Sincérité des lois de finances et QPC : l’impossible alliance
Sincérité des lois de finances et QPC : l’impossible alliance. Retour sur un arrêt du Conseil d’Etat (CE, 15 juillet 2010, Région Lorraine, n°340492)
Par François Barque
Par un arrêt du 15 juillet 2010, le Conseil d’Etat a refusé d’intégrer le principe de sincérité des lois de finances dans la catégorie des droits et libertés garantis au sens de l’article 61-1 de la Constitution. Le mécanisme de QPC est donc fermé à la sincérité. Faut-il le déplorer ? Cet article vise à répondre par la négative à cette question.
Pur produit de la jurisprudence constitutionnelle, le principe de sincérité des lois de finances est désormais bien connu. Ce qui l’est également, c’est la très grande réserve avec laquelle les sages de la rue de Montpensier veillent à son respect. Ceux-ci s’en sont toujours tenus à un contrôle restreint et ne se sont jamais permis de censurer une loi de finances pour insincérité, y compris lorsque la sanction paraissait pourtant inévitable (par exemple : décision 97-395 DC du 30 décembre 1997, Loi de finances pour 1998). Dernière manifestation de cette grande timidité : la décision relative à la loi de finances pour 2012 (décision 2011-644 DC du 28 décembre 2011). Selon les requérants, l’insincérité de la loi était patente. Inflexible, le Conseil constitutionnel rejette le moyen par un considérant (désormais bien rôdé) : « il ne ressort pas des éléments soumis au Conseil constitutionnel que, compte tenu des incertitudes particulières relatives à l’évolution de l’économie en 2012, les hypothèses économiques de croissance finalement retenues soient entachées d’une intention de fausser les grandes lignes de l’équilibre de la loi déférée » (cons. 5 ; voir aussi la décision 2011-638 DC du 28 juillet 2011, Loi de finances rectificative pour 2011)
L’optimiste pourra certes reconnaître le mérite d’une telle jurisprudence qui a donné, depuis 1993, une réelle visibilité au principe de sincérité et qui l’a profondément ancré dans le droit financier. Il n’en demeure pas moins que, eu égard au contrôle particulièrement réduit du juge constitutionnel, la sincérité apparaît, en fin de compte, comme un principe « purement symbolique » (Xavier Prétot, « Chronique de jurisprudence constitutionnelle », RFFP, n°110, 2010, p.229).
Fraîchement entrée en vigueur, la procédure de question prioritaire de constitutionnalité (QPC) pouvait être susceptible de faire naître quelque espoir. Ce que le Conseil constitutionnel refusait de faire dans le cadre du contrôle a priori, ne pourrait-il pas le faire, a posteriori, après la promulgation voire l’exécution de la loi de finances ? Dans ce cas précis, le contrôle ne serait-il pas facilité puisqu’il serait aisé d’apprécier a posteriori la sincérité des prévisions budgétaires initiales ? La QPC serait alors un précieux moyen de renforcer le contrôle sur la sincérité des lois de finances.
Le Conseil d’Etat ne l’a pas entendu ainsi. Un contentieux Etat/Collectivité territoriale lui a permis de se prononcer sur la question. En l’espèce, la QPC avait été déclenchée par la région Lorraine qui s’estimait en droit de recevoir davantage de dotations étatiques afin d’assurer ses compétences en matière d’organisation de transport ferroviaire. Le transfert de compétences (effectif à compter du 1er janvier 2002) avait été décidé par la loi du 13 décembre 2000 et les modalités de compensation financière, fixées par un arrêté interministériel du 8 août 2002. Par la suite, la loi de finances rectificative du 30 décembre 2004 est venue ajuster le montant de la compensation au bénéfice de la plupart des régions… mais pas de la région Lorraine. Devant la Cour administrative d’appel, celle-ci a utilisé l’article 61-1 de la Constitution, en soutenant, entre autres, l’insincérité de la loi de finances rectificative pour 2004. La question est transférée au Conseil d’Etat qui refuse de saisir le Conseil constitutionnel. Dans un arrêt du 15 juillet 2010, le juge administratif suprême considère que « le principe de sincérité des lois de finances n’est pas au nombre des droits et libertés garantis par la Constitution, au sens de son article 61-1 ».
