La prééminence du droit dans le droit de la Convention européenne des droits de l’homme [résumé de thèse]
La prééminence du droit dans le droit de la Convention européenne des droits de l’homme
Par Xavier Souvignet
Thèse soutenue le 27 juin 2011 à l’Université Panthéon Sorbonne Paris 1 sous la direction du Professeur Etienne Picard
La prééminence du droit compte au nombre des nouvelles notions diffusées par le droit de la Convention européenne des droits de l’Homme. Pourtant, en dépit d’une présence remarquable dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, elle demeure largement insaisissable. Refusant une démarche autarcique normativo-centrée séparant droit et valeurs, texte et contexte, positivité et idéalité, Etat et société, l’étude se propose d’envisager la prééminence du droit dans le droit de la Convention européenne des droits de l’Homme dans toutes ses dimensions principielles, à travers une démarche phénoménologique. Cette dernière permet de définir la prééminence du droit comme un principe normatif (I) et comme un principe ontologique (II).
I. Norme révélée par le juge comme immanente à la Convention, à partir d’une mention énigmatique contenue dans son préambule, la prééminence du droit s’est vue déployée à travers tout le texte conventionnel à partir de la décision fondatrice Golder. Si la prééminence du droit a pu apparaître comme une directive d’interprétation, celle-là s’est vue rapidement dotée d’une véritable dimension normative autonome. Seule ou accompagnée d’autres outils, elle agit tantôt à l’appui du texte et de son autonomisation, tantôt au-delà. Son activité normative consiste en un déploiement, un auto-engendrement dans une multitude de sous-principes, dont certains sont mentionnés dans le texte conventionnel et d’autres non. Ces principes recouvrent les thématiques du droit au juge et du droit au Droit. Franchissant les frontières du texte, la portée normative de ce principe-synthèse emporte dès lors une extension matérielle de la Convention européenne, et témoigne de l’incontestable pouvoir normatif du juge européen. Toutefois, bien davantage que le pouvoir d’une autorité, cette activité normative est d’abord celle d’un contenu, d’une substance ; car la prééminence du droit n’est pas seulement une norme, c’est aussi une idée qui s’incarne dans plusieurs normes. En ce sens, il s’agit bien d’un « principe » et non d’une règle ou d’une technique.
II. Cette idée qui s’incarne dans le positif est celle d’une certaine figure du droit. Ordonné à la lutte contre l’arbitraire et la violence, le droit à qui il revient d’être « prééminent » vise à préserver l’irréductible autonomie du Sujet contre les tentations oppressives du pouvoir, et notamment celles de son expression ultime et parfaite, l’État. Le principe de prééminence du droit est ainsi chargé d’une forte dimension politique anti-politique : à travers le culte de la règle de droit et le contrôle du juge, cette prééminence entend dompter, démystifier le pouvoir politique, y compris démocratique, afin de le rendre transparent, connaissable, et de lui ôter toute raison transcendante. « Gulliver enchaîné » n’est plus que le spectateur, et éventuellement le défenseur, d’une société démocratique, nouveau siège du pouvoir – ou plutôt de l’anti-pouvoir – et projection hyperbolique de l’autonomie du Sujet.
En tant que principe exprimant une autre souveraineté qu’une souveraineté politique – en l’occurrence la souveraineté du Droit – la prééminence du droit pose une question éminemment fondamentale. En effet, son fondement ne peut plus logiquement être recherché dans la Convention européenne des droits de l’Homme, ni dans la volonté des États qui l’ont instituée. Un tel fondement ne saurait consister dans une norme positive – qui a été posée – mais doit reposer sur la transcendance d’un Droit objectif. Ce Droit objectif peut être défini à travers les valeurs du Droit, fondées sur la liberté ontologique de l’Être. Traducteur de cette liberté et de ces valeurs dans le droit positif, le principe de prééminence du droit, principe inhérent à l’idée même de Droit, apparaît non pas comme une norme exprimée par la Convention européenne des droits de l’Homme mais on fondement même.