Gestation pour autrui et congé de maternité : la CJUE confrontée au tabou (CJUE 18 mars 2014, aff. C-167/12, C. D. et C-363/12, Z.)
Dans deux arrêts en date du 18 mars 2014, la CJUE décide que la femme qui devient mère suite à une convention de gestation pour autrui ne peut invoquer le bénéfice des dispositions européennes relatives au congé maternité, au motif que celles-ci ne peuvent s’appliquer qu’aux travailleuses ayant été enceintes. Ce faisant, elle érige le besoin de protection de la relation mère-enfant en corolaire de l’accouchement et de la vulnérabilité et dénie à cet objectif assigné au congé de maternité toute autonomie. Ainsi, au sens du droit social de l’Union européenne, la maternité demeure avant tout une condition biologique.
Alexia Gardin est professeure à l’Université de Lorraine – CERIT-IFG
Une femme a-t-elle droit à un congé de maternité si elle n’a pas mis elle-même l’enfant au monde mais a eu recours à une mère « porteuse » ? C’est à cette question que la Cour de justice de l’Union européenne a été amenée à répondre dans deux décisions en date du 18 mars 2014. A une heure où la gestation pour autrui (GPA) divise les opinions et constitue un problème politique et social dans bon nombre de pays européens, la prise de position ne pouvait manquer de susciter l’intérêt. Or si elle décevra sans doute tous ceux qui considèrent que la maternité ne peut se réduire à un fait biologique, elle témoigne également d’un positionnement qui se veut non dogmatique puisque refusant d’entrer dans des considérations éthiques, philosophiques ou culturelles, la Cour saisit la GPA comme une situation objective ouvrant, ou non, sur certains droits sociaux. Aux Etats membres, le choix d’accepter ou de refuser la GPA ! L’Europe entend rester à bonne distance du débat 1.
Mais revenons sur les deux arrêts qui bien que se rapportant à une même situation – celle d’une femme ayant eu recours à une gestation pour autrui à qui aucun droit à congé n’a été reconnu par la pratique nationale – se démarquent tant par des éléments de contexte que par les instruments juridiques européens mobilisés à l’appui des questions préjudicielles posées. S’agissant des éléments de contexte, deux différences notables peuvent être relevées. Alors que Mme D a pu recourir à la GPA dans un système britannique qui l’autorise formellement depuis 1985 à la condition que la mère porteuse ait plus de 35 ans et que le dédommagement qu’elle reçoit pour les frais engagés ne dépasse pas une certaine somme (aff. C-167/12), Mme Z a dû, quant à elle, inscrire l’opération dans un cadre international en ayant recours à une mère porteuse américaine (aff. C-363/12). Ressortissant irlandaise, elle relevait d’un système juridique qui, sans interdire la GPA, ne l’organise pas non plus, laissant aux couples intéressés, voire aux femmes seules, la possibilité de recourir à une mère porteuse à l’étranger. La seconde différence factuelle était d’ordre biologique. Souffrant d’une affection rare qui ne lui permettait pas de mener une grossesse à terme, Mme Z était la mère biologique de l’enfant qui avait été conçu in vitro avec ses gamètes et celle de son mari. En revanche, la mère porteuse de Mme D avait non seulement assumé la gestation, mais aussi la fécondation puisqu’elle avait fait un don d’ovule. Biologiquement, l’enfant était donc celui du compagnon de Mme D et de la mère porteuse. De ces considérations, tirées de l’état du droit national et de la pratique d’assistance médicale, les juges européens ne tirent strictement aucun argument. Seul compte le fait que la femme ayant accueilli l’enfant après sa naissance ait été privée de congé. Faut-il y voir une violation de la directive 92/85/CEE protégeant la maternité 2, comme le soutenait Mme D ? Une discrimination fondée sur le sexe ou sur le handicap, comme le prétendait Mme Z 3 ? Quel que soit l’instrument juridique mobilisé, la réponse apportée par la Cour est négative. Parce qu’au sens du droit de l’Union européenne, la maternité suppose une grossesse (1) et que l’incapacité de procréer ne constitue pas un handicap (2), le droit de la femme dont l’enfant est né par mère porteuse à bénéficier d’un congé rémunéré ne bénéficie d’aucune protection particulière.
