Privatisation, contrats administratifs et droits fondamentaux. L’exemple du marché public du stationnement payant à Paris
Par Thomas Perroud, professeur de droit public à l’Université Panthéon-Assas
« Le mélange du gouvernement et des forces du marché entraîne un accroissement du pouvoir de l’État au détriment du secteur privé, menaçant de déstabiliser l’ordre démocratique libéral. Plus fondamentalement, ce mélange accroît le pouvoir de l’exécutif aux dépens du Congrès et de la fonction publique, menaçant les séparations constitutionnelle et administrative des pouvoirs ».
Jon Michaels, Constitutional Coup: Privatization’s Threat to the American, Harvard University Press, 2017.
Les débats sur les mérites et les défauts supposés ou avérés des privatisations sont souvent des débats abstraits, où les juristes tentent de confronter de grands principes. On s’interrogera ainsi, en droit constitutionnel, sur la portée de la liberté d’entreprendre, ainsi que sur l’alinéa 9 du préambule de la Constitution de 1946, tandis qu’en droit administratif on confrontera service public et police pour faire le départ entre les activités qui peuvent être déléguées et les autres. Ces grandes cathédrales sont malheureusement complètement déconnectées du droit tel qu’il se fait et de l’état contemporain des activités qui sont déléguées.
Ces grands principes ne sont en réalité que le reflet des conceptions que l’on se faisait de l’action publique et de la frontière entre le public et le privé à différentes époques. La situation de cette frontière est aujourd’hui complexe : alors qu’il semble rester, d’après la jurisprudence du Conseil constitutionnel, un noyau dur de missions que l’État ne peut déléguer, la pratique semble aujourd’hui aller bien au-delà et rogner encore davantage sur ce qui constitue le coeur de l’État. C’est ce que nous voudrions étudier en analysant précisément le contrat de marché public pour le contrôle du stationnement payant à Paris[1], contrat rendu possible par le transfert de ces compétences aux communes depuis la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles. Cette loi a dépénalisé le non-respect des règles de stationnement et a procédé à la décentralisation de la compétence au profit des collectivités locales, en majorité les communes. Enfin, cette loi a permis l’externalisation de cette compétence à des personnes privées. On trouve donc dans cette loi le cumul de la dépénalisation, de la décentralisation et de l’externalisation qui aboutit, pour l’usager, notamment pour l’usager parisien dont il sera question ici, à une situation bien plus complexe.
Alors que les politiques de privatisation s’étendent et s’approfondissent, l’intérêt d’étudier ce contrat est multiple, d’autant que la recherche s’est emparée de la question de l’externalisation, dans deux grandes et importantes thèses[2]. Tout d’abord, il concerne une municipalité, à majorité de gauche, ce qui atteste bien du ralliement de la coalition aux politiques de privatisations, même lorsque celles-ci touchent aux fonctions régaliennes. D’ailleurs, la politique de la ville de Paris est ambiguë sur ce sujet. Elle a pu d’un côté reprendre en régie la distribution de l’eau et, d’un autre, privatiser les Halles ou, comme ici, privatiser la répression et le recours administratif. Ce contrat est donc emblématique de ce changement politique profond, structurel, indépendant des logiques partisanes puisque tous les partis s’y sont convertis.
Ensuite, ce contrat concerne le cœur du régalien, la répression, une fonction que l’on pensait non délégable en vertu de principes sacrés du droit public français.
Enfin, dernier intérêt de ce contrat, il inaugure une nouvelle forme de privatisation, celle du recours administratif préalable obligatoire. On commentera donc ces deux formes de privatisation.
On voudrait ici mettre en évidence la politique perceptible dans les clauses de ce contrat. On verra qu’il y a de multiples conclusions à tirer. Ce contrat tente en réalité d’organiser pour les villes la mise en place d’un nouvel impôt. Le contrat est organisé autour de l’efficacité de la répression, pour assurer, comme les clauses le répètent, une obéissance la plus parfaite possible à la réglementation. La privatisation sert donc un projet d’application du droit, d’effectivité du droit, mais dans une perspective financière. Ce constat est cohérent avec l’idée que Jon Michaels développe dans Le coup d’État constitutionnel : les privatisations poursuivent un objectif antilibéral en supprimant cette séparation administrative des pouvoirs qui permet à l’Administration de constituer un rempart entre l’État et la société civile[3]. Ce faisant, le contrat exprime aussi un changement anthropologique dans la façon de concevoir l’usager-citoyen : on verra en effet qu’il envisage l’usager comme un acteur rationnel, dans la droite ligne des travaux d’un courant d’analyse économique du droit très idéologique, inauguré par Gary Becker. Ce contrat est donc porteur d’une conception de l’être humain comme être rationnel dans son rapport à la norme. L’économie comportementale a heureusement complexifié cette vision, mais les apports des analyses empiriques ne sont pas présents ici. D’ailleurs, de façon générale, la ville n’a diligenté aucune expertise sur les avantages et les inconvénients comparés des différents modes de gestion de ce service.
Dernière leçon que l’on voudrait tirer : la disparition du vocabulaire des droits fondamentaux du contrat. Dans une procédure répressive publique, les droits fondamentaux sont centraux. On s’attendrait donc à ce que le contrat mentionne ou renvoie à des éléments tenant aux droits fondamentaux des citoyens. Il n’en est rien : c’est par l’intermédiaire du contrôle qualité que le rapport des usagers à l’entreprise privée est abordé. La ville ne s’assurera que l’entreprise respecte les usagers qu’à travers des indicateurs qualité : par exemple, le nombre de plaintes des usagers. Cette évolution rejoint le diagnostic établi par Lucie Cluzel-Métayer dans sa thèse : l’exigence de qualité tend à supplanter l’idée d’un régime exorbitant, spécifique à l’Administration[4]. Cette évolution tend donc ici à s’étendre au régime répressif. La responsabilité managériale remplace donc les mécanismes de responsabilité démocratiques.
C’est finalement cet aspect qui est le plus intéressant dans le contrat : le silence. Le contrat vise directement les citoyens ; or, ceux-ci sont absolument absents du contrat. Ils n’en tirent aucun droit. La ville ne demande d’ailleurs aucun engagement à l’entreprise à ce sujet.