Faut-il vraiment regretter cette solution ? Il ne nous le semble pas. Cette décision doit, au contraire, être approuvée. La QPC ne pouvait qu’être fermée au principe de sincérité des lois de finances (I). Surtout, et eu égard à l’objet de la sincérité, une seule voie devrait être suivie pour assurer l’effectivité du principe : le renforcement du contrôle a priori des prévisions budgétaires (II).
La QPC : une voie sagement fermée
Il est inutile de chercher dans l’arrêt rendu une argumentation justifiant le refus opposé par le Conseil d’Etat. Ce dernier se contente d’écarter le principe de sincérité de la liste des droits et libertés invocables en QPC. Il n’empêche, ce sont vraisemblablement des considérations d’ordre théorique qui ont été à l’origine de cette exclusion. Si l’on en croit les conclusions de Mme Cortot-Boucher (aimablement communiquées par le service de diffusion de la jurisprudence), la sincérité ne serait pas un droit, mais une simple « règle de présentation du budget de l’Etat ». L’argument n’est pas nouveau. Il participe, au contraire, de l’édification d’une position jurisprudentielle visant à écarter les principes budgétaires du mécanisme de QPC. Avant de s’intéresser à la sincérité, le Conseil d’Etat s’était déjà refusé à inclure l’annualité budgétaire au sein des « droits et libertés » de l’article 61-1 (CE, 25 juin 2010, Région Lorraine, AJDA, 2010, p.1296). Selon M. Geffray, rapporteur public, ce dernier principe ne serait finalement qu’une conséquence du consentement à l’impôt, consacré à l’article 14 de la Déclaration des droits de l’Homme de 1789 (propos rapportés par Mme Cortot-Boucher, les conclusions de M. Geffray n’étant malheureusement pas disponibles). Le raisonnement est donc, dans les deux affaires, sensiblement le même. Il pourrait même être étendu sans trop de difficultés aux autres principes budgétaires que sont l’universalité, l’unité et la spécialité. Ces principes sont avant tout des instruments au service des parlementaires. Ils ne sauraient concerner le citoyen, et plus globalement, le justiciable. Ils « ne sont que des règles visant la bonne gestion des deniers publics et, au-delà, la séparation des pouvoirs qui est au cœur du phénomène budgétaire » (Michel Verpeaux, « La compensation financière du transfert de la compétence des services ferroviaires régionaux de voyageurs », AJDA, 2010, p.2261).
Il est compréhensible que la sincérité des lois de finances puisse apparaître davantage comme un instrument que comme un droit. A ce sujet, la jurisprudence du Conseil constitutionnel permet de mieux appréhender la nature de la sincérité. Ce principe ne trouve pas directement de base constitutionnelle dans l’article 47-2 de la Constitution (issu de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008), cette disposition ne concernant que la sincérité des comptes des « administrations publiques ». C’est le Conseil constitutionnel qui a constitutionnalisé le principe, en le rattachant expressément aux articles 14 et 15 de la Déclaration de 1789 (décision 2006-538 DC du 13 juillet 2006, Loi de règlement pour 2005, cons. 2, Rec. p.73). Or, ces dispositions sont au fondement de la démocratie : ce sont de véritables droits démocratiques. Certes, un contentieux fiscal a donné l’occasion aux juges de la rue de Montpensier d’écarter l’article 14 de la Déclaration de 1789 des « droits et libertés » invocables en QPC (décision 2010-5 QPC du 18 juin 2010, Société Kimberly Clark, cons. 4). Mais, l’explication est essentiellement d’ordre pratique. Comme le reconnaissent les Cahiers, « il ne fait pas de doute que l’article 14 […] énonce un droit et liberté ancien et fondamental, celui du consentement à l’impôt ». Il ne saurait néanmoins être inclus dans la liste des droits/libertés au sens de l’article 61-1 de la Constitution, notamment en raison de la nature des personnes qui, en pratique, en sont les bénéficiaires directs et traditionnels : les députés et les sénateurs. Dès lors, « ce droit ne s’inscrit pas logiquement dans la logique de la réforme de la QPC dont l’objectif est de permettre aux justiciables d’invoquer au cours de leur procès tout droit ou liberté garanti par la Constitution en lien avec son litige » (Cahiers du Conseil constitutionnel, n°29).