La grossesse fait la maternité
Pour la Cour de justice, « l’attribution d’un congé de maternité sur le fondement de l’article 8 de la directive 92/85/CEE suppose que la travailleuse en bénéficiant ait été enceinte et ait accouché de l’enfant », de sorte que les Etats membres ne sont pas tenus d’accorder un tel congé à une travailleuse « en sa qualité de mère commanditaire ayant eu un enfant grâce à une convention de mère porteuse ». Pour parvenir à cette conclusion, les juges européens s’appuient sur l’objectif de la directive 92/85/CEE qui est de promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail. C’est parce que ces travailleuses constituent un groupe à risques spécifiques que les Etats membres doivent prendre des mesures de protection particulières au rang desquelles figure le congé de maternité. Certes, ce dernier ne vise pas seulement à protéger la condition biologique de la femme au cours de sa grossesse et à la suite de celle-ci. Le congé « vise également à assurer la protection des rapports particuliers entre la femme et son enfant ». Pour autant, selon la Cour, cet objectif ne concerne que la période postérieure « à la grossesse et à l’accouchement », ce qui exclut les femmes ayant recours à une mère porteuse qui n’ont, par hypothèse, jamais été enceinte de l’enfant. Ce faisant, le besoin de protection de la relation mère-enfant est érigé en corolaire de l’accouchement et de la vulnérabilité. Il ne s’impose qu’en raison du bouleversement physiologique entrainé par le processus ayant conduit à la naissance et ne dispose d’aucune autonomie.
C’est donc en liant les objectifs assignés au congé de maternité que la Cour en vient à exclure de son bénéfice la mère « commanditaire ». Protection de la santé et promotion de la relation mère-enfant sont étroitement imbriquées. La position n’avait pourtant pas nécessairement la force de l’évidence, comme en témoignent les conclusions pour le moins divergentes des avocats généraux dans les deux affaires. En effet, dans l’affaire de Mme D, l’avocate générale, Juliane Kokott, s’était déclarée favorable à une interprétation extensive de la directive, incluant la mère commanditaire dans le cercle des bénéficiaires du congé ou à tout le moins d’une partie de celui-ci. Le point de départ de son raisonnement faisait pourtant écho à l’un des arguments de la Cour : « les mères commanditaires ne sont pas concernés par l’ensemble des dangers potentiels cités dans la directive 92/85 ». N’étant pas enceintes, « aucune grossesse n’est dans leur cas menacée par des conditions de travail particulières. Après la naissance de l’enfant, elles ne sont pas confrontées aux mêmes risques de santé qu’une travailleuse accouchée et le besoin de récupérer physiquement des suites de l’accouchement est totalement absent ». En revanche, pour l’avocate générale, il y avait au moins une situation où l’assimilation entre la mère commanditaire et la mère biologique était possible : en cas d’allaitement de l’enfant par la mère commanditaire. En pareille hypothèse, « il existe dans les deux cas des risques pour la santé » et « des contraintes de temps particulières liées aux soins à donner à l’enfant ». Mais pour Julianne Kokott, il était même nécessaire d’aller plus loin « en appliquant de manière générale la directive 92/85 aux cas de mères commanditaires et ce indépendamment de la question de savoir si une mère commanditaire allaite ou non son enfant ». Si la législation avait vu le jour dans un contexte où la maternité ne pouvait pas être vue de manière détachée de la grossesse, tel n’était plus le cas aujourd’hui du fait des progrès de la médecine reproductive. Le point de vue « biologiste-moniste » devrait dès lors céder la place à une approche « fonctionnel[le] » accordant à chaque femme la protection liée à sa fonction. Dès lors, puisqu’elle se substitue à la mère biologique après la naissance, la mère commanditaire devrait se voir accorder, à compter de ce moment, les droits liés à la maternité et ce d’autant plus qu’elle « est confrontée au défi de tisser un lien avec cet enfant [qu’elle n’a pas porté], de l’intégrer dans la famille et de se familiariser avec son rôle de mère ». Restait alors à définir les clefs de la répartition du congé de maternité entre les deux protagonistes, ce que l’avocate générale s’est attachée à déterminer en proposant un minimum de deux semaines correspondant à la durée du congé de maternité obligatoire 4.
Aussi étayée soit-elle, l’argumentation n’a pas convaincu la Cour de justice qui a rejeté l’approche fonctionnelle et maintenu la protection de la relation mère-enfant dans le giron de la condition biologique. Si certains pourront le regretter 5, la position a très certainement le mérite de ne pas déstabiliser l’édifice construit autour de la directive 92/85. En effet, accorder son autonomie à l’objectif de protection de la relation qui se noue avec l’enfant nouveau-né aurait nécessairement conduit à d’autres extensions du bénéfice du congé de maternité. Comment justifier qu’un père ne puisse y prétendre ou encore que l’adoption soit maintenue hors champ de la directive ? Sur cette dernière objection, l’argument avancée par Julianne Kokott laisse songeur. Pour cette dernière, la gestation pour autrui se démarquerait de l’adoption car un lien serait établi entre la mère commanditaire et l’enfant avant sa naissance via l’accord conclu avec la mère biologique à l’égard de l’avenir concret de cet enfant. Voilà qui contredit peut-être l’impératif tiré de la nécessité de tisser un lien avec l’enfant… un impératif qui existe sans conteste en cas d’adoption.
