Le Processus de Reykjavik sur les aspects de l’environnement liés aux droits de l’homme : échec ou impulsion politique ?
Replaçant les actions du Conseil de l’Europe en matière environnementale dans une perspective historique, cet article révèle combien l’impulsion politique liée à la crise actuelle précède le sommet de Reykjavik et démontre en quoi le quatrième sommet du Conseil de l’Europe est une occasion manquée. Il dénonce surtout une approche engluée dans une vision du monde d’avant dénuée de courage politique et victime de la focalisation excessive sur le système de la Convention européenne des droits de l’homme, empêchant de se tourner vers un référentiel plus adapté. En d’autres termes, le Conseil de l’Europe, pourtant bénéficiant de la légitimité politique requise, n’a pas encore pris au sérieux l’urgence à répondre à la transition écologique.
Elisabeth LAMBERT est Directrice de recherche CNRS (UMR Droit et Changement Social, Université de Nantes) – elisabeth.lambert@cnrs.fr
L’organisation du quatrième sommet à Reykjavik en mai 2023 pouvait présenter une opportunité réelle pour le Conseil de l’Europe de fixer comme nouvelle priorité phare de l’organisation le besoin d’élaboration de normes et de politiques publiques en réponse aux besoins de la transition écologique. En effet, avec un opposant de taille (la Fédération de Russie) désormais hors du périmètre du Conseil de l’Europe, de nouvelles espérances sont permises. Certes, la guerre opposant l’Ukraine à la Russie a largement monopolisé les énergies politiques lors du sommet, reléguant à la dernière place (annexe 5) les questions environnementales ; de surcroît, lors d’un conflit, la tendance est de revenir aux fondamentaux, aux valeurs clés de l’organisation, ce qu’illustre la Déclaration finale, intitulée d’ailleurs « Unis autour de nos valeurs » avec un attachement marqué à l’Etat de droit, aux valeurs démocratiques et au respect des droits fondamentaux incarnés par la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH). Pourtant, ces deux enjeux sont intimement liés puisqu’en Ukraine sont actuellement collectées des preuves permettant de documenter l’existence de crimes environnementaux et que plus largement, pour citer la Rapporteuse à l’Assemblée Parlementaire, Mme Fiona O’Loughlin, « [o]n peut difficilement imaginer comment il sera possible, une fois le point de basculement du changement climatique atteint, d’assurer la paix, la sécurité et la prospérité sans lesquels la démocratie, les droits humains et l’État de droit deviendront de plus en plus difficiles à garantir » (Rapport du 9 janvier 2023, para.28).
Lors de ce quatrième sommet, n’a cessé d’être rappelée l’existence d’une « triple crise planétaire de la pollution, du changement climatique et de la perte de biodiversité ». Cette reconnaissance du Conseil de l’Europe est assurément inédite et semble marquer une prise de conscience de ces phénomènes. Si la tonalité semble grave, en réalité ces termes sont repris du jargon des Nations Unies et posent question : le concept de « crise » indique « l’idée de manifestation brusque et intense, mais pendant une période limitée » selon la définition du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales[1]. Or, non seulement la manifestation n’a pas été brusque mais date de plusieurs décennies, mais de plus il ne s’agit point d’un phénomène de « période limitée ». Le Groupe d’Experts Intergouvernemental sur le Climat (GIEC), depuis sa mise en place en 1988, parle en termes de « réchauffement planétaire », d’« évolution du climat », de « changement climatique » ; ainsi, nous sommes face à des changements durables justifiant la nouvelle ère géologique dans laquelle nous sommes entrés (l’Anthropocène). Le jargon de « crise » est ainsi inopérant, et doit adhérer aux constats scientifiques robustes conférés par l’instance mondiale et légitime sur le sujet que constitue le GIEC. Nous avons même identifié un document du Conseil de l’Europe citant le résumé du GIEC à l’intention des décideurs publics de 2022 en soutien à la qualification de « triple crise planétaire », alors même que ce rapport du GIEC n’utilise nullement ces termes du CDDH (CDDH-ENV(2023)06, note 8). Le choix de ces termes n’est pas sans conséquence : il est en effet absolument évident que la réponse à un phénomène durable et grave ne saurait être la même que celle à une crise appelée à être passagère. Les Nations Unies semblent d’ailleurs avoir fait évoluer récemment leur propre terminologie puisque le rapport adopté par le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) en novembre 2023 évoque une « triple menace existentielle », effaçant le terme critiquable de « crise » et permettant d’amplifier l’idée de gravité extrême des phénomènes auxquels nous sommes confrontés.
La question présentement traitée dans cet article[2] est la suivante: le Processus de Reykjavik lancé lors du quatrième sommet sur les aspects de l’environnement liés aux droits de l’homme représente-t-il un échec ou donne-t-il une impulsion politique, et si oui est-ce à la hauteur des menaces auxquelles nous faisons face ? Ce questionnement suppose de tenir compte de données de temporalité (Comment s’inscrit le sommet de Reykjavik sur la trajectoire des actions politiques du Conseil de l’Europe en matière environnementale ?), mais aussi des éléments de langage, de discours, de légitimité et plus encore de contenu en termes de normes et engagements politiques. Dans quelle mesure le « processus de Reykjavik » a-t-il fait bouger les lignes ? La méthode de recherche combine l’analyse textuelle du corpus disponible sur le site internet du Conseil de l’Europe (documents du Comité des Ministres relatifs aux priorités et bilans des présidences depuis 2019 ; documents du Secrétariat Général ; plus largement toute la documentation disponible sur le site internet du Conseil de l’Europe liée à la thématique « environnement et Droits de l’Homme », notamment les travaux menés au sein du Comité Directeur pour les Droits de l’Homme – CDDH -) à des entretiens[3].
Notre démonstration s’articulera autour de trois aspects majeurs : la légitimité réelle mais problématique du Conseil de l’Europe en matière environnementale (I), l’existence d’une véritable impulsion politique antérieure à Reykjavik (II) et la posture très précautionneuse lors du dernier sommet (III).