Les articles 14 et 15 consacrent donc le droit d’être informé de l’action publique, des projets d’action publique (matérialisés notamment dans les prévisions budgétaires) et de les contrôler. Ce droit appartient à « la société ». A travers ce terme peu juridique, on peut raisonnablement considérer qu’il appartient aux citoyens, à leurs représentants ainsi qu’à l’ensemble des entités qui entrent en contact avec « l’administration ». Par conséquent, le principe de sincérité découle du système démocratique. C’est un outil au service des parlementaires afin que ceux-ci puissent se prononcer en toute connaissance de cause sur le projet de loi de finances. Un outil, plus qu’un droit, qui leur garantit une information fiable et interdit au Gouvernement de chercher à les tromper. Il ne pouvait donc être inclus raisonnablement dans la liste des « droits et libertés » de l’article 61-1C.
A côté de ces justifications théoriques, d’autres raisons, d’ordre pratique, permettent de dissiper les regrets qu’aurait éventuellement générés l’arrêt du Conseil d’Etat. Elles visent à montrer l’intérêt limité qu’aurait présenté l’inclusion du principe de sincérité au rang des « droits et libertés » de l’article 61-1 de la Constitution. Selon un premier argument, la sincérité aurait été rarement invocable par le biais de la QPC en raison du caractère quasi-systématique du contrôle a priori des lois de finances. Certes, les non-saisines (qui contrastent avec la saine habitude prise par les parlementaires de l’opposition) ne sont pas purement théoriques en matière de lois de finances. Le passé proche enseigne que certaines lois budgétaires n’ont pas été déférées au Conseil (lois de finances pour 2007, 2008, 2009 notamment) … Dans ce dernier cas, la QPC aurait-elle été pertinente ? Là encore, d’autres arguments permettent d’éviter tout sentiment de déception.
Tout d’abord, il convient de réfléchir aux effets qu’aurait générés l’abrogation d’une loi de finances insincère. L’article 62 alinéa 2 de la Constitution semble retenir une conception classique de l’abrogation : celle-ci est censée intervenir « à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d’une date ultérieure fixée par cette décision ». De surcroît, la Constitution octroie au Conseil constitutionnel le pouvoir de « déterminer les conditions et les limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause ». Dès lors, une abrogation intervenant après l’exécution de la loi de finances attaquée aurait eu toutes les « chances » de présenter un intérêt des plus limités. La loi de finances exécutée (principe de l’annualité budgétaire …), le Conseil serait intervenu trop tard. La reconnaissance de l’insincérité l’aurait certainement conduit à ne donner à sa décision qu’un effet purement déclaratif et symbolique, ce qui aurait présenté un faible intérêt pour le requérant. De plus, et eu égard au fonctionnement de nos institutions contemporaines (principalement marqué par la discipline majoritaire), on voit mal comment cette déclaration a posteriori aurait été de nature à malmener un Gouvernement insincère. Finalement, la décision Conseil constitutionnel n’aurait pas été si éloignée des constats formulés rétrospectivement par la Cour des comptes dans le cadre de ses rapports sur les résultats et la gestion budgétaire (précieuse source d’information au demeurant). Il est assez fréquent que les juges du Palais Cambon dénoncent l’insincérité de la loi de finances initiale à partir de l’examen de l’exécution budgétaire … sans conséquences pratiques réelles pour le Gouvernement. Certes, la QPC aurait pu présenter un intérêt si la décision du Conseil était rendue avant la fin de l’exercice budgétaire. Cependant, cette situation aurait été difficilement réalisable. Le requérant ne peut invoquer la violation d’un droit ou d’une liberté qu’« à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction » (article 61-1 de la Constitution du 4 octobre 1958). Dès lors, et en prenant en compte les délais de renvoi impartis aux juridictions, il y aurait eu de grandes chances pour que le Conseil intervînt après la fin de l’exécution budgétaire …