L’incapacité de procréer ne fait pas le handicap
Dans les deux affaires, les requérantes avaient également invoqué la directive 2006/54/CE du 5 juillet 2006 sur l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi. Sans surprise, la Cour a considéré que le refus pour l’employeur d’accorder le congé de maternité ne constituait pas une discrimination fondée sur le sexe puisqu’un père commanditaire était traité de la même manière qu’une mère commanditaire dans une situation comparable (exit la discrimination directe !) et que le refus ne désavantageait pas plus les travailleurs féminins que les travailleurs masculins (exit donc également la discrimination indirecte !). Plus intéressant est le questionnement porté par l’affaire de Mme Z sur le terrain de la discrimination en raison du handicap prohibée par la directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail. Ce dernier offre en effet à la Cour l’occasion de rappeler sa nouvelle définition de la notion de « handicap » au sens de ladite directive, avant de la confronter à l’incapacité de procréer.
Nouvelle, la définition européenne du handicap l’est assurément. Depuis l’arrêt HK Danmark du 11 avril 2013 6, la Cour a aligné la notion sur celle de la convention des Nations unies du 13 décembre 2006 relative aux droits des personnes handicapées 7, faisant sien le modèle social du handicap 8 porté par l’instrument international. Elle considère en effet que le handicap doit désormais être entendu comme visant « une limitation résultant notamment d’atteintes physiques, mentales ou psychiques durables, dont l’interaction avec diverses barrières peut faire obstacle à la pleine et effective participation de la personne concernée à la vie professionnelle sur la base de l’égalité avec les autres travailleurs ». Ainsi, il ne suffit pas de constater une limitation durable dont souffre la personne, encore faut-il que, contextualisée, elle empêche cette dernière d’exercer une activité professionnelle ou, à tout le moins, qu’elle constitue une gêne à l’exercice d’une telle activité. Or c’est précisément sur ce point que la situation de Mme Z a achoppé. Comme le relève la Cour, « s’il n’est pas contestable que l’impossibilité pour une femme de porter son enfant puisse être la source d’une grande souffrance pour celle-ci », de sorte que cette affection puisse être considérée comme une limitation, celle-ci n’a eu aucun impact sur la participation de l’intéressée à la vie professionnelle. En elle-même, l’affection dont souffre Mme Z n’a entrainé aucune impossibilité d’accomplir son travail et n’a constitué aucune gêne dans l’exercice de son activité professionnelle. Dès lors, la conclusion était inéluctable : l’incapacité de procréer ne peut constituer un handicap au sens de la directive 2000/78 et la règle de non-discrimination qu’elle porte ne peut être opposée au refus d’un employeur d’accorder un congé rémunéré à une femme ayant eu recours à une mère porteuse.
En définitive, la balle est clairement renvoyée dans le camp des Etats. Si le droit de l’Union européenne ne leur impose pas d’accorder un congé de maternité à une travailleuse ayant eu recours à une mère porteuse pour avoir un enfant, il leur est parfaitement loisible de le faire. Comme le relève la Cour à propos de l’affaire de Mme D., la directive 92/85/CEE « n’exclut nullement la faculté pour les Etats membres d’appliquer ou d’introduire des dispositions législatives, réglementaires ou administratives plus favorables à la protection de la sécurité et de la santé des mères commanditaires ayant eu un enfant grâce à une convention de mère porteuse, en leur permettant de bénéficier d’un congé de maternité du fait de la naissance de cet enfant ». L’invitation n’a sans doute de sens que pour autant que la pratique de la gestation pour autrui soit reconnue comme licite dans l’Etat considéré. Mais sur ce point également les Etats sont seuls aux commandes.
Pour citer cet article : A. Gardin, « Gestation pour autrui et congé de maternité : la CJUE confrontée au tabou (CJUE 18 mars 2014, aff. C-167/12, C. D. et C-363/12, Z.) », RDLF 2014, chron. n°15 (www.revuedlf.com).
Notes:
- Ce qui contredit l’argument parfois présenté par les opposants à la GPA en France selon lequel si les autorités françaises excluent de légaliser le recours aux mères porteuses, l’Europe y serait favorable ↩
- Directive 92/85/CEE du 19 octobre 1992 concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail ↩
- En s’appuyant sur deux des directives « égalité » : la directive 2006/54/CE du 5 juillet 2006 relative à la mise en œuvre du principe d’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail et la directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail ↩
- Art. 8§2 de la directive 92/85/CEE ↩
- V. le commentaire non signé paru à LES, n° 350, 3 au 16 avril 2014, p. 9 ↩
- Aff. C-335/11 et C-337/11. Sur ces évolutions, v. C. Boutayeb, « Le handicap au travail selon le juge de l’Union européenne à la lumière de l’arrêt Ring et Werge », RDT 2013, p. 657 ↩
- Par suite de la ratification de cette convention par l’Union (décision 2010/48 du 26 novembre 2009 ↩
- Le modèle social du handicap est fondé sur une approche contextuelle. Il souligne l’interaction existant entre l’incapacité et la réaction de la société pour répondre aux besoins des personnes souffrant de l’incapacité ↩