Cela ne se comprend que lorsque l’on réalise que cette politique de privatisation dépouille les usagers de leurs protections vis-à-vis de la violence. Lorsque la peine est infligée par une personne publique, des remèdes existent qui protègent aussi bien la personne poursuivie que l’agent. Ici, on est dans une relation horizontale entre deux personnes privées, dont l’une est incitée à punir – on le montrera. Or, la relation de pouvoir est mal gérée par le droit privé. Sortir la relation de violence de l’orbite du droit public aboutit à priver les citoyens de protection.
Il s’agira donc d’étudier les deux fonctions qui ont été privatisées : la verbalisation, d’une part, et le recours administratif préalable obligatoire, d’autre part. Pour cela, nous étudierons d’abord la constitutionnalité douteuse du dispositif (I), puis nous analyserons la politique répressive organisée par le contrat (II). Nous terminerons par une analyse des dispositions concernant le recours administratif préalable obligatoire qui aboutissent à une privatisation de la justice (III).
I. La constitutionnalité douteuse du dispositif
L’objet du marché est donc de confier à un prestataire privé – en réalité le marché parisien est divisé en deux lots, l’un remporté par la société Streeteo et l’autre par Moovia – le contrôle du stationnement payant sur l’ensemble de la voirie communale. Comme il s’agit d’un dispositif législatif, nous n’analyserons la jurisprudence du Conseil d’État que pour montrer comment il a cédé dans ce domaine pour accepter de plus en plus les cas d’externalisation.
On examinera donc successivement le renoncement progressif du Conseil d’État (1), pour étudier ensuite la position plus claire du Conseil constitutionnel (2), avant d’évoquer une jurisprudence étrangère (3).
A. Le renoncement du Conseil d’État
La position du Conseil d’État, sur laquelle il n’est pas revenu, est celle de l’arrêt Ville de Castelnaudary[5]. Le Conseil d’État a procédé à la censure d’une délégation à une personne privée de la tâche de veiller à la sécurité des baigneurs sur une plage[6], de surveiller la voie publique[7]. On verra que le Conseil d’État a condamné des délégations identiques à celle à laquelle la Mairie de Paris a procédé. Mais sa position a aujourd’hui évolué[8].
Des arrêts ont expressément condamné le dispositif mis en place par la mairie de Paris. Ainsi, dans un arrêt Commune de Menton du 1er avril 1994, le Conseil d’État juge qu’“une convention (…), passée par une commune pour la gestion du stationnement sur la voie publique qui prévoit que les agents municipaux chargés de la constatation des infractions au stationnement payant seront mis à la disposition de la société qui assurera l’encadrement et l’organisation de leur travail, et qui fixe le nombre des emplacements de stationnement payant sur la voie publique, qui ne peut être unilatéralement modifié par la commune que dans la limite de 5 % du nombre total des emplacements, confie à la société cocontractante des prérogatives de police du stationnement sur la voie publique qui ne peuvent légalement être déléguées”[9].
Ces deux dernières espèces semblent condamner le mécanisme mis en place par la mairie de Paris. Le marché porte bien sur “le recrutement et la gestion d’agents de contrôle du stationnement”[10] qui ne sont pas sous le contrôle de la mairie.
Cependant, des arrêts récents montrent un renoncement du juge administratif, sous la pression, il faut bien l’admettre, du législateur. Dans un arrêt du 8 juillet 2019, le Conseil d’État accepte l’externalisation du contrôle des infractions routières liées aux excès de vitesse[11]. Comme le dit Philippe Yolka : “Après la verbalisation en cas de stationnement irrégulier, le contrôle des infractions routières liées aux excès de vitesse tend lui aussi à être externalisé. L’État se met ainsi dans la roue des communes pour recourir au secteur privé, sans que le Conseil d’État ait trouvé – signe des temps – quoi que ce soit à y redire”[12]. La puissance publique peut donc se lier toujours plus par le contrat.
C’est donc davantage la constitutionnalité du dispositif qu’il faut examiner.
B. La constitutionnalité du dispositif
Le principe constitutionnel de l’interdiction de la délégation des activités de police est-il toujours d’actualité ? La France a répudié ce type de solution dans des décisions qui sont désormais fameuses et anciennes. La solution est posée dans un arrêt d’assemblée du 17 juin 1932, Ville de Castelnaudary[13], mais c’est surtout à Jacques Moreau qu’elle doit sa célébrité.
Le Conseil constitutionnel a transposé ce raisonnement en modifiant dans le temps son fondement. D’abord il a utilisé le principe de souveraineté[14] pour se fonder ensuite sur l’article 12 de la Déclaration de 1789 aux termes duquel “La garantie des droits de l’homme et du citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée”.
Le principe revient donc à protéger le monopole de la puissance publique sur l’exercice des missions de police[15]. Le commentaire officiel du Conseil sur la décision n° 2011-625 DC du 10 mars 2011 est clair : “Il ressort de cette jurisprudence que le Conseil constitutionnel juge inconstitutionnel que des fonctions régaliennes soient déléguées par la loi à des personnes privées. Ainsi, si la blanchisserie d’une prison peut être déléguée, il n’en va pas de même de la surveillance des prisons”[16].
Dans la décision LOPPSI 2, le Conseil a été amené à examiner la légalité d’un dispositif visant à confier à un prestataire privé des tâches de vidéoprotection sur la voie publique. Cette délégation est fermement condamnée par le juge : “Considérant qu’en autorisant toute personne morale à mettre en oeuvre des dispositifs de surveillance au-delà des abords « immédiats » de ses bâtiments et installations et en confiant à des opérateurs privés le soin d’exploiter des systèmes de vidéoprotection sur la voie publique et de visionner les images pour le compte de personnes publiques, les dispositions contestées permettent d’investir des personnes privées de missions de surveillance générale de la voie publique ; que chacune de ces dispositions rend ainsi possible la délégation à une personne privée des compétences de police administrative générale inhérentes à l’exercice de la « force publique » nécessaire à la garantie des droits”.