Ensuite, il faut nuancer l’idée selon laquelle le contrôle du Conseil constitutionnel aurait été facilité par le fait qu’il interviendrait a posteriori. Lors du contrôle de constitutionnalité de la LOLF, le juge avait défini de façon très subjective le principe de sincérité, celui-ci se caractérisant par « l’absence d’intention de fausser les grandes lignes de l’équilibre » (décision 2001-445 DC du 25 juillet 2001, cons. 60, Rec. p.99 ; le juge l’a clairement rappelé dans sa décision Loi de finances pour 2012). Or, que l’on se situe ou pas dans le cadre d’un contrôle a priori (avant que la loi de finances ne soit ou non promulguée), établir l’existence d’un mensonge gouvernemental reste toujours délicat. L’insincérité n’est donc pas constituée par la simple erreur involontaire, commise de bonne foi au cours de la confection des prévisions budgétaires. La jurisprudence exige également la présence d’un « élément moral » qui, parce qu’il conduit inévitablement le juge à sonder les reins et les cœurs, sera toujours difficile à établir. Y compris dans le cadre d’un contrôle a posteriori. Dès lors, on voit mal comment le Conseil se serait départi de la précieuse technique de l’erreur manifeste d’appréciation, une telle erreur constituant assurément un indice présomptif utile à l’établissement du mensonge. Et c’est précisément ce contrôle restreint qui, parce qu’il est devenu systématique, a affaibli le contrôle a priori sur les prévisions budgétaires (parmi de très nombreux exemples : décision 2003-489 DC du 29 décembre 2003, Loi de finances pour 2004, considérants 2 et 4, Rec. p.487) …
La QPC est donc fermée au principe de sincérité qui, dans le cas contraire, n’aurait pas bénéficié de réelles garanties supplémentaires. Est-ce à dire que le principe de sincérité est condamné à la précarité contentieuse ? La seule solution (dont les chances de réussite sont loin d’être garanties) serait de chercher à renforcer le contrôle a priori.
Le renforcement du contrôle a priori : la voie à emprunter
L’idée n’est pas nouvelle. Elle a été proposée à plusieurs reprises par la doctrine (par exemple Loïc Philip, RFDC, 2000, p.133 ; Rémi Pellet, RDP, 2001, p.922) et par les parlementaires. Il s’agirait d’étendre les compétences de la Cour des comptes afin que celle-ci rende un avis (public) sur la sincérité des prévisions budgétaires contenues dans le projet de loi de finances initiale. En dépit de sa valeur non contraignante pour le Gouvernement (et le Conseil constitutionnel), cet avis pourrait avoir un certain retentissement compte tenu du prestige et des compétences de l’autorité émettrice. Le Conseil ne pourrait l’ignorer lorsque, saisi par les parlementaires, il devrait contrôler la sincérité du texte. Les remarques formulées par la Cour dans l’avis mais également la réaction (ou l’inertie…) du Gouvernement seraient des éléments difficilement contournables dans la préparation de sa décision.
Cette proposition est doublement intéressante. Outre le fait qu’elle pourrait conduire à renforcer le contrôle du Conseil constitutionnel, elle serait susceptible de produire des effets plus en amont, sur l’attitude du Gouvernement et sur le contrôle parlementaire des projets de loi de finances. Le principe de sincérité (re)trouverait tout son intérêt : garantir une information de qualité et non fallacieuse, assurer l’effectivité des prérogatives budgétaires des parlementaires, au sein desquelles se trouvent le pouvoir d’autorisation, le consentement à l’impôt. Il est, en effet, toujours regrettable de constater amèrement et a posteriori que les parlementaires se sont prononcés sur un projet de lois de finances dont les prévisions n’étaient pas fiables … Faut-il attendre que l’avis soit donné par la Commission européenne lorsque celle-ci sera parvenue à obtenir des Etats membres le droit de se prononcer a priori sur leurs projets de budgets ?
