Pouvoir du médecin et droits du patient. L’évolution de la relation médicale [Résumé de thèse]
Pouvoir du médecin et droits du patient. L’évolution de la relation médicale
Par Aurore Catherine
Thèse soutenue le 9 décembre 2011 à l’Université de Caen Basse-Normandie, sous la Direction de Madame le Professeur Marie-Joëlle REDOR-FICHOT.
Composition du jury :Marie-Joëlle REDOR-FICHOT, Professeur à l’Université de Caen, Directrice de recherche ; Jean-Manuel LARRALDE, Professeur à l’Université de Caen, Président du jury ; Diane ROMAN, Professeur à l’Université François Rabelais de Tours, Rapporteur ; Stéphanie HENNETTE-VAUCHEZ, Professeur à l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense, Rapporteur ; Jean-René BINET, Professeur à l’Université de Franche-Comté.
Mention très honorable avec les félicitations du jury.
La loi Kouchner du 4 mars 2002 et la loi Léonetti du 22 avril 2005 sont réputées réduire le pouvoir du médecin au profit de l’autonomie du patient. Elles ont été adoptées dans cet objectif par les parlementaires et la réflexion doctrinale s’est très largement emparée de l’idée selon laquelle ce que l’on nomme le « paternalisme médical » est révolu. L’objet de la thèse consiste à réinterroger ce postulat à la lumière d’une analyse approfondie du pouvoir du médecin et de ses manifestations.
La réflexion prend pour point de départ le fait que l’accès de tous à la connaissance est venu progressivement remettre en cause des siècles de paternalisme médical issu d’une reconnaissance sociale du savoir du médecin et de son pouvoir de guérir. Cela s’est traduit notamment par la régulation juridique de la relation médecin-patient qui s’est intensifiée en vue d’assurer une rationalisation plus efficace de ce rapport interpersonnel particulier. Le rééquilibrage de la relation médicale est ainsi une préoccupation majeure de notre droit. Les solutions sont nombreuses mais la question essentielle est celle de savoir si elles ont réellement permis d’atteindre leur objectif. Précisément, dans quelle mesure l’affirmation des droits du patient et les procédures et mécanismes élaborés pour les rendre effectifs ont-ils remis en cause ou modifié le pouvoir du médecin ?
Le traitement du sujet
Le droit détient un rôle prépondérant sur le pouvoir du médecin dans sa relation avec le patient, et cela à deux titres : le droit révèle d’abord la volonté des pouvoirs publics de réduire le déséquilibre inhérent à la relation médicale. Divers outils juridiques sont en effet mis en place à cette fin. Mais ensuite constat est fait de l’échec du droit à canaliser ce pouvoir et même plutôt sa capacité à le faire exister.
La première partie de la thèse a pour objet de montrer l’intensité avec laquelle les pouvoirs publics ont tenté de renforcer la protection du patient face au pouvoir du médecin. L’adoption d’une organisation chronologique interne de cette première partie était alors indispensable pour retracer l’évolution juridique de la relation médecin-patient et faire apparaître la volonté et l’action des pouvoirs publics.
Certes, d’autres études ont porté sur cette évolution et précisément sur le fait que la loi a pris le relais du contrat pour réguler la relation médicale, mais les débats sur la question sont encore nombreux et vifs. L’un des objectifs de cette première partie était de confirmer le passage d’une relation contractuelle à une relation institutionnelle à la lumière d’une actualité jurisprudentielle importante. Mais il s’est aussi agi d’aller bien au-delà et de faire de ces analyses le point d’orgue d’une réflexion juridique inédite sur la relation de pouvoir entre le médecin et le patient au cœur des débats sociétaux et des évolutions pensées par les pouvoirs publics. L’angle d’analyse de ces données est ainsi novateur et dirigé dans le seul but de montrer que le régime aujourd’hui statutaire de la relation médicale est un argument des pouvoirs publics pour démontrer une réduction sans précédent du déséquilibre de la relation médicale.
Il s’est donc agi de déterminer l’incidence du changement de paradigme sur la relation entre le médecin et le patient. Dans quelle mesure la loi est-elle plus à même de protéger le patient que le contrat ?