En France cependant, l’application de ce principe n’est toutefois pas sans ambiguïté puisque, dans une décision QPC de 2017[17], le Conseil juge que le législateur peut confier aux organisateurs de compétition sportive à but lucratif le pouvoir de refuser l’accès à un stade à des supporters qui auraient contrevenu au règlement intérieur ou aux conditions générales de vente. Cette prérogative n’est ainsi pas une prérogative de police. Cette décision place donc l’exercice d’une liberté fondamentale, celle d’aller et venir, entre les mains d’une personne privée. Il s’agit bien d’une peine privée qui s’exerce sur une liberté fondamentale sans les garde-fous du droit public ou du droit pénal et qui se cumule avec des sanctions administratives et pénales.
Ce principe connaît-il donc une éclipse et la violence légitime peut-elle désormais être exercée par une personne privée ?En tout cas, la pratique n’a pas hésité, comme on le voit ici, à déléguer des activités de sanction du stationnement payant à une entreprise privée. Le législateur manifeste une volonté claire, depuis les années 90, de privatiser la police. Il a même consacré le principe d’une coproduction de la sécurité par le public et le privé : la loi du 21 janvier 1995 pose ainsi le principe que « [l]a sécurité privée concourt à la sécurité générale de la Nation »[18].
Quel est le champ de la prohibition ? Le Conseil prohibe aussi bien la délégation d’activités juridiques de police – position traditionnelle – que d’activités matérielles. Dans la décision du 10 mars 2011, il s’agissait en effet de l’exploitation de systèmes de vidéoprotection sur la voie publique et le visionnage des images pour le compte des personnes publiques. Or, “la décision de verbalisation revenant à l’agent chargé du contrôle” (article 2.5.c du Cahier des clauses techniques particulières), dans le cadre du contrat que nous étions, la compétence déléguée n’est pas uniquement matérielle.
C. Un point de comparaison
À titre de comparaison, et afin d’élaborer les fondements de l’interdiction d’externaliser, nous voudrions examiner les fondements que d’autres pays donnent à cette interdiction.
Peu de pays consacrent un tel principe. Il est inexistant par exemple aux États-Unis et au Royaume-Uni. On voudrait juste citer une décision remarquable de la Cour suprême israélienne interdisant la privatisation des prisons, tant les principes énoncés nous semblent pertinents[19]. Le tribunal cite Hobbes, Locke et Kant pour justifier le fait que cette mission appartient à l’État. C’est une fonction régalienne, car seul l’État peut violer la liberté et la dignité d’un individu à ce point. La Cour énonce ceci : “le prisonnier d’une prison gérée par une personne privée est exposé à la violation de ses droits par une entité (…) motivée par (…) des intérêts (…) différents de ceux qui motivent un État. (…) Emprisonner dans des prisons privées (…) gérées par une entreprise poursuivant des fins d’intérêt privé et économique transforme les prisonniers, de facto, en moyen par lesquels cette entreprise qui gère et exploite la prison fait un profit financier. L’existence même d’une prison exploitée dans le but de faire un profit reflète un manque de respect pour le statut d’êtres humains des prisonniers. (…). Lorsque le pouvoir de limiter la liberté d’un individu est conféré à une entreprise privée, la légitimité de la sanction d’emprisonnement est remise en cause (…)”. En outre, la Cour suprême exprime des doutes extrêmement lucides sur l’incitation de la prison privée et sur l’impact de ce phénomène sur le processus politique : “La préoccupation principale exprimée par la doctrine est que l’entreprise sera guidée par des considérations économiques … à augmenter le nombre de prisonniers …, étendre le temps de leur incarcération ou diminuer la qualité du service … d’une façon qui peut mener à une violation plus grande que nécessaire des droits des prisonniers”. On reviendra sur ces incitations à produire de l’infraction car elles sont aussi présentes dans le contrat à l’étude.
Mais le plus important nous semble être le fondement dans les droits et libertés des personnes détenues ou, dans le cas que nous étudions, poursuivies. La position française porte sur la frontière public-privé, alors que l’argument le plus massif nous semble bien être celui des droits fondamentaux et la protection des citoyens. L’externalisation retire les protections que le droit public avait élaborées pour protéger les citoyens face à la puissance publique. Le droit privé ne fournit pas les mêmes protections. On verra à la fin comment l’externalisation du risque administratif supprime les garanties procédurales.
Au terme de ce moment, il semble très probable que le contrat mis en place par la mairie de Paris, dans le cadre de la politique élaborée par la loi MAPTAM, est inconstitutionnel.
Mais, au-delà de cet aspect, nous voudrions en étudier à présent les clauses pour mettre en évidence les ressorts politiques.
II. La politique répressive organisée par le contrat
Le contrat en question commence par affirmer que la ville de Paris “conserve ses prérogatives pour la réglementation du stationnement payant sur voirie, notamment pour ce qui concerne le choix des emplacements, la tarification et les durées de stationnement payant autorisé”. Cette prérogative est en effet celle du maire[20]. Le contrat précise ensuite que “le titulaire du marché doit respecter : les objectifs de la politique de stationnement définis par la ville ; les principes d’égalité des usagers et de continuité du service”[21]. L’objet de cette délimitation vise à ne pas tomber au-delà de la frontière fixée par le Conseil d’État concernant le champ des activités délégables, frontière qui a singulièrement bougé. Les activités matérielles seraient délégables, tandis que les activités juridiques ne le seraient pas[22].
Nous voudrions montrer ici que cette frontière est illusoire. L’existence d’un contrat dans ce domaine a nécessairement une influence sur la politique répressive.
En effet, les recherches actuelles sur la privatisation des fonctions régaliennes et notamment des prisons aux États-Unis mettent en évidence un lobbying des acteurs privés pour le renforcement de la répression[23]. La privatisation a nécessairement un impact sur les politiques car la personne publique finance un acteur qui a un objectif de rentabilité et d’augmentation de son profit[24]. Cet acteur devient donc nécessairement un lobbyiste.