I- La légitimité incontestée mais problématique du Conseil de l’Europe en matière environnementale et climatique
Si la reconnaissance de la légitimité du Conseil de l’Europe en matière environnementale et climatique semble faire consensus (A), elle n’est pas sans poser quelques difficultés (B).
A- Une légitimité incontestable et incontestée
La légitimité du Conseil de l’Europe en matière environnementale fait consensus au sein de l’Organisation et n’est pas discutée. Elle repose sur deux piliers historiquement solidement ancrés : d’une part la CEDH (avec la Cour) est l’instrument clé de l’Organisation et l’approche de l’environnement par les droits humains permet de s’y adosser ; d’autre part le Conseil de l’Europe a produit une activité normative importante et unique sur la scène internationale eu égard à la protection des espaces naturels.
Eu égard au premier pilier, dans le préambule de l’annexe 5 de la Déclaration de Reykjavik, les chefs d’Etat et de gouvernement affirment que « les droits de l’homme et l’environnement sont intimement liés et qu’un environnement propre, sain et durable est essentiel au plein exercice des droits de l’homme des générations actuelles et futures ». Les chefs d’Etat et de gouvernement font état de la reconnaissance du droit à un environnement sain dans plusieurs systèmes juridiques. Ce pilier peut être illustré par toutes les activités menées depuis 2020 par les présidences successives du Comité des Ministres, dont la présidence géorgienne, qui a souligné « l’interdépendance des droits de l’homme et de la protection de l’environnement » dans ses priorités ou encore dans la Déclaration finale adoptée le 27 février 2020. Toutefois, l’approche par les droits fondamentaux se décline en deux faces distinctes : si le fait que la dégradation de l’environnement et du climat emporte des conséquences sur le respect de droits fondamentaux inscrits dans la CEDH semble à peu près faire consensus (d’où le besoin de verdissement des droits actuels), la nécessité de reconnaitre un droit autonome à un environnement sain n’a le soutien que d’une minorité de délégations, de l’Assemblée Parlementaire et de la société civile[4], sans même entrer dans les détails sur les modalités encore plus diverses selon lesquelles un tel droit devrait être reconnu[5].
Concernant le second pilier, il est fait mention de façon détaillée dans le préambule de l’annexe 5 des conventions adoptées depuis les années 1970 par le Conseil de l’Europe en matière de protection de l’environnement : est ainsi admise « une expérience de longue date et largement reconnue dans la protection de l’environnement, la gestion écologique des paysages et la santé publique ». Il est encore fait mention de la capacité et des ressources du Conseil de l’Europe en lien avec le « triangle stratégique » incluant la définition de standards et normes (par des conventions par exemple), la coopération et l’assistance technique ainsi que la politique de supervision/monitoring. C’est ainsi que le préambule de l’annexe 5 cible la « coopération », le partage « des expériences et des pratiques prometteuses » ; il liste les conventions de Berne « comme un instrument international unique », « la Convention du Conseil de l’Europe sur le paysage – premier traité international consacré exclusivement à toutes les dimensions du paysage – et la «Convention de Tromsø» (ratifiée par 15 Etats membres sur 46 au 4 janvier 2024) compte tenu de « l’importance de l’accès à l’information, de l’accès à la participation du public aux processus décisionnels et de l’accès à la justice en matière d’environnement » ; enfin il fait état des activités de suivi avec la CEDH et la Charte sociale européenne.
Ces deux piliers, dont nous avions fait état dans notre rapport introductif à la Conférence de haut niveau de 2020, sont invoqués de façon concomitante par les présidences du Comité des Ministres qui vont s’investir sur ces enjeux à partir de 2020 (cf ci-dessous).
B- Une légitimité non exempte de contradictions
La première vient du sentiment partagé par certaines délégations selon lequel le Conseil de l’Europe aurait produit suffisamment de normes et d’outils auxquels il ne serait nul besoin d’ajouter de nouvelles actions. Ces autocongratulation et autosatisfaction ressortent largement de la tonalité des documents élaborés en matière environnementale ces dernières années. C’est ainsi que la présidence du Liechtenstein tempère les ardeurs de ceux qui voudraient aller plus loin, dans l’attente des décisions (pas avant la fin du printemps 2024…) dans les affaires climatiques actuellement pendantes devant la Cour de Strasbourg. L’idée sous-jacente serait celle selon laquelle, si la Cour s’estime compétente pour traiter ces affaires, aucune autre action des gouvernements ne serait requise. Cet argument fait écho à celui utilisé de longue date par le Comité des Ministres pour s’opposer aux demandes de l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe en vue de la reconnaissance du droit autonome à un environnement sain (cf ci-après). Pourtant, le CDDH répète qu’il n’appartient pas à une Cour d’imposer des choix politiques en matière de transition climatique et environnementale aux gouvernements (CDDH, CDDH-ENV(2023)06, 30 August 2023). Dans la même veine, l’ambassadrice que nous avons interviewée n’a cessé de marteler que, plus la Cour de Strasbourg est saisie d’actions en justice, plus il est urgent pour les Etats de prendre position, également parce que la Cour de Strasbourg « suit ce que les Etats membres ont à dire » du sujet (Entretien n°3) ; aussi, « nous devons dire quelque chose » (Entretien n°3). De même, selon le juriste interviewé à l’Assemblée Parlementaire, il est « embêtant de faire faire le travail par les juges » (Entretien n°1). D’autres Etats prétextent des actions menées en dehors de l’enceinte du Conseil de l’Europe, par exemple au sein de l’Union européenne, pour différer les actions menées à Strasbourg. Ainsi en est-il concernant la réforme en cours de la Convention sur la protection de l’environnement par le droit pénal, ratifiée par un seul Etat et donc jamais entrée en vigueur (alors que seules trois ratifications étaient requises !). Il s’agirait moins d’une rivalité entre organisations qu’une priorité donnée à l’Union européenne : le 15 décembre 2021, la Commission européenne adoptait une proposition pour une nouvelle Directive afin de remplacer la Directive de 2008. Les négociations, entamées en janvier 2022, ont débouché sur un accord le 16 novembre 2023. Pour certains Etats membres de l’Union européenne, la priorité est donnée aux travaux au sein de l’Union européenne au détriment de la révision de la convention du Conseil de l’Europe (CDPC (2021) 7, 2 September 2021, Compilation of contribution points), ce qu’un Etat comme la Belgique a admis explicitement. La question qui demeure entière a trait à l’existence d’une volonté politique d’adopter et de ratifier une telle convention au niveau de l’Europe des 46. Le prétexte de double emploi pourrait être brandi dès lors que les Etats non membres de l’UE ne montreraient pas d’engouement particulier pour une telle convention.
