 135. ↩