Comme on le verra, les incitations à la répression sont ici inscrites dans le contrat lui-même. Mais l’acteur qui a intérêt à la répression est ici double puisqu’il s’agit de la personne publique, en l’occurrence la commune, et le délégataire qui doit obéir à des objectifs de contrôle. Le revenu généré par les amendes venant abonder les caisses de la municipalité, c’est bien elle qui demande la production des infractions. La décentralisation et l’externalisation ont donc créé deux acteurs en faveur de la répression.
Analysons d’abord les incitations contenues dans le contrat visant à accroître la pression répressive.
Le contrat contient une clause régulant la pression répressive que le délégataire doit exercer sur les automobilistes. Le contrat stipule ainsi : “L’objectif est d’effectuer un contrôle dissuasif en lien avec le montant du FPS [forfait post-stationnement] pour que, sur une longue période, le risque financier pris de ne pas payer soit supérieur au coût du paiement spontané du stationnement, afin d’obtenir un changement profond des comportements actuels”[25].
Ce type de clause est clairement inspiré par l’analyse économique du droit pénal, tel que Gary Becker l’a inauguré – Becker étant le premier à traiter le criminel comme un être rationnel[26]. C’est bien en ce sens que l’on peut parler de pénalité néolibérale à la suite de Bernard Harcourt[27]. Le rapport à l’infraction dans le contrat est un rapport à un acteur rationnel qui, avant de commettre un crime, effectue une analyse coût-bénéfice entre la probabilité d’être détecté, le coût de l’amende et le bénéfice attendu. L’être décrit par Becker est foncièrement un criminel et s’il suit la loi, c’est parce que le coût de la fraude excède le gain attendu. C’est ce qui nous semble être au cœur de cette clause.
Les incitations contenues dans le contrat sont alignées avec cet objectif. Le marché comprend en effet un intéressement sur le montant des recettes de stationnement “afin d’inciter le titulaire à mettre en œuvre des moyens supplémentaires visant à augmenter la pression de contrôle en réalisant un nombre de contrôles supérieur au nombre de contrôles obligatoires”[28]. Le contrat ajoute que “la possibilité du titulaire de déployer des moyens supplémentaires de contrôle, couplée au mécanisme d’intéressement aux recettes, a pour but la réalisation de contrôles non obligatoires (souligné et en gras dans le texte) non imposés (…) dans le but d’augmenter la pression de contrôle et de ce fait le taux du respect du stationnement payant”[29].
À cet effet, le contrat va contrôler deux éléments : le niveau de pression sur l’usager d’une part et le taux d’application d’autre part.
Le contrat contient ainsi une description chiffrée du nombre de contrôles quotidiens à effectuer par le prestataire. Pour comprendre les incitations comprises dans le contrat, il faut analyser les pénalités[30].
Référence au CCTP | Rubrique | Libellé | Unité/Ratio | Niveau |
3.2 | Nombre de contrôle minimum journalier non atteint | En cas de non atteinte du niveau de conformité de l’indicateur 1A [31] | 1A | A[32] |
3.2 | Non-respect journalier du nombre de véhicules différents contrôlés | En cas d’atteinte du niveau 1 de l’indicateur 1B[33] | Par jour constaté | 6 |
3.2 | Non-respect journalier du nombre de véhicules différents contrôlés | En cas d’atteinte du niveau 2 de l’indicateur 1B | Par jour constaté | 7 |
3.2 | Non-respect journalier du nombre de véhicules différents contrôlés | En cas d’atteinte du niveau 3 de l’indicateur 1B | Par jour constaté | 8 |
3.2 | Non-respect journalier du nombre de véhicules différents contrôlés | En cas d’atteinte du niveau 4 de l’indicateur 1B | Par jour constaté | A |
Le tableau montre donc bien le niveau de pression sur les usagers que la mairie exige du cocontractant. Maintenant, le contrat contient-il des éléments incitant à produire de la répression, c’est-à-dire des amendes. L’annexe 1 du Cahier des clauses administratives particulières sur les pénalités contient cet indicateur :
Référence au CCTP | Rubrique | Libellé | Unité/Ratio | Niveau |
3.3 | Non-respect du taux d’application des FPS | En cas de non atteinte du niveau de conformité de l’indicateur 2A | Nombre de FPS nécessaire à l’atteinte du seuil de conformité du ratio | 2[34] |
Comment est calculé ce taux d’application ? Il s’agit du rapport entre le nombre de FPS appliqués et le nombre de retours positifs de SGTV. Qu’est-ce qu’un retour positif du SGTV ? Le SGTV est le système de gestion des tickets virtuels. C’est ce système qui donne à l’agent un “un indicateur sur la validité du stationnement la décision de verbalisation revenant à l’agent chargé du contrôle.” Le taux d’application contrôle donc l’application par les agents de l’indicateur fourni par le SGTV.
Il n’y a donc pas d’incitation, en tant que telle, à réprimer.
Il n’en reste pas moins que la mairie utilisant cet argent afin de financer d’autres politiques, elle détient un intérêt financier à la répression. La ville affirme dans certaines délibérations qu’elle souhaite affecter le montant du stationnement et des amendes à d’autres politiques. Or, comment fonder le financement de politiques sur un produit d’amendes qui doit diminuer[35]…
On a vu que l’esprit du contrat était tout entier inspiré de l’analyse économique de la criminalité. Pourtant, l’analyse économique du droit répudie la privatisation de la répression. C’est pourquoi Posner[36] (que l’on ne peut pas accuser de douter des forces du marché), lorsqu’il examine les arguments en faveur de la privatisation de la répression affirme que ce choix emporte nécessairement quatre biais.
D’abord, la personne privée peut, d’après Posner, soit créer des infractions de toutes pièces, soit poursuivre un innocent pour une infraction réelle. Dans notre cas, la presse a d’abord révélée que les affectataires du marché avaient gonflé artificiellement les chiffres du nombre de contrôles[37]. Ces faux contrôles génèrent nécessairement de fausses amendes. La presse révèle aussi que les employés auraient subi des pressions pour gonfler le nombre d’amendes[38].