Cette première aporie se double d’une deuxième difficulté, liée au désintérêt et désengagement des Etats depuis des décennies pour les actions menées au titre de l’environnement au Conseil de l’Europe. Le département de la Convention sur le paysage (pourtant ratifiée par 40 Etats sur 46…) ne bénéficie plus de personnel depuis le départ à la retraite de la seule personne embauchée pendant des années, et ceci depuis mi-2022. Le mécanisme de la Convention de Berne (engageant 46 des 46 Etats membres du Conseil de l’Europe, cinq Etats non membres ainsi que l’Union européenne), est également sous-doté[6]. L’Accord européen et méditerranéen sur les risques majeurs est en plein déclin avec la dénonciation par la Belgique et celle probablement prochaine d’autres Etats (Entretien n°1). S’appuyer sur ces instruments est ainsi hasardeux selon un de nos interlocuteurs, puisque « ce qui est inquiétant avec le Conseil de l’Europe en ce moment, on a toujours ces instruments pas très bien portants » (Entretien n°1). N’est-il pas hypocrite de glorifier ces acquis dans la Déclaration de Reykjavik alors même que ces mécanismes, faute de ressources, sont moribonds ? Faut-il rajouter un wagon aux locomotives actuelles, si oui lequel ? Ou prendre un nouveau train qui refonderait le reste, avec le risque de perdre des wagons ? Cette dernière perspective serait celle soutenue par certains (cf ci-dessous).
Une troisième contradiction émerge en lien avec la CEDH. Deux arguments clés nous semblent importants à développer. Le premier est lié au fait que si les chefs d’Etat et de gouvernement reconnaissent dans la déclaration de Reykjavik les liens entre droits de l’homme et protection de l’environnement, et semblent faire la connexion avec la reconnaissance juridique d’un droit à un environnement sain « dans plusieurs constitutions des États membres du Conseil de l’Europe », « dans les instruments internationaux, les instruments régionaux relatifs aux droits de l’homme, les constitutions, les législations et les politiques nationales », il ne s’agit, dans le dispositif de l’annexe 5, que de s’engager pour une « reconnaissance politique du droit à un environnement propre, sain et durable en tant que droit de l’homme » (I), de « réfléchir » à ce qu’est ce droit et d’ « envisager » sa reconnaissance comme droit de l’homme au niveau national (II), et non au niveau de la CEDH. Nous reviendrons plus tard sur ce contenu qui ne fait pas honneur aux Etats membres du Conseil de l’Europe…
Le deuxième argument vient du fait que s’en tenir au référentiel de la CEDH (sur le modèle des droits individuels, en l’absence d’actio popularis pour les associations de défense de la nature par exemple, avec des actions portées par les seules victimes individuelles) enferme le débat dans un cadre trop étriqué, qui ne permet absolument pas d’affronter les défis posés par le changement climatique[7], une opinion partagée par l’ancien Président de la Cour lors de la Conférence de mai 2023 (pp.24-25). Or, il existe une surenchère actuelle autour du mécanisme de la CEDH et de la Cour. Outre le fait que les Etats, en période de crise du Conseil de l’Europe (compte tenu du conflit entre la Russie et l’Ukraine), se raccrochent au noyau dur des acquis, au « joyau » de Strasbourg, cet attachement (qui ne pose pas difficulté en soi) est encore renforcé avec le soutien renouvelé et semble-t-il désormais acquis en faveur d’une adhésion prochaine de l’Union européenne à la CEDH. Cette réalité risque de paralyser toute action en dehors de ce périmètre, d’autant que réformer la CEDH et l’adapter aux nouvelles réalités ne sera pas simple.
Sur le site internet du Conseil de l’Europe, le thème « protection de l’environnement par les droits de l’homme » figure, non sous le pilier « droits de l’homme » mais dans la rubrique des « sociétés démocratiques durables » au sein du pilier « démocratie ». Ce choix signalerait-il précisément la difficulté à vouloir faire rentrer les enjeux écologiques dans une case trop étroite ?
II- Une impulsion politique antérieure à Reykjavik et issue d’une poignée de petits Etats
A- Une impulsion politique par une succession de petites délégations
L’impulsion politique au Conseil de l’Europe pour des actions supplémentaires en faveur de la protection de l’environnement date en réalité de fin 2019, début 2020 avec le contexte suivant : (1) l’adoption de l’Accord de Paris sur le climat en 2015 lors de la COP 21, (2) les discussions ayant eu lieu aux Nations Unies entre 2017 et 2019 pour l’adoption d’un Pacte global sur le climat (mais ayant échoué en raison notamment de l’opposition des Etats-Unis, du Brésil et de la Russie), (3) le début de la pandémie de la covid 19 et (4) l’adoption de résolutions aux Nations Unies pour la reconnaissance du droit à un environnement sain en lien avec les travaux du Rapporteur spécial sur les droits de l’homme et l’environnement. Aussi, les enjeux liés à la modification du climat semblaient dans tous les esprits.