Dès lors, pour expliquer le passage d’une relation contractuelle à une relation statutaire, il était nécessaire de revenir sur les insuffisances de la régulation contractuelle de la relation ainsi que sur les objectifs et les techniques d’une intervention législative de plus en plus pressante et précise. Il est ainsi apparu essentiel de mettre en lumière l’ampleur des outils juridiques employés en vue de rationaliser la relation médicale. C’était le seul moyen pour déterminer précisément ensuite la portée de l’autonomie du patient, sa place dans la relation avec le médecin, ce qui constituait l’intérêt de la thèse. Parallèlement, l’analyse juridique de la relation de pouvoir à travers l’outil contractuel, puis l’outil législatif, a permis de mettre en lumière l’impossibilité pour le droit de saisir l’ensemble de la relation médecin-patient et de mettre en lumière les premières failles du système juridique repensé.
La seconde partie de la thèse montre qu’une analyse approfondie des textes législatifs récents remet en cause la volonté affichée du législateur d’opérer un rééquilibrage de la relation médicale. Cette analyse fait apparaître des textes pour la plupart ambivalents. Cette ambivalence crée des espaces de pouvoir non négligeables pour le médecin. Ainsi dissimulé, mais aussi « légitimé » d’une certaine façon par le droit, le pouvoir du médecin a une portée considérable. En effet, les textes laissent apparaître que le médecin détient encore aujourd’hui une certaine maîtrise sur l’information médicale ainsi qu’un pouvoir décisionnel important. Ces analyses ne sont pas détachées de la réalité selon laquelle la réelle difficulté réside dans le fait qu’en ces hypothèses le médecin est la plupart du temps le seul à décider.
La persistance du pouvoir du médecin est d’autant plus significative que le médecin, devenu vecteur de l’ordre public, voit son rôle social renforcé. Susceptible d’interférer dans la vie sociale et personnelle du patient, le médecin au service de l’État dispose de pouvoirs qui n’ont cessé de s’amplifier depuis le début du XIXème siècle. C’est alors un paternalisme social que l’on identifie ici. Son intervention plus récente au sein de l’ordre public économique participe également de ce mouvement. Tout ceci n’est pas sans conséquences sur la relation de confiance et l’effectivité réelle des droits du patient.
A l’aune de l’accumulation de tous ces éléments, on peut parler aujourd’hui de « nouveaux facteurs de déséquilibre de la relation médicale ». Si chaque phénomène n’est pas « nouveau » pris individuellement, leur renouvellement et leur amplification ainsi que leur superposition ont vocation à conférer une physionomie nouvelle au pouvoir du médecin. Dès lors, le déséquilibre de la relation médicale est renouvelé.
Il existe ainsi une contrariété de taille entre les discours officiels et les textes. C’est ce fossé que met en lumière la thèse et qui justifie ainsi le plan adopté. Le tout renouvelle l’approche du pouvoir du médecin dans l’ensemble de la société, ce qui rejaillit nécessairement dans la relation interpersonnelle.
Les résultats obtenus
À l’issue de ce travail, il apparaît que le pouvoir du médecin persiste, voire s’est renforcé par la légitimation que lui confère le droit. C’est même à une transformation de ce pouvoir que l’on assiste : alors que le paternalisme d’antan prenait sa source dans la seule pratique tant il était accepté par le patient, les pouvoirs du médecin prennent aujourd’hui leur source dans le droit à une époque où ses pouvoirs sont pourtant contestés.
Plus encore, juridicisé, le pouvoir du médecin change de physionomie. Le phénomène est tel qu’aux termes de ces analyses, il a été possible d’identifier non plus un pouvoir mais des pouvoirs du médecin issus non seulement des faits, mais de façon inédite d’un discours législatif aux ambiguïtés indéniables. Les conséquences sont considérables sur la relation médicale dans la mesure où les pouvoirs ainsi laissés au médecin, le plus souvent en proie à sa solitude, sont autant de limites aux droits du patient et par conséquent à son autonomie.
L’identification des différents pouvoirs du médecin doit toutefois permettre à terme de rééquilibrer la relation médecin-patient, puisqu’il est plus facile de canaliser des pouvoirs identifiés qu’un pouvoir diffus.