Ensuite, Posner avance que ce type de mécanisme risque d’encourager la commission d’une infraction. Enfin, il peut attendre la commission d’une infraction au lieu de l’empêcher pour augmenter le nombre d’infractions. Ces deux derniers types de comportements n’ont pas été relevés par la presse. Posner affirme que ces abus « se produiront sans doute dans n’importe quel système de répression privée ».
Le but politique de la Mairie est donc clair : enserrer les usagers dans un carcan répressif les obligeant à acquitter un stationnement dont le montant ne cesse d’augmenter. Il s’agit donc en réalité d’un nouvel impôt mais en écartant les mécanismes démocratiques qui encadrent sa fixation.
Toutes les villes n’ont pas fait le même choix que Paris. Mais le choix d’externaliser cette fonction n’est pas forcément heureux. “D’après l’enquête Gart-Cerema, 80 % des villes interrogées ont choisi d’assurer le contrôle du stationnement en régie. L’enquête fait aussi ressortir que l’externalisation de la surveillance du stationnement, rendue possible par la réforme, ne produit pas de meilleurs résultats financiers que le contrôle conservé en régie. Cependant une lecture générale en ce domaine paraît très difficile et l’externalisation a pu améliorer les choses là où les villes n’auraient pas investi pour assurer un bon fonctionnement du dispositif.”[39]
Le mobile financier n’est donc même pas forcément atteint.
On voit donc de quoi la privatisation du stationnement est le nom : cette politique procède d’une conception anti-humaniste de l’être humain, comme être a priori poussé à enfreindre la loi, et vise à établir un nouvel impôt en contournant les mécanismes démocratiques qui encadrent sa fixation.
Nous allons étudier à présent un mécanisme plus discret contenu dans le contrat, la privatisation du recours administratif.
III. La privatisation du recours administratif : une privatisation de la justice ?
Nous avons précédemment décrit certains caractères de l’administration néolibérale en étudiant le pouvoir de dérogation accordé aux préfets[40]. L’étude de ce contrat va nous permettre de décrire une évolution passée inaperçue dans la doctrine : la privatisation du recours administratif. Le titulaire du marché est en effet chargé de la gestion du RAPO (recours administratif préalable obligatoire). Le RAPO est un mode alternatif de règlement des différends, dans l’administration, que le Conseil d’État a soutenu depuis un rapport public important[41]. Le RAPO est donc un mode de substitution du traitement des litiges, le juge étant remplacé dans ce rôle, par l’Administration, le citoyen disposant toujours de la possibilité, ensuite, de porter ses griefs devant un juge.
L’entité en charge de la gestion de ce service est le groupe DOCAPOST, filiale de La Poste[42]. Cette fonction est exercée en parfaite opacité par l’opérateur, qui n’explique nulle part sur son site la façon dont il gère ce contentieux. Ce n’est donc pas le même opérateur qui est chargé de la verbalisation et du recours, mais ces entreprises sont proches.
Comment ce système fonctionne-t-il ? Ici, privatisation et numérisation fonctionnent ensemble. La mairie de Paris a entièrement dématérialisé ces procédures. La ville a mis en place pour la gestion des “forfait post-stationnement” (sic) des outils de gestion entièrement numériques. Le système central est dénommé : système de gestion des tickets virtuels (SGTV). Ce système est consulté par l’agent qui s’apprête à appliquer une amende qui lui fournit un indicateur sur la validité du stationnement, “la décision de verbalisation revenant à l’agent chargé du contrôle” (article 2.5.c du Cahier des clauses techniques particulières). Ce système permet ensuite de calculer le montant du FPS, d’envoyer les rappels, etc.
Connecté au SGTV, la ville a développé un outil de gestion des recours du stationnement ou SGRS qui traite les recours de “premier niveau” – de nature administrative et prenant la forme d’un RAPO confié à DOCAPOST) et de second niveau – de nature juridictionnelle confiée à la Commission du contentieux du stationnement payant, juridiction administrative spécialisée. Le prestataire pourra se connecter à ce système d’information.
Sur le plan de la mission, le contrat précise ceci
3.5.c) Instruction et réponse au RAPO Le titulaire se charge de l’ensemble du traitement des contestations relatives aux avis de paiement du forfait de post-stationnement de la part des usagers. Le titulaire examine et répond directement au recours administratif préalable obligatoire (RAPO) déposé par l’usager. La ville de Paris permet au titulaire, pour les arrondissements de son lot, d’accéder à la base de données de SGTV, mettant à disposition les éléments nécessaires (tickets dématérialisés, droits usagers, paiements réalisés, existence d’un FPS émis). La ville de Paris, avec ses prestataires met en œuvre et à disposition des usagers les justificatifs suivants : pour un paiement sur horodateur : une contremarque du paiement peut être délivrée, à la demande de l’usager, lors de la délivrance du droit de stationner indiquant l’immatriculation du véhicule concerné, le tarif, la période réglée ; pour un paiement par téléphone portable ou internet: une attestation disponible sur internet, indiquant l’immatriculation du véhicule concerné, le tarif, la période réglée. Les réponses étayées aux usagers seront traitées par l’outil SGRS, selon les modalités suivantes : elles sont notifiées par voie dématérialisée si le recours a été déposé par cette voie ; elles sont notifiées par voie postale, par une éditique à la charge du prestataire, si le recours a été déposé par courrier. Le titulaire doit traiter le RAPO dans les délais légaux prévus, soit un mois. Une absence de réponse dans les délais ou une réponse non motivée sont considérées comme absence de traitement du RAPO. 3.5.d) Validation des modifications éventuelles du FPS via SGTV L’historique du traitement du RAPO et les pièces justificatives sont archivés dans SGRS. La décision du RAPO est transmise, via SGRS, à SGTV, mettant à jour l’état du FPS concerné. Le FPS initial peut faire l’objet d’un FPS rectificatif (qui peut le cas échéant annuler le FPS initial). Le calcul du FPS rectificatif est effectué par le prestataire et justifié dans la réponse au RAPO. Cette rectification est validée par un agent assermenté et identifié selon les procédures de sécurité similaires à celle de l’émission d’un FPS. Le FPS rectificatif est transmis à SGTV, pour suite à donner. Pour chaque RAPO faisant l’objet d’un remboursement annoncé à l’usager, le titulaire doit produire un dossier de remboursement dûment visé. L’usager est remboursé dans tous les cas, toutefois en cas d’erreur d’analyse, la pénalité prévue à l’annexe 1 du CCAP est appliquée[43]. 