C’est dans ce contexte que plusieurs petits Etats ont décidé de donner une impulsion politique à Strasbourg. La présidence géorgienne se fixe comme première priorité la promotion de « l’interdépendance entre les droits de l’homme et la protection de l’environnement ». En effet, « [c]ertains pays veulent que leur présidence soit marquante » (Entretien n°1). Ainsi, la Géorgie organise en février 2020 la « conférence de haut niveau sur la protection de l’environnement et des droits de l’homme » ayant donné lieu à une publication, et fait adopter une Déclaration finale qui admet que « le Conseil de l’Europe a un rôle clé à jouer pour intégrer la dimension environnementale dans les droits de l’homme et poursuivre une approche de la protection de l’environnement fondée sur le droit » (souligné par nous). La présidence géorgienne, s’associant aux présidences de l’Allemagne et de la Grèce, signe une Déclaration conjointe sur « Environnement et droits de l’homme » des Présidences sortante et entrantes du Comité des Ministres le 15 mai 2020, prenant l’engagement de maintenir la priorité à donner aux activités en lien avec la protection de l’environnement. Cette impulsion, si elle a essaimé auprès d’autres délégations, n’a pas réussi à prendre au-delà de « petites délégations » dont l’influence demeure inévitablement limitée. Ainsi ont rejoint ce groupe l’Islande (avec une première ministre depuis 2017 engagée sur ces questions), l’Irlande (en faveur d’un protocole additionnel à la CEDH pour la reconnaissance juridique d’un droit à un environnement sain), mais aussi la Hongrie, le Portugal, Monaco et la Suisse (dont la mobilisation est notable au sein du groupe de rapporteurs GR-H du Comité des Ministres sur l’environnement et présidé par le membre norvégien). A contrario, la Norvège et plus surprenant la Slovénie (car ayant joué un rôle de fer de lance aux Nations Unies) ont adopté un profil bas.
En dépit de cette Déclaration conjointe, qui ne lie cependant politiquement que trois présidences et qui « appelle le Comité des Ministres à inviter le CDDH à élaborer un projet d’instrument non contraignant sur les droits de l’homme et l’environnement pour adoption éventuelle par le Comité des Ministres au plus tard pour la fin » 2021, les actions des diverses présidences sont très dispersées en raison des enjeux nationaux : la Grèce cible des activités en lien avec les effets du changement climatique sur le patrimoine culturel (CM/Inf(2020)10, Priorités de la présidence grecque, 13 mai 2020) ; l’Allemagne mentionnera à son actif uniquement l’organisation d’un atelier sur « environnement et entreprises » (CM/Inf(2021)8 : Bilan de la présidence allemande, 20 mai 2021). La présidence hongroise liste les « défis environnementaux » parmi ses cinq cibles prioritaires et énonce s’inscrire dans la continuité des présidences précédentes, tout en se référant uniquement aux « outils existants ». L’Irlande mène la bataille pour l’adoption d’un protocole additionnel à la CEDH pour le droit à un environnement sain (CM/Inf(2022)22, 4 novembre 2022 : Bilan de la présidence irlandaise).
Suite à ces nouvelles initiatives, le Comité des Ministres donne en décembre 2020 un mandat très étriqué et totalement dénué d’ambition à un Groupe de rédaction sur les droits humains et l’environnement (CDHH-ENV), puisqu’il s’agit : de (1) « Mettre à jour le Manuel sur les droits de l’homme et l’environnement » (qui liste les affaires devant la Cour européenne des droits de l’homme et le Comité européen des droits sociaux) ; (2) d’ « élaborer un projet d’instrument non-contraignant (p. ex. recommandation ; lignes directrices) sur les droits de l’homme et l’environnement », et (3) d’ « Examiner la nécessité de poursuivre les travaux dans ce domaine », mais avec la précision importante : « en gardant à l’esprit l’obligation des États membres découlant de la Convention européenne des droits de l’homme et le développement constant de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et des tribunaux nationaux, qui renforcent le lien entre la protection de l’environnement et les droits de l’homme ». Il faut ajouter à ce mandat très limité les critiques à l’encontre du CDDH composé de membres qui ne sont pas issus des Ministères de l’environnement mais souvent des Ministères des affaires étrangères, adeptes du « self-restraint », qui ont le réflexe de « contenir l’emprise que peuvent représenter de nouveaux standards » (Entretien n°1), et qui ont pour habitude de consulter multitude d’acteurs au niveau national et dont, par conséquent, les travaux se révèlent dès lors « laborieux », « un peu compliqués » et « très lents » (Entretien n°1). A l’opposé, les membres siégeant au sein du GR-H du Comité des Ministres résident de façon permanente à Strasbourg, bénéficient de plus d’autonomie, de souplesse, et connaissent mieux les dossiers (Entretien n°1). La Commission Nationale Consultative des Droits de l’homme en France, dans une Déclaration datée du 23 septembre 2023, dénonçait d’ailleurs des négociations au sein du CDDH « lentes, ce qui témoigne d’un défaut de volonté politique empêchant de trouver un consensus ».
Fait important, et alors même que le CDDH est mandaté pour la réalisation d’une étude sur la faisabilité et l’opportunité d’élaborer d’autres instruments, le Comité des Ministres, en réponse aux travaux de l’Assemblée Parlementaire « Ancrer le droit à une environnement sain : nécessité d’une action renforcée du Conseil de l’Europe » (Doc.15623), le 4 octobre 2022 réitère les mêmes réponses faites depuis des décennies (tout en mentionnant in fine les travaux actuels du CDDH) : « Concernant la recommandation de l’Assemblée d’élaborer un protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme (paragraphe 3.1), le Comité rappelle ses précédentes réponses aux Recommandations de l’Assemblée 1614 (2003) « Environnement et droits de l’homme » et 1885 (2009) « Élaboration d’un protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme relatif au droit à un environnement sain ». Il souligne une nouvelle fois que le système de la Convention contribue déjà de manière indirecte à la protection de l’environnement par le biais de certains droits conventionnels et de leur interprétation dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, offrant ainsi une protection face aux problèmes environnementaux ». Nous avons ainsi clairement la preuve que pour le Comité des Ministres, 2020 ne constitue pas une rupture et que la « triple crise planétaire » pourtant admise ne sert même pas de sursaut pour franchir un nouveau pas. Le Comité des Ministres est englué dans le monde d’avant. « Cette fois-ci, ce n’est pas la même situation, ce n’est pas au niveau de l’UE ou du Conseil de l’Europe qu’il y a des ambitions contradictoires, c’est dans les Etats membres que se trouvent les atermoiements, les doutes », nous confiait notre premier interlocuteur (Entretien n°1). Les Etats sont terrorisés à l’idée d’un engagement de leur responsabilité.
B- Les concrétisations de cette nouvelle impulsion politique
Les nouveautés issues de l’impulsion politique de 2020 se manifestent à quatre niveaux : en premier lieu, il s’agit de l’adoption du Manuel révisé (3° édition), lequel consiste en un résumé très descriptif et aucunement critique de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et des décisions du Comité européen de la Charte sociale selon différents thèmes. On relèvera l’imperméabilité totale de ce travail par rapport aux études doctrinales, désormais nombreuses [par exemple : P. Baumann, Le droit à un environnement sain et la Convention européenne des droits de l’homme, LGDJ (2021)]. Il est fortement dommageable que ce travail en interne ne prenne pas en compte les résultats dégagés par les chercheurs. Nous étions déjà coutumiers du fait que la Cour de Strasbourg, contrairement à d’autres Cours de protection des droits de l’homme, fasse peu de cas de la doctrine, ce qui a légèrement évolué ces dernières années. Ici, le fait provient des juristes et administrateurs du Conseil de l’Europe, et non de juges. Cette publication est symptomatique d’une posture de fermeture au sein de toute l’organisation et met en lumière l’inutilité d’un tel exercice, puisque la Cour et le Comité produisent eux-mêmes des guides de synthèse de leurs propres décisions avec une autorité supérieure puisqu’émanant de leurs propres juristes.
La deuxième nouveauté, la plus prometteuse pendant un temps, est liée à l’engagement des travaux pour la réforme de la Convention sur la protection de l’environnement par le droit pénal, comme demandée par la Déclaration finale de 2020[8], et cette dernière avait précisé la condition fondamentale « de présenter des obligations juridiques plus claires et des sanctions plus sévères pour les infractions environnementales ». Le 23 novembre 2022, le Comité des Ministres adoptait le mandat pour un nouveau Comité d’experts chargé, entre le 1er janvier 2023 et fin juin 2024, de produire un « [p]rojet de convention afin de supplanter et de remplacer la Convention européenne sur la protection de l’environnement par le droit pénal (STE n° 172), ainsi qu’un projet de rapport explicatif y afférent ». Le mandat est cette fois ambitieux sur une période très limitée, alors même que la précédente convention fut un échec, sans toutefois reprendre les conditions fixées par la Déclaration de 2020. Bien au contraire, le mandat précise que « [l]e Comité veillera à ce que les dispositions matérielles de droit pénal du projet de convention soient rédigées de telle manière qu’elles puissent être effectivement mises en œuvre par les États Parties » et que cela doit être fait dans le respect des obligations existantes. En d’autres termes, la convention révisée ne saurait aller au-delà de l’existant. Un projet de convention est actuellement en discussion mais fait face à une posture d’attentisme des délégations d’Etats donnant la priorité au projet de nouvelle Directive de l’Union européenne.
Troisièmement, il y a lieu de noter la mise en place du « Réseau de parlementaires de référence pour un environnement sain » (avec à sa tête une parlementaire du Portugal), lancé en janvier 2022 après l’adoption de la Résolution 2399(2021) le 29 septembre 2021 intitulée « Crise climatique et État de droit ».
Enfin, la dernière nouveauté est issue de l’adoption le 27 septembre 2022 de la Recommandation 2022(20) sur les droits de l’homme et la protection de l’environnement. Cette Recommandation surprend, d’un point de vue formel, par un préambule et une annexe souffrant d’une hypertrophie et d’un corps du texte/dispositif à l’inverse réduits à peau de chagrin… On y lit que la source d’inspiration explicitement énoncée est le Manuel (décrivant les affaires devant la Cour de Strasbourg et le Comité des droits sociaux !) ; indirectement, les multiples références aux travaux des Nations Unies révèlent combien le Conseil de l’Europe s’est senti acculé à la nécessité d’adopter un document suites aux avancées obtenues au niveau des Nations Unies. Le préambule rappelle que le « présent instrument » est non-contraignant, précaution inutile pour une recommandation…mais qui révèle bien l’obsession des Etats du Conseil de l’Europe à s’opposer au moindre instrument contraignant en la matière. La preuve supplémentaire est donnée par l’évolution de la rédaction du « dispositif » puisque en dépit du fait qu’il s’agisse d’un instrument non contraignant, les Etats ont refusé une précédente version selon laquelle recommandation était faite de reconnaitre le droit à un environnement sain comme droit de l’homme[9] au profit d’une formule édulcorée selon laquelle il ne s’agit plus que d’ « d’envisager activement de reconnaître au niveau national ce droit comme un droit de l’homme important pour la jouissance des droits de l’homme et lié à d’autres droits et au droit international existant ». L’autonomie de ce droit fait peur… Il est également recommandé aux Etats de « réfléchir à la nature, au contenu et aux implications du droit à un environnement propre, sain et durable », (cette réflexion est engagée depuis les années 1970 sur la scène internationale…), de « revoir » (au lieu de « réviser » ou « amender » en bon langage du droit international) leurs réglementations internes pour se conformer aux engagements déjà pris…(ce qu’ils auraient en principe dû faire depuis des décennies).