Pour autant, la réalité est plus complexe. Pour qu’elle s’accompagne de résultats, la solution proposée suppose trois types de changements. En premier lieu, il conviendrait de revoir la définition de la sincérité donnée par le Conseil. Celle-ci est exclusivement morale, ce qui peut apparaître comme un décalage avec la volonté actuelle de maîtriser les déficits publics. Pour donner un réel intérêt à l’avis, il faudrait l’élargir en définissant la sincérité comme le réalisme des prévisions budgétaires (ce qui n’empêche pas que les prévisions puissent être volontairement irréalistes : au juge alors de stigmatiser l’intention du Gouvernement). Il est évident que le contrôle du Conseil serait élargi puisqu’il n’aurait plus à censurer uniquement l’intention de fausser les grandes lignes de l’équilibre. Ensuite, les deux contrôleurs devront veiller à la cohérence de leurs jurisprudences respectives afin d’éviter toute incohérence dans leur appréciation de la sincérité. Ce risque est loin d’être théorique, la Cour et le Conseil s’étant déjà opposés quant à l’interprétation de diverses règles juridiques. Outre la célèbre controverse relative à la régularité des prélèvements sur recettes, les opinions divergent également quant à la délicate distinction entre les opérations budgétaires et les opérations de trésorerie (par exemple la décision Loi de règlement pour 2005 précitée et l’analyse de l’exécution 2005 menée par la Cour des comptes dans son Rapport sur l’exécution 2005). Cette dernière question est tout sauf secondaire, ladite délimitation permettant de délimiter le périmètre du budget et, a fortiori, sa sincérité. Plus que jamais, une « coopération renforcée » sera nécessaire en la matière (Michel Lascombe et Xavier Vandendriessche, « Conseil constitutionnel et Cour des comptes : plaidoyer pour une coopération renforcée », Mélanges en l’honneur de Loïc Philip, Paris, Economica, 2005, p.435). Enfin, la réforme implique un changement considérable dans l’attitude du Conseil constitutionnel. Cela n’est guère évident. Si, depuis presque deux décennies, le Conseil contrôle la sincérité des lois de finances, son comportement est profondément marqué par la timidité et par la crainte. Timidité, tout d’abord, car le contentieux est technique. Outre la difficile preuve de la volonté dissimulatrice du Gouvernement (cf supra), le juge doit composer avec la technicité de l’art prévisionnel. Pour établir l’insincérité, celui-ci doit s’être forgé un avis sur les prévisions économiques et budgétaires. Il doit inéluctablement s’intéresser aux débats d’experts. Or, il « n’est ni la Direction de la prévision du Ministère des finances, ni l’Institut national des statistiques et des études économiques » (Jean-Eric Schoettl, AJDA, 2000, p.37). Crainte, ensuite, parce qu’établir l’insincérité, revient, même involontairement, à prononcer une condamnation morale du Gouvernement. Outre le fait que celle-ci alimentera les tensions politiques, elle pourra être de nature à réactiver le spectre du gouvernement des juges. Crainte, toujours, parce que la censure d’une loi de finances insincère a de grandes chances d’être perçue comme une source éventuelle de paralysie des pouvoirs publics, le Gouvernement devant faire voter un nouveau projet de loi de finances.
Cette timidité et cette crainte peuvent être dépassées. Il faut tout d’abord rappeler que, lorsqu’il contrôle la sincérité des lois de finances, le Conseil constitutionnel exerce pleinement sa mission. Il est assurément dans son rôle de gardien de la Constitution. L’avis de la Cour des comptes lui permettrait toutefois de disposer d’une base légitime pour fonder éventuellement sa censure. A ce sujet, il faut rappeler que la censure d’une loi est la conséquence logique de son inconstitutionnalité. Elle doit l’être pour toute catégorie de loi, y compris les lois de finances. Il est évident que le Gouvernement devra réagir rapidement à la censure. Cependant, la censure n’apporte pas le chaos, mais plus exactement une circonstance exceptionnelle, prévue par l’article 45 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF). Des mesures d’urgence pourront alors être adoptées afin de garantir la continuité de la vie nationale tant que le projet de loi de finances n’aura pas été adopté. Enfin, une telle proposition pourrait même conduire à renforcer la crédibilité du Conseil constitutionnel, voire, aurait le mérite d’apporter de la cohérence à sa position, ce qui n’est pas le cas pour le moment. Comment expliquer, en effet, que celui refuse de lui donner de l’effectivité alors même qu’il a contribué à faire émerger durablement ce principe, allant même jusqu’à le constitutionnaliser (sur cette question : « La sincérité devant le juge constitutionnel », RFFP, 2010, n°110, p.95) ?
Pour citer cet article : François Barque, « Sincérité des lois de finances et QPC : l’impossible alliance. Retour sur un arrêt du Conseil d’Etat (CE, 15 juillet 2010, Région Lorraine, n°340492) », RDLF 2012, chron. n°2