3.5.e) Doctrine RAPO partagée Pendant la période de préparation, la ville de Paris met au point avec les titulaires des marchés les réponses type pour les principales typologies de recours attendus. Durant la première année de l’exécution du marché, la ville de Paris organise des réunions de coordination au plus bimensuelles avec les titulaires de chaque lot pour analyser les recours atypiques, harmoniser les réponses faites et compléter une bibliothèque commune de réponses type. À partir de la seconde année d’exécution du marché, ces réunions seront au plus mensuelles puis trimestrielles à partir de la troisième année et ce jusqu’à la fin du marché. 3.5.f) Bilan RAPO obligatoire En vue de la présentation au Conseil de Paris, le titulaire transmet chaque année à la ville de Paris un bilan du traitement de ces contestations avec des éléments qualitatifs et quantitatifs conforme au rapport prévu à l’article R.2333-120-15 du code général des collectivités territoriales (CGCT) et des tableaux correspondants annexés. Ce bilan est accompagné d’un rapport d’analyse. 3.6. Gestion du contentieux La gestion des recours dont est saisie la Commission du contentieux du stationnement payant (CCSP) ne relève pas des prestations confiées au titulaire du présent marché. Les avocats du pouvoir adjudicateur en charge de la gestion de ce contentieux ont un accès au système de gestion des recours du stationnement (SGRS) de la ville de Paris, mis à la disposition du titulaire du présent marché. Ce dernier doit en assurer la mise à jour afin que les avocats de la ville de Paris puissent disposer d’emblée de l’ensemble des informations relatives au traitement, par le titulaire, des recours de premier niveau (RAPO) relatifs aux avis de paiement du forfait de post-stationnement donnant lieu à une saisine de CCSP au titre de recours de 2nd niveau (recours contentieux). Les demandes susceptibles d’être formulées auprès du titulaire par les avocats du pouvoir adjudicateur (via l’outil SGRS) seront préalablement validées par la ville de Paris pour s’assurer de leur pertinence, notamment en cas de moyen supplémentaire employé par le requérant et relevant de l’action du prestataire.
On peut formuler à la lecture de ces stipulations plusieurs remarques.
A. Peut-on déléguer le traitement d’un RAPO ?
Nous avons cherché en vain un principe juridique pouvant s’appliquer à la délégation du recours administratif. L’Administration étant quasiment absente de la Constitution, rien, dans ce texte, ne vient fonder une vision hiérarchique, monolithique de l’Administration qui interdirait d’en sortir certaines fonctions qui sont pourtant le cœur de son métier. Alors que, concernant la police, le Conseil d’État a affirmé son caractère hiérarchique très tôt, en jugeant que « la police…, par sa nature, ne saurait être confiée qu’à des agents placés sous l’autorité directe de l’administration »[44], aucun principe équivalent n’existe pour le recours administratif. Cette lacune s’explique certainement parce que l’on n’a jamais pensé qu’un tel principe fût nécessaire.
Le recours administratif est un droit pour l’usager d’adresser soit à l’auteur d’une décision (recours gracieux), soit au supérieur hiérarchique (recours hiérarchique). Le Code des relations du public et de l’Administration n’est pas d’une grande aide sur ce point. Il définit le RAPO ainsi : “le recours administratif auquel est subordonné l’exercice d’un recours contentieux à l’encontre d’une décision administrative” (article L. 410-1 du CRPA). Il s’agit d’un mode alternatif de règlement des conflits dont l’objet, comme on le voit, est de désengorger les tribunaux. Rien dans cette définition n’indique que le recours doit être porté devant une administration. Mais à de multiples reprises la loi mentionne bien l’administration comme étant l’organe en charge de statuer sur le recours (par ex. les articles L. 412-3, 412-5, L. 412-6).
Mais la loi MAPTAM avait déjà prévu la délégation de cette fonction en précisant : “Les recours contentieux visant à contester l’avis de paiement du montant du forfait de post-stationnement dû font l’objet d’un recours administratif préalable obligatoire auprès de la commune, de l’établissement public de coopération intercommunale, du syndicat mixte ou du tiers contractant dont relève l’agent assermenté ayant établi ledit avis” (article Article L2333-87-VI du Code général des collectivités territoriales). Le législateur avait donc prévu la possibilité de déléguer le RAPO dans le cadre plus large de la délégation de la verbalisation.
On voit mal dans ces conditions comment on pourrait condamner juridiquement une telle délégation.
Elle pose cependant des questions importantes du point de vue des droits des usagers qui sont désormais sous l’empire d’une personne privée.
B. Les incitations du prestataire : un biais contre le citoyen
Le contrat prévoit donc que le prestataire sera chargé du RAPO. Il doit donc respecter l’ensemble des obligations qui incombent à l’Administration qui devrait normalement traiter le recours. Il doit notamment respecter les délais. Le contrat prévoit donc des pénalités qui doivent inciter le prestataire à traiter correctement ces dossiers et en nombre suffisant. Il est nécessaire ici de reproduire le tableau sur les pénalités pour comprendre comment est contrôlé le prestataire.