L’exposé des motifs est limpide : il ne s’agit, par ce texte, que de rappeler le droit existant. Selon le langage excessivement précautionneux, il énonce que « [l]a présente recommandation n’a aucun effet sur la nature juridique des instruments sur lesquels elle se fonde, ni sur l’étendue des obligations juridiques existantes des Etats ; elle ne cherche pas non plus à établir de nouvelles normes ou obligations ». En listant toutes les normes et conventions élaborées dans d’autres enceintes, on en retire une impression de mise à distance du Conseil de l’Europe avec ces instruments, ou à tout le moins une impression que le Conseil de l’Europe ne peut rien y ajouter. La posture consistant à soutenir que les Etats ne comprennent pas ce qu’est un environnement sain est mensongère ; le contenu de ce droit est fortement documenté depuis des décennies, a fait l’objet d’une multitude de productions scientifiques, normatives (notamment par les Nations Unies) et même judiciaires (avec les actions en justice de plus en plus nombreuses). C’est au contraire parce que les Etats entrevoient de plus en plus clairement les obligations (notamment positives) issues d’un tel droit qu’ils se refusent à s’engager vers sa reconnaissance au niveau européen. Cette Recommandation est donc une pure coquille vide, peut-être par crainte aussi que la Cour de Strasbourg n’utilise le moindre début d’engagement en s’y référant dans ses arrêts[10].
Il est absolument évident que cette impulsion positive lancée en 2020 par la présidence géorgienne est demeurée isolée au sein d’un groupe d’Etats peu influents, et qu’elle n’a donc pas pu déboucher sur un résultat un tant soit peu contraignant. La présidence italienne n’a pas soutenu l’élan engagé par les Etats à la tête du Comité des Ministres depuis 2020 (CM/Inf(2022)13, 17 mai 2022, Bilan de la présidence italienne). L’ambassadrice interviewée nous confiait que les chefs d’Etat et de gouvernement ont une peur absolue de tout ce qui pourrait les « lier » sur ce terrain de la protection environnementale (Entretien n°3) : le Conseil de l’Europe, avec d’ailleurs surtout en son cœur la Cour, est perçu comme étant trop contraignant. Une contradiction de plus ; en se raccrochant à la CEDH, joyau du Conseil de l’Europe, les chefs d’Etat ne prennent-ils pas le risque qu’un jour la Cour franchisse le pas d’elle-même face à l’inaction obstinée des Etats ? D’ailleurs, dans la Déclaration finale adoptée par les chefs d’Etats et de gouvernement le 27 février 2020, il est écrit que « [l]a Cour européenne des droits de l’homme et le Comité européen des droits sociaux sont encouragés à étayer davantage leur jurisprudence (…) », un appel qui pourrait ne pas rester sans suites.
L’espoir de la présidence islandaise était de dynamiser les actions du Conseil de l’Europe par un engagement fort lors du quatrième sommet. Toutefois, un consensus politique fait cruellement défaut.
III. L’absence de volonté politique depuis Reykjavik pour faire face aux enjeux climatiques
A- L’absence de volonté politique forte
Non seulement le quatrième sommet de Reykjavik n’a pas permis à l’Islande et aux autres petites délégations d’essaimer une volonté politique forte, mais de surcroit le contenu de la Déclaration de Reykjavik marque même un recul par rapport aux initiatives de 2020. Pourtant, l’Islande avait fixé l’environnement parmi les quatre grands axes thématiques retenus pour sa présidence du Comité des Ministres (CM/Inf(2022)23-rev, 27 mars 2023). Il s’est agi notamment de promouvoir des modes d’administration plus durables, d’engager des actions en faveur de la jeunesse, et le 3 mai 2023 d’organiser une nouvelle « conférence sur « Le droit à un environnement propre, sain et durable dans la pratique ».
Les présidences succédant à la présidence islandaise ne s’inscrivent pas dans ce sillage visant à faire de la protection environnementale une priorité. Rien n’est inscrit de la sorte dans les priorités de la présidence lettone (CM/Inf(2023)10, Priorités de la présidence lettone, 12 mai 2023) ; il en est de même de la présidence actuelle du Liechtenstein, se réfugiant, comme il a été écrit plus haut, derrière les affaires climatiques pendantes devant la Cour de Strasbourg.
Trois années après le début de ses travaux, le CDDH a produit une synthèse détaillée des options disponibles avec les avantages et inconvénients de chaque option (CDDH-ENV(2023)06, 30 août 2023), des données déjà connues depuis plusieurs années et amplement documentées en doctrine[11], avec comme dernières suggestions de faire référence dans le préambule de la CEDH à la protection de l’environnement ou d’adopter un énième instrument non contraignant, qui plus est, pour répéter les normes existantes ! Alors même que le rapport adopté le 13 septembre 2021 par l’Assemblée parlementaire (Ancrer le droit à un environnement sain : la nécessité d’une action renforcée du Conseil de l’Europe) exigeait l’examen parallèle des diverses options (y compris celle d’un protocole additionnel à la Charte sociale européenne), le CDDH, qui s’obstinait dans un examen séparé, a enfin admis en 2023 la nécessité d’examiner ensemble les diverses pistes (Entretien n°1). Les premières réactions des Etats à la synthèse détaillée produite par le CDDH révèle au grand jour de grandes disparités (CDDH-ENV (2023)08REV, 26 septembre 2023, Contributions écrites des Etats membres en réponse au document sur le projet de rapport du CDDH) et un chemin sinueux vers un consensus…
En dépit de l’indication lors de nos entretiens (n°1 & 3) de ce que la Secrétaire générale actuelle du Conseil de l’Europe soutient les actions de l’Assemblée Parlementaire, la lecture des rapports annuels laisse entrevoir une posture visant à ne pas froisser les délégations opposées à la cause écologique. En effet, il faut attendre le rapport de 2022 pour voir mentionné l’environnement parmi les 12 priorités de l’organisation (« Lutte contre la dégradation de l’environnement et les effets du changement climatique »), en la classant en rang 10 et en se contentant de lister les actions existantes (notamment de l’Assemblée Parlementaire, de la Commissaire aux droits de l’Homme et de la Conférences des ONGs, les trois organes les plus impliqués sur ces enjeux) dans un esprit d’autocongratulation et autosatisfaction. Dans le rapport annuel de 2023, la cause environnementale et climatique a même disparu, signe probablement d’une soumission de la Secrétaire générale aux Etats récalcitrants ou d’une posture hautement diplomatique. De façon encore plus préoccupante, dans sa préface à la publication de 2020 sur « Protection environnementale et droits de l’homme » faisant suite à la conférence organisée par la présidence géorgienne, la Secrétaire générale affirmait que « c’est d’abord et avant tout au niveau national que des réponses doivent être trouvées », soulignant le fait que le Conseil de l’Europe ne jouerait pas le rôle de moteur et que seules des initiatives locales et nationales fortes pourraient peut-être venir contaminer le niveau européen.