Référence au CCTP | Rubrique | Libellé | Unité / Ratio | Niveau |
3.3 | Non-respect de formalisme | En cas de non-respect du formalisme imposé des FPS | Par fait constaté | 3 (100 euros HT) |
3.3 | Non-respect du taux d’application des FPS | En cas de non atteinte du niveau de conformité de l’indicateur 2A | Nombre de FPS nécessaire à l’atteinte du seuil de conformité du ratio | 2 (20 euros HT) |
3.5 | Nombre de RAPO gagné par les usagers trop élevé | En cas de non atteinte du niveau de conformité de l’indicateur 2B | Nombre de RAPO gagné par les usagers sur le mois en question | 1 (10 euros HT) |
3.5 | Non-respect du délai de réponse au RAPO | En cas de non-respect du délai de réponse aux usagers | Par fait constaté | 3 (100 euros HT) |
5.2 | Défaut dans les réponses aux RAPO | En cas de non-respect des obligations de qualité des réponses au RAPO | Par mois | 6 (3000 euros HT) |
3.6 | Non-respect du délai de réponse aux demandes de précisions | En cas de non-respect du délai de réponse à l’administration | Par jour calendaire de retard | 4 (500 euros HT) |
L’aspect le plus contestable parmi les incitations est qu’il existe un indicateur incitant à produire des réponses négatives. Le tableau ci-dessous comprend ainsi un indicateur “Nombre de RAPO gagné par les usagers trop élevé”. L’indice 2B est calculé de cette façon : Ratio entre le nombre de RAPO gagné par les usagers et le nombre total de RAPO sur un mois donné. Ce ratio doit être inférieur ou égal à 10%. Comment est calculé ce chiffre ? On l’ignore.
Le contrat contient donc une incitation à ne pas accepter tous les RAPO sinon le prestataire sera pénalisé. C’est à ce niveau que l’on voit l’incitation à la répression. Le système doit donc ramener de l’argent. Le contrat contient donc bien un biais dans la décision.
Quelles protections le contrat prévoit-il pour les usagers ?
C. Les garanties procédurales
Le contrat précise, et c’est une des rares fois où celui-ci mentionne un droit procédural : “Les prestataires désigneront deux agents chargés de former leur personnel, et qui recevront une formation à l’outil SGRS pendant la période de préparation du marché. En tout état de cause, l’agent chargé d’un RAPO donné ne peut être à l’origine de l’apposition du FPS (souligné par nous)”. Le contrat contient donc une garantie processuelle relative à l’impartialité de l’agent chargé de l’instruction du RAPO. C’est la seule garantie contenue dans le contrat.
On a montré que l’externalisation sert à produire des revenus sans passer par l’impôt. Ici, il s’agit de contourner la justice elle-même. Une personne privée n’est pas contrainte de respecter les mêmes obligations qu’une personne publique, et ce d’autant que l’application horizontale des droits fondamentaux n’est pas un principe reconnu en droit privé français. Le droit privé français n’est donc pas prêt pour contrôler ce nouveau type de pouvoir.
Ce marché s’inscrit donc dans une politique plus large. La décentralisation, la dépénalisation, la numérisation et l’externalisation marchent ensemble pour contribuer, on l’a vu, à l’affaiblissement des droits des citoyens. Les politiques deviennent plus autoritaires, les pouvoirs sont moins contrôlés. Ce contrat montre bien que l’Administration néolibérale est en réalité plus forte, plus violente que l’Administration classique.
[1] Je remercie la direction juridique de la ville pour la communication du contrat.
[2] R. Reneau, L’externalisation administrative : éléments pour une théorie, Th. Montpellier, 2017 ; L. Vanier, L’externalisation en matière administrative, Dalloz, 2018.
[3] Jon D. Michaels, Constitutional Coup: Privatization’s Threat to the American Republic, Harvard University Press, 2017. Recension : T. Perroud, « La privatisation des fonctions étatiques est-elle un coup d’Etat » constitutionnel, JP Blog, 4 octobre 2018.
[4] L. Cluzel-Métayer, Le service public et l’exigence de qualité, Dalloz, Coll. Nouvelle Bibliothèque des Thèses, 2006, p. 576. A travers l’exigence de qualité, “il s’agit en quelque sorte de faire de l’usager un régulateur de l’action publique, en partant du principe que la redéfinition des modalités d’organisation et de fonctionnement du service doit tendre à sa satisfaction.”
[5] V. l’étude de J. Moreau, « De l’interdiction faite à l’autorité de police d’utiliser une technique d’ordre contractuel. Contribution à l’étude des rapports entre police administrative et contrat », AJDA 1965. 3 ; J. Petit, « Nouvelles d’une antinomie : contrat et police », in Les collectivités locales. Mélanges en l’honneur de Jacques Moreau, Economica, 2003, p. 345 ; G. Eckert, « Police et contra »t, in La police administrative, Charles Vautrot-Schwarz (dir.), PUF, Coll. Thémis, Essais, 2014. V. aussi O. Renaudie, « Police et service public », in C. Vautrot-Schwarz [dir.], La police administrative, PUF, 2014, p. 45 ; F. Rolin, « Service public et police administrative », in Le service public, Dalloz, 2014, p. 218 ; J. Chevallier, « La police est-elle encore une activité régalienne ? », in C. Vautrot-Schwarz [dir.], La police administrative, préc., p. 11.
[6] CE, Sect., 23 mai 1958, Amoudruz : Rec. p. 301, cité par Gabriel Eckert dans l’article préc..
[7] CE, 5 / 3 ss-sect. réunies, 29 déc. 1997, n° 170606, Lebon T..
[8] V. l’étude d’ensemble de B. Morel, “L’attribution d’activités de police à des personnes privées”, Revue du droit public, n°1, p. 77.
[9] CE, 7 /10 ss-sect. réunies, 1er avr. 1994, n° 144152. V. aussi CE, 7e et 2e ss-sect. réunies, 19 déc. 2007, n° 260327.
[10] V. article 1 du CCTP.
[11] CE, 5e et 6e ch. réunies, 8 juill. 2019, n° 419367.
[12] P. Yolka, “Externalisation des « contrôles radar » : circulez, y’a rien à voir”, Droit de la Voirie, 26 novembre 2019, pp. 20-22. V. aussi la note de Léo Vanier, “Saving Private Radars”, AJDA 2020 p.130.