D’un point de vue budgétaire, la priorité pour le Conseil de l’Europe demeure la Cour et le service de l’exécution des arrêts. Il importe de relever que, au 31 décembre 2022, la Fédération de Russie se classait au deuxième rang des plus gros contributeurs en termes d’affaires portées devant la Cour avec 22,4% des affaires pendantes, qui certes doivent être encore traitées dès lors qu’elles ont été soumises avant l’exclusion de la Russie du Conseil de l’Europe ; mais la Cour ne peut plus être saisie pour des faits postérieurs au 16 septembre 2022 contre la Russie, ce qui impliquerait une baisse d’activités d’environ 1/5°. Dans le domaine de l’environnement, seul le secrétariat de la Convention de Berne semble avoir bénéficié d’un renforcement en personnel (Reso.(2023)22, 23 November 2023[12]).
B- Une Déclaration de Reykjavik sans réelle avancée
La Déclaration de Reykjavik elle-même marque un recul des ambitions affichées depuis 2020. Si « l’urgence d’efforts supplémentaires pour protéger l’environnement » est admise, la concrétisation de cet engagement est très faible. L’annexe 5 rappelle en première phrase « l’urgence de prendre des mesures coordonnées pour protéger l’environnement en luttant contre la triple crise planétaire liée à la pollution, au changement climatique et à la perte de biodiversité ». La lutte contre le changement climatique est donc bien admise comme une priorité des actions à mener par le Conseil de l’Europe. Cependant, l’intitulé de l’annexe très neutre et excessivement précautionneux : « Le Conseil de l’Europe et l’environnement » tranche avec le titre plus engagé de l’annexe 4 : « Se réengager en faveur du système de la Convention, pierre angulaire de la protection des droits de l’homme au Conseil de l’Europe » recourant à un verbe d’action. D’ailleurs, le terme « environnement » est très réducteur puisque par définition il ne vise que les éléments naturels environnant l’humain, avec une vision anthropocentrée désormais très critiquable. « Environnement » est un terme aujourd’hui très désuet, c’est le langage du passé qui contraste également avec l’idée d’un phénomène « planétaire ».
Le contenu de l’annexe 5 est encore plus critiquable que son intitulé ne le laisse percevoir. Cinq engagements sont pris. Le premier fait référence à la « reconnaissance politique du droit à un environnement propre, sain et durable en tant que droit de l’homme », dans le prolongement de la Recommandation de 2022. Une reconnaissance « politique » signifie peu de choses et constitue même un recul par rapport à la Déclaration de février 2020. Cette reconnaissance « politique » est incompatible avec la demande de l’Assemblée Parlementaire, formulée en préparation du sommet de Reykjavik, pour « l’élaboration d’un cadre juridiquement contraignant du Conseil de l’Europe pour garantir le droit à un environnement propre, sain et durable » (para. 16.2 du rapport adopté le 9 janvier 2023). Le deuxième appelle à « réfléchir à la nature, au contenu et aux implications du droit à un environnement propre, sain et durable et, sur cette base, envisager activement de reconnaître au niveau national ce droit comme un droit de l’homme ». Nous retrouvons la formule édulcorée de la Recommandation de 2022. Cette reconnaissance nationale existe dans environ trois quarts des Etats membres du Conseil de l’Europe ; sans elle, la Cour de Strasbourg pourrait admettre des requêtes même sans épuisement des voies de recours internes (qui seraient jugées ineffectives, faute de reconnaissance nationale d’un tel droit). L’alinéa 4 formule le vœu de conclure rapidement le projet de Convention révisée sur la protection de l’environnement par le droit pénal et les travaux actuels du CDDH sur la faisabilité de nouveaux instruments. Ces trois engagements ne font donc que répéter l’existant issu des travaux lancés en 2020.
L’annexe 5 comporte en réalité uniquement deux engagements nouveaux. Le premier a trait à l’encouragement de la Banque de développement du Conseil de l’Europe à financer des projets en lien avec ces enjeux ; le second vise à « lancer le «processus de Reykjavík» ». Par « processus », il faut entendre non une obligation de résultat, mais un engagement en termes de méthode de travail à mettre en place : certaines précisions sont apportées ayant trait à rendre « visibles » les actions, donc à communiquer ; le terme de « rationalisation » est également utilisé. Il faut peut-être y voir une volonté de regrouper certaines activités quitte à laisser des wagons de côté (d’où peut-être l’absence de personnel réaffecté à la Convention sur le paysage…). Est-ce à dire que diverses conventions pourraient être gérées par un pool commun de ressources ? Est citée également comme méthode l’association de la jeunesse à des discussions. Ainsi, tous ces éléments, et notamment le dernier en termes de participation, sont formulés de façon extrêmement vague, sans engagement concret.
Le deuxième engagement nouveau, qui constitue le seul élément concret, porte sur l’encouragement à créer un « nouveau Comité intergouvernemental sur l’environnement et les droits de l’homme («Comité de Reykjavík») ». Il s’agit ici de l’aspect « le plus novateur » de la Déclaration, qui est même qualifié de « lot de consolation » par notre interlocuteur (Entretien n°1). Cette idée n’est pas totalement novatrice et avait été formulée notamment par Rik Dames en faveur plus d’une « Commission »[13] à l’image de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) (Entretien n°1). Des ONGs comme Amnesty International seraient favorables à la mise en place d’un tel organe. La Commission européenne pour l’efficacité de la justice ou la Commission de Venise étaient présentées également comme modèles pour la mise en place d’un tel organe servant de plateforme d’échanges et conseil juridique ((Mme Fiona O’Loughlin, para.30, Rapport du 9 janvier 2023). L’Assemblée Parlementaire appelle à la mise en place urgente de ce Comité et énonce trois attributions : permettre l’échange des bonnes pratiques, faire des recommandations aux Etats, et assurer une coopération avec la société civile, y compris la jeunesse. L’Assemblée suggère également la nomination d’un.e représentat.e spécial.e pour l’environnement et les droits humains pour plus de visibilité et une meilleure coordination des activités menées par les divers organes du Conseil de l’Europe. La mise en place d’un tel Comité peut être rapide. Pourtant la présidence lettone par la voix de M. Rinkēvičs a soulevé le besoin d’un consensus politique (et donc visiblement son défaut actuel) et la priorité plus urgente de traiter la question de l’exécution des arrêts de la Cour de Strasbourg (PACE, Commission permanente, PV, réunion à Riga du 26 mai 2023, juin 2023 (AS/Per (2023) PV 03, 19 juin 2023). L’Islande voudrait pouvoir annoncer sa création pour le premier anniversaire de la Déclaration de Reykjavik. En effet, l’Islande s’est engagée à poursuivre ses efforts en 2024 en accueillant « la réunion annuelle conjointe du conseil de direction et du conseil d’administration à Reykjavík au cours de l’été 2024, qui permettra de formuler des propositions d’activités liées à l’environnement » (CM/Inf(2023)9, 2 juin 2023, Bilan de la présidence islandaise).
Conclusion
Le quatrième sommet du Conseil de l’Europe a assurément été une occasion manquée pour cette organisation européenne de fixer une priorité claire et robuste sur les actions à mener en matière d’écologie et d’évolution du climat. Il ne s’agit déjà plus de jouer le rôle de fer de lance, mais à tout le moins de suiviste derrière les Nations Unies et d’autres organisations ; même cette posture semble perdue puisqu’il n’existe aucune volonté politique de reconnaitre un droit à un environnement sain comme droit fondamental sur la scène européenne. La Déclaration de Reykjavik s’inscrit en-deçà de la Déclaration finale adoptée trois ans plus tôt à Strasbourg sous présidence géorgienne. Le personnel du Conseil de l’Europe tout comme les chefs d’Etat et de gouvernement, pour la majorité d’entre eux, continuent de raisonner dans le monde d’avant et se montrent imperméables à la production de connaissances sur cette thématique. Cette inaction coupable pourra-t-elle être sanctionnée par la Cour européenne des droits de l’homme ou faut-il se résoudre à chercher des solutions en dehors de cette organisation ? Contrairement aux vœux de l’Assemblée Parlementaire, le Sommet n’a malheureusement pas « affiché son ambition, expos[é] une vision stratégique pour l’avenir et apport[é] le soutien politique nécessaire à la mise en place d’un cadre juridique contraignant » (Mme Fiona O’Loughlin, para.30, Rapport du 9 janvier 2023). Le Conseil de l’Europe est englué dans le monde d’avant. Assurément une occasion manquée…
[1] https://www.cnrtl.fr/definition/crise (4 janvier 2024).
[2] Cet article est issu d’une présentation orale donnée lors du colloque de Grenoble le 8 décembre 2023 organisé par notre collègue la Professeure Anca Ailincai.
[3] Trois entretiens par zoom avec respectivement un agent de l’Assemblée parlementaire (23.11.2023) (n°1), un membre du bureau du Commissaire aux droits de l’homme (4.12.2013) (n°2) et une représentante permanente d’une délégation étatique (6.12.2023, n°3).
[4] Cf la Déclaration de la conférence shadow de la société civile tenue à la Haye en marge du sommet de Reykjavik en mars 2023, appelant à « reconnaitre et protéger un droit autonome et juridiquement contraignant à un environnement propre, sain et durable par le biais d’un protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme ».
[5] Nous renvoyons à notre rapport introductif lors de la Conférence de 2020 et à une de nos publications : « Comment concilier protection de la Nature et approche par les droits fondamentaux dans le cadre du Conseil de l’Europe ? », Revue Juridique de l’Environnement, 3/2021, pp.503-525.
[6] Pour preuve, en 2024, le budget s’élève à 855,300 euros, dont 332,700 euros pour le programme d’activités, y compris les frais généraux : Convention de Berne, T-PVS (2023)21rev.
[7] Nous renvoyons à nos arguments développés dans une publication antérieure : Comment rendre crédible et effective la protection des droits humains écologiques par le Conseil de l’Europe?’, Revue trimestrielle des droits de l’homme (123/2020), juillet 2020, 609-628.
[8] Cette Déclaration avait également demandé la révision de la Convention de 1993 sur la responsabilité civile des dommages résultant d’activités dangereuses pour l’environnement, souhait resté sans suite.
[9] CDDH-ENV(2021)R2Addendum,16/11/2021 : Avant-projet de recommandation : « Recommande aux Etats « de reconnaître que le droit à un environnement propre, sain et durable est un droit de l’homme qui découle des instruments internationaux existants relatifs aux droits de l’homme, qui leur est inhérent et qui est important pour la jouissance des droits de l’homme » (point 1).
[10] Ce que la position de la Norvège semble confirmer : CDDH-ENV (2022) 02, p.13. Également, A. Ailincai, « Les tribulations des efforts de modernisation de l’arsenal normatif du Conseil de l’Europe en faveur de la protection de l’environnement », AFDI (2022), 2023, pp. 3-19, p. 14.
[11] La discussion détaillée de ces options n’entre pas dans le cadre de cet article.
[12] Le budget ordinaire global du Conseil de l’Europe se montant à 299 273 900 euros, dont 285 511 600 euros à financer par les contributions des Etats membres. Pour la Cour, les ressources budgétaires passent de 74 510 300 euros en 2022, à 75 387 100 euros en 2023, à 84 906 700 euros pour 2024 et 85 380 700 euros en 2025.
[13] Cf ses propos lors la Conférence du 3 mai 2023 proposant de créer une « European Commission on environmental rights ».