[13] CE Ass., 17 juin 1932, Ville Castelnaudary, n° 12045, concl. Josse : Rec. 595. V. l’histoire de cet arrêt et de sa redécouverte par Jacques Moreau auquel est attaché cette théorie dans Les grands arrêts politiques de la jurisprudence administrative, Jacques Caillosse, Jacques Chevallier, Danièle Lochak, Thomas Perroud (dir.), Lextenso, 2019. L’auteure écrit : “La publication en 1965 de l’article du professeur Jacques Moreau consacré aux rapports entre police administrative et contrat est une date charnière dans l’histoire de l’arrêt Ville de Castelnaudary. Abordant une question à laquelle lois et règlements n’apportent pas de réponse et que la doctrine passe délibérément sous silence, il l’approche par l’étude de la jurisprudence et en déduit l’existence d’une règle prétorienne, « règle générale sinon absolue : l’interdiction pour les autorités de police d’avoir recours, dans l’exercice de leurs compétences, aux techniques d’ordre contractuel »” (J. Moreau, « De l’interdiction faite à l’autorité de police d’utiliser une technique d’ordre contractuel : contribution à l’étude des rapports entre police administrative et contrat », AJDA 1965, p. 3-17).
[14] Décision n° 2002-461 DC du 29 août 2002, Loi d’orientation et de programmation pour la justice, cons. 8 : « Considérant que, s’agissant des fonctions mentionnées au dernier alinéa de l’article contesté [“les fonctions autres que celles de direction, de greffe et de surveillance”], dont sont expressément exclues les tâches inhérentes à l’exercice par l’État de ses missions de souveraineté, leur délégation fera l’objet d’une habilitation dans des conditions définies par décret en Conseil d’État ; que le respect des exigences propres au service public pénitentiaire sera dès lors imposé au titulaire dans le cadre de cette habilitation ».
[15] V. encore les décisions n° 2003-467 DC du 13 mars 2003 (cons. 97) et n° 2003-484 DC du 20 novembre 2003 (cons. 89).
[16] Commentaire du Conseil constitutionnel sur la décision n° 2011-625 DC du 10 mars 2011 (Disponible ici : https://www.conseil-constitutionnel.fr/sites/default/files/as/root/bank_mm/decisions/2011625dc/ccc_625dc.pdf).
[17] Décision n° 2017-637 QPC du 16 juin 2017.
[18] Loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 d’orientation et de programmation relative à la sécurité (LOPS). V. M. Cirotteau, Le principe d’interdiction de privatisation de la police administrative, Mémoire pour le Master de droit public de l’économie, 2017, p. 13.
[19] HCJ 2605/05 The Human Rights Division, The Academic Center for Law and Business v. Minister of Finance (November 19, 2009). Une traduction anglaise est disponible ici : http://elyon1.court.gov.il/files_eng/05/050/026/n39/05026050.n39.pdf.
[20] V. articles L2213-1 et suiv. du Code général des collectivités territoriales.
[21] V. article 2.3 du Cahier des clauses techniques particulières.
[22] Pour une illustration récente de cette distinction : CE, 5e et 6e ch. réunies, 8 juill. 2019, Association 40 millions d’automobilistes c. ministère de l’Intérieur, n° 419367.
[23] V. par ex. Prison Privatization – The Many Facets of a Controversial Industry, Byron Eugene Price and John Charles Morris (ed.), Praeger, 2012.
[24] Dans cet article sur l’externalisation de l’eau à Nîmes, le journaliste met bien en évidence comment la personne privée essaye de financer des activités qui ne relèvent pas de sa compétence : Lucie Lecherbonnier, Magali Reinert, “A Nîmes, les dernières digues de la régie publique de l’eau cèdent”, Mediapart, 10 août 2019.
[25] Article 3.2.b) du Cahier des clauses techniques particulières.
[26] G. Becker (1974) Crime and punishment: An economic approach.In: G. Becker, W. Landes (eds), Essays in the Economics of Crime and Punishment, New York, Columbia University Press, pp. 27-36.
[27] B. E. Harcourt (2010) Neoliberal Penality: A Brief Genealogy.Theoretical Criminology14(1): 1-19.
[28] Article 4 de l’Acte d’engagement.
[29] Ibidem. V. aussi article 3.2.b) du Cahier des clauses techniques particulières.
[30] V. annexe 1 du Cahier des clauses administratives particulières. Nous ne reproduisons pas ici l’ensemble du tableau.
[31] V. article 5 du CCTP : “1A: Réalisation du nombre de contrôles minimum quotidien”.
[32] Montant forfaitaire global rapporté à la journée (300 jours de contrôle annuel).
[33] L’indicateur 1B correspond au nombre de véhicules différents contrôlés quotidiennement. Le ratio 1B correspond au nombre de véhicules identiques contrôlés sur le nombre de contrôles total réalisés sur une journée. Les niveaux sont décrit ainsi : niveau 0 : moins de 10% de véhicules identiques sont contrôlés plus d’une fois ; niveau 1 : 12% ⋟ 1B > 10% ; niveau 2 : 14% ⋟ 1B > 12% ; niveau 3 : 16% ⋟ 1B > 14% ; niveau 4 : 1B ⋟ 16%
[34] Le montant correspond à 20 euros HT.
[35] Délibération du Conseil municipal n° 2018 V.56.
[36] William M. Landes, Richard A. Posner, The Private Enforcement of Law, The Journal of Legal Studies, Vol. 4, No. 1 (Jan., 975), pp. 1-46.
[37] Valentine Arama, “Stationnement à Paris : des milliers de contrôles fictifs”, Le Figaro, 7 mars 2018.
[38] Mathilde Hodouin, Stationnement : Streeteo distribue des PV illégaux à Paris, Lesfurets.com, 12 mars 2018.
[39] Le forfait post-stationnement (FPS), La Gazette des communes, 12 février 2020.
[40] T. Perroud, “”, Recueil Dalloz…
[41] Conseil d’Etat, Les recours administratifs préalables obligatoires, La documentation française 2008.
[42] On trouve une seule trace officielle de cette fonction sur le site de l’entreprise : https://www.docaposte.com/actualite/article/docapost-et-la-poste-au-service-du-developpement-des-territoires
[43] Nous détaillerons les pénalités plus bas.
[44] CE, Ass., 17 juin 1932, Ville de Castelnaudary : Rec. p. 595 ; DP 1932, III, p. 26, concl. P.-